La symphonie austro-allemande a atteint un point critique avec les dernières oeuvres de Gustav Mahler. La Symphonie n°8 (1907), dont la partition s'étale sur 36 (!) portées, requiert ad libitum (jusqu'à) un millier d'exécutants et elle dure de l'ordre de 80 minutes en fonction des tempi adoptés par le chef. Il n'y avait sans doute guère moyen de faire plus monumental, sauf à prendre le risque d'un effondrement. Plus raisonnable, du moins en effectif requis, et de fait incontestablement mieux réussie, la n°9 (1910) est cependant au moins aussi longue tout comme l'aurait sans doute été l'inachevée n°10 (Complétée par Deryck Cooke). Dans tous les cas, la disparition de Mahler, en 1911, a coïncidé avec la fin d'une époque musicale et bientôt géopolitique.
De l'autre côté du Rhin, à l'exception notable mais ponctuelle des disciples de César Franck, les musiciens français n'ont jamais manifesté beaucoup d'enthousiasme pour une forme musicale qui ressemblait trop à une chasse gardée. Ils ont préféré répandre l'idée que la symphonie était moribonde, insinuant qu'elle avait épuisé ses effets. Cependant cette sentence ne s'est jamais confirmée dans les faits : on a continué d'écrire des symphonies, en Scandinavie, sur les bords de la Baltique, en Europe de l'Est ou centrale, en Grande-Bretagne et jusqu'aux Amériques ou en Extrême-Orient ! Au 21ème siècle, la symphonie se porte encore très bien, en tous cas il s'en écrit sans cesse de nouvelles. Valent-elles leurs illustres prédécesseurs, c'est une toute autre question que cette deuxième partie se propose d'examiner plus attentivement.
Au 20ème siècle, deux musiciens hors normes ont occupé le terrain symphonique, l'un par vocation et l'autre par nécessité. Dans les deux cas, des circonstances extérieures tragiques ont contribué à forger le caractère d'urgence des oeuvres composées. Cette coïncidence n'est nullement fortuite car il est rare, en général, que des corpus essentiels naissent de la simple douceur de vivre :
- Dimitri Schostakovitch (1906-1975) s'est révélé très jeune être un musicien d'exception. Hésitant entre les carrières de pianiste et de compositeur, c'est le succès foudroyant rencontré par sa Symphonie n°1 (1925) qui a fait pencher la balance du bon côté (Cette oeuvre était son travail de fin d'études comme seuls les conservatoires russes en supervisaient, un témoignage éloquent du degré d'excellence de l'enseignement dispensé). Idéalement lancé, Schostakovitch a connu 10 années du bonheur de créer une oeuvre (parfois) disparate mais (souvent) originale. C'est de cette époque relativement insouciante que datent les n°2 (1927) et n°3 (1929). Elles sont rarement jouées au concert du fait qu'elles exigent le concours (sporadique) d'un choeur. Pourtant, mis à part quelques accents vocaux révolutionnaires, elles ne manquent pas de trouvailles expérimentales absolument dignes d'intérêt. Les choses se sont gâtées dès le début des purges staliniennes (1934) et elles se sont aggravées à partir de 1936 au point de menacer la vie de tous les artistes rebelles (Pour mémoire, on ne peut mieux dire, Maxime Gorki, Ossip Mandelstam, Vsevolod Meyerhold, pour n'en citer que trois bien connus à l'Ouest, sont morts de cette folie meurtrière). Désormais menacé dans son existence quotidienne, Schostakovitch a vécu le restant de ses jours dans la crainte perpétuelle d'être inquiété. C'est cette angoisse que traduit la pessimiste et mahlérienne, n°4 (1936). Son atmosphère pesante la rendait impubliable tant elle se situait aux antipodes de ce que le Parti exigeait désormais des musiciens soviétiques : une musique optimiste et suffisamment simple pour être comprise par les masses laborieuses, heureuses de collaborer en chantant au programme quinquennal en cours. Cette oeuvre n'est sortie des tiroirs du compositeur qu'après la mort de Staline et elle s'est imposée comme l'une des plus ambitieuses du cycle complet. La n°5 (1937), optimiste et conquérante, a remporté un immense succès tant en URSS qu'à l'extérieur : elle a valu un précieux retour en grâce à son auteur. Les deux symphonies de guerre, n°7 (1941) et n°8 (1943), célébrant la résistance puis la victoire sur l'Allemagne nazie, ont forcément plu au "guide suprême" qui se mit à en attendre d'autres dans la même veine. Mais imprévisible, le compositeur les encadra par deux oeuvres courtes et ironiques (n°6, 1939 et n°9, 1945). Les symphonies n°10 (1953) et n°11 (1957) sont remarquables, davantage que la n°12 (1961) nettement plus terre-à-terre. Les n°13 (1962) et n°14 (1969) introduisent le chant soliste et la n°15 (1971) est un formidable pied-de-nez à la mort qui commençait à rôder avec insistance autour du musicien, de plus en plus miné par l'anxiété. Cette oeuvre ultime se termine, sur la pointe des pieds, dans un long pianissimo confié aux cordes et ponctué par un ensemble percussif hétéroclite (castagnettes, caisse claire, bloc de bois, xylophone et triangle) auquel viennent se joindre un glockenspiel et un célesta pour sceller le formidable adieu d'un compositeur de génie à la symphonie .
Il ne manque pas d'observateurs qui considèrent que Schostakovitch a été rien moins que le Beethoven du 20ème siècle. Au plan symphonique (et cela se confirme en musique de chambre), cette affirmation se justifie à deux égards au moins : le cycle écrit par Schostakovitch comprend 15 oeuvres d'importances variables mais où perce la double préoccupation du renouvellement et de l'éloquence intelligible.
Le cycle complet a été enregistré un très grand nombre de fois et ce sont, sans surprise, les grands chefs russes (Ievgueni Mravinski, Kirill Kondrashin, Guennadi Rojdestvenski, Rudolph Barshai, Valery Gergiev, etc) qui restituent au mieux l'idiome du compositeur. La bonne nouvelle est que l'enregistrement particulièrement économique réalisé par Rudolph Barshai pour le label Brillant tient parfaitement la route en dépit d'une conception davantage occidentalisée (n°7, comparez avec les versions suivantes). Pour une version plus idiomatique on peut faire confiance à Kirill Kondrashin dont l'intégrale peut vous servir de guide (n°1 à 15). Je reste également fidèle aux lectures radicales de Ievgueni Mravinski même si la qualité des enregistrements laisse parfois à désirer (n°7).
- Allan Pettersson (1911-1980) a rejoint Bruckner et Mahler dans le cercle très fermé des symphonistes professionnels : mis à part quelques oeuvres de chambre et vocales plus trois beaux concertos, l'essentiel de sa production tient, en effet, dans un massif de 15 symphonies, numérotées de .... 2 à 16. Deux œuvres additionnelles, portant les numéros 1 et 17, sont incomplètes, la première parce que l'auteur l'a abandonnée (Elle vient d'être reconstruite, sur base d'esquisses existantes, par Christian Lindberg et un enregistrement vient de paraître chez BIS : n°1, 1953) et l'autre parce que la mort a interrompu sa composition (n°17, fragment , 1980). A part la n°7, aucune de ces oeuvres n'a jamais connu la moindre reconnaissance en Occident et cela n'est sans doute pas près de changer.
La musique de Pettersson est le reflet de l'existence douloureuse de son auteur : atteint d'une spondylarthrite rhumatoïde extrêmement invalidante, celui-ci a entrepris de se soigner en vitupérant contre la terre entière et son Créateur. Monolithiques, un seul mouvement, ses symphonies sont des protestations contre un sort injuste, où la dissonance crie la colère autant que la douleur. Des épisodes consonants interrompent régulièrement les accès de rage, évoquant d'improbables moments de rémission voire de sérénité retrouvée. La n°6 (1966) offre une bonne entrée en matière dans cet univers fascinant : suivez le guide mais n'insistez pas si votre propension à l'empathie atteint ses limites, d'autant que les autres symphonies sont encore moins accessibles. L'oeuvre commence par une noble introduction où toute douleur semble étrangement absente; cela ne dure pas car dès 3:26 apparaissent les premiers symptômes inquiétants qui vont en s'aggravant à partir de 5:47. Vers 15:00, plus rien ne va comme il faudrait et on s'enfonce en pleine noirceur. Pourtant, rien n'est jamais sans espoir : à partir de 24:00, une accalmie s'installe progressivement qui finit par l'emporter, en 37:37, au travers d'une sublime péroraison finale. Ne trichez pas : n'écouter que les 23 minutes que dure ce finale n'a aucun sens si vous n'êtes pas passés par toutes les stations du chemin de croix !
Vous aurez compris que Pettersson n'a jamais eu pour but de plaire à ses auditeurs mais de se soigner en écrivant la seule musique capable d’adoucir ses souffrances. Certes, vous pourriez vous retrancher dans l’indifférence, après tout vous n’êtes pas sur terre pour endosser tous les malheurs du monde, mais musicalement, vous auriez sans doute tort car je ne connais aucune musique qui sonne aussi violemment juste. S'il existe un corpus symphonique essentiel au 20ème siècle, c'est bien celui-là.
Si vous voulez poursuivre l’aventure, commencez comme tout le monde, si l'on peut dire, par l'accessible n°7 (1967), de fait la seule qui ait rencontré un succès international lorsque le grand chef Antal Dorati l'a enregistrée, en 1986. Elle aussi se termine par une longue et merveilleuse péroraison (A partir de 19:00, avec de temps à autres des cris de colère, vite réprimés, mais aussi des moments de pure grâce comme par exemple en 25:18). Poursuivez avec les n°5 (1962) et n°8 (1969), encore abordables, puis attaquez la n°9 (1970), d’une complexité effrayante, qui vous explique, en partie, pourquoi Pettersson n’a guère eu le temps d'écrire autre chose que ses Symphonies. Si vous avez survécu, vous êtes prêt à explorer les autres œuvres de ce musicien d’exception (par exemple, la bouleversante n°12, 1974, pour choeur & orchestre où l'on peut même entendre de lointains échos du Boléro de Ravel, après 31 minutes environ) et la détresse, liée à la condition humaine, n’aura plus de secret pour vous. Terminez enfin votre exploration avec la n°3 (1955) ou la n°11 (1973), à la recherche des îlots de douceur qui tempèrent cette musique tourmentée à nulle autre pareille. Sachez que la firme CPO propose, à prix doux, une intégrale en 12 CD tandis que BIS en a publié une autre en pièces détachées (et à prix plein).
Si les symphonies de Schostakovitch et de Pettersson constituent les deux massifs les plus imposants à l'horizon musical moderne, ils ne sont pas seuls. D'autres cycles sans doute moins intimidants attirent aussi l'attention, preuves s'il en fallait, que la symphonie est demeurée plus vivante que jamais. Voici, pour commencer, 12 cycles regroupant quelques symphonies britanniques, nordiques et soviéto-polonaises; le choix des pays peut paraître arbitraire mais ce sont précisément ceux qui ont cultivé le genre avec assiduité.
Si vous êtes pressés, retenez en priorité Schnittke et Penderecki, tous deux incontournables. Si vous êtes (très) frileux, optez pour Atterberg, Arnold et Rubbra mais si vous êtes vraiment curieux, ne manquez ni Simpson ni surtout Frankel (C'est LA découverte, qui prouve que l'atonalité n'est absolument pas un obstacle à la beauté du discours (a)mélodique). Si vous avez tout votre temps, ce dont je ne doute pas puisque vous êtes parvenu à ce stade de l'exposé, poursuivez à l'écoute des cinq autres compositeurs référencés car comme le disait si justement Stravinsky : "Pour être un bon auditeur, il faut acquérir une culture musicale [...] Ecouter est un effort et il n'y a aucun mérite à seulement entendre. Un canard entend aussi !" (Pas très gentil pour les canards).
Si vous avez lu la première partie, vous avez noté que la révolution beethovenienne a convaincu les musiciens de cesser de composer des symphonies en pagaïe, sans égard pour leur diversité. Au 19ème siècle, cette pratique a, en effet, quasiment disparu. Etrangement, elle a recommencé, un siècle plus tard, dans le chef de musiciens provenant d'horizons très différents : le britannique Havergal Brian, les russes Nikolaï Miaskovsky et Sergeï Slonimsky, l'américain Henry Cowell, l'américain d'origine arménienne Allan Hovhaness, le danois Niels Viggo Bentzon, le roumain Wilhelm Georg Berger et le finlandais, Leif Segerstam mais la liste est certainement plus longue. Tous ont écrit plus de 20 oeuvres du genre. Ce paragraphe est détaché du reste de l'exposé afin de ne pas l'alourdir mais nullement pour mettre en évidence des oeuvres de qualité fort variable, beaucoup payant le prix de leur débauche. Miaskovsky, Slonimsky et Berger sont sans doute ceux qui se sont le mieux tirés d'affaire, suivis d'assez loin par Brian et Hovhaness enfin il est trop tôt pour juger impartialement l'oeuvre-fleuve de Segerstam :
- Havergal (William était son vrai prénom) Brian (1876-1972) est connu (pas sa musique actuellement jugée démodée !) pour avoir écrit 32 symphonies dont 14 dans sa 8ème décennie (n°21, 1963) et 7 dans sa 9ème (n°31, 1968) ! Il s'est d'emblée constitué une réputation d'extravagance : sa Symphonie n°1 (1927), prévue pour mobiliser 800 musiciens et choristes, dure presque 2 heures ! Il n'a heureusement pas persévéré dans cette voie peu prometteuse et ses oeuvres ultérieures sont nettement plus raisonnables, sauf qu'en tournant ostensiblement le dos à la modernité, elles se sont condamnées à un oubli progressif (n°2, 1931). Le label Naxos réédite actuellement des enregistrements parus anciennement chez Marco Polo.
- Nikolaï Miaskovsky (1881-1950) a été considéré par certains comme le véritable père de la symphonie soviétique (Ne pas confondre avec russe, cf 1ère partie), sans doute parce qu'il a passé pas mal de temps à éviter l'affrontement avec le régime stalinien. Cette prudence lui a au moins permis de conserver sa chaire d'enseignement au Conservatoire de Moscou où il a formé Khachaturian, Kabalevsky, Shebalin, Shchedrin, Lokshin et Tchaïkovsky (Boris !). Ses 27 symphonies ont été enregistrées par le grand chef, Evgeny Svetlanov, et l'ensemble (16 CD) est disponible à prix doux chez Warner Music. On trouve un peu de tout dans ce vaste corpus, de l'incroyable n°1 (1908, encore un travail de fin d'études !) à l'optimiste n°27 (1950, alors pourtant que son cancer progressait), en passant par quelques-unes de ses oeuvres les plus stylistiquement avancées (n°10, 1927 et n°13, 1933). Les (nombreux) amateurs de musique russe devraient apprécier une promenade dans ce riche répertoire, pur produit de l'intelligence avec un régime répressif (n°20, 1940).
- Henry Cowell (1897-1965) a fait partie du groupe des American Five, chapeauté par Ives dans l'intention de moderniser le paysage musical américain. Cowell s'est avéré le plus versatile de la bande, jouant le jeu, au début, puis opérant un net retour vers une musique de plus en plus consensuelle. La composition de ses 20 symphonies (achevées car une n°21 a été complétée par Lou Harrison) s'étant étalée sur près de 50 ans, on peut comprendre que les esthétiques aient varié. On ne peut toutefois s'empêcher de regretter l'abandon progressif de toute forme de modernité (Brillante n°2, 1938, n°5, 1948, n°11, 1953, n°13, 1959).
- Les 67 symphonies d'Allan Hovhaness (1911-2000) sont l'écho de ses origines arméniennes. Leur style est immédiatement reconnaissable, rempli d'unissons orientalisants et de basses bourdonnantes où toute polyphonie savante est absente. En fait, pour ceux qui y sont sensibles, tout le charme de cette musique repose sur une simplicité mélodique inépuisable. Vous pouvez surfer sur la Toile à la recherche d'enregistrements sans doute parus chez Delos, sous la direction de Gerard Schwarz (Seattle s o) : n°3 (1956), n°6 (1959), n°20 (1968), n°22 (1970), n°47 (1980), n°53 (1983), n°63 (1988). C'est typiquement le genre de musique qui passe la barre de l'enregistrement mais plus difficilement celle du concert car je vois mal un orchestre se consacrer assidûment à un corpus aussi dilué. D'un abord (sans doute trop) aisé, cette musique a séduit quelques collègues américains, Lou Harrison par exemple, mais elle en a hérissé d'autres, Leonard Bernstein et Aaron Copland, pour s'en tenir à deux personnalités influentes. En conséquence, la carrière d'Hovhaness complètement à contre-courant de ce qui était préconisé dans les milieux académiques, ne s'en est pas trouvée facilitée. Cela ne semble pas l'avoir perturbé outre mesure, en tous cas cela ne l'a jamais empêché de continuer à écrire comme il l'avait toujours fait. Quelques succès publics l'ont sans doute encouragé, en particulier lorsque le grand chef, Leopold Stokowski, a dirigé sa deuxième symphonie "Mysterious Montain" en 1955. Plus récemment, outre le label Delos, Telarc et Naxos ont également été actifs dans la défense de cette oeuvre atypique, preuve s'il en fallait, qu'elle peut survivre à ses détracteurs.
- Le danois Niels Viggo Bentzon (1919-2000) est, par sa mère, l'arrière-petit-fils de Johan Peter Hartmann, donc le petit-fils d'Emil Hartmann (Cf la 1ère partie). Son catalogue est immense, proposant, par exemple, pas moins de 14 séries de Préludes & Fugues dans toutes les tonalités majeures. Il propose également 24 symphonies plutôt ardues (enregistrées chez DaCapo). Entendu qu'elles risquent de vous désorienter voire de vous décourager, contentez-vous, dans un premier temps, d'écouter les plus abordables, n°5 (1950 ?) et n°7 (1952), et poursuivez si affinités, ce dont je doute.
- Le roumain Wilhelm Georg Berger (1929-1993) a été un musicien polyvalent (Compositeur, musicologue, violoniste, altiste et chef). On lui doit pas moins de 24 symphonies (et 21 quatuors à cordes !). Plusieurs oeuvres ont été primées lors de concours internationaux dont deux en Belgique (Reine Elisabeth, session composition, 1965, et, la même année, Concours de Quatuors à cordes de Liège). L'écoute de ses symphonies révèle un musicien chevronné, sérieux et plutôt bien inspiré (n°4, 1964, n°4, 1964, n°10,1975, n°13, 1980, n°18, 1988). Ne le confondez pas avec l'allemand Wilhelm Reinhard Berger (1861-1911) ni avec le suédois Wilhelm Peterson-Berger (1867-1942), mentionnés par ailleurs.
Sergeï Slonimsky (1932-2020) a commencé ses études à Moscou avant de les parfaire à Saint-Petersbourg où il a fini par occuper une chaire d'enseignement au fameux Conservatoire. Très versatile, il a exploré quantité de styles compositionnels (folklorique, sériel, néo-romantique et jazz), en particulier dans ses 34 symphonies. On peut contester son penchant pour le bric-à-brac sonore mais on ne peut lui dénier un réel savoir-faire au service d'un catalogue d'oeuvres qui prennent la peine d'être différentes, un mérite pas si fréquent que cela (n°4, 1982, n°5, 1983, n°7, 1984, n°8, 1985, n°11, 2003, n°21, 2009, n°30, 2010).
- Reste le cas - car c'en est un - de Leif Segerstam (1944- ), un chef finlandais qui écrit des symphonies (liste tenue à jour) comme d'autres enfilent les perles d'un collier : on en compte 337 au début de l'année 2020 et rien n'indique qu'un ralentissement soit proche ! On a dit de ses premières symphonies qu'elles étaient dignes de l'héritage de Sibelius mais j'avoue ne pas voir le rapport à l'écoute des étranges n°3 (1981), n°9 (1984) et n°12 (1986). Elles n'ont d'ailleurs de symphonie que le nom si l'on en juge par leur disposition instrumentale complètement éclatée. La plupart de ces oeuvres sont relativement courtes, en un seul mouvement, et elles sont prévues pour être jouées par un orchestre dépourvu de chef. Toutes n'ont pas été effectivement créées, à peine une bonne centaine et ce n'est déjà pas si mal, pensez aux malheureux musiciens qui n'ont pas que cela à faire. Les symphonies de Segerstam ne revendiquent pas un statut d'oeuvres autonomes. Ce sont plutôt des exercices de style où l'assemblage est confié aux interprètes selon une géométrie libre et variable. Segerstam déployant également une intense activité de chef d'orchestre, on pourrait penser qu'il en profiterait pour enregistrer ses propres oeuvres mais il n'abuse pas de cette possibilité, à tel point qu'il n'est pas facile de trouver des CD consacrés à ses oeuvres récentes (n°151, 2006, n°253, 2011, n°288, 2015).
Entamons, à présent, un tour d'horizon de la symphonie moderne. Il est en tous points comparable à celui effectué, en première partie, dans le cadre (post)romantique. C'est un périple largement européen quoique élargi à certaines contrées des continents américain et asiatique. A nouveau, l'inventaire ne prétend pas être complet mais il tente à tout le moins d'être aussi large que possible. Dans chaque cas d'école, les cycles comportant plus de 5 oeuvres par auteur sont mentionnés en priorité.
A la mort de Mahler, la symphonie austro-allemande s'est trouvée dans une impasse dont elle est sortie en revenant à des dimensions raisonnables et en abandonnant ses prétentions à l'hégémonie sans partage. Autant vous prévenir, deux guerres successives et autant de défaites ont sapé le moral des troupes désormais composées de musiciens certes valeureux mais marqués par endroits d'une forme de sinistrose musicale.
Cycles germaniques :
- En Allemagne (de l'Ouest et de l'Est confondues), trois cycles se dégagent, composés par Max Butting (1888-1976) (n°3, 1928, n°10, 1963), Karl Amadeus Hartmann (1905-1963) (n°5, 1950, n°6, 1953, n°7, 1958, n°8, 1962; commencez par la 5ème, un hommage à peine déguisé à Stravinsky) et, une génération plus tard, Hans Werner Henze (1926-2012). Les 10 symphonies de Henze, étalées sur un demi-siècle, sont d'une telle variété qu'il vous faudra quelque temps pour en assimiler le contenu. On a longtemps dû se contenter d'une (fausse) intégrale, limitée aux 6 premières, en fait une réédition Brillant d'anciens enregistrements DGG sous la direction du compositeur. Wergo vient de combler cette lacune en publiant une vraie intégrale, sous l'excellente direction de Mark Janowski (n°1, 1947 version révisée en 2005). Si la n°7 (1984) est un hommage au précurseur, Karl Amadeus Hartmann, la n°8 (1993) est typique du style chargé du compositeur et la n°9 (1997, chorale !) règle, par texte interposé, ses comptes de jeunesse avec la barbarie nazie. Quant à la n°10 (2000), elle est sans doute la plus accessible de toutes et vous feriez peut-être bien de commencer par elle.
- En Autriche, le viennois Egon Wellesz (1885-1974), élève de Schönberg, a émigré en Angleterre (en 1938) en emportant ses leçons d'atonalité, qu'il a appliquées librement à partir de son sixième opus. Ses 9 symphonies sont importantes mais austères; je vous avais prévenu que les musiciens de cette génération n'étaient pas souvent d'humeur à plaisanter. Elles ont toutes été enregistrées avec sérieux (C'est le cas de le dire !) chez CPO (n°2, 1948, n°5, 1956, n°8, 1970).
- Le viennois Ernst Toch (1887-1964) a écrit ses 7 symphonies lors de son exil américain (n°2, 1951, n°3, 1955). Elles sont remarquables, sans toutefois atteindre l'exceptionnelle qualité d'inspiration des quatuors commentés par ailleurs. Elles figurent également au catalogue CPO.
- Johann Nepomuk David (1895-1977), un musicien à découvrir, a cultivé son goût pour le contrepoint dans 8 opus d'excellente facture (n°2, 1938 et n°5, 1951, qui se souviennent par endroit de la Grande Fugue de Beethoven. La dernière, n°8, 1964, est plus moderne).
On reste en Allemagne ou en Autriche :
La liste des musiciens moins systématiquement impliqués dans le genre symphonique est nettement plus longue et variée et il m'étonnerait qu'en fouillant, vous n'y trouviez pas votre bonheur. Plusieurs d'entre eux ont fui le nazisme, menacés dans leur existence en tant que juifs et/ou censurés dans l'exercice de leur Art parce qu'ils adhéraient à une forme de modernisme qualifié de "dégénéré" :
- Hans Gal (1890-1987) a émigré en Angleterre, en 1938, où il a composé 4 belles oeuvres à découvrir (n°1, qui se termine en 31:00, 1927, n°2, qui commence en 31:30, 1942, n°3, qui se termine en 34:35, 1951 et n°4, qui commence en 35:00, 1974).
- Un plus fort contingent de musiciens ont émigré aux USA. Le plus important, Paul Hindemith (1895-1963), a écrit deux oeuvres plutôt connues qui sont en fait des adaptations d'oeuvres scéniques (Mathis der Maler, 1934 et Die Harmonie der Welt, 1946). On lui doit également une Symphonie pour vents (1951), trop bruyante à mon goût, et l'accessible Symphonia Serena (1946). Erich Korngold (1897-1957) a écrit tardivement une belle symphonie (postromantique), dans la tonalité inusitée de fa dièse majeur (1952). Le soutien de Wilhelm Furtwängler n'a pas suffi à imposer l'oeuvre après son retour en Allemagne. Kurt Weill (1900-1950) a signé deux oeuvres brillantes et nerveuses sur le sol allemand (n°1, 1921, n°2, 1934) avant de s'exiler et de s'égarer quelque part entre la musique de cabaret et la comédie musicale made in US. Plus austère, Ernst Krenek (1900-1991) a composé ses 3 premières symphonies à Vienne et les deux dernières en exil (n°1, 1921, n°2, 1921, n°3, 1922, n°4, 1947, n°5, 1949). Je suis prêt à parier que vous préférerez les premières pourtant pas les plus faciles. Elles ont été enregistrées chez CPO. Enfin, Bernard Hermann (1911-1975), engagé à Hollywood comme son collègue Korngold, a également trouvé le temps et la ressource pour écrire cette belle et unique Symphonie (1941).
- Heinz Tiessen (1887-1971) (n°2, 1912), Paul Dessau (1894-1979) (n°2, 1934), Leo Spies 1899-1965) (n°2), Eduard Erdmann (1896-1958) (n°1, 1920, n°2, 1923, n°4, 1951), Ernst Pepping (1901-1981) (n°1, 1939, n°2, 1942), Boris Blacher (1903-1975) (Symphonie, 1938), Theodor Berger (1905-1992) (Sinfonia Parabolica, 1956), Harald Genzmer (1909-2007) (n°1, 1957 et n°4, 1990) et Gottfried von Einem (1918-1996) (Wiener Symphonie, 1977), complètent un tableau qui démontre que la symphonie n'a jamais disparu du paysage musical germanique.
La génération née après la deuxième guerre a davantage (in)consciemment boudé le genre symphonique trop connoté "ancien régime". On ne trouve plus beaucoup de compositeurs pour l'illustrer mais ils sont de qualité tels, Ulrich Leyendecker (1946-2018) (n°3, 1991) et surtout Wolfgang Rihm (1952-2024). Rihm n'a numéroté que trois symphonies au motif que celles qui ont suivi ont fait l'objet de tant de refontes qu'une numérotation aurait posé problème. La n°1 (1969) a été écrite alors que le compositeur n'avait que 17 ans et qu'il terminait ses études auprès de Karlheinz Stockhausen. Elle est déjà d'une étonnante maîtrise technique. La Symphonie n°2 (1975) est également une oeuvre de jeunesse, écrite dans un langage sériel accessible. Un CD paru chez Hanssler propose ces deux oeuvres en même temps que quelques compléments de choix. La n°3 (1979) est nettement plus longue et d'une calme éloquence tout à fait remarquable; elle fait partie de ses oeuvres incontournables. Rihm a ensuite repensé la symphonie dans une conception élargie, à géométrie variable dans le temps comme dans l'espace. Nähe Fern (Proximité lointaine, 2012) est une commande de l'Orchestre de Lucerne qui souhaitait que son cycle des symphonies de Brahms, une par concert, fasse l'objet d'un commentaire musical de la plume de Rihm (Testez votre connaissance des symphonies de Brahms au travers de ce prisme (très) déformant imposé par Rihm : n°1 , n°2 , n°3 , n°4 ). Les quatre essais créés séparément ont été réunis ultérieurement en une symphonie autonome à laquelle le compositeur a ajouté un court cinquième mouvement, chanté sur un poème de Goethe. Dans la même veine que Nähe Fern, ne manquez pas Vers une Symphonie fleuve (1995) ni surtout les 6 magnifiques épisodes de Verwandlung (2006-2014) (Part 3 et Part 6) qui mélangent hardiment des réminiscences de Brahms, de Mahler et de Schönberg.
- L'autrichienne Johanna Doderer (1969- ) s'est lancée, sans complexe mais avec panache, dans une oeuvre aux sonorités postmodernes complètement assumées (n°2, à découvrir absolument !).
L'émergence du courant debussyste a été une entrave à la poursuite du mouvement symphonique amorcé par (les élèves de) César Franck. On a beau considérer que La Mer est une symphonie déguisée, le fait demeure que les héritiers autoproclamés de Debussy n'ont pas entériné ce fait. Quelques musiciens français de valeur se sont pourtant démarqués du consensus général, écrivant des symphonies, le plus souvent en nombre restreint.
Cycles français :
- Georges Migot (1891-1976) est l'auteur de 13 symphonies revendiquant n'appartenir à aucune école. Il a assumé seul, toute sa vie, d'écrire une musique difficile à suivre dans ses méandres, sans qu'on puisse parler d'une difficulté langagière. Du coup, il ne s'est pas trouvé grand monde pour la jouer et les enregistrements existants sont anciens et de piètre qualité (n°3, 1946 et n°10, 1962). Pour Migot, le temps de la résurrection n'a manifestement pas encore sonné.
- Darius Milhaud (1892-1974) a écrit 12 symphonies de poche d'une durée tournant généralement autour de 20 minutes chacune. Leur instrumentation dégraissée les rapproche du genre de la symphonie de chambre (n°1, 1939, n°4, 1947, n°6, 1955, n°8, 1957). Une intégrale recommandable est parue chez CPO.
- Jean Rivier (1896-1987) a écrit 8 symphonies n'appartenant à aucune école, ce qui les a sans doute desservi. Elles ont naguère été dirigées par de grands chefs (Jasha Horenstein) mais aujourd'hui elles sont largement et sans doute injustement oubliées (n°3, 1938, n°6, 1958).
- Aubert Lemeland (1932-2010) n'est toujours pas sorti de l'oubli auquel l'ont condamné ses 14 symphonies traditionnelles et tardives (n°6, 1986, n°8, 2005 et n°9, 2006, les plus intéressantes). Les chefs Michel Plasson, Jacques Mercier et José Sérébrier ont bien tenté de sortir Lemeland de l'isolement mais ils n'y sont malheureusement pas parvenus. C'est probablement injuste et certainement dommage.
- Une génération plus tard, on découvre Nicolas Bacri (1961- ). Formé à l'école post-sérielle, il s'en est progressivement évadé pour rejoindre la cohorte de ceux qui pensent avec raisons que la musique ne peut rester éternellement coupée de ses racines tonales et rythmiques. Aucune concession cependant dans cette musique extrêmement construite (Classique n°4, 1996, n°6, 1998, des oeuvres à découvrir sans faute).
On reste en France :
- Maurice Emmanuel (1862-1938) n'est plus guère joué de nos jours; il a pourtant connu ses heures de gloire, en particulier grâce à deux oeuvres représentatives de l'esprit français, clarté et légèreté jamais vulgaire (n°1, 1919, n°2, 1931). "Trop tops" comme disent aujourd'hui nos jeunes gens à propos de musiques bien plus bâtardes !
- Charles Koechlin (1867-1950) figure dans toutes les histoires de la musique mais il attend toujours qu'on s'intéresse vraiment à son oeuvre immense, en particulier qu'on s'attelle à une édition moderne de son oeuvre symphonique (n°1, 1928, n°2, 1944).
- Albert Roussel (1869-1937) est resté toute sa vie un musicien indépendant n'écoutant que sa voix intérieure : ses 4 symphonies sont des chefs-d'oeuvre conçus à l'abri des modes. Commencez par la troisième, qui est mue par une force intérieure irrésistible (n°1, 1906, n°2, 1921, n°3, 1930, n°4, 1934).
- Arthur Honegger (1892-1955), d'origine suisse, a connu le sort enviable d'attirer très tôt l'attention de chefs réputés. Il faut reconnaître que ses 5 symphonies sont des merveilles à connaître absolument, surtout lorsqu'elles sont défendues par un Karajan complètement impliqué à la tête de "sa" Philharmonie de Berlin (n°2, 1937, n°3, 1946. Peut-être l'un de ses plus beaux enregistrements, certainement l'un des plus utiles !). Pour les autres oeuvres, il convient de se référer aux enregistrements existants, il n'en manque heureusement pas (n°1, 1917, n°4, 1946, n°5, 1950).
- Henri Sauguet (1901-1989) est bien oublié aujourd'hui et pourtant sa musique est fort digne d'intérêt, sérieuse sans être ennuyeuse, parfois simplement légère (n°1, 1945, n°3, 1955, à découvrir !). Plus grand monde n'écoute la musique d'André Jolivet (1905-1974) (n°3, 1964), d'un modernisme hélas démodé. Notez qu'on n'écoute pas davantage celle d'Emile Goué (1904-1946) (Enjouée n°2, 1943, à découvrir absolument !) ni celle de Tony Aubin (1907-1981) (n°2, 1944) alors qu'elles n'ont pas pris une ride, allez comprendre. Aubin fut un musicien brillant, tellement égaré dans la musique de film alimentaire qu'on a oublié qu'il avait aussi écrit des partitions d'un dynamisme remarquable. Qu'attend-on pour nous offrir des enregistrements décents ?
- Olivier Messiaen (1908-1992) n'a composé qu'une seule symphonie (Turangalila, 1948) mais elle s'impose comme le grand chef-d'oeuvre de l'école française moderne. Vu qu'avec ses dix mouvements ce n'est pas tout à fait une symphonie comme les autres, rien n'empêcherait, tant qu'on y est, de lui adjoindre cet autre monument en douze mouvements, Des Canyons aux Etoiles (1974), ou encore, Eclairs sur l'Au-delà (1991), en onze parties. Incontournable.
- La mainmise de Pierre Boulez sur les instances de la musique hexagonale a contrarié l'audibilité d'un grand nombre de musiciens de valeurs, relégués temporairement aux rangs subalternes. Marcel Landowski (1915-1999), l'homme autant que le musicien qui a activement résisté à Boulez, a pourtant composé 5 symphonies dont l'intérêt va croissant en suivant leur numérotation (n°1, 1949, n°2, 1956, n°3, 1964, n°4, 1982, n°5, 1998). Autre résistant (cette fois passif) à Boulez, Henri Dutilleux (1916-2013) a composé deux oeuvres soignées (n°1, 1951, n°2, 1959), dignes de son illustre modèle, Paul Dukas.
- Jean Michel Damase (1928-2013) a connu les honneurs du Festival de Salzbourg (1954) pour la commande et la création (par Charles Munch !) de sa belle Symphonie (1952), hélas disparue des radars.
En Suisse toute proche, on ne compte guère qu'un symphoniste assidu, Ernst Levy (1895-1981), et encore il est fort méconnu. Ses 15 symphonies se laissent écouter mais ne vous attendez pas à des chefs-d'oeuvre immortels (n°12, 1951). A tout prendre, je préfère les 7 oeuvres composées par Richard Flury (1896-1967) et tant pis si elles regardent autant vers le passé (n°1, 1923, n°4, 1950). Pour diverses raisons, liées de près ou de loin à la guerre, les meilleurs musiciens suisses ont fui leur pays, Honegger se rendant en France, Ernest Bloch (1880-1959) (ut dièse mineur, 1902, Israël, 1916, mi bémol majeur, 1955) aux USA et Frank Martin (1890-1974) (Symphonie concertante, 1945) en Hollande.
En Belgique, mentionnons les oeuvres intéressantes du chef Daniel Sternefeld (1905-1986) (n°1, 1943, n°2, 1983), de Willem Kersters (1929-1998) (n°2, 1963) et de David van de Woestijne (1915-1979) (n°1, 1958). Plus près de nous, on déplore d'autant plus la disparition prématurée de Luc Brewaeys (1959-2015), qu'il était en train d'humaniser le contenu de ses dernières oeuvres d'inspiration spectrale (n°6, 2000).
Les pays baltes ont fait autant pour la symphonie que les pays scandinaves. Sans surprise, c'est la Finlande qui s'est taillé la part du lion mais la petite Estonie a pas mal rivalisé, un peu moins la lettonie et la Lituanie. Nous traitons ces derniers simultanément pour gagner un peu de place.
Cycles finlandais (Pour rappel, Rautavaara et Sallinen figurent parmi les cycles majeurs et Segerstam parmi les compulsifs) :
- Les 7 symphonies d'Einar Englund (1916-1999) appartiennent à l'époque moderne mais elles n'ont de moderne que le nom; cela lui a d'ailleurs été reproché. Ce n'est pas une raison pour vous en priver car elles sont fort plaisantes (n°2, 1948, n°3, 1971, n°6, 1984).
- Pehr Henrik Nordgren (1944-2008) est l'auteur de 8 symphonies tentant une synthèse difficile de styles fort divers, dodécaphonique, orientalisant (sa moitié était japonaise) et populaire (n°3, 1993, n°8, 2006). Bien que de structure massive, la 3ème est particulièrement digne d'intérêt.
- Kalevi Aho (1949- ) est un musicien de réelle valeur qui a commencé par composer six symphonies dans un idiome intelligible mais nullement complaisant (n°1, 1969, n°5, 1976). Pensant avoir épuisé les ressources de la forme symphonique, il lui a fait ses adieux en 1980 ... avant de se raviser sept ans plus tard. Il en est actuellement à sa 17ème partition du genre. Celles de la deuxième manière sont de difficulté et d'amabilité variables (Superbe n°7, 1988, n°8, 1993, n°15, 2010, n°16, 2015). Elles ont été enregistrées chez BIS et Ondine.
On reste en Finlande ... :
... avec Aarre Merikanto (1893-1958) (Lyrique n°1, 1916, n°2, 1918), Uuno Klami (1900-1961), qui n'a écrit que deux symphonies d'ailleurs très réussies (n°1, 1938, n°2, 1945), et Joonas Kokkonen (1921-1996), surtout connu pour ses opéras et son Requiem mais qui devrait l'être tout autant pour ses 4 symphonies (n°4, 1971), toutes enregistrées chez Ondine.
... et on passe en Estonie, en Lettonie ou en Lituanie :
- Parmi les trois petits états baltes, c'est assurément l'Estonie qui a le plus et le mieux contribué au genre de la symphonie, toutes esthétiques plus ou moins modernes confondues. Edouard Tubin (1905-1982), qui a fui l'invasion russe pour rejoindre la Suède, a été un précurseur bien servi par le grand chef, Neeme Jarvi (11 symphonies dont la dernière inachevée (1982) : n°2, 1937, n°4, 1943, n°5, 1946, n°8, 1966). Le postmodernisme (version pays de l'Est) a fait fortune en Estonie grâce, en particulier, à Lepo Sumera (1950-2000) (n°2, 1984, n°4, 1992, n°6, 2000), Arvo Pärt (1935- ) (n°3, 1971, n°4, 2008; attention les n°1 et 2 datent d'une période antérieure nettement expérimentale) et Eino Tamberg (1930-2010) (n°2, 1982). Enfin, la nouvelle complexité a trouvé l'un de ses meilleurs représentants en Erkki-Sven Tüür (1959- ) (n°4, 2002, n°5, 2004, n°8, 2010, n°9, 2017). Pas mal pour un si petit pays !
- En Lettonie, les symphonies de Janis Ivanovs (1906-1983) (n°6, 1949, n°21, 1983) sont banales et leur nombre (21 !) n'arrange rien. Comparez avec celles d'Adolfs Skulte (1909-2000) (n°5, 1975, n°8, 1987), qui sans être géniales se tiennent nettement mieux. Tous s'effacent toutefois devant (les postmodernes) Imants Kalniņs (1941- ) (Kitch n°4, 1973, n°6, 2001) et surtout Peteris Vasks (1946- ), celui-ci assurément le meilleur de sa génération (n°1, 1991, n°2, 1999, n°3, 2005).
- En Lituanie, Vytautas Barkauskas (1931- ) a fait figure de pionnier (n°5, 1986) mais on décernera une mention spéciale à Onuté Narbutaité (1956- ) dont on découvre l'oeuvre avec grand intérêt (n°1, 1979, n°2, 1980, à écouter !).
Malgré des antagonismes séculaires, il n'est pas incongru de regrouper ces deux nations, sans bien sûr les confondre. De fait, plus d'un grand compositeur habituellement catalogué comme russe est, en fait, d'origine polonaise, à commencer par l'un des plus importants, Mieczysław Weinberg. Même Schostakovitch était d'ascendance polonaise (Son grand-père, Boleslaw Szostakowicz, a été déporté, soupçonné de complicité dans la tentative (manquée) d'assassinat contre le Tsar Alexandre II, en 1866. Pour mémoire, une deuxième tentative, montée par un groupe terroriste, a réussi en 1881).
Cycles polonais (Pour rappel, Weinberg et Penderecki figurent parmi les cycles majeurs) :
- Cosmopolite et itinérant (Il a fini sa brillante carrière à Paris), Alexandre Tansman (1897-1986) a composé 9 symphonies qui valent le détour; elles ont été enregistrées chez Chandos (n°4, 1939, n°9, 1958).
- Andrzej Panufnik (1914-1991) a été l'un des meilleurs compositeurs polonais de son temps. En Occident, on n'a longtemps connu que sa n°3 (1963) mais les 9 autres, écrites dans un langage accessible jamais bêtifiant, méritent toute votre attention d'autant qu'elles sont disponibles en coffret, à prix doux, chez CPO (n°1, 1948, n°6, 1977, n°9, 1986).
On reste en Pologne :
Boleslaw Szabelski (1896-1979) (n°4, 1957) et Grazyna Bacewicz (1909-1969) (n°3, 1952, n°4, 1953) ont proposé chacun(e) leur conception de la modernité mais celui qui a le mieux convaincu est sans conteste Witold Lutoslawski (1913-1994), l'un des derniers "Classiques du 20ème siècle", dans la lignée des Bartok, Stravinsky, Schostakovitch, Britten et Messiaen. Très inventif, il a toujours su se tenir à l'écart de l'avant-garde radicale (Incontournables n°1, 1947, n°2, 1967, n°3, 1983 et n°4, 1993). Kazimierz Serocki (1922-1981) (n°1, 1952) et Tadeusz Baird (1928-1981) (n°1, 1950, n°2, 1952, n°3, 1969) ont également incarné la modernité polonaise mais à un degré moindre d'universalité. Plus près de nous, Wojciech Kilar (1932-2013) fait partie de ces musiciens qui ont cherché (et trouvé) fortune au cinéma tout en entretenant la nostalgie d'écrire des oeuvres (prétendument) savantes (n°3, 2003, n°5, 2007). On peut en tout cas lui reprocher d'avoir emprunté un peu trop ostensiblement les traces laissées par son compatriote Gorecki. Précisément, Henryk Mikolaj Górecki (1933-2010) a fait un tabac médiatique avec sa Symphonie n°3, dite des "Chants plaintifs" (1976). Son atmosphère planante est directement issue du finale de la n°2 "Copernicienne" (1972). Elle préfigure l'inachevée n°4 "Tansman Episodes" (oeuvre posthume, terminée par son fils, Mikolaj). Une génération plus tard, Aleksander Lason (1951- ) a démontré que le sonorisme polonais, initié en son temps par le jeune Penderecki, a évolué dans une bonne direction (n°1, 1975, n°2, 1979, n°3, 1993, n°4, 2007, à écouter).
Cycles russes
Note préliminaire. En URSS, il est d'usage de qualifier sans nuance de soviétique la production des compositeurs russes restés au pays pendant les années 1920-1960. Tous ont connu (et ont eu maille à partir avec) les excès du régime stalinien. Rappelons que toute musique jugée inutilement moderne pouvait être taxée de formaliste et que cette sanction sans appel pouvait envoyer leurs auteurs au goulag. Certains ont obtempéré aux directives officielles, d'autres ont résisté mais la plupart ont louvoyé en jouant sur la multiplicité des interprétations possibles, nettement subjectives en musique (Schostakovitch avait coutume de dire : collez quelques paroles patriotiques sur votre musique, même moderne, et elle cessera d'être considérée comme formaliste ! C'est d'ailleurs la recette qu'il a appliquée dans ses n°2 & 3, cf supra). Quoi que l'on pense des horreurs du régime stalinien, force est de constater que celui-ci a étrangement permis à la musique russe de rayonner comme elle ne l'avait jamais fait auparavant et comme elle ne le fera plus lorsqu'elle retrouvera un semblant de liberté de s'exprimer. Par ailleurs, la musique russo-soviétique a largement bénéficié de l'excellence de la formation musicale dans les conservatoires du pays. Qu'il suffise de rappeler le niveau incroyable atteint par les meilleurs éléments lors de leur partition imposée de fin d'études (Miaskovski (n°1), Schebalin (n°1), Schostakovitch (n°1), Khrennikov (n°1), Schnittke (n°0), ...).
Entrons dans le vif du sujet (Pour rappel, Schostakovitch est hors concours, Miaskovsky et Slonimsky ont été compulsifs et Schnittke et Silvestrov figurent parmi les cycles majeurs) :
- Au niveau d'excellence, on trouve les 7 symphonies de Serge Prokofiev (1891-1953), l'un des rares musiciens russes à être rentré au pays (en 1933) après l'avoir quitté (en 1918) : sauf l'atypique mais célébrissime n°1 (1917), dite "classique" au motif qu'elle transpose au 20ème siècle les méthodes de Joseph Haydn, ce sont les trois dernières qui occupent habituellement le devant de la scène (n°5, 1944, n°6, 1947, n°7, 1952). Ne négligez pas les autres pour autant.
- Leonid Polovinkin (1894-1949) a inauguré l'ère stalinienne avec un cycle respectueux des consignes officielles mais qui a heureusement évité le piège de la fabrique quinquennale (n°9, 1945).
- Gavriil Popov (1904-1972) a terminé 6 symphonies (une septième inachevée) à connaître impérativement. C'est l'un des grands oubliés de la littérature musicale soviétique (n°1, 1932, n°2, 1943, n°3, 1945, n°5, 1956, n°6, 1969).
- Alexander Lokshin (1920-1987) a courageusement fait figure d'opposant, écrivant une musique délibérément contre-révolutionnaire. Sans surprise, il a été continuellement tracassé, y compris après la mort de Staline. Il s'est finalement réfugié dans la musique de film pour subsister. Sauf la quatrième, ses onze symphonies sont avec accompagnement vocal (n°4, 1968, n°10, 1976, n°11, 1976, commencez par la n°10). Voilà un musicien intéressant dont il convient d'écouter la musique et d'honorer la mémoire.
- Dans ses 7 symphonies, le géorgien Giya Kancheli (1935-2019) a exploré les vertus de la raréfaction sonore, une variante contemplative du courant minimaliste (n°2, 1970, n°4, 1974, n'abandonnez pas trop vite et restez éveillés !).
- Boris Tishchenko (1939-2010) a numéroté 8 symphonies (Une neuvième était en cours lors de son décès et autant d'oeuvres non numérotées) (n°3, 1966, n°5, 1976, n°7, 1994, n°8, 2008). Typiques de l'école de Saint Petersbourg (Il a suivi 3 années de perfectionnement auprès de Schostakovitch), ses oeuvres ne manquent décidément pas d'allure (Réécoutez le début de la n°8).
On reste (plus que jamais !) en Russie :
- Serge Rachmaninov (1873-1943) a composé trois symphonies (n°1, 1895, n°2, 1907, n°3, 1936), plus un mouvement pour une oeuvre de jeunesse, en ré mineur (1891). Elles sont souvent dénigrées par quelques "spécialistes" grincheux au motif que, bien qu'étalées sur 45 ans, ils n'y décèlent aucun progrès stylistique vers davantage de modernité. Ils n'ont heureusement jamais réussi à entamer leur présence au répertoire car un public nombreux les réclame, qui aime leur nostalgie "à la russe".
- Autre monstre sacré, Igor Stravinsky (1882-1971) a composé quatre symphonies qui n'en assument pas franchement la forme (des Psaumes, 1930, en ut, 1940, en 3 mouvements, 1945), à l'exception de la n°1 (1907), une oeuvre de jeunesse supervisée par Rimski-Korsakov.
- Maximilian Steinberg (1883-1946), professeur influent mais bientôt dépassé par les exigences de la modernité, a enduré les mêmes critiques que Rachmaninov sans toutefois parvenir aussi bien à les contrer. Ses 5 opus ne sont pourtant pas dénués de valeur (n°1, 1906, n°2, 1909).
- Passons rapidement sur l'oeuvre banale et obéissante de Vladimir Shcherbachov (1889-1952) (n°5, 1950) et attardons-nous plutôt sur celle d'Arthur Lourie (1892-1966), l'un des plus attachants musiciens russes en exil (à Paris puis aux USA). Il est bien dommage qu'il ne semble pas exister d'enregistrement de ses deux symphonies. Voici tout de même une version de concert de la n°1 (1930), par l'orchestre de Cleveland (Cette autre interprétation du Residentie Orkest de La Haye est plus éveillée mais le son est hélas fort dégradé). Arrêt obligatoire cependant afin d'apprécier une oeuvre qui incarne la joie de vivre ! Enfin, n'oublions pas Boris Lyatoshinsky (1895-1968) (n°1, 1919, n°2, 1936, n°5, 1966), qui a eu la bonne idée de s'inspirer de l'oeuvre de son maître, Alexander Scriabin, ni Alexander Tcherepnine (1899-1977, fils de Nikolai également compositeur), émigré en France puis en Extrême-Orient enfin aux USA, d'où un style nettement cosmopolite (n°2, 1946, n°3, 1951).
- L'excellent Alexander Mosolov (1900-1973), membre de la jeunesse musicale radicale à l'époque encore supportable de Lénine, a tenté de garder la tête haute à l'époque suivante (n°5, 1965). Les enregistrements font malheureusement défaut en particulier en ce qui concerne une formidable mi majeur qui semble avoir disparu des catalogues.
- Vissarion Shebalin (1902-1963) a écrit 5 symphonies intellectuelles qui lui ont valu d'être inquiété à partir de 1948 au point de sombrer dans un oubli relatif (n°1, 1925, encore une oeuvre de fin d'études, n°3, 1935, n°5, 1962, ne manquez pas le beau mouvement lent en 8:20).
- Aram Khachaturian (1903-1978) (n°1, 1934, n°2, 1943, n°3, 1947) et Dimitri Kabalevski (1904-1987) (n°4, 1956) ont évité de faire trop de vagues, ce qui leur a permis d'échapper aux incessants rappels à l'ordre de l'officielle "Union des Compositeurs". Tikhon Khrennikov (1913-2007), chef de ladite Union et lui-même compositeur, n'a pas démérité dans des oeuvres qu'il aurait sans doute censurées si elles avaient appartenu à d'autres (n°1, 1935, encore un travail de fin d'études, n°2, 1943, n°3, 1973) ! Vladimir Jurovski (1915-1972) (n°5, 1971), Georgy Sviridov (1915-1998) (n°1, 1940), Mikhail Nosyrev (1924-1981) (n°1, 1965), l'exemple parfait du compositeur qui connaît son métier sur le bout des doigts, Boris Tchaïkovski (1925-1996), un musicien attachant qui marie avec bonheur tradition et (post)modernité (n°1, 1947, n°2, 1967, superbe n°3, 1980), Vyacheslav Ovchinnikov (1936-2019) (n°4, 1985), Rodion Shchedrin (1932- ) (n°1, 1958, n°2, 1965) et le léger mais habile Alexander Zhurbin (1945- ) (Pétaradante néo-classique n°2) ont contribué, chacun à sa manière et dans l'ombre de Schostakovitch, au rayonnement de la musique soviéto-russe pendant son âge d'or.
Le cas de Galina Ustvolskaya (1919-2006) est franchement particulier. Elève préférée et protégée de Schostakovitch (qui l'a même demandée en mariage mais sans succès !), son oeuvre est tellement hermétique qu'elle a échappé aux (reproches habituels des) comités de censure. Ce fut certes au prix de n'être quasiment jamais jouée (ce qui revenait au même !) mais cela ne semble pas avoir particulièrement affecté son auteure, qui convenait volontiers être nettement asociale. Ses symphonies n'en sont pas vraiment, éclatant la disposition instrumentale au-delà des limites convenues (n°1, 1955, n°2, 1979, n°5, 1990).
A la mort de Staline, la pression sur les artistes (enfin ceux qui restaient) s'est atténuée mais curieusement, ce ne fut pas tout bénéfice pour l'art, en particulier musical, qui perdit petit à petit l'une de ses plus sérieuses raisons d'être, la résistance à l'oppression. Actuellement la musique russe est rentrée dans le rang comme l'avait fait la musique austro-allemande 50 ans auparavant. On trouve certes encore des compositeurs de valeur mais ils se font plus rares et ils sont de plus en plus isolés : Alexey Rybnikov (1945- ) (n°6, 2008), l'excellent Andreï Golovin (1950- ) (n°1, Concertante pour alto & violoncelle, 1976, n°3, 1986, n°4, 2013, enregistrées chez Toccata Classics), Leonid Rezetdinov (1961- ) (n°3, 2005) et la plus que prometteuse, Lera Auerbach (1973- ), actuellement installée aux USA (n°1, 2006).
Conscients de la valeur inestimable du patrimoine musical issu du Conservatoire de Saint Petersbourg, une association s'est constituée, dévolue à l'enregistrement et la diffusion des chefs-d'oeuvre encore trop peu connus du patrimoine national. Un label (Nothern Flowers) a pris naissance dont le catalogue présente une série particulière(ment intéressante) consacrée à la musique des années de guerre 1941-45 (War Time Music, 18 volumes parus à ce stade). Outre Leonid Polovinkin, Alexander Mossolov et Gavriil Popov, déjà cités, on y trouve toutes sortes de trésors inestimables : Vladimir Scherbachov (1887-1952) (n°5, 1948), Lev Knipper (1898-1974) (n°8, 1941), Yuri Kochurov (1907-1952) (n°1, 1948), Oreste Yévlachov (1912-1973) (n°1, 1946). Toutes ces oeuvres, que Pierre Boulez n'aurait pas manqué de qualifier de dégénérées (Il ne pensait déjà aucun bien de Schostakovitch), devraient intéresser les nombreux amateurs de musique russe. Elles démontrent à tout le moins la maîtrise instrumentale des élèves sortant du célèbre conservatoire.
La Bohême n'a jamais cessé d'être un réservoir de musiciens de talents et cela est resté vrai au 20ème siècle, en Tchéquie et (dans une moindre mesure) en Slovaquie. La Hongrie et la Roumanie complètent le tableau.
Cycles tchèques :
- Bohuslav Martinu (1890-1959) est l'auteur de 6 Symphonies de type néo-classique présentes au répertoire, du moins en théorie (et surtout en Tchéquie). Solidement construites, elles méritent toute votre attention surtout lorsqu'elles sont dirigées par Vaclav Neumann, dans des enregistrements Supraphon pas vraiment récents mais incontournables !
- Erwin Schulhoff (1894-1942) a achevé 7 symphonies d'excellente facture (une 8ème n'existe qu'à l'état de réduction pour piano), toutes imprégnées d'une dose d'optimisme fort peu annonciatrice de sa fin tragique au camp de Wülzburg (n°1, 1925, n°2, 1932, n°3, 1935, n°6, 1941).
- Moins connu, Miloslav Kabelac (1908-1979) est l'auteur de 8 Symphonies plus modernes et également enregistrées chez Supraphon. La n°5 (1960), avec voix de soprano, est particulièrement originale et réussie. Elle a été enregistrée par cet autre grand chef tchèque, Karel Ancerl, dans le cadre d'une exploration systématique des musiques de son pays (Karel Ancerl edition).
On reste en Tchéquie ... :
... avec Rudolf Karel (1880-1945, mort à Theresienstadt) (n°3, 1920) et Pavel Borkovec (1894-1972) (n°2, 1955). Viktor Ullmann (1898-1944) (Insouciante n°2, 1944), Hans Krasa (1899-1944) (Symphonie, 1923) et Pavel Haas (1899-1944) (Poignante Sinfonia, 1941) ont tous péri au camp d'Auschwitz où ils ont continué d'écrire une musique nullement désespérée. Comparativement, celles écrites par Vaclav Dobias (1909-1978) (n°2, 1957) et surtout Viktor Kalabis (1923-2006) (n°3, 1971) sont nettement plus tourmentées. Une génération plus tard, on trouve Vladimir Tichy (1946- ), dont la musique ne se démode pas (n°2, 1980).
... puis on rayonne aux alentours :
- En Slovaquie avec Jan Cikker (1911-1989) (n°2, 1937, bien moins printanière que ce que son titre prétend).
- En Croatie avec Stjepan Šulek (1914-1986) dont les 8 symphonies véhémentes mériteraient des enregistrements (plus) soignés (n°2, 1946, n°8, 1981). Notez le finale tout en douceur de la n°2, à partir de 32:25.
- En Hongrie, avec Ernő Dohnányi (1877-1960) (n°1, 1901, n°2, 1944) plus sûrement qu'avec Zoltán Kodály (1882-1967) (en ut, 1960, tardive et un brin datée). László Lajtha (1892-1963) a écrit 9 symphonies martiales (n°2, 1938) ou empreintes de bonne humeur (n°4, 1951).
- En Roumanie, avec l'enfant prodige, George Enescu (1881-1955), qui a bien fait de conserver à son catalogue deux symphonies d'extrême jeunesse (n°1, 1895, n°4, 1898), qu'il a complétées par trois grandes oeuvres de maturité (n°1, 1905, n°2, 1914 et n°3, 1918); deux oeuvres numérotées 4 & 5 sont inachevées mais elles ont été complétées par Pascal Bentoiu).
- En Bulgarie, Lazar Nikolov (1922-2005) surprend par la qualité de son premier essai dans le genre (n°1, 1953).
Les pays méditerranéens ou d'Amérique latine n'ont pas cultivé systématiquement le genre de la symphonie. Seules quelques individualités plus ou moins connues l'ont fait, souvent avec légèreté ou avec le souci de la couleur locale. Pour ne pas alourdir l'exposé, tous ces musiciens sont regroupés dans un panier unique.
Cycles latins :
- L'italien Gian Francesco Malipiero (1882-1973) a écrit 17 symphonies de qualité variable dont 11 sont effectivement numérotées (Commencez par la belle n°1, 1933, n°2, 1936, n°4, 1946, n°6, 1947, n°9, 1966, n°11, 1969) tandis que les autres sont simplement sous-titrées (Sinfonia del mare, 1906, Sinfonia del silenzio e della morte, 1908). Observez la progression stylistique continue au départ d'une base classique. Enregistrées d'abord pour le label Marco Polo, elles figurent maintenant au catalogue Naxos.
- Ne manquez pas les six symphonies populaires mais agréables du portugais Joly Braga Santos (1924-1988) (n°1, 1947, n°2, 1948, n°3, 1949, la très cinématographique n°4, 1951, n°5, 1966).
- Le brésilien Heitor Villa-Lobos (1887-1959) est l'auteur de 12 symphonies qui se tiennent mieux dans l'ensemble que ses quatuors commentés par ailleurs. Sa brillante palette orchestrale rachète le caractère parfois pompier des thèmes utilisés (n°3, 1919, n°7, 1945, n°10, 1954). Plusieurs labels se sont intéressés à cette oeuvre colorée (CPO, Naxos, Harmonia Mundi). Son compatriote Camargo Guarnieri (1907-1993) a composé 6 symphonies également empreintes de rythme et de couleur locale (n°2, 1945, n°3, 1952).
- Le Cap Verdien, Vasco Martins (1956- ) a écrit 9 symphonies célébrant son beau pays en mode revendiqué "new age symphoniquement encadré". Ses Symphonies (n°4), non datées, sont agréables, simples et "natures", de quoi peut-être vous donner l'envie de passer vos prochaines vacances à Boa Vista.
- Les 6 symphonies du mexicain Carlos Chavez (1899-1978) mélangent adroitement modernisme et couleur locale, un cocktail stimulant (n°1, 1933, n°4, 1953, n°6, 1960). La n°2 (1936) propose une musique qui a été largement réutilisée (!?), 8 ans plus tard, par Aaron Copland dans "Appalachian Spring", une oeuvre qui lui a valu le Prix Pullitzer 1945. J'avoue d'autant moins comprendre que personne ne semble avoir réagi !
- Le grec Mikis Theodorakis (1925- ) fait partie de ces musiciens (Nino Rota, Ennio Morricone, John Williams) qui ont connu la célébrité au travers d'oeuvres essentiellement alimentaires, en particulier destinées au cinéma. Tous ont pourtant entretenu, mais à des degrés divers, une nostalgie à peine dissimulée pour la musique (symphonique) pure. Sa n°3 (1982) émerge d'un ensemble qui en comprend 7 : majestueuse et inspirée, elle devrait convaincre ceux qui cherche une musique de qualité ne se prenant pas la tête. Les autres, souvent vocales, valent également le détour (n°1, 1953, n°2, 1981, n°4, 1987, n°7, 1983).
Oeuvres isolées :
- En Italie, Franco Alfano (1875-1954) (n°2, 1932), Ildebrando Pizzetti (1880-1968) (en la, 1940) et Alfredo Casella (1883-1947) (n°1, 1906, n°2, 1909, n°3, 1940) ont lutté valeureusement contre la tyrannie opératique ambiante. Nino Rota (1911-1979), musicien attitré du cinéaste Federico Fellini, a composé 4 Symphonies dans le mode léger où il excelle (n°1, 1935, n°2, 1937, n°3, 1957, n°4, 1972, sur une chanson reprise de la bande originale du film "Le Guépard" dont il a écrit la musique). Cette musique facile mais jamais vulgaire coule de source en chantant.
- En Espagne, Andrés Isasi (1890-1940), qui a étudié en Allemagne auprès de Engelbert Humperdinck, a fait preuve de lyrisme dans une n°2 (1918) qui se souvient par instants de Richard Strauss. Roberto Gerhard (1896-1970) a été l'un des premiers dans son pays à investir la modernité (Hommage à Pedrell, 1941, n°1, 1953, n°2, 1959, n°3, 1960, n°4, 1967), montrant la voie à Tomas Marco (1942- ) (n°7, 2004).
- Au Portugal, pas question d'ignorer les 4 symphonies bien inspirées de Luís de Freitas Branco (1890-1955), aux tournures médiévales (n°1, 1924, n°2, 1927, n°3, 1944 et n°4, 1944, toutes enregistrées chez Naxos).
- Jani Christou (1926-1970) a d'emblée porté les plus grands espoirs de la musique grecque. Il est malheureusement décédé prématurément dans un accident de la route ne laissant que deux oeuvres (n°1, 1950 et n°2, 1958) appartenant à ses deux premières périodes créatrices (Une troisième, appartenant à sa dernière manière, existe mais elle est indisponible).
L'excellence du niveau musical atteint aux Pays-Bas vers 1900 s'est pleinement confirmée au siècle suivant.
Cycles néerlandais :
- Matthijs Vermeulen (1888-1967), un des musiciens les plus originaux dans son pays, n'y a guère rencontré le succès qu'il aurait mérité, en particulier avec ses 7 symphonies (n°3, 1922, n°4, 1941, n°6, 1944, n°7, 1965). Une intégrale a été rassemblée, chez Donemus, dans un triple album difficile (y compris à trouver) mais passionnant.
- Henk Badings (1907-1987) est un soi-disant autodidacte qui a pris des leçons auprès du doyen Willem Pijper. Voyant la tournure moderniste que prenait sa musique, celui-ci a tenté de le décourager mais rien n'y fit et c'est heureux car il a écrit 14 symphonies qu'il faut apprendre à connaître même si la première écoute peut laisser perplexe (n°3, 1934, n°7, 1954, n°12, 1964, commencez par celle-ci !).
On reste aux Pays-Bas :
L'étonnante richesse de la musique néerlandaise transparaît à l'énumération de quelques-uns de ses meilleurs défenseurs : Jakob van Domselaer (1890-1960) (n°1, 1921), Hendrik Andriessen (1892-1981) (n°4, 1954, d'inspiration clairement mahlérienne), Willem Pijper (1894-1947), une gloire nationale qui est parti de Mahler (n°1, 1917) pour se forger un style personnel illustrant en particulier sa gamme octophonique (n°3, 1926), Leo Smit (1900-1943) (en ut, 1936), Léon Orthel (1905-1985) (n°2, 1940, n°3, 1943, n°4, 1949, aux accents ravéliens), Rudolf Escher (1912-1980) (n°1, 1954), Hans Kox (1930- ) (n°2, 1966) et Otto Ketting (1935- ) (n°3, 1990, n°6, 2012).
A la génération suivante, le modernisme s'affirme davantage sans que la qualité fléchisse, en particulier grâce à quelques compositeurs déjà présentés sur ce site : Peter Schat (1935-2003) (n°1, 1978, n°2, 1983), Tristan Keuris (1946-1996) (en ré, 1995), Theo Verbey (1959- ) (Fractal, 2004), Robin de Raaff (1968- ) (n°1, 2007, n°2, 2010) et Marijn Simons (1982- ) (n°1, 2004, n°4, 2011). Franchement, tous calculs faits, aucun autre "petit" pays n'a fait mieux, pas même l'Estonie !
La Grande Bretagne est la seule nation d'Europe occidentale à avoir cultivé la symphonie à grande échelle au 20ème siècle. En fait, elle n'a fait que rattraper avec les intérêts le retard qu'elle avait accumulé aux cours des siècles précédents. Elle l'a fait avec autant d'ardeur que de talent sans nécessairement chercher la modernité à tout prix.
Cycles britanniques (Pour rappel, Rubbra, Frankel, Simpson et Arnold figurent parmi les cycles majeurs et Brian parmi les compulsifs) :
- Ralph Vaughan Williams (1872-1958), sans doute l'un des compositeurs les plus spécifiquement "british", n'a pas toujours évité une forme de pompiérisme victorien. Les chefs qui s'attaquent à sa "Sea symphony" (n°1, 1910) peinent d'entrée à conduire un choeur qui anticipe de 50 ans les plus mauvaises musiques de film sorties des studios Disney. Heureusement, tout n'est pas du même tonneau et les oeuvres suivantes proposent de beaux moments d'un lyrisme sincère, parfois tonitruant (n°3, 1921, n°4, 1931, n°5, 1943, n°6, 1947, n°8, 1955, n°9, 1957). Le cycle complet a été enregistré maintes fois car les anglais tiennent autant à (la musique de) Vaughan Williams qu'au Christmas pudding, les deux entretenant d'ailleurs d'évidents liens de parenté.
- Arnold Bax (1883-1953), surtout connu pour ses Poèmes symphoniques, a également brillé avec 7 symphonies présentant d'incontestables qualités d'orchestration (n°2, 1913, n°5, 1932, n°6, 1935, n°7, 1939). Elles ont été enregistrées chez Chandos.
- William Wordsworth (1908-1988) a écrit 8 symphonies en tout point conformes à l'idéal éternellement romantique (Excellente n°4, 1953, n°5, 1960, n°8, 1986).
- Le gallois Daniel Jones (1912-1993) s'est illustré dans l'écriture de 12 symphonies centrées chacune sur un demi-ton de la gamme chromatique (n°2, 1950, n°3, 1951, n°10, 1980). Une bien inspirée n°13 est parue, en 1992, pour honorer la mémoire de son ami, John Fussell, Directeur du Festival de Swansea.
- George Lloyd (1913-1998) est resté fidèle à son idéal tonal dans 12 symphonies (un peu trop) insouciantes (n°5, 1947 et n°6, 1956).
- Richard Arnell (1917-2009), qui passe pour l'un des meilleurs orchestrateurs dans son pays, est l'auteur de 7 symphonies absolument remarquables (n°2, 1944, n°4, 1948, n°5, 1955, n°6, 1994, la n°7 inachevée et complétée par Martin Yates).
- Le gallois, Alun Hoddinott (1929-2008), a écrit 10 symphonies modernes introduisant çà et là une composante mystérieuse, sorte d'écho à un romantisme lointain. Leur atmosphère plutôt sombre risque cependant de vous poser quelques problèmes (n°4, 1970, n°6, 1984, n°10, 1999; commencez par la n°6).
- L'irlandais, John Kinsella (1932- ), a élaboré 10 symphonies tellement compréhensibles qu'on peut dire d'elles qu'elles sont intelligemment modernes (n°2, 1988). Une intégrale est peut-être en cours chez Toccata Classics (n°2 & 10, 1992 & 2010).
- Plus près de nous, (Sir) Peter Maxwell Davies (1934-2016) a écrit 10 symphonies que je peine à digérer lorsqu'elles deviennent (inutilement) sinistres et bruyantes, ce qu'elles sont plus souvent qu'à leur tour (n°1, 1973, n°5, 1995, n°8, 2000; commencez par la cinquième, plus reposante). Je ferai pourtant une exception en vous recommandant, cette fois chaudement, la toute dernière (n°10, 2013), écrite alors que le musicien luttait contre une leucémie fatale; ceci explique peut-être malheureusement cela.
- David Matthews (1943- ) a écrit de très belles choses (10 symphonies comptabilisées en 2021) dans une esthétique plutôt traditionnelle mais adaptée à notre époque (n°2, 1979, formidable hélas indisponible n°4, 1990, n°7, 2009, n°8, 2014, n°9, 2016). Ne confondez pas David avec son frère, Colin Matthews (1946- ), également (excellent) compositeur mais qui ne s'est pas frotté à la symphonie.
On reste en Grande Bretagne :
Et on y reste même un bout de temps car même les petits maîtres ont souvent quelque chose à dire et tant pis si la modernité n'est pas toujours au rendez-vous.
- Une première génération regroupe : Granville Bantock (1868-1946) (Symphonies Pagan, 1936 et Celtique, 1940), John Blackwood McEwen (1868-1948) (n°5, 1911), Henry Walford Davies (1869-1941) (n°2, 1911), Cyril Scott (1879-1970) (n°4, 1952), Edgar Bainton (1880-1956) (n°3, 1956), York Bowen (1884-1961) (n°1, 1902, n°3, 1951), Arthur Bliss (1891-1975) (A colour Symphony, 1921) et Ernest John Moeran (1894-1950) (sol mineur, 1937).
- A ce stade, le moment est venu d'insérer quelques grosses pointures : il est impensable de manquer les deux chefs-d'oeuvre de William Walton (1902-1983) (n°1, 1935, n°2, 1960) ou les oeuvres bien conçues de William Alwyn (1905-1985) (n°4, 1959, n°5, 1973). Michael Tippett (1905-1998) (n°1, 1945, n°3, 1972) s'est montré nettement plus austère et, malheureusement, Benjamin Britten (1913-1976) n'a pas vraiment contribué au genre, tournant plus d'une fois autour du pot (Sinfonia da Requiem, Cello Symphony et évidemment la célèbre Simple Symphony, pour cordes seules).
- Reprenons notre énumération à la deuxième génération qui comprend Lennox Berkeley (1903-1989) (n°4, 1978), Erik Chisholm (1904-1965) (n°2, 1939), Alan Rawsthorne (1905-1971) (n°1, 1950, n°2, 1959, n°3, 1964), Grace Mary Williams (1906-1977) (n°1, 1943, n°2, 1956), Stanley Bate (1911-1959) (n°4, 1955) et Alan Bush (1911-1995) (n° 4, Lascaux, 1949, à découvrir !). Humphrey Searle (1915-1982) est surtout connu pour avoir compilé le catalogue des oeuvres de Franz Liszt et y avoir apposé l'initiale de son nom (Ex. Symphonie Faust, S 108). Vous éprouverez davantage de difficultés à le suivre dans ses propres (5) symphonies, d'obédience dodécaphonique; n'abandonnez quand même pas trop vite (n°2, 1958, la plus accessible). Enfin, l'excellent John Gardner (1917-2011) (n°2, 1985, brillante n°3, 1989), Geoffrey Bush (1920-1998) (n°1, 1954), Ruth Gipps (1921-1999) (n°2, 1945) et Arthur Butterworth (1923-2014) (n°4, 1986) complètent ce panorama d'une étonnante richesse.
- La génération d'après-guerre a proposé quelques musiciens de grande valeur, tel Oliver Knussen (1952-2018) (n°2, 1971, n°3, 1979), l'écossais James Mac Millan (1959- ), qui a renouvelé le genre avec ses 5 oeuvres actuellement répertoriées (n°4, 2015, n°5, 2019), et, chose rare, un musicien complètement autodidacte, Steve Elcock (1957- ), qui n'a jamais trouvé d'éditeur jusqu'à ce que Martin Anderson du label Toccata Classics s'intéresse à son étonnante n°3 (2010).
- Toutes tendances confondues, le paysage musical anglais est très contrasté avec une forte composante "ambiant-pop-rock". Certains musiciens tentent, avec des bonheurs divers, de croiser les genres, en particulier avec la musique de film : Christopher Gunning (1944- ) (n°10, 2017) et Michael Nyman (1944- ) (n°6, 2013, n°8, 2015), celui-ci recyclant pour orchestre des partitions initialement composées pour le cinéma de Peter Greenaway. Ces oeuvres sont doublement légères, d'abord par leur insouciance, ce qui n'est pas forcément une tare, ensuite par l'absence perceptible de nécessité en tant que symphonies autonomes.
Les musiciens américains ont hérité de leurs collègues britanniques leur passion tardive pour la symphonie et comme eux, ils ne se sont guère préoccupés de distinguer romantisme tardif et modernité précoce (Pour une histoire détaillée de la musique américaine, reportez-vous à cette chronique). Charles Ives (1874-1954), on y revient sans cesse, avait pourtant montré quasiment avant tout le monde (Europe comprise !) un chemin d'accès vers la modernité. Ses 5 symphonies, absolument incontournables, vont de l'hyper classique mais si charmante n°1 (1901) à l'inachevée Universe Symphony, censée rassembler les procédés les plus extravagants alors en cours d'expérimentation un peu partout dans le monde. Entre ces extrêmes, on ne se lasse pas de réécouter les n°2 (1909), n°3 (1910), n°4 (1918) et la New England Holidays (1913, démarre en 57:25). Ives était trop en avance sur son temps pour servir de modèle exploitable à ses contemporains. Les compositeurs américains, obnubilés par l'idée de combler leur retard sur la "Vieille Europe", ont préféré faire un pas en arrière pour mieux rebondir. Ils ont donc patiemment investi dans le domaine symphonique, y développant une réelle expertise qui leur a permis d'assurer une bonne part de la relève lors de l'affaiblissement paradoxal (mais programmé) de l'hégémonie russe lors de l'extinction du régime des soviets. Ils ont été aidés, dans la réalisation de ce projet, par l'apport d'une double vague d'immigration de musiciens d'origine juive, pressés de passer du statut d'interprètes universellement applaudis (une pléiade de chefs, pianistes et violonistes exceptionnels) à celui, largement nouveau pour eux, de compositeurs confirmés.
Notes. 1) Rappelons que deux événements tragiques survenus en Europe au cours du 20ème siècle (La révolution des Soviets en 1917 et l'ascension du nazisme en Allemagne vers 1933) se sont soldés par une immigration massive de juifs européens vers les Amériques dont nombre de savants et de musiciens (Cf la chronique consacrée à la musique américaine). Une telle concentration de talents ne pouvait que favoriser un essor considérable de la science et de la musique aux USA. 2) L'accès des musiciens juifs à la composition musicale est un événement relativement récent. Ce n'est pas un hasard si la musique (polyphonique) savante s'est développée en Europe de l'Ouest, au Moyen-Age et encore plus sûrement à la Renaissance : les autorités religieuses chrétiennes en place au Vatican ont eu le bon goût sinon l'intelligence de tolérer qu'une musique de plus en plus savante et digne des cathédrales érigées, envahisse l'Office. Même la courte réaction liée aux épisodes de la Contre-Réforme n'a pas eu raison de cette curieuse symbiose entre prière et musique. Les religions "concurrentes" (Islamique et juive) n'ont pas suivi cette voie hédoniste estimant que le caractère potentiellement lascif de la musique ne s'accordait pas avec la concentration dans la prière. Il ne faut pas chercher ailleurs la désaffection des juifs pratiquants pour l'écriture musicale : à l'exception de Felix Mendelssohn, on ne compte que très peu de grands compositeurs juifs avant Gustav Mahler et Arnold Schönberg. Les choses ont radicalement changé au 20ème siècle, aux USA en particulier, lorsqu'un processus naturel de laïcisation s'est développé au sein de populations de plus en plus multiculturelles. Dès que la société américaine a été en mesure de digérer cette immigration massive, sa musique (savante) a fait le bond en avant qu'elle espérait depuis longtemps : un grand nombre des musiciens que nous allons évoquer, Copland, Ornstein, Schumann, Bernstein, Persichetti, Rochberg, Foss, Rosner, Lees, Kernis, Reich, Glass, ...) sont, de fait, (des descendants immédiats) des acteurs de cette immigration.
Cycles américains (Pour rappel, Cowell et Hovhaness figurent parmi les compulsifs) :
- Ives étant hors catégorie, les premiers symphonistes "modernes" américains ont pour noms : Walter Piston (1894-1976) (8 opus accessibles, oscillant entre détente, n°2, 1943, et âpreté, n°7, 1960), Howard Hanson (1896-1981) (7 opus : n°1, 1922, n°2, 1930, n°3, 1938, n°4, 1943, n°7, 1977, dont quelques coups de coeur même si c'est d'artichaut) et Roger Sessions (1896-1985), nettement moins aimable dans ses 9 opus (n°3, 1957, n°4, 1958, n°8, 1968).
- Roy Harris (1898-1979), d'origine anglo-gallo-écossaise, mérite toute votre attention. Il a écrit 13 symphonies particulièrement dignes d'intérêt. La n°3 (1939), bien servie en son temps par Serge Koussevitzky, alors directeur de l'Orchestre symphonique de Boston, passe même pour la symphonie américaine la plus jouée, toutes époques confondues. Ecoutez également les autres (n°7, 1952, n°8, 1962, n°11, 1967) sans oublier la reposante n°6 (1944) évoquant les grands espaces que vous devinez.
- On poursuit avec Randall Thompson (1899-1984) (3 opus : n°1, 1931, n°2, 1931), le rocambolesque George Antheil (1900-1959), auteur de 6 opus incontournables enregistrés chez CPO (n°1, 1922, n°3, 1939, n°4, 1952, n°5, 1948, n°6, 1948), Paul Creston (1906-1985) (6 opus : n°2, 1944), William Schumann (1910-1992) (10 opus : n°3, 1941, n°6, 1948, ici dirigée par un fervent supporter, le grand chef Eugène Ormandy, et n°9, 1968) et le bien oublié Roger Goeb (1914-1997) (6 opus : n°4, 1955).
- Don Gillis (1912-1978) fut un compositeur improbable, preuve vivante qu'aux USA on peut tout essayer surtout si on sait y faire (humour, virtuosité, sens de l'effet sonore : n°5&half (sic), 1946) (10 symphonies : n°1, 1940, n°2, 1940, et surtout l'ébouriffante n°10, 1967).
- Vincent Persichetti (1915-1987) fut un professeur influent ayant lui-même composé 9 opus de qualité (n°3, 1946, n°9, 1970). David Diamond (1915-2005) a écrit 11 opus vraiment (trop) rétros (n°3, 1945, n°5, 1947, n°8, 1958); je leur préfère ceux issus du travail intemporel de Peter Mennin (1923-1983) (9 opus : n°6, 1953, n°7, 1963, n°9, 1981).
- Charles Wuorinen (1938-2020) (8 opus : n°3, 1959, n°8, 2006) fut, avec Milton Babbitt et Elliott Carter, le meilleur représentant de l'avant-garde sérielle américaine. Le professeur, davantage que le musicien, s'est révélé intransigeant pour ne pas dire intolérant au courant néo-tonal (initié par George Rochberg) qui a captivé la génération suivante.
- Les musiciens américains contemporains sont tous plus ou moins redevables à George Rochberg (1918-2005) de les avoir libérés des contraintes sérielles importées d'Europe après la deuxième guerre. Impliqué initialement dans ce mouvement, il a opéré une métamorphose esthétique de type postmoderne, en 1964, suite à la perte tragique de son fils (6 opus : n°3, 1966, n°4, 1976, n°5, 1984, n°6, 1986, commencez par la quatrième qui mériterait un enregistrement plus décent). Après lui, la musique américaine ne fut plus jamais tout à fait la même : la porte était définitivement ouverte à divers courants, dont le minimalisme, ayant pour point commun celui d'une nouvelle simplicité.
- Le courant minimaliste semble a priori incompatible avec le principe de la symphonie qui requiert, par nature, de dépasser un seuil de complexité. C'est pourtant le défi qu'a relevé Philip Glass (1937- ) et ce n'est nullement un hasard si sa plus belle réussite demeure l'ambitieuse n°5 (1999), pour 5 solistes, double choeur et grand orchestre. L'oeuvre a résulté d'une commande du Festival de Salzbourg que le compositeur ne pouvait bâcler sans ruiner sa réputation par ailleurs controversée. Il y a veillé pour notre plus grand bonheur. Les 12 sections de cette oeuvre, d'une durée totale de 100 minutes, bénéficient de l'apport du chant, soliste ou choral, pour lequel Glass possède une réelle expertise. Les autres symphonies (majoritairement instrumentales) n'ont pas toujours bénéficié de soins aussi attentifs ce qui a pu nuire à leur réputation (n°1, 1992, n°2, 1993, brillante n°3, 1995, n°7, 2004, n°11, 2016).
- Gloria Coates (1938- ) a prouvé avec ses 16 symphonies qu'elle est une des grandes musiciennes actuelles (n°2, 1974, n°8, 1991, n°14, 2002). Elle a, en particulier, proposé des hommages inventifs à la mémoire de deux grands compositeurs du passé : n°4 (1984, magistral étirement initial d'un thème du Didon et Enée de Purcell, attendez que l'oreille s'oriente) et n°15 (2005, renversement, à partir de 8:00, du thème de l'Ave verum Corpus, l'oeuvre ultime de Mozart).
- William Bolcom (1938- ) (n°1, 1957, n°5, 1989) a écrit 9 symphonies qui réclament un minimum de concentration.
- John Harbison (1938- ) se présente comme l'un des plus brillants compositeurs de son temps. Il applique à la lettre son credo personnel : écrire à chaque fois une oeuvre différente. Reconnaissons qu'il y réussit parfaitement (6 opus enregistrés chez BSO : n°1, 1981, n°2, 1987, n°3, 1990, n°4, 2003, n°5, 2007, n°6, 2011, à écouter d'urgence),
- Arnold Rosner (1945-2013) (8 opus : n°6, 1976) est un autre grand musicien, écrivant une musique riche et complexe qui sait ce qu'elle doit à la tradition. Une intégrale symphonique prometteuse est en cours chez Toccata Classics.
- Christopher Rouse (1949-2019) vient de nous quitter au terme de six symphonies agitées et parfois trop bruyantes à mon goût (n°3, 2011, n°4, 2013, commencez par celle-ci).
On reste aux USA :
Et on commence par se détendre un peu en compagnie de l'arrangeur-orchestrateur Robert Russell Bennett (1894-1981), qui s'est amusé à instrumenter cette improbable mais joyeuse Commemoration Symphony (1960). On poursuit plus sérieusement en compagnie des musiciens que les américains considèrent comme leurs classiques (très modérément) modernes : Virgil Thomson (1896-1989) (n°3, 1972), Aaron Copland (1900-1990) (Short n°2, 1933, n°3, 1946, with organ, 1924) et Samuel Barber (1910-1981) (n°1, 1936, et surtout n°2, 1944)
Tout aussi présents dans la mémoire des américains mais moins importants, Irving Fine (1914-1962) (Symphony, 1962), Cecil Effinger (1914-1990) (5 opus : n°5, 1958), Lou Harrison (1917-2003), toujours aimable avec ses auditeurs (n°2, 1942, n°3, 1982, n°4, 1990), Leon Kirchner (1919-2009) (Sinfonia, 1962), Leo Smit (1921-1999) (n°1, 1956), ne pas confondre avec son homonyme néerlandais, Jack Beeson (1921-2010) (n°1, 1959), le versatile mais toujours intéressant Lukas Foss (1922-2009) (n°1, 1944, n°2, 1955, n°3, 1989, n°4, 1995 : enregistrement intégral), Robert Starer (1924-2001) (n°3, 1996) et Nicolas Flagello (1928-1994) (n°1, 1968) démontrent l'éclectisme de l'école américaine alors en plein épanouissement.
- Leonard Bernstein (1918-1990) mérite un paragraphe personnalisé. Il était très fier de ses trois opus (n°1, 1942, n°2, 1949, n°3, 1963) et passablement amer de constater qu'ils ne suscitaient pas l'enthousiasme de la critique, fort centrée sur les techniques sérielles enseignées un peu partout dans les écoles de musique. J'aime beaucoup la deuxième dont le début est simple et émouvant sans jamais être mièvre.
- Ce paragraphe pourrait illustrer à lui seul la richesse de la musique symphonique américaine actuelle. Ne manquez ni Benjamin Lees (1924-2010) (5 opus d'une réelle envergure : n°2, 1969, et surtout n°4, 1984, qui commémore l'Holocauste avec grandeur et sérénité) ni Ned Rorem (1923- ) (n°2, 1956, n°3, 1958, à écouter). Poursuivez avec Albert Hurwit (1931- ) (n°1, 2005, hétéroclite, très légère par moment, klemzer à d'autres, avec des accents d'adagios mahlériens, "new age" aussi mais pleine de bonnes intentions et d'un certain bon goût), Samuel Jones (1935- ) (Nerveuse et brillante n°3, 1992), Olly Wilson (1937-2018), un des rares musiciens d'ascendance africaine à s'être imposé comme de compositeur de grandes formes symphoniques (Symphonie n°3), John Corigliano (1938- ) (n°1, 1988), Stephen Albert (1941-1992) (n°2, 1992, complétée par Sebastian Currier), Ingram Marshall (1942- ) (Dolce far Niente, 1988), Joseph Schwantner (1943- ) (Evening land Symphony, 1995), Anthony Iannaccone (1943- ) (n°3, 1992, un parfait exemple de l'excellence de la collection, Music from six Continents) et Jack Gallagher (1947- ) (n°2, 2002). Un beau feu d'artifice !
- Ce rayonnement s'est maintenu à la génération suivante, grâce cette fois, à des musiciens préoccupés à l'idée de réintroduire quelques gènes de complexité dans leur musique tout en maintenant un cadre modal sinon tonal et une composante rythmique imparable. Le chef de file du mouvement est incontestablement John Adams (1947- ) (Doctor Atomic Symphony, 2007, en fait une oeuvre tirée de l'opéra éponyme) mais il a été suivi par une cohorte de musiciens heureux que la musique soit enfin libérée des carcans fabriqués à la sortie de la guerre. Ecoutez donc ce qu'on à dire : Steven Stucky (1949-2016) (Symphony, 2012. Elle devrait porter le n°5 mais Stucky a renié ses quatre symphonies de jeunesse), Roberto Sierra (1953- ) (Symphonies n°3, 2005, exotique, et n°4, 2009, rêveuse), Libby Larsen (1950- ) (Solo Symphony, 1999), Michael Daugherty (1954- ) (Metropolis Symphony, 1993), Thobias Picker (1954- ) (n°1, 1982, et n°2, 2004), l'un des plus solides musiciens de sa génération, Aaron Jay Kernis (1960- ) (n°2, 1991, n°4, 2017), Peter Kelly (1965- ) (Prodigieuse n°1, 1990 ), Christopher Theofanidis (1967- ) (Brillante n°1, 2009), Kevin Puts (1972- ) (n°2, 2007, difficile de faire plus beau avec si peu de moyens, attendez que la musique se déploie), Jonathan Leshnoff (1973- ) (n°2, 2009, n°4, 2017) et Missy Mazzoli (1980- ) (Sinfonia, 2013). Dommage que Kenneth Fuchs (1956- ), assurément l'un des musiciens les plus en vue, Outre-Atlantique, n'ait pas contribué au genre.
Enfin comment ne pas évoquer le cas de musiciens incontestablement doués à qui il n'a manqué que l'audace de prendre le minimum de risques sans lesquels l'art peine à s'exprimer. Jerome Moross (1913-1983) aurait pu faire une brillante carrière si seulement il ne s'était pas égaré dans les genres mineurs; sa Symphonie n°1 (1942) est pourtant un petit chef-d'oeuvre de légèreté ! On pourrait presque en dire autant de Meredith Wilson (1902-1984) (n°2, 1940) ou de Ray Luke (1928-2010) (n°2, 1960). Dans le même esprit, ne manquez sous aucun prétexte la délicieuse Symphonie classique (1947) d'Harold Shapero (1920-2013). Enfin, aux confins de la musique pop mais en respectant les standards classiques, Cindy Mc Tee (1953- ) (n°1, 2002) et Michael Torke (1961- ) (Brick Symphony, 1997) ont fait preuve d'un dynamisme débridé du plus stimulant effet.
Le Canada tout proche exporte peu sa musique sérieuse mais j'ai quand même intercepté les oeuvres de Jacques Hetu (1938-2010) (n°4, 1993, n°5, 2010, commencez par celle-ci) et d'Heather Schmidt (1975- ) (n°1, 1975), dont l'excellence appelle une étude approfondie lorsque la documentation suivra.
Le Japon a adopté les standards de la culture musicale occidentale dès le début du 20ème siècle et curieusement la déroute de 1945 n'a fait que renforcer les liens culturels, en particulier avec les USA.
Parmi les musiciens les plus en vue, Toru Takemitsu (1930-1996) et Akira Miyoshi (1933-2013) se sont imprégnés des méthodes de l'école moderne française, d'où on ne s'étonnera guère qu'il n'ait pas écrit de symphonie. Akira Nishimura (1953- ) est resté au Japon et malheureusement ses oeuvres également; celles qui nous sont parvenues - hélas pas ses deux symphonies - révèlent de fait un musicien original et passionnant. Il ne fait guère de doute que Koichi Kishi (1909-1937) aurait allongé cette liste d'excellence si seulement il avait vécu plus longtemps, l'occasion de confirmer le talent que promettait sa symphonie Buddha (1934).
La plupart des autres compositeurs japonais ont essentiellement adopté sans discussion (hélas aussi souvent sans imagination) les procédés (voire les tics) de l'écriture occidentale. Voici donc, en vrac, une liste incomplète de musiciens valeureux mais souvent interchangeables : Masao Ohki (1901-1971) (n°5, 1953), Saburō Moroi (1903-1977) (n°2, 1938, n°3, 1944, n°4, 1951), Hisato Ohzawa (1907-1953) (n°3, 1937), Kōmei Abe (1911-2006) (n°1, 1957), Akira Ikifube (1914-2006) (Tapkaara, 1954), Sadao Bekku (1922-2012) (n°1, 1961), Ikuma Dan (1924-2001) (n°2, 1956, n°4, 1964, n°6, 1985), Yasushi Akutagawa (1925-1989) (n°1, 1955), Akio Yashiro (1929-1976) (Rugueuse Symphonie, 1958), Teizo Matsumura (1929-2007) (n°1, 1965), Shin-ichiro Ikebe (1943- ) (n°5, 1990).
La tentation cinématographique l'a emporté chez d'autres, plus ou moins inspirés par les fresques des plus grands cinéastes japonais : Kosaku Yamada (1886-1965) (en fa, 1912, Inno Meiji, 1921), Kunihiko Hashimoto (1904-1949) (n°2, 1947) et Akio Yashiro (1929-1976) (Symphony, 1958).
Reste celui qui est peut-être le plus connu de tous, le postmoderne Takashi Yoshimatsu (1953- ), qui doit une bonne part de sa notoriété à l'intérêt que lui a porté la Maison Chandos. Cela me semble un gage d'intérêt pour son oeuvre et, en tous cas, de qualité pour l'interprétation (n°1, 1990, n°2, 1993, n°3, 1998, n°4, 2000, n°5, 2001, n°6, 2014). Certes, rien ne surprend dans cette musique, ce que d'aucuns regretteront : les oiseaux chantent et les ruisseaux murmurent comme au bon vieux temps de la Symphonie Pastorale. Mais le savoir-faire est réel, qui distille une musique au charme indéniable, pimentée (modernisée ?) par quelques apports exotiques, importés du jazz ou de la "pop music". Les experts savants ne sont pas forcément de cet avis qui trouvent la recette un peu facile (Mais pourquoi faudrait-il qu'elle soit compliquée ?).
La Corée (du Sud !) a suivi l'exemple du Japon avec les décennies de retard qu'elle a aussi connu dans son (fulgurant) développement technologique. Elle l'a désormais comblé mais malheureusement sa plus médiatisée compositrice, Unsuk Chin (1961- ), n'a pas encore éprouvé le besoin de composer une symphonie. Nous en sommes réduits provisoirement à (ré)écouter les oeuvres de Ysang Yun (1917-1995) (n°1, 1983, n°2, 1984, n°4, 1986) où l'on entend clairement qu'il a fait toute sa carrière en Allemagne (Une intégrale est d'ailleurs parue chez CPO).
Sur le chemin qui mène à ce lointain Extrême-Orient, Ahmet Adnan Saygun (1907-1991) est un compositeur turc qui a contribué à implanter l'idéal classique occidental dans son pays à l'époque de la gestion éclairée de Mustafa Kemal Atatürk. Ses 5 symphonies ont été enregistrées chez CPO, un élément à l'appui de leur valeur intrinsèque (n°1 & 2, 1953 & 1958, n°4, 1974). Plus près de nous, Kamran Ince (1960- ), installé aus USA, a composé 5 symphonies dont seule la n°2 (1994) a connu la notoriété grâce à un enregistrement paru chez Argo.
Shaheen Farhat (1947- ) est un compositeur iranien qui a poursuivi ses études aux Etats-Unis puis en France mais qui est désormais en poste à l'Université de Téhéran. Ses 17 symphonies (à ce jour) ne révolutionnent pas l'univers musical mais elles apportent le témoignage surprenant qu'à l'ère des Ayatollahs, on compose de la musique d'essence occidentale à Téhéran (n°5, 1997, n°12, 2009). Un orchestre symphonique existe même qui vit les heures difficiles que l'on devine malgré une remise en selle par le Président, Hassan Rohani, lors de son accession au pouvoir, en 2013.
Avec ses 1200 références explicites, ce périple symphonique en deux parties est d'une longueur inhabituelle mais il faut bien admettre qu'il pouvait difficilement être plus court. Encore, l'inventaire est loin d'être complet : je ne garantis même pas qu'il ne manque pas des références plus intéressantes que certaines qui ont été un peu arbitrairement retenues. Des ajustements seront donc sans nul doute nécessaires. Quoi qu'il en soit, on est en droit de s'interroger sur la distance colossale qui sépare l'inventaire proposé de celui que l'on nomme communément le "grand" répertoire, celui couramment pratiqué par les "grands" orchestres internationaux. Ceux-ci ne font généralement confiance qu'aux valeurs sûres, de Haydn à Schostakovitch et encore ils filtrent les catalogues de chacun. Dès lors, le répertoire usuel ne dépasse guère la centaine d'oeuvres : Haydn, (de l'ordre de) ≈ 20/104; Mozart, ≈ 12/41, Beethoven, 9, Berlioz, 1, Schubert, ≈ 3/9, Mendelsohn, ≈ 3/5, Schumann, 4, Brahms, 4, Tchaïkovsky, 6, Dvorak, ≈ 4/9, Bruckner, ≈ 7/9, Mahler, 9, Sibelius, ≈ 4/7, Prokofiev, ≈ 4/7, Schostakovitch, ≈ 12/15). Notez qu'à l'exception des deux derniers nommés, toutes ces oeuvres naviguent obstinément entre 1735 et 1925.
Fort heureusement, la notion de répertoire possède une certaine élasticité et il suffit de voyager pour découvrir qu'il peut prendre des couleurs plus locales. C'est ainsi que des orchestres nationaux, voire régionaux, mettent éventuellement à leur programme des oeuvres plus confidentielles, généralement composées sur leur sol (Gade, Nielsen, Langgaard, Pettersson, en Scandinavie, Sallinen et Rautavaara en Finlande, Panufnik et Penderecki, en Pologne, Weinberg et Schnittke en Russie, etc, revoyez la géographie et l'histoire musicales présentées au long de ces deux chroniques). Cette forme de curiosité contrastant avec le conservatisme général appelle quelques commentaires :
- Passé un certain âge fort présent dans les salles de concert, le public est réputé frileux et il n'aime pas qu'on le trimballe hors des sentiers battus et comme cela convient aux musiciens peu pressés d'apprendre continuellement de nouvelles partitions, il est décrété de commun et tacite accord que les fantaisies sont inutiles pour garantir le succès d'une saison symphonique.
- Un argument plus convaincant repose sur l'affirmation que toutes les oeuvres écrites (de par le monde et à toutes les époques) ne se valent pas d'où, puisqu'il faut bien se limiter, autant le faire en compagnie des oeuvres réputées accomplies. Quitter les entiers battus, ce serait prendre le risque de fausser l'échelle des valeurs d'un public dont on pense un peu vite qu'il ne serait pas armé pour juger. Le grand répertoire opère donc d'autorité un tri sélectif, sacrifiant quantité d'oeuvres d'excellents artisans au motif qu'elles ne sont pas incontestablement géniales. Or ce n'est pas comme cela qu'on écrit une histoire de l'Art : en peinture, lorsqu'un musée offre ses collections au public, il ne décroche pas des cimaises les oeuvres déclarées mineures au motif qu'elles ne supporteraient pas la comparaison avec les grands chefs-d'oeuvre. Il fait, au contraire, confiance à l'amateur cultivé dans sa capacité à se constituer son musée personnel. Pourquoi en irait-il autrement en musique ? Même en sport, le coureur qui arrive dernier au Tour de France a réussi un exploit; qu'il ait rallié Paris avec quelques heures de retard ne diminue en rien ses mérites, il ne fait qu'augmenter ceux du vainqueur, ce qui est très différent.
- Une réponse est connue : dans un musée, les peintures sont achevées une fois pour toutes et, sauf restauration, elles ne coûtent que la location de l'espace qu'elles réclament. Il n'en va pas de même en musique : l'oeuvre composée sur papier doit être traduite dans un langage (sonore) accessible au plus grand nombre, ce qui exige la collaboration d'interprètes motivés. Evidemment cela demande de l'énergie et du temps, deux denrées devenues rares à notre époque !
- Robert Schumann et Richard Wagner pensaient (et écrivaient) le plus grand bien des compositions de Carl Loewe (Cf la 1ère partie) et, de fait, je trouve sa Symphonie n°1 plutôt pleine de charme. Cependant, vous n'entendrez jamais cette oeuvre au concert surtout depuis que des critiques, sans doute mieux informés que Schumann et Wagner, ont décrété que l'oeuvre ne valait rien. Comment dès lors ne pas complimenter le label Koch, la Philharmonie de Lorraine et son chef, Jacques Houtmann, d'en avoir réalisé un enregistrement de bonne facture ? Cet exemple est aisément généralisable, les références citées ci-avant le démontrent. Rappelons qu'en un siècle, on a maintes fois annoncé la mort de la symphonie qualifiée de genre obsolète. Aujourd'hui cependant, elle se porte mieux que jamais, en particulier grâce au CD.
- Précisément ce fameux CD a lui aussi fait l'objet de prédictions pessimistes quant à son pouvoir de survivance. Il est possible que le support disparaisse mais certainement pas son contenu : grâce à lui, nous disposons actuellement d'un répertoire étendu et accessible à l'écoute dont nous ne soupçonnions même pas l'existence, il y a à peine 50 ans. Une progression de 10 000 %, j'exagère à peine, est-ce là le signe avant-coureur d'une mort annoncée ?
- Soyons clairs, cette exploration n'aurait pas été possible il y a quelques décennies à peine. Elle l'est devenue grâce à la collaboration de musiciens et d'éditeurs curieux, qui ont désiré révéler quantité d'oeuvres rarement porteuses d'un rendement financier. Car on ne fait pas fortune en s'intéressant au répertoire de seconde main. Le moment est donc choisi pour faire un peu de publicité pour quelques collections citées dans le texte, qui peuvent vous aider à multiplier vos coups de coeur personnels (Je ne garantis pas la pérennité des adresses) :
Cette histoire de la symphonie nous a promené, pendant près de trois siècles, à travers toute l'Europe jusqu'à rejoindre finalement le continent américain. Son centre de gravité n'a jamais cessé de se déplacer lentement : discrètement parti d'Italie et de Bohême, il s'est installé durablement à Vienne puis il s'est progressivement démultiplié dans toute l'Allemagne, jusqu'à la mort de Mahler. Après la déroute de 1918, il s'est déplacé en Russie du côté de Saint-Petersbourg mais cela n'a duré que quatre décennies, le temps nécessaire pour que le rideau de fer s'effondre, et le voici maintenant vraisemblablement passé de l'autre côté de l'Atlantique.
Pragmatiques, les américains ont balayé les errements d'une avant-garde européenne probablement traumatisée par la guerre et certainement déconnectée du public. Ils ont eu la bonne idée de réintroduire en musique un gène bienvenu d'efficacité. La formule a fait recette et on attend que la vieille Europe réagisse à son tour, ce qu'elle a commencé à faire, surtout dans les pays froids.
Enfin, une dernière question me tient à coeur : quel cycle symphonique emporterais-je sur l'île déserte ? Il faut bien réfléchir avant de répondre à cette question un brin académique. L'idée n'est pas de retenir le cycle le plus essentiel à l'histoire de la Musique, auquel cas la réponse s'imposerait d'elle-même, Beethoven naturellement, même si certains, devenus allergiques à la suite de contacts répétés, préféreraient éventuellement Haydn, Mozart, Brahms, Mahler ou Schostakovitch. Mon point de vue est différent car les oeuvres précitées souffrent d'un défaut majeur relativement à la question posée : elles sont (enfin elles devraient être) dans toutes les mémoires, ce qui ne les rend pas propices à la fréquentation assidue qu'imposerait l'isolement. J'opterais donc pour le cycle de Pettersson : impossible à mémoriser, il autorise et même il exige les écoutes répétées, ce qui est bien la seule façon de s'alimenter sur le long terme.