Karl Amadeus Hartmann (1905-1963) serait mieux connu du grand public si seulement on se décidait à jouer l'une ou l'autre de ses oeuvres symphoniques, au concert. Vu la relative inertie des sociétés philharmoniques, je présume que l'événement n'est pas pour demain.
Hartmann est né dans une famille d'artistes (peintres), à Munich, une ville qu'il n'a pratiquement pas quittée même pendant la guerre. Pensant se consacrer à l'enseignement, il se ravisa tardivement, en 1924, entrant à la Staatliche Akademie der Tonkunst de sa ville. La rencontre avec le chef, Hermann Scherchen, fut déterminante pour confirmer sa vocation musicale.
Hartmann trouva difficilement sa place d'artiste dans une Allemagne déboussolée : se voulant simultanément l'héritier de la grande tradition germanique (Bruckner et Mahler) et à l'écoute des modernes de son temps, singulièrement Paul Hindemith (1895-1963), il fut rapidement marginalisé dans son propre pays qui, dès 1933, n'acceptait plus aucune audace. Contrairement à ses collègues, Wolfgang Korngold, Kurt Weill et Bruno Walter, il renonça à s'expatrier, préférant entrer en résistance passive. La musique qu'il écrivit entre 1933 et 1945 étant contraire aux canons (artistiques !) du 3ème Reich, elle fut naturellement interdite. Hartmann n'arrêta pas d'écrire pour autant mais il renonça implicitement à toute exécution de ses oeuvres en Allemagne. Une correspondance avec le musicologue belge, Paul Collaer, témoigne d'un trafic de partitions vers l'Ouest devant déboucher sur quelques concerts à Bruxelles mais l'occupation allemande contraria ces projets.
Ayant résisté sans concession au nazisme, il n'en fut que plus honoré dès la fin de la guerre mais soyons clairs, il reçut davantage de médailles qu'il ne fut joué au concert, du moins hors d'Allemagne. Il créa, en 1945, et dirigea jusqu'à sa mort, le cycle de concerts de musique contemporaine, Musica Viva, et il assuma la présidence de la section allemande de la Société internationale de musique contemporaine (S.I.M.C.) en 1953.
Curieusement, il a suffi que Hartmann soit à nouveau libre de s'exprimer pour qu'il ralentisse sa production. Préoccupé à l'idée que la noirceur de ses oeuvres écrites sous l'oppression les daterait irrémédiablement, il se mit en tête de les réviser de fond en comble, détruisant les unes ou remaniant les autres, au point que la plupart changèrent non seulement de numéro ou de titre mais encore de contenu. On a pris conscience de tous ces bouleversements en fouillant les archives du compositeur, après sa disparition prématurée : autant dire qu'une boussole et un sextant ne furent pas de trop pour s'y retrouver.
Stylistiquement, Hartmann s'est imprégné des courants ambiants, Stravinsky, Hindemith, l'expressionnisme allemand, Bartok et Kodaly et plus tardivement Schönberg. Un temps élève de Webern, en 1942, il préféra cependant la démarche plus lyrique de Berg.
Aujourd'hui, seul le Concerto funèbre (début et fin), pour violon & orchestre est encore régulièrement joué. Initialement intitulé Musik der Trauer (1939), l'oeuvre a changé de titre 20 ans plus tard. Il doit d'autant plus impérativement faire partie de votre discothèque qu'il en existe une version exemplaire, parue chez ECM et due à l'archet d'Isabelle Faust. Cerise sur le gâteau, les compléments sont de choix, proposant la Symphonie n°4 pour cordes et l'admirable Concerto de chambre (Introduktion, Tanz & Variationen et Fantasie), pour clarinette, quatuor à cordes & orchestre à cordes. Cette oeuvre, dédiée à Kodaly, doit beaucoup à l'univers du dédicataire.
Le catalogue officiel des oeuvres de Hartmann est relativement mince à cause de l'autocensure pratiquée. Nul ne sait si l'auteur aurait apprécié que des musicologues en mal de sujet de thèse fouillent ses archives à la recherche de partitions enterrées par ses soins. Quoi qu'il en soit, nous ne nous plaindrons pas de redécouvrir aujourd'hui des oeuvres étrangement écartées (hélas non toutes disponibles à l'écoute) :
Hartmann a fini par reconnaître 8 symphonies effectivement numérotées par ses soins :
Au cours des années 1950 et jusqu'à sa disparition prématurée, Hartmann n'a écrit que 4 oeuvres symphoniques importantes et authentiquement nouvelles : les Symphonies 7 et 8 ainsi que les concertos pour piano (1953) et pour alto & piano (1955), où l'accompagnement est réservé aux vents et aux percussions afin d'accentuer les références déromantisées à Hindemith. Fugue-Scherzo, pour orchestre de percussions, date de la fin de la période créatrice du compositeur (1956-1957).
Deux concertos émergent du lot de la production Hartmann : outre le Concerto pour violon déjà évoqué, l'autre oeuvre majeure est le Concerto pour piano, instruments à vent et percussions (1953). D'autres oeuvres du genre, pour formations diverses, existent ou du moins ont existé : Concerto de chambre, pour clarinette, quatuor à cordes et orchestre à cordes (1930-1935), Petit Concerto pour quatuor à cordes et percussions (1932), Concerto pour alto, piano, vents & percussions (1955), Concerto pour violoncelle (1933), perdu, Concerto pour trompette & vents (1932), recomposé, en 1949, et remanié une nouvelle fois, l'année suivante, pour devenir la Symphonie n° 5 !
La musique de chambre n'occupe pas une place centrale dans l'oeuvre de Hartmann, certains critiques allant jusqu'à la bouder. C'est pourtant le Quatuor à cordes n°1, "Carillon" (1922), qui porte le numéro d'opus 1, preuve s'il en fallait une que son auteur la tenait en estime. Un Quatuor à cordes n°2 a suivi en 1946. Mentionnons encore diverses pièces intéressantes, pour piano, (Jazz Toccata et Fugue (1928), Sonate n° 1 (1932) et Sonate nº 2, "27 avril" (1945)).
Hartmann est un musicien à (re)découvrir et le Concerto pour violon, les Symphonies 4 et 6, la Sinfonia Tragica et l'opéra, Simplicius Simplicissimus, constituent un excellent point de départ.
L'isolement volontairement assumé, auquel le compositeur s'est astreint pendant 12 ans, n'a pas favorisé les échanges avec les collègues ou d'éventuels élèves. De la génération suivante, seul Hans Werner Henze (1926- ) se réclamera de son illustre ainé, Henze, le compositeur allemand le plus important de sa génération qui fera l'objet d'une très prochaine chronique.