Benjamin Britten (1913-1976) a régné sans grand partage sur la musique moderne anglaise et, dans son ombre, seuls William Walton (1902-1983) et Michael Tippett (1905-1998), réussirent à se frayer un passage vers la lumière. Ce sont deux musiciens bien moins connus, du moins de ce côté de la Manche, qui vont nous intéresser aujourd'hui, William Alwyn (1905-1985) et Malcolm Arnold (1921-2006).
L'un et l'autre ont souffert d'avoir contribué au genre de la musique dite légère, écrivant en particulier beaucoup pour le cinéma. Leur réussite dans ce domaine a suscité la moue désapprobatrice de critiques intolérants peu pressés de faire une analyse objective du versant plus savant de leur oeuvre. Cependant l'écoute de leurs pages symphoniques révèle des richesses insoupçonnées auxquelles nous allons faire écho.
Né à Northampton, Alwyn s'est inscrit à la Royal Academy of Music de Londres, où il a appris la composition et la flûte, son instrument de prédilection. Il fut d'ailleurs un temps membre du London Symphony Orchestra avant de se consacrer pleinement à la composition.
Alwyn était doué pour des tas d'autres choses : poète polyglotte, il fut également peintre d'où le remarquable autoportrait ci-contre. Son activité fut également intense dans l'enseignement à l'Académie qui l'avait instruit et à la présidence de la Société des compositeurs anglais, qu'il avait d'ailleurs contribué à fonder.
Rayon mondanités, Alwyn était cousin, par sa mère, de l'acteur Gary Cooper et il a épousé en secondes noces l'excellente musicienne, Doreen Carwithen (1922-2003) (Concerto pour piano).
Alwyn a collaboré à 70 films s'étalant sur la période 1941-1962. Il l'a fait avec conviction, écrivant parfois une musique inutilement ambitieuse par rapport au support cinématographique. En fouillant les réserves des cinémathèques, vous retrouverez des copies hélas usées de Odd Man Out, The Black Tent ou The Crimson Pirate. Selon une habitude louable, les partitions ont été ultérieurement arrangées (pas toujours par le compositeur) sous forme de Suites orchestrales, davantage susceptibles de passer à la postérité. Le label Chandos a publié quelques CD mémorables qui valent assurément le détour (Vol 1, Vol 2, Vol 3). Veuillez noter que Odd Man Out passe pour une des musiques de films les mieux réussies de tous les temps.
Si plaisantes que puissent paraître ces partitions, elles demeurent prisonnières du genre qui les a fait naître et à ce titre elles accusent souvent leur âge. Comme beaucoup d'autres collègues (Korngold, Hermann, ...), Alwyn a éprouvé quelques difficultés à convaincre qu'il était capable d'écrire tout autre chose, récupérant à l'occasion le matériau galvaudé.
Ceux qui pensent n'avoir jamais entendu une seule note d'Alwyn se trompent peut-être s'ils suivent assidûment les épreuves olympiques de patinage artistique : la prestation de l'américaine, Michelle Kwan, médaille d'argent à Nagano, en 1998, s'est faite sur fond de son Concerto pour harpe, une oeuvre cependant mineure en comparaison avec ce qui suit.
Le catalogue des oeuvres d'Alwyn comprend essentiellement 5 symphonies, plusieurs concertos (pour flûte, hautbois, violon (Allegro, Allegretto, Allegro), piano (n°1), harpe (Adagio, Adagio ma non troppo, Moderato, Allegro) et 3 Concerti grossi), des quatuors à cordes et 4 opéras.
Les 4 premières Symphonies (n°1, n°2, n°3 et la majestueuse n°4) ont été pensées d'emblée comme quatre "mouvements" d'une méta-symphonie devant être jouée en séquence, un projet encouragé lors de sa création par le grand chef John Barbirolli mais abandonné depuis lors. La Symphonie n°5, plus tapageuse, vous séduira moins.
Il est très étonnant d'apprendre qu'Alwyn a fait un temps figure de compositeur d'avant-garde dans l'Angleterre d'après-guerre. Plus personne ne se risquerait à pareil jugement aujourd'hui tant les audaces que l'on prêtait à sa Symphonie n°3 (1956) paraissent aujourd'hui banales : la gamme y est certes traitée de façon inhabituelle, les 12 demi-tons (do, réb, ré, mib, mi, fa, solb, sol, lab, la, sib, si) étant utilisés par blocs - les notes blanches dans l'allegro initial, les notes oranges dans l'adagio central et toutes les notes dans le finale - mais il y a toutes les chances qu'une oreille peu exercée ne remarque même pas ce dodécaphonisme tronqué tant la construction est habile.
La firme Naxos propose quelques bons enregistrements de musique d'Alwyn : outre les oeuvres symphoniques déjà mentionnées, ne manquez pas les Quatuors n°1 à 3.
Le tableau ci-contre, plus vrai que nature malgré des couleurs dérangeantes, est l'oeuvre de June Mendoza, une artiste bien connue en Grande-Bretagne pour avoir honoré les commandes les plus illustres, entre dizaines d'autres, de la Reine Elizabeth II, de son auguste Reine-Mère, de la Princesse Diana, de Margaret Thatcher, plus d'une vingtaine de musiciens célèbres (Andrzej Panufnik, Antal Dorati, Jacqueline du Pré, Michael Tippett, Yehudi Menuhin, Georg Solti, Colin Davis, ...).
Il représente Malcolm Arnold, un musicien à connaître aussi sûrement qu'Alwyn. Comme beaucoup de musiciens anglais (Ralph Vaughan Williams, Gustav Holst, Franck Bridge, Arthur Bliss, Michael Tippet, Benjamin Britten), il a été formé au Royal College of Music de Londres. Enthousiasmé par l'art de Louis Armstrong, il s'est pris de passion pour la trompette qui devint son instrument de prédilection dès l'âge de 12 ans : il fut même membre du prestigieux London Philharmonic Orchestra, jusqu'en 1948, date à laquelle il ne se consacra plus qu'à la composition.
Comme Alwyn, Arnold a écrit beaucoup de musique de films, une centaine environ, dont une au moins, Le Pont de la Rivière Kwaï, a fait le tour du monde. Chandos a également publié quelques CD (Vol 1, Vol 2), sans compter les arrangements habiles réalisés sur le tard par John Longstaff (The Three Musketeers), à une époque où Arnold n'était plus en pleine possession de ses moyens.
Toujours sur le mode léger, Arnold a écrit plusieurs Suites de danses d'inspiration populaire (Anglaises, opus 27 & 33; Ecossaises, opus 59; Corniques, opus 91; Irlandaises, opus 126; Galloises, opus 138). Elles existent généralement en deux versions, pour orchestre classique et d'harmonie (Dans des arrangements habiles de John Paynter). Je ne doute pas que vous aurez observé que cette musique ne survit que si elle est jouée à la perfection.
Arnold a beaucoup écrit, y compris dans des genres plus (ou moins) sérieux. Commençons par deux ouvertures de concert (il en existe d'autres) qui témoignent de la versatilité du compositeur : si A Grand Grand Festival Overture, écrite pour les concerts Hoffnung et faisant appel à trois aspirateurs et une cireuse, témoigne de l'esprit facétieux de leur auteur, l'Ouverture Peterloo est nettement plus dramatique, commémorant le massacre ouvrier de Manchester, en 1819.
Toutefois la partie la plus réussie de son oeuvre se trouve dans les 9 symphonies, publiées entre 1949 et 1986. Elles démontrent un savoir-faire évident, l'insouciance y côtoyant sans heurt la gravité. La Symphonie n°2 est l'une de mes préférée, qui commence comme du Jean Sibelius et se termine dans un tourbillon irrésistible ou encore la superbe Symphonie n°5, aux accents malhériens dans l'andante con moto. Procurez-vous l'interprétation de Richard Hickox, parue chez Chandos, elle est sans doute insurpassable. Il est infiniment dommage que ce chef, grand défenseur de la musique anglaise, n'ait pas eu le temps de terminer "son" intégrale (Rumon Gamba a achevé le travail en enregistrant les Symphonies n°7 à 9). Une intégrale concurrente est disponible chez Naxos, dirigée par Andrew Penny (Symphonies n°1, n°3, n°6, n°7) mais elle n'atteint pas le niveau d'excellence de la précédente. J'espère que vous apprécierez comme moi cette musique tour à tour brillante et fantasque que sa chère trompette ponctue à l'occasion d'accents bienvenus. La maîtrise des cuivres et des vents était réelle chez ce musicien qui n'a pas hésité à adapter lui-même certaines de ses oeuvres pour orchestre d'harmonie (CD, puristes s'abstenir !).
A côté des symphonies vous découvrirez les nombreux concertos pour instruments variés, souvent dédiés à un soliste célèbre : 2 pianos à 3 mains (!) (pour le couple Cyril Smith et Phyllis Sellick), violoncelle (Julian Lloyd Webber), hautbois, flûte, clarinette (Benny Goodman), trompette (évidemment), guitare (Julian Bream) et même harmonica (Larry Adler).
La musique de chambre d'Arnold n'est pas moins intéressante. Les bois et les vents y sont omniprésents dans une musique toute en légèreté qui, par-delà la Manche, répondrait à celle de Georges Auric ou de Jean Françaix : Sonatine pour clarinette & piano, Sonatine pour flûte & piano, Divertimento pour flûte, hautbois & clarinette. The Nash Ensemble, un des ensembles anglais les mieux appréciés, a enregistré l'essentiel de cette musique pour Hyperion, 3 volumes à ne pas manquer (I, II, III) ! Vous compléterez avec les Quatuors à cordes 1 & 2, parus chez Naxos.
L'homme qui était capable de cette écriture souriante n'était pourtant guère accommodant : alcoolique, dépressif et dissipé, il a tenté de se suicider à plusieurs reprises. Des soins importants, dispensés vers 1980, lui permirent de surmonter les épreuves mais l'aide d'Anthony Day fut cependant nécessaire afin de compléter la Symphonie n°9, une source effective de difficultés quant aux droits d'auteurs.