Le Royaume-Uni occupe, en musique, une position particulière entre une Europe Occidentale encore très imprégnée par les conséquences du sérialisme d'après-guerre et les Etats-Unis qui ont pris, depuis longtemps, leurs distances avec ce mouvement. Le résultat est une étonnante diversité de courants musicaux que l'on retrouve d'ailleurs telle quelle dans la programmation des concerts londoniens. Je ferai un de ces jours le tour de cette Grande-Bretagne-là mais dans l'immédiat, je pare au plus pressé : après avoir consacré un billet à l'anglais John Tavener (1944- ), je m'intéresse, à présent, à l'un des meilleurs jeunes musiciens écossais, James MacMillan (1959- ).
Notez que quand je dis jeune, c'est une façon de parler car il est déjà quinquagénaire ! Mais voilà, en musique, l'ère des génies "décagénaires", Mozart, Mendelssohn, Pergolèse, Korngold, …, semble révolue ! Il y aurait toute une étude à faire sur ce phénomène et je crains qu'elle ne fasse pas l'éloge de notre société de consommation.
Soit, revenons à notre musicien. L'histoire de ses débuts à l'estrade est inhabituelle : la célébrité lui tombe inopinément dessus à l'occasion d'un concert des "Nights of the Proms". Cette institution, unique en son genre, ne pouvait voir le jour qu'au Royaume Uni : un cycle annuel de "Concerts promenades" où l'on balade le public entre la musique classique la plus populaire et la plus moderne. Il se termine invariablement par la légendaire "Last Night of the Proms" qu'à l'occasion, vous ne pouvez manquer sur votre téléviseur : 7000 personnes, entassées debout dans la grande salle du Royal Albert Hall de Londres, fêtent la musique dans un joyeux charivari de chapeaux et de drapeaux multicolores. Cette dernière nuit est, en particulier, l'occasion d'entendre le tube victorien d'Edward Elgar (1857-1934), Pomp and Circumstance (n° 1, le plus célèbre mais sachez qu'il en existe 4 autres), repris en chœur par l'assistance.
Beaucoup d'œuvres très modernes ont été commandées et crées dans ce cadre et The Confession of Isobel Gowdie fut de celle-là. En 1990, le programme l'avait insérée entre la 4ème Symphonie de Beethoven et le Concerto pour violon de Sibelius. Le triomphe fut aussi immédiat qu'inattendu, projetant d'un seul coup MacMillan à l'avant-scène.
Le choix de la mise en musique de la tragique histoire d'Isobel Gowdie n'était sans doute pas anodin : MacMillan est un homme de convictions : politiques (très à gauche) et religieuses (catholiques dans un pays protestant). Isobel fut une victime emblématique de l'inquisition façon insulaire, sous le règne de Charles II (1630-1685). Accusée de commerce avec le diable, elle finit sur le bûcher, en 1662, sans avoir - apparemment - cherché à se défendre. MacMillan a conçu la fin de son œuvre comme le requiem auquel elle n'avait pas eu droit.
Après ce premier succès très médiatisé, le compositeur confirma en écrivant pour la célèbre percussionniste malentendante (et même pas entendante du tout, un exploit !), Evelyn Glennie, un Concerto pour percussions et orchestre, Veni, veni Emmanuel (1992) qui a dépassé les trois cents exécutions en concert (Il en existe un deuxième). Peu d'œuvres contemporaines peuvent en dire autant ! Enfin, en 1997, le grand violoncelliste Mstislav Rostropovitch lui a commandé un Concerto pour violoncelle qui l'a définitivement installé dans la notoriété.
MacMillan s'est cherché un style à ses débuts, empruntant un peu conventionnellement aux styles aléatoire et sériel tels que pratiqué en Pologne à l'époque et à son compatriote Peter Maxwell Davies (1934- ). Il a ensuite trouvé sa voie à travers ce qui se faisait à l'Est, à l'écoute d'Alfred Schnittke (1934-1998) notamment. Il s'est longuement expliqué sur sa manière de composer dans une série d'interviews (en anglais).
MacMillan et son épouse sont laïques dominicains, c'est dire s'ils sont spirituellement engagés. La référence au sacré est, de fait, omniprésente dans son œuvre. Cela va naturellement de soi en ce qui concerne les partitions religieuses, un Magnificat, un Miserere, des motets, un Stabat Mater, un Te Deum aux effectifs spatialisés (extraits 1 et 2) et plusieurs messes réellement destinées au culte (Mass). Une Passion selon Saint Jean complète cet ensemble.
Plus étonnant, le compositeur revendique également une composante d'inspiration sacrée dans ses œuvres purement instrumentales mais il y a toutes les chances pour que vous ne vous en aperceviez pas.
La musique symphonique de MacMillan oscille, en permanence, entre une tension voulue, entretenue par des cuivres très présents, pour ne pas dire envahissants et une détente habituellement confiée aux cordes ou aux voix.
Dans ce domaine, quatre symphonies ont été créées à ce jour, n°1 "Vigil", n°2, n°3 et n°4 ainsi qu'une pléiade de Concertos pour divers instruments. Outre les Concertos pour percussions et pour violoncelle déjà évoqués, citons des œuvres pour orchestre et :
C'est peut-être dans sa musique de chambre que l'on peut suivre - au mieux - la complexité de la musique de MacMillan, débarrassée des fracas inutiles. Deux très beaux Quatuors à cordes, Tuireadth pour clarinette et quatuor à cordes, deux sonates pour violoncelle forment à ce jour l'essentiel de cette production dont on espère qu'elle ne s'arrêtera pas là. Je vous ai réservé deux pièces délicieuses : "Kiss on Wood" que l'on joue indifféremment au violon ou au violoncelle avec accompagnement de piano et A different World.
MacMillan a également écrit deux opéras, "Ines de Castro"(1995) et The Sacrifice (2006) qui n'ont franchi la Manche que très confidentiellement; je ne peux rien en dire.
L'œuvre de MacMillan a été enregistrée, à ses débuts, par le label suédois, BIS. Ayant été repris par Naxos, une écoute n'est possible que via le site de ce dernier. Les œuvres plus récentes ont principalement été enregistrées chez Chandos ou chez Hyperion et une écoute est à nouveau possible, beaucoup moins généreuse cependant. Voici la référence du site jpc qui suffit pour une initiation.
L'œuvre de MacMillan est d'une difficulté d'approche éminemment variable, dans tous les sens du terme : non seulement elle requiert une disponibilité d'écoute de la part de l'auditeur potentiel mais celui-ci risque d'éprouver de sérieuses difficultés à se procurer des enregistrements consultables (J'ai moi-même galéré pour vous en proposer car tout semble fait pour faire obstacle). Voici quelques pistes, sans ordre précis :
MacMillan ne peut porter le titre de "Sir" comme son collègue et compatriote, Peter Maxwell Davies (1934- ), et c'est assurément une anomalie. C'est pourtant MacMillan qui a composé une fanfare pour la joyeuse (?) entrée de sa Gracieuse Majesté au Parlement écossais, reconvoqué en 1999 après presque trois siècles de silence. Il est vrai que quelques semaines plus tard, il n'y alla pas de main morte en publiant un pamphlet dans l'ouvrage collectif Scotland's Shame, critiquant sans détours l'anti-catholicisme religieux ambiant et comparant l'Ecosse à une Irlande du Nord, sans les fusils et les balles. Ceci explique peut-être cela.
Fait rare pour un musicien contemporain, MacMillan a eu droit, à 34 ans, à une rétrospective de 18 de ses œuvres au Festival d'Edimbourg. En 2005, le BBC Symphony Orchestra a remis le couvert au célèbre Barbican Hall de Londres lors d'un week-end d'hommage.
MacMillan est également chef d'orchestre. Il dirige naturellement ses œuvres en priorité mais pas uniquement : j'ai trouvé un enregistrement de la symphonie n°1 du Néerlandais Marijn Simons (1982- ), une belle découverte !
Quand j'évoque MacMillan, je pense invariablement à son collègue estonien, Erkki Sven Tüür, non parce qu'ils sont nés la même année mais parce qu'ils ont réussi, chacun à leur manière, le virage de la modernité. Tous deux écrivent des musiques intelligibles, stimulantes et appréciées du public.