En sciences, on ne peut manquer d'être interpellé par le niveau d'excellence atteint par nombre de savants ayant bénéficié des traditions éducatives juives. Au plus haut niveau, c'est cependant un phénomène relativement récent : parmi les premiers grands physiciens de l'histoire (Galilée, Copernic, Kepler, Newton, Lagrange, ...), seul Isaac Newton (1642-1727) était juif, sans ostentation cependant dans un pays où s'afficher autrement qu'anglican aurait comporté des risques non négligeables. C'est surtout à l'aube du 20ème siècle que la liste des physiciens juifs a pris une toute autre dimension : Gabriel Lippmann (1845-1921), Albert Michelson (1852-1931), Albert Einstein (1879-1955), Emmy Noether (1882-1935), Max Born (1882-1970), Niels Bohr (1885-1962), Norbert Wiener (1894-1964), Leo Szilard (1898-1964), Wolfgang Pauli (1900-1958), John von Neumann (1903-1957), Robert Oppenheimer (1904-1967), Lev Landau (1908-1968), Richard Feynman (1918-1988), ..., se sont particulièrement illustrés et, au bilan, ce sont 26% des Prix Nobel de Physique qui leur ont été attribués (Idem en Physiologie & Médecine). Les mathématiciens n'ont pas été en reste et vous en trouverez une liste détaillée sur le site consacré aux grandes figures juives de l'Histoire. Qu'en est-il en musique, voilà qui va nous occuper.
En musique savante, l'histoire commence à peu près de la même façon, par la disette : à l'époque baroque, seul Salomone Rossi (1570-1630), "el Ebreo del Mantova", s'est fait un nom en publiant à Venise, en 1622, les superbes Cantiques de Salomon, à 5 voix (Le Salomon dont il est question est Rossi en personne, pas le Roi d'Israël !). Il a également composé de la musique instrumentale mais les enregistrements sont actuellement peu nombreux (Ecoutez Sonata quarta sopra l'aria di Ruggiero ou encore ce "live" étonnant, en provenance de Saint-Pétersbourg, de la Sonata in dialogo). On a perdu la trace de Rossi après le sac de Mantoue, Cité dont la Cour (des Gonzague) était connue pour protéger les artistes sans distinction de religion.
Ensuite, il a fallu attendre le 19ème siècle pour rencontrer d'autres compositeurs juifs notables quoiqu'encore peu nombreux : 1) en Allemagne, E.T.A. Hoffmann (1776-1822), Jakob Liebmann Meyer Beer, alias Giacomo Meyerbeer (1791-1864), Ignaz Moscheles (1794-1870), Félix Mendelssohn (1809-1847) et sa soeur Fanny Mendelssohn (1805-1847), Ferdinand Hiller (1811-1885, Symphonie en mi mineur), Karl Goldmark (1830-1915, Concerto pour violon) et Friedrich Gernsheim (1839-1916, Symphonie n°1); 2) en France, Charles-Valentin Alkan (1813-1888, 12 Etudes opus 35 qui annoncent Chopin) et Benjamin Godard (1849-1895, Symphonie Orientale); 3) en Russie, Anton Rubinstein (1829-1894) et même 4) aux Amériques, où a vécu, par épisodes, le globe-trotter Louis Moreau Gottschalk (1829-1869, La Nuit des Tropiques).
Note. Ces musiciens ne sont pas de valeurs égales et Mendelssohn est de loin le plus important de tous. Etonnamment précoce (Il n'avait que 16 (!) ans quand il a publié ses 13 brillantes Symphonies pour cordes), il a servi la musique allemande en assumant la vacance laissée par les disparitions quasi simultanées de Beethoven et Schubert et en redonnant vie aux Passions de Bach. La postérité a longtemps sous-estimé sa production musicale mais elle fait aujourd'hui amende honorable en enregistrant l'intégralité de son oeuvre, en particulier sa musique de chambre (Quatuor n°2) et celle d'inspiration religieuse (En priorité l'oratorio Elias et les merveilleux Psaumes). Hoffman (Symphonie en mi bémol majeur) a déjà été évoqué sur ce site et Moscheles (un ami de Beethoven), bien que moins essentiel, a aidé Mendelssohn au développement du Conservatoire de Leipzig, une institution appelée à devenir l'un des pôles centraux de la musique allemande (Il est également connu pour 7 Concertos pour piano plutôt bien conçus). Quant à Meyerbeer, il a surtout fait fortune à l'opéra (Le Prophète), au grand dam de Wagner qui peinait à comprendre comment des oeuvres aussi grandiloquentes pouvaient faire de l'ombre aux siennes, tellement plus novatrices.
C'est sur base de ce modeste inventaire que Richard Wagner (1813-1883) s'est autorisé à publier, en 1850 et sous un nom d'emprunt, un pamphlet demeuré tristement célèbre ("Das Judenthum in der Musik") où il a soutenu que la pénurie observée de compositeurs juifs n'était nullement le fruit du hasard mais le résultat d'une incapacité fondamentale à concevoir une musique digne de ce nom (Au grand effarement de Franz Liszt, il a récidivé, 19 ans plus tard, dans une version à peine amendée et signée cette fois de sa mai, ici en traduction française). Il y a développé la thèse fantaisiste qu'un manque d'intégration à la langue et la culture allemande, en particulier la pratique du yiddish judéo-allemand, a été un obstacle naturel à la composition d'une musique idiomatique (comprenez "germanique"). La motivation de Wagner a sans doute été plus prosaïque : peinant à ses débuts à imposer sa dramaturgie révolutionnaire alors que Meyerbeer volait de succès en succès, il a développé envers son rival une attitude revancharde dont il ne s'est jamais remis même lorsque la roue a tourné définitivement en sa faveur. Quant à Mendelssohn, également visé, il a, faute de mieux, fustigé son romantisme classique qu'il tenait pour dépassé.
Si le fait demeure que les compositeurs juifs ont été rares jusqu'à l'approche des années 1900, une explication plus sérieuse est à chercher du côté du poids des traditions liées au culte judaïque. Un peu d'Histoire (et de recul) ne peut faire de tort à ce stade.
C'est vers l'an 1100, dans le Nord de la France, qu'un projet est né d'une musique savante au service de la foi chrétienne. Parmi les trois religions monothéistes, le Judaïsme, le Christianisme et l'Islam, seule l'Eglise de Rome a en effet admis et encouragé qu'une musique de plus en plus complexe accompagne la pratique religieuse. Un chant polyphonique est né qui, hors de portée de l'assemblée des fidèles, a été confié à des chantres professionnels. Cette musique de plus en plus sophistiquée a clairement ambitionné d'être digne des cathédrales alors en pleine érection.
Ni le Judaïsme ni l'Islam n'ont suivi une voie comparable, demeurant fidèles à la pratique ancestrale de la cantillation : une lecture solennelle sobrement mélodique (et mélismatique dans la tradition coranique). Dans les deux cas, la musique y a joué un rôle subalterne, demeurant soumise à quelques exigences intangibles : être au service du texte sacré, éviter tout caractère mondain a fortiori hédoniste et proscrire toute forme de composition préméditée, de polyphonie et de pratique instrumentale. Enfin, le débit rythmique doit suivre la métrique de la langue sans intonation superflue (Cf, à ce sujet, Quelques réflexions sur la cantillation religieuse en Méditerranée, du musicologue libanais, Nidaa Abou Mrad).
Note. Ces restrictions religieuses sont donc à l'origine du retard accumulé par les musiciens juifs (et musulmans) au cours des siècles mais on pourrait en dire autant des peintres, entravés par l'interdiction de représenter les figures humaines a fortiori divines. Vous trouverez sur le site déjà mentionné une liste de peintres juifs mais aucune "grosse pointure" sauf Modigliani, Chagall et Rothko. Etrangement vous n'y trouverez pas le plus fameux de tous, Lucian Freud, petit-fils du célèbre neurologue et psychanalyste.
Revenons en France septentrionale : c'est l'expertise musicale acquise par plusieurs générations de musiciens franco-hennuyer-flamands qui leur a permis de régner sur le nouvel Art musical pendant quasiment un demi-millénaire (1100-1600). Les schismes que la chrétienté a connus au cours de son histoire n'ont fait que confirmer les raisons de cette souveraineté :
- La séparation des églises d'Occident et d'Orient (1204) a eu pour effet de figer le culte orthodoxe dans un chant intemporel et somptueux, sorte d'équivalent sonore des icônes byzantines. Satisfait de son état de perfection, ce chant n'a cependant pas envisagé la nécessité d'évoluer.
- La Réforme luthérienne (1517) a visé les nombreux excès du Vatican, en ce compris les audaces d'une musique d'église devenue "inutilement" savante. Par bonheur, Martin Luther (1483-1546) n'était pas que théologien, il était aussi un peu musicien et il n'a pas forcé la critique de ce côté : il ne s'est par exemple pas opposé à la Messe chantée en latin, la réduisant simplement aux seules parties, Kyrie et Gloria, qui ne glorifiaient pas explicitement l'église romaine (Messe brève). Le Concile de Trente (1545) a réagi à la menace luthérienne en confiant à Giovanni Pierluigi da Palestrina (1525-1594) la mission de brider les compositeurs devenus trop savants (Antoine Brumel, Messe à 12 voix) ou désinvoltes (Pierre Certon, Messe sur le Pont d'Avignon), voire grivois (Ludwig Daser, Missa Ung gay bergier). Fort heureusement, le rappel à l'ordre a été de courte durée : le Baroque naissant et l'entrée (tardive) des italiens en Musique ont tôt fait de relancer le mouvement dans la "bonne" direction. Même les Allemands, depuis Heinrich Schütz (1585-1672, Symphoniae sacrae I, composées à Venise en 1629), n'ont jamais cessé de lorgner du côté des inventions vocales et instrumentales de leurs collègues italiens, si bien qu'au bilan, la Réforme n'a jamais vraiment freiné les ambitions musicales de ses meilleurs musiciens, mondains (Georg Philip Telemann) ou savants (J-S Bach, un fervent protestant qui a fini par composer une Messe authentiquement catholique !).
- Le schisme le plus dommageable (pour l'Angleterre) a incontestablement été la réforme anglicane (1534). Davantage politique que religieuse, elle a fait pression sur les musiciens anglais afin qu'ils se contentent de (banals) "anthems" empruntant au "Livre des Common Prayers" de Thomas Cranmer (1489-1556). Un répit très relatif a cependant existé lors du long règne d'Elisabeth I (1533-1603) lors duquel William Byrd (1543-1623) a pu rejoindre une communauté catholique dissidente et composer trois messes dans les années 1590 (Messe à 5 voix, 1594). Ce fut une exception car, dans l'ensemble, seuls le madrigal et la musique instrumentale (centrée sur le virginal, le luth et la viole), ont échappé à la censure. Sur le long terme, la musique anglaise a perdu la profonde originalité de ses premiers pas en musique; ses atouts étaient pourtant considérables : une musique traditionnelle parmi les plus riches d'Europe et le talent de quelques compositeurs d'avant-garde dès les débuts de la Renaissance (Leonel Power (1370-1445, Gloria) et John Dunstable (1390-1453, Salve scema sanctitatis, heureusement conservé à Modène car hélas nombre de manuscrits ont brûlé dans les couvents anglais)). Les choses ne se sont pas vraiment arrangées aux époques baroque et classique au point que Londres, si friande de "bonne" musique, a dû faire venir Georg Friedrich Haendel puis Joseph Haydn pour animer sa vie musicale; elle a même demandé à Beethoven d'harmoniser ses propres chants traditionnels, anglais, écossais et gallois, un comble ! Voilà pourquoi les anglais, qui comptent parmi les peuples les plus mélomanes de la planète, ont longtemps déploré le manque de "grands" compositeurs capables d'entretenir une tradition insulaire. Il a fallu attendre la laïcisation progressive de la société anglaise pour voir enfin émerger et s'épanouir une école nationale digne de ce nom (Cf la chronique consacrée à la Musique anglaise, en particulier ses rapports compliqués avec la Dynastie des Tudor).
Note. La dette historique de la Musique savante envers l'Eglise de Rome a été largement remboursée au cours des siècles : un grand nombre de compositeurs ont réservé le meilleur de leur inspiration pour des oeuvres religieuses, même s'ils n'étaient pas forcément concernés par les problèmes de la foi (Cf la chronique consacrée à une Histoire de la Messe en musique). Les fidèles se sont par contre faits de plus en plus rares à l'église à mesure que la société occidentale s'est laïcisée et la plupart des musiciens ont suivi le mouvement sauf ponctuellement en Europe de l'Est (Henryk Gorecki, Arvö Pärt, Krzysztof Penderecki, ...).
Lorsque le Royaume d'Israël a été détruit par Salmanazar V, en -722, le peuple juif a commencé une longue errance vers l'Afrique (Communautés séfarades) et vers l'Europe (Communautés ashkénazes, celles qui vont nous intéresser plus particulièrement). Suite aux instabilités liées aux guerres de religion, les flux migratoires qui ont abouti en Europe occidentale se sont éventuellement réorientés vers l'Europe centrale et/ou de l'Est, finissant par trouver des terres d'accueil en Pologne, en Russie, mais aussi en Allemagne et en Autriche-Hongrie, des pays aux riches traditions musicales. Doués pour la pratique instrumentale - on en verra bientôt des exemples stupéfiants - des musiciens juifs ont appris les traditions musicales locales et bientôt manifesté l'intention d'y contribuer par écrit. Un premier tournant est apparu au 19ème siècle lorsque l'emprise religieuse s'est relâchée, ouvrant la porte à des conversions dans le pays hôte. A titre d'exemples, 1) le grand-père de Mendelssohn était un rabbin influent et c'est son père, banquier de son état, qui a converti sa famille au christianisme, 2) les parents d'Anton Rubinstein (1829-1894) ont épousé la religion orthodoxe alors qu'il était encore enfant et 3) une génération plus tard, Gustav Mahler (1860-1911, Symphonies n°9), Alexandre von Zemlinsky (1871-1942, Trio opus 3) et Arnold Schönberg (1874-1951, Gurrelieder) ont adhéré à la Réforme, peu importe que cela ait été davantage par opportunisme professionnel que par conviction religieuse, c'était le signe d'une évolution en marche.
Ensuite, une succession d'événements tragiques a contraint les (musiciens) juifs à émigrer à nouveau; l'un était liée à la Révolution bolchévique et l'autre, à la montée du National-Socialisme (On pourrait ajouter la désertion des pays du bloc soviétique en période de guerre froide). Ces exodes se sont fait vers l'Ouest continental, puis comme cela ne suffisait pas vers la Grande-Bretagne et surtout vers les USA. Ces mouvements incessants ont favorisé la laïcisation qui a pris de l'ampleur au cours des premières décennies du 20ème siècle : une pratique musicale intensive devenait possible qui de fait ne s'est plus arrêtée.
Avant de s'imposer en composition, les musiciens juifs se sont illustrés comme interprètes. Dès la fin du 19ème siècle, ils ont formé un contingent d'instrumentistes capables d'alimenter les grands orchestres américains alors en pleine formation. Ensuite les meilleurs d'entre eux se sont imposés comme solistes à tel point qu'à partir de 1945, il est devenu plus facile de trouver un grand interprète juif que non-juif, jugez plutôt :
- Au violon : Joseph Joachim, Fritz Kreisler, Henryk Wieniawski, Yehudi Menuhin, Joseph Szigeti, Jascha Heifetz, Joshua Bell, Leonid Kogan, Nathan Milstein, Henryk Szeryng, David Oistrakh, Isaac Stern, Gidon Kremer, Itzhak Perlman, Gil Shaham, Maxime Vengerov, Pinchas Zukerman, ...,
- Au piano : Arthur Rubinstein, Arthur Schnabel, Clara Haskil, Vladimir Horowitz, Emil Gilels, Hephzibah Menuhin, Vladimir Ashkenazy, Lazar Berman, Glenn Gould, Rudolph Serkin, Daniel Barenboim, Hélène Grimaud, Evgeny Kissin, Radu Lupu, Murray Perahia, András Schiff, ...,
- Au violoncelle : Jacqueline du Pré, Gregor Piatigorsky, Mstislav Rostropovich, Emanuel Feuerman, Steven Isserlis, Misha Maisky, ... ,
- A la direction d'orchestre : Jascha Horenstein, Victor de Sabata, Bruno Walter, Felix Weingartner, Otto Klemperer, Fritz Reiner, Pierre Monteux, Karel Ancerl, Eugene Ormandy, Serge Koussevitzky, Erich Leinsdorf, Georg Solti, George Szell, Leonard Bernstein, Antal Dorati, Mariss Jansons, Istvan Kertesz, Paul Kletzki, Kyril Kondrashin, James Levine, Lorin Maazel, André Previn, Daniel Barenboim, Leonard Slatkin, Michael Tilson Thomas, ... ! Qui peut dire mieux ?
Une évolution comparable s'est produite en composition et un inventaire des meilleurs contributeurs juifs au répertoire occidental est désormais possible sur base d'enregistrements disponibles. Deux séries discographiques en parution constante chez Naxos sont particulièrement précieuses, The Milken Archive of Jewish Music et American Classics.
Dans les paragraphes qui suivent, les compositeurs ont été rangés par pays d'accueil; une illustration sonore est proposée pour chacun sauf s'il s'avère qu'il a déjà été portraituré sur ce site auquel cas le renvoi est direct vers la chronique qui le concerne. Le lecteur pressé qui peine à distinguer les musiciens particulièrement dignes d'intérêt peut s'en remettre à un choix personnel donc discutable, reconnaissable à l'impression "en gras/italique" affectée à leurs noms. Pour un maximum de lisibilité, ils ont été répartis en deux groupes aux dimensions comparables : ceux restés en Europe et ceux ayant franchi l'Atlantique.
Parmi les compositeurs qui sont restés en Europe, on peut distinguer :
- Ceux qui sont restés dans la sphère d'influence soviétique tels, Maximilian Steinberg (1883-1946, Symphonie n°1), Samouïl Feinberg (1890-1962, Sonate n°3 pour piano) et Mieczyslaw Weinberg (1919-1996),
- Ceux qui se sont faits discrets en Allemagne ou en Autriche, dans les années 1930, ou qui y sont (re)venus de leur plein gré, après 1945 : Franz Schreker (1878-1934), Walter Braunfels (1882-1954), Alfred Schnittke (1934-1998), György Ligeti (1923-2006), Alexander Knaifel (1943-2024, Lukomoriye, minimaliste et parcimonieux), Ulrich Leyendecker (1946-2018, Concerto pour piano) et plus récemment, Lera Auerbach (1973- ).
- Ceux qui ont choisi de rester au pays : les danois Victor Bendix (1851-1926, Symphonies n°1 à 4) et Herman Koppel (1908-1998, Symphonie n°5), le bulgare Pancho Vladigerov (1899-1978, Concerto n°1 pour piano) et les hongrois Leó Weiner (1885-1960, Hungarian Folkdance Suite) et György Kurtág (1926- , Fin de Partie).
- Ceux qui sont nés en France ou qui y sont (re)venus après la guerre : les "ancêtres" André Gedalge (1856-1926, un musicien bien oublié de nos jours et pourtant sa Sonate pour violon & piano est pleine de distinction) et Paul (Abraham) Dukas (1865-1935, Symphonie en ut majeur, en 36:08); ensuite, une génération plus tard, Darius Milhaud (1892-1974, 12 Symphonies, La Création du Monde), Alexandre Tansman (1897-1986, d'origine polonaise, Symphonie n°4), Michaël Lévinas (1949- , Les Invariants) et Olivier Greif (1950-2000).
- Ceux, particulièrement intéressants, qui se sont contentés de franchir la Manche :
Egon Wellesz (1885-1974, Symphonies n°1, Idyllen), Hans Gál (1890-1987, Symphonies n°1 à 4), Berthold Goldschmidt (1903-1996, Quatuor n°2), Alexander Goehr (1932-2024, Symphonie opus 29; ne pas confondre avec son père Walter); ils ont rejoint Gerald Finzi (1901-1956) et Benjamin Frankel (1906-1973, Symphonie n°4), tous nés à Londres de parents prévoyants, comme le seront ultérieurement George Benjamin (1960- , Concerto pour orchestre) et Robert Saxton (1953- , formidables Scenes from the Epic of Gilgamesh).
- Paul Ben-Haim (né Paul Frankenburger, 1897-1984) a suivi une trajectoire très particulière : issu d'une famille sécularisée installée en Allemagne, il a rejoint la Palestine dès 1933, où il s'est posé comme le premier compositeur de valeur, israélien né allemand (Symphonie n°2, Quatuor opus 21, Concerto grosso pour orchestre).
- Enfin rappelons l'hommage rendu ici même aux musiciens morts dans les camps de l'Allemagne nazie, en particulier Terezin : Rudolf Karel (1880-1945), Erwin Schulhoff (1894-1942), Leo Smit (1900-1943), Pavel Haas (1899-1944), Gideon Klein 1919-1945), Hans Krása (1899-1944), Viktor Ullmann (1898-1944).
Méfiants quant à la sécurité que pouvait leur assurer la vieille Europe, nombre de musiciens juifs ont préféré rejoindre la société américaine qui n'en demandait pas tant. Parfaitement consciente du bénéfice que sa vie culturelle pourrait tirer de cette immigration de luxe, elle lui a offert une terre d'accueil à défaut d'être promise. Les compositeurs juifs ont investi la Musique américaine alors en pleine essor tardif (Cf Musique aux USA), au point de contribuer significativement à l'élaboration d'un art national seulement esquissé par George Gershwin (1898-1937, Concerto en fa), Aaron Copland (1900-1990, 3 Ballets) et Morton Gould (1913-1996, Sinfoniettas n°2 & n°4).
Une fois enclenché, le mouvement ne s'est plus arrêté à tel point que si, actuellement, la musique (d'inspiration) américaine peut revendiquer une place d'honneur dans le concert mondial, c'est très largement aux musiciens juifs qu'elle le doit : Leopold Godowsky (1870-1938, 53 Etudes d'après celles de Chopin), Richard Stöhr (1874-1967, Symphonie n°1), Ernest Bloch (1880-1959, Schelomo), Karl Weigl (1881-1949, Symphonie n°5), Ernst Toch (1887-1964) (Quatuors n°6 à 13, à connaître absolument), Arthur Lourié (1892-1966), Leo Ornstein (1893-2002, Sonate n°4), Karol Rathaus (1895-1954, Symphonies n°2 & 3, Trios à clavier), Mario Castelnuovo-Tedesco (1895-1968, Oeuvres pour violon & piano), Jaromír Weinberger (1896-1967, Schwanda the Bagpiper, un opéra à découvrir), Erich Wolfgang Korngold (1897-1957), Kurt Weill (1900-1950, Symphonie n°2, une oeuvre antérieure à l'exil car après, Kiddush, cela se gâte), Stefan Wolpe (1902-1972, Passacaille pour orchestre), Franz Waxman (1906-1967, Sinfonietta, une oeuvre qui montre le compositeur à l'aise en dehors des studios de Hollywood), Miklós Rózsa (1907-1995, Concerto pour violon, même remarque), William Schuman (1910-1992, Symphonie n°3), Bernard Herrmann (1911-1975, Symphonie n°1), Ingolf Dahl (1912-1970, brillante Sinfonietta), Arthur Berger (1912-2003), Jerome Moross (1913-1983, légère Symphonie n°1), Irving Fine (1914-1962, Symphonie), David Diamond (1915-2005, Symphonies 1 & 10, par exemple), George Perle (1915-2009, Concerto n°1 pour piano), Leonard Bernstein (1918-1990, Sérénade d'après Platon), George Rochberg (1918-2005), Leon Kirchner (1919-2009, Music for orchestra), Harold Shapero (1920-2013, Sinfonia en ut mineur, un superbe enregistrement dans le cadre du Boston Modern Project), Lukas Foss (1922-2009), Leo Kraft (1922-2014, Symphonie en un mouvement), Harold Blumenfeld (1923-2014, Illuminations), Benjamin Lees (1924-2010, Symphonie n°2), Jacob Druckman (1928-1996, Chiaroscuro), André Previn (1929-2019, A Streetcar Named Desire, un des grands opéras américains), Mauricio Kagel (1931-2008), John Corigliano (1938- The Ghost of Versailles), Judith Lang (1940- , Trio n°1), Arnold Rosner (1945-2013, Quatuor n°4), Peter Lieberson (1946-2011, Quintette à clavier), Richard Danielpour (1956- , Symphonie en 3 mouvements), Steve Reich (1936- ) et Philip Glass (1937- ). A noter la présence, dans cette (longue !) liste, de musiciens tentés par l'aventure cinématographique vue comme une rampe de lancement pour des partitions plus ambitieuses (Waxman, Korngold, Rózsa, Herrmann, Moross, Glass, ..., Cf Le Siècle des (frères) Lumière).
Si Reich et Glass font désormais partie des classiques américains, la génération suivante, qui leur doit beaucoup, n'est pas moins intéressante même si un tri doit encore être opéré. On y trouve des musiciens décomplexés, affranchis du poids de toutes les traditions et qui se moquent pas mal des sanctions d'écoles : Paul Dresher (1951- , Liquid And Stellar Music, une oeuvre atypique maxi-minimaliste), Richard Einhorn (1952- , Voices of Light, une oeuvre minimaliste efficace quoique sans réelle prétention), Tobias Picker (1954- , Symphonie n°1), David Lang (1957- , The little Match Girl Passion), Nathan Currier (1960- , Musical Banquet, Hildegard's Symphony & From the Grotto, du moderne comme on l'aime), Aaron Jay Kernis (1960- , Concerto pour alto, Symphonie n°4, un musicien à découvrir !) et Jonathan Leshnoff (1973- , Concerto pour piano, Symphonie n°4, simple encore fallait-il oser y penser !).
La réussite des compositeurs d'extraction juive aux USA est particulièrement impressionnante mais elle ne doit rien au hasard. En investissant la vie musicale de leur pays d'adoption, lors de deux vagues successives (vers 1918 et 1938), Ils ont eu l'occasion de monter dans un train qui n'était pas parti depuis bien longtemps : la musique américaine a en effet longuement cherché sa voie (Cf à ce sujet Musique aux USA) et c'est la coïncidence de ces deux développements tardifs qui a permis de marier les objectifs à atteindre et les moyens d'y parvenir.
Cette intégration réussie peut être vue comme une réponse aux élucubrations de Richard Wagner décrites ci-avant. On peut ajouter que le bilan scientifique n'est pas fondamentalement différent, ce qui nous ramène aux propositions liminaires.