Steve Reich est, avec Philip Glass, le représentant le plus illustre de l'école minimaliste américaine, initiée par Terry Riley en réaction aux dérives du mouvement (post)sériel. Le début de leur carrière est étrangement similaire. Leurs études supérieures, en particulier, à la célèbre Julliard School, les avaient naturellement orientés vers la mouvance sérielle, la seule à être académiquement enseignée à cette époque. L'un et l'autre s'en sont rapidement séparés pour rejoindre, chacun à sa manière, le minimalisme qu'ils préfèrent appeler "Musique écrite sur base de structures répétitives". Ils se sont liés d'amitié à une époque où, leur musique ne rencontrant aucun succès, ils étaient, l'un et l'autre, obligés de survivre grâce à de petits boulots. C'est ainsi qu'on les retrouve, très provisoirement, à la tête d'une entreprise de déménagement ! Lorsque le succès a commencé à poindre le bout de son nez, ils se sont quittés, séparés par une rivalité sans réel objet tant leurs musiques, proches au départ, se sont différenciées par la suite.
Le courant minimaliste cherche, dans son principe, à créer une atmosphère hypnotique sur base de la répétition infinie de motifs mélodiques, c'est le point de vue majoritairement adopté par Glass, ou rythmiques, c'est celui adopté par Reich. Dans les deux cas, des modifications motiviques localement peu perceptibles à l'oreille distraite prennent de l'ampleur au cours du temps, donnant l'impression d'une tapisserie en évolution permanente.
Reich a redéfini sa conception de la musique répétitive où le rythme est traité de façon mélodique. Il parle de musique de déphasage, une allusion au procédé d'écriture qui, superposant des phrases musicales évoluant à des vitesses différentes, crée des alternances de déphasages et de rephasages. Une de ses premières oeuvres, outrageusement rudimentaire, allant dans ce sens est intitulée Pendulum music (1936).
Elle fait osciller plusieurs pendules simples (généralement 2 ou 4), en fait des microphones, de longueurs légèrement différentes. A la verticale de la position de repos des pendules, se trouve un générateur de son et le tout est relié à des haut-parleurs. Je laisse deviner l'effet produit par les physiciens que vous êtes peut-être. Transposé au violon, le résultat est déjà plus flatteur (plage 2).
La musique de Reich a très vite dépassé le stade artisanal. Sa première œuvre d'envergure à avoir connu un franc succès est Music for 18 Instruments. Fait exceptionnel pour une œuvre de cette difficulté, elle a connu une demi-douzaine d'enregistrements dont celle du Steve Reich Ensemble, qui devrait avoir votre préférence.
Reich ne se contente pas d'explorer les possibilités du déphasage rythmique. Il incorpore d'autres procédés d'écriture caractéristiques :
Percussionniste de formation, Reich a beaucoup écrit pour marimbas, xylophones, etc ..., mais beaucoup moins pour l'orchestre traditionnel. Ses rares essais dans le genre sont cependant parfaitement réussis : The four Sections, sorte de Concerto pour orchestre, met en évidence les sections de l'orchestre (cordes, percussions, bois & vents et enfin l'orchestre au grand complet) tandis que "Three Movements" (ré)orchestre des extraits de trois oeuvres antérieures, The Desert Music, Sextet et New York Counterpoint.
La musique de Steve Reich est immédiatement reconnaissable et, fait assez rare pour être souligné, elle fait l'objet d'un consensus admiratif parmi la critique, les musiciens de tous bords et un public plutôt jeune. Steve Reich présente, en effet, cette particularité exceptionnelle d'avoir conservé les bonnes grâces des censeurs qui ont tenté, heureusement sans succès, d'excommunier tous ceux qui désertaient le sérialisme. Une explication possible est que la musique de Reich refuse toute référence à un idéal de beauté, au sens apollinien du terme : sa tenue totalement spartiate n'a, en conséquence, jamais été considérée comme "suspecte". Tous apprécient en tous cas la sûreté du métier déployé.
L'extrême subtilité rythmique de cette musique pose de réels problèmes aux interprètes. Admirez, au passage, la concentration des acteurs de Clapping Music et comparez avec le désordre des applaudissements finaux ! Toutes aussi périlleuses sont les utilisations chorégraphiques qu'on peut espérer en faire. Les compagnies de danse moderne font, de fait, un appel fréquent à la musique de Reich : elles apprécient particulièrement l'évolution subtile et implacable de sa pulsation. Danser ou faire danser en mesure sur cette musique est une performance que réussit parfaitement la belge et néanmoins mondialement célèbre chorégraphe, Anne Teresa De Keersmaeker, à la tête de sa compagnie "Rosas".
L'œuvre de Reich n'est pas très abondante mais elle est de qualité constante : Triple Quartet (pour Quatuor à cordes sur fond de deux préenregistrements multipistes dus au Quatuor Kronos), Sextet, Octet - superbe ! -, Music for large Ensemble, Desert Music - pour choeur et orchestre - et l'opéra vidéo, Three Tales. Exigeante pour l'oreille, elle ne révèle son pouvoir hypnotique qu'à la longue et une écoute attentive est indispensable si l'on veut goûter aux subtilités de ses méandres. Elle a été enregistrée pour l'essentiel et certaines partitions l'ont même été plusieurs fois ce qui est remarquable pour une musique de cette difficulté. Le site jpc n'est pas avare de références de qualité