S'il est un bienfait que l'on ne peut contester à l'Eglise catholique, c'est son apport essentiel au monde de l’art : les cathédrales, bien sûr, et quantité d’églises beaucoup plus modestes dans leur architecture, mais aussi les sculptures, les peintures et peut-être surtout les musiques qu'elle a inspirées. Aucune des dissidences connues par l'Eglise - luthérienne, calviniste, anglicane ou autres évangéliques - ne peut se targuer d'avoir motivé, à ce point, les artistes et singulièrement les musiciens.
Il faudrait, de fait, être aveugle pour mettre sur un pied d'égalité l'architecture d'une cathédrale et celle d'un temple et être sourd pour confondre une messe polyphonique avec un psaume calviniste (ou un choral luthérien).
Il est particulièrement remarquable que beaucoup de musiciens ayant écrit de la musique sacrée n'étaient pas nécessairement concernés par les problèmes de la foi. On trouve pêle-mêle : des catholiques convaincus (Monteverdi, Vivaldi, Messiaen), des protestants tout aussi fervents (Schütz, Bach), des maçons façon 18ème siècle (Mozart), des déistes (Beethoven), des dramaturges exaltés (Berlioz, Verdi), etc. Tous ont eu, en commun, de s'être frottés au divin avec leurs convictions personnelles et en investissant le meilleur de leurs forces créatrices.
Aucun genre musical ne peut se targuer d’avoir inspiré autant de chefs-d’œuvre à autant de compositeurs différents : les messes de Dufay, les messes et les motets de Desprez, la Selva Morale de Monteverdi, les cantates, les passions et les messes de Bach, les oratorios de Haendel, la musique sacrée de Vivaldi, les messes de Haydn, de Mozart, de Beethoven et de tous ceux qui ont suivi au 19ème siècle (Berlioz, Verdi, Fauré, ...).
On note que les musiciens cités ne sont pas de première jeunesse et le fait est que plus on avance dans le temps, plus la société se désacralise et moins on écrit de (bonne) musique d'église. Celle que l'on entend aujourd'hui, lors des offices du dimanche, a de quoi faire fuir et de fait, les fidèles se font de plus en plus rares. On pense les inciter à revenir en leur servant des musiques bâtardes, au goût douteux du jour et on ne pense jamais à faire l'inverse : restaurer les grandes œuvres du passé ou en créer de nouvelles à leur image. On a décidément la musique qu'on mérite.
L’histoire du chant de l’Eglise chrétienne remonte bien avant l’an mille et les pratiques étaient très différentes en Orient et en Occident, basées l’une sur le chant byzantin et l’autre sur le vieux chant romain, celui qui a donné naissance au chant grégorien. Cette appellation doit son nom au pape Grégoire Ier (540-604) qui n'est pourtant probablement pour pas grand-chose dans une codification musicale fixée bien plus tard, sous le règne de Charlemagne.
On a gardé de très nombreux ouvrages luxueusement édités qui reprennent ces chants dans une notation à base de neumes inscrits sur une portée à 4 lignes que les éditions modernes conservent d'ailleurs en l'état.
Le mélomane peut facilement se faire une idée des différences colossales qui séparent les univers sonores primitifs, orientaux et occidentaux.
On a tenté, au cours des siècles, d'adoucir la sévérité du plain-chant. Un procédé intéressant porte le nom de machicotage. Il s'agit d'une ornementation de la ligne grégorienne procédant par ajout de notes intercalaires et de mélismes entre les tierces. Jadis très en vogue dans le diocèse de Paris et singulièrement à Notre-Dame, cette technique, proscrite cependant lors de l'office des morts, a disparu au 19ème siècle, sous le coup des réformes grégoriennes. L'ensemble belge Graindelavoix, a relevé le défi de restaurer cette pratique dans les intermèdes de plain-chant qui séparent les parties de la Missa Caput d'Ockeghem. L'enregistrement réalisé est fascinant.
Si la tradition byzantine déployait plus de charmes immédiats, la tradition grégorienne allait s'avérer plus féconde au point qu'il ne faut pas chercher ailleurs les raisons de l'émergence d'une tradition savante en Occident.
Le chant byzantin souffre, en effet, du défaut d’avoir trop vite exprimé explicitement ce qu’il pouvait dire. L’ornementation abondante, qui fait son attrait immédiat, se retourne contre lui lorsqu’il s’agit de prévoir les évolutions possibles vers des compositions plus élaborées. Cette musique est largement restée en l'état d'origine, se contentant de déployer des lignes mélodiques horizontales et ne voyant pas davantage l'intérêt d'assimiler les progrès de la facture instrumentale.
Le chant grégorien n’est plus pauvre qu’en apparence car en réalité, il est potentiellement beaucoup plus riche. C’est la simplicité de son matériau de base qui a permis l’élaboration de la verticalité en musique, le déploiement simultané de plusieurs voies autonomes, bref de la polyphonie puis beaucoup plus tard, de la symphonie sans lesquelles la musique savante occidentale ne serait pas ce qu’elle est aujourd’hui.
L'histoire de la musique savante occidentale a coïncidé, pendant trois siècles, avec celle de la messe mise en musique. Les musiciens médiévaux furent les premiers à comprendre qu'ils pouvaient concevoir des musiques de célébration du culte dignes des lieux qui les abritaient. L’aube de la Renaissance a scellé cette entente en favorisant l’exercice d’une polyphonie de plus en plus savante, au point que l’exercice de l’art a fini par prendre l’ascendant sur celui du culte. La papauté s'est alors émue de ce qu'elle a considéré comme une dérive et a profité de la nécessité d’une contre-réforme pour rappeler les musiciens à l'ordre; c'était, de fait, la fin d'une époque.
Les siècles ultérieurs allaient heureusement permettre aux dérives de reprendre, au prix, il est vrai, d’une distanciation qui allait insensiblement déplacer les musiciens et leurs auditeurs, de l’église vers la salle de concert.
L'histoire de la musique sacrée occidentale est tellement riche que ce billet se concentre sur la forme particulière de la mise en musique de l'office de la messe catholique. Ce sujet est un univers en soi que nous réduirons à sa partie la plus significative.
Bien que l’ordinaire de la messe ait été fixé dans la succession de ses parties principales - Kyrie-Gloria-Credo-Sanctus-Benedictus-Agnus Dei - dès le 9ème siècle, on ne chantait, au début, que des mouvements isolés de messes, entrecoupés de plain-chant.
Les premières messes connues (dites de Barcelone, de Tournai (ca 1370) & de Toulouse) et complètes, au sens liturgique du terme, sont anonymes et disparates au plan des notations. La première messe signée est celle de Machaut.
La Messe Nostre Dame (ca 1360?) de Machaut (orthographié Machault par certains) est, sans doute, le premier sommet de la musique : l’œuvre d’un homme qui signe son œuvre avec la conscience - ne disons pas l'espoir - qu'elle lui survivra. Elle appartient au courant artistique de l'Ars Nova, tel que codifié par Philippe de Vitry. L’absence relative de règles coercitives, qui ne viendront qu’un siècle plus tard, rend cette musique très libre d’expression et d'un modernisme comparable à celui qu'on découvre dans les plus belles peintures de l'époque.
Les spécialistes sont loin d’être d’accord sur la façon dont cette musique doit être restituée; si elle doit être accompagnée ou entrecoupée d’épisodes instrumentaux. Les très nombreux enregistrements que nous possédons montrent clairement l’étonnante diversité des approches possibles. Vous pouvez vous livrer au jeu des comparaisons et il n’est nullement exclu que la version que vous préférerez s'éloigne de ce que les spécialistes considèrent comme l’idéal musicologique, celui qui colle théoriquement au plus près d’une "vérité interprétative historique". C’est probablement mon cas lorsque j’avoue, sans la moindre honte, aimer l’interprétation un brin iconoclaste du souvent controversé, René Clemencic. Celle de l'ensemble Alfred Deller, tout aussi ancienne, est également mémorable. Enfin, parmi les versions modernes, voici, en intégralité et entrecoupée de passages en plain-chant, celle de l'Ensemble Gilles Binchois.
La messe de Machaut est un monument isolé dans le paysage de l’époque. Il a fallu attendre un siècle pour que se développent des techniques de composition polyphonique de plus en plus savantes incorporant un principe d'unité stylistique. Les messes cycliques voient, de fait, leurs différentes parties reliées par un motif mélodique de base (appelé Cantus Firmus), emprunté au chant grégorien.
La Haute Renaissance fut l’âge d’or de la messe polyphonique, celui où les audaces contrapuntiques se sont mises en place, au fil des générations successives.
Sur le continent, les franco-flamands (issus du nord de la France et de la Belgique hennuyère actuelle) ont régné en maîtres pendant deux siècles :
Guillaume Dufay (1400-1474) - à gauche sur la "photo" - est probablement né à Cambrai : c'est la première grosse pointure de l'histoire musicale. Une douzaine de ses messes complètes nous sont parvenues et ont été enregistrées (L'Homme armé, Se la face ay pale, L'Homme Arme, Caput, ...). Le Binchois Consort et son homologue français, l'ensemble Gilles Binchois, excellent dans ce répertoire mais ils ne sont pas les seuls. Les deux dernières messes, Ecce Ancilla Domini et Ave Regina Coelorum sont les deux grands chefs-d'œuvre de Dufay. Elles sont inexplicablement rarement enregistrées donc je conserve précieusement d'anciens enregistrements sur vinyle, réalisés par le Clemencic Consort (encore lui, je suis fan !). Souvent snobé par les puristes, cet ensemble n'a pas son pareil pour remuer les montagnes de la foi.
Gilles Binchois (1400-1460) - à droite sur la même photo - né à Mons (près de Binche !) en Belgique, fut l'exact contemporain de Dufay. Ecoutez sa Missa Ferialis (plages 10 à 15).
Johannes Ockeghem (1425-1497), né à Saint Ghislain, également près de Mons, appartint à la génération suivante. Outre la Missa Caput, déjà évoquée, il en a écrit beaucoup d'autres (Prolationum, L'homme armé, Mi-mi, ...).
Josquin Desprez (1440-1521), surnommé le Prince des musiciens par ses contemporains, fit partie de la génération suivante. Né en Picardie pour les Français, en Hainaut pour les Belges, ses motets et ses nombreuses messes brillent par un équilibre vocal parfait. Vérifiez-le sur l'exemple de la célèbre, Missa Pange Lingua superbement chantée par les ensembles Janequin et Organum, réunis pour la circonstance. Ecoutez encore les messes De beata Virgine, La Sol Fa Ré Mi, Missa Hercules dux Ferrariae, Fortuna desperata, Malheur me bat ou L'Homme armé.
Citons encore quelques compositeurs importants de cette époque, Heinrich Isaac (1450-1517) (Missa de Apostolis, Missa Paschalis), Jacob Obrecht (1457-1505) (Missa Maria Zart), Adrian Willaert (1490-1562) (Missa Christus resurgens; la Missa Benedicta es est d'attribution incertaine, le nom du trop peu connu Nicolle des Celliers de Hesdin (1500-1538) ayant été également avancé) et réservons une mention spéciale à l'extraordinaire Missa Ecce Terrae Motus (Messe du tremblement de terre, à 12 voix !) d'Antoine Brumel (1460-1513). L'entendre chantée in situ par l'ensemble Huelgas, disposé en cercle, provoque une ivresse sonore indescriptible.
Au fil du temps se sont se multipliées des messes parodies prenant, comme motif de base, non plus une mélodie grégorienne mais un chant, voire une chanson profane. La mélodie "L’Homme Armé", un tube du 15ème siècle attribué à Antoine Busnois, a été parodiée par les plus grands compositeurs de l’époque : Dufay, Obrecht, Ockeghem, Binchois, Desprez (deux fois).
Le principe de cette parodie est beaucoup plus sophistiqué que ce qu'un esprit simple pourrait imaginer : il ne s'agit nullement de copier servilement la ligne mélodique mais d'en utiliser les intervalles et les rythmes, sous une forme le plus souvent cryptée. Voici par exemple, un extrait de l'Agnus Dei de la Missa l'Homme Armé super Voces Musicales de Josquin Desprez que vous comparerez à la mélodie d'origine (patientez 60 secondes).
L'usage que Karl Jenkins (1944- ), a fait de la même mélodie, dans sa messe Armed Man, est très différent puisqu'il la cite explicitement.
Des excès ont bientôt vu le jour, contribuant à faire le lit d’une réforme qui flottait dans l’air du temps : la messe "Sur le pont d’Avignon" de Pierre Certon est encore bien sage mais d’autres ont suivi, sur des airs connus à l’époque comme nettement gaillards, voire franchement grivois. C'est ainsi qu'on découvre, sous la plume de Roland de Lassus (1532-1594), des Missae Vinus bonum, Suzanne un jour, Entre vous filles, etc.
L'Angleterre, catholique et romaine jusqu'en 1531, ne fut pas en reste avec le continent :
Le genre va cependant disparaître progressivement avec l'apparition du culte anglican, une tendance accélérée suite à la tentative d'assassinat de Jacques 1er par les catholiques, en 1605 (Conspiration des poudres). Seuls quelques courageux musiciens resteront fidèles à leur foi catholique, au prix de sévères persécutions.
Notes relatives aux problèmes d'interprétation : Il est inévitable que des musiques écrites, il y a plus de 500 ans, posent des problèmes d'interprétation impossibles à résoudre complètement. Une notation musicale, même en progrès constant, était incapable de fixer toutes les nuances que la tradition entretenait oralement à l'époque. Les ensembles spécialisés dans l'exécution des musiques anciennes résolvent le problème chacun à leur manière et c'est, au fond, très bien comme cela : il serait très ennuyeux qu'ils se recopient servilement. Il reste à chaque auditeur à faire le choix personnel qui lui convient. Voici quelques ensembles célèbres qui se consacrent à la musique ancienne : certains disparaissent mais il en naît de nouveaux chaque année. Dans tous les cas, le CD est là qui garde vivant le témoignage de chacun.
Quelques ensembles anglais, Westminster Cathedral Choir, The Sixteens, The Tallis Scholars, cultivent les voix blanches. C'est un héritage de la tradition chorale anglaise où les voix de garçons dominent. Les autres ne pratiquent pas ce son détimbré : les ensembles Hilliard, King's Singers, Deller Consort, Pro Cantionae Antiqua, The Early Music Consort of London respectent un "meilleur" équilibre des voix.
Les ensembles belges, Huelgas, Capilla Flamenca, La Chapelle Royale, Graindelavoix comptent parmi les meilleurs. Ce pays a d'ailleurs toujours été très actif dans le domaine de la musique ancienne, comptant nombre de pionniers.
Quelques phalanges françaises se distinguent également : les ensembles Organum, Gilles Binchois, Clément Janequin, etc.
Les rapports entre la musique et l'église vont se compliquer à partir du 16ème siècle et les guerres de religion ne sont pas pour rien dans cette rupture d'entente. La dissidence protestante (Luther 1517) a eu, à cet égard, des conséquences dévastatrices :
Outre les messes de Palestrina, on retiendra celles - plus ou moins contemporaines - de Christobal de Morales (1500-1553) (Missa de Beata Virgine, Missa Mille Regretz - superbe ! -), Andrea Gabrielli (1510-1586) (Missa Pater peccavi, Missa Quando Lieta Sperai), Philippe de Monte (1521-1603) (Missa Sine Nomine), Francisco Guerrero (1528-199) (Missa Batalla escoutez), Roland de Lassus (1532-1594) (Missa Tous les regretz), Alonso Lobo (1555-1617) (Missa Simile est Regnum Caelorum).
Aussi admiratif qu’on puisse l'être pour la science développée par ces musiciens obligés de cuisiner avec les restes, force est de reconnaître que la musique vocale fonçait dans une impasse : le respect d'un canon unique débouchait inévitablement sur la monotonie. Elle n'en sortira que par la grâce des musiciens italiens qui se réveillèrent enfin : alors que dans les autres arts, l'Italie était à la tête de la Renaissance, au point de l'incarner, en musique, elle était bizarrement à la traîne. Certes, elle hébergeait depuis longtemps des cours princières férues de musique mais les musiciens locaux n'y jouaient qu'un rôle étrangement subalterne. Un musicien de génie va rattraper ce retard, à l'approche des années 1600, préparant un règne transalpin qui allait durer trois quarts de siècle. C'était, de fait, la fin de l'hégémonie franco-flamande.
L’illustre Claudio Monteverdi (1567-1643) fut le grand artisan de la Renaissance musicale italienne, qu'il a portée à son plus haut niveau. Le catalogue de ses œuvres laisse clairement voir l'écartèlement qu'il a subi entre une contre-réforme toujours active lui dictant le style sévère en usage (Stile Antico) et un instinct très sûr le poussant vers une pratique musicale moderne (Stile nuovo) où la polyphonie verticale digérait le style madrigalesque horizontal récemment mis au point par des précurseurs italiens. Ces deux "Stile" coexistèrent un temps dans son œuvre majeure, la Selva Morale, un vaste recueil de pièces religieuses écrites pour Saint-Marc de Venise. Ce recueil ne contient que deux messes, hélas en stile antico, dont la Missa In illo Tempore est la plus connue.
Ses successeurs, Francesco Cavalli (1602-1676) (Missa concertata) et Giacomo Carissimi (1605-1674) (Missa l'Homme armé), entretinrent la suprématie italienne, conjointement avec une pléiade d'instrumentistes virtuoses qui surent profiter de l'essor de la lutherie.
Vers la fin du 17ème siècle, l'Italie a pourtant progressivement perdu son hégémonie musicale du fait d'une concurrence de plus en plus rude en provenance d'Espagne, de France et surtout d'Allemagne.
En Espagne, Joan Cererols (1618-1680) a pris, lui aussi, ses distances avec le style ancien (Missa de Batalla - à ne pas manquer ! -). Le genre s'est d'ailleurs exporté aux Amériques hispaniques (Missa de Batalla de Fabián Pérez Ximeno (1595-1654) ou Missa de Batalla de Francisco López Capillas (1608-1674)).
En France, les fastes de la cour Versaillaise réclamaient une musique authentiquement française qu'un Italien, Lully (1632-1687), leur a forgée de toutes pièces, particulièrement au théâtre. Ce Lully était un intrigant qui fit au moins une victime de poids, Marc Antoine Charpentier (1643-1704), en obtenant de Louis XIV l'exclusivité de l'accès à la scène. Charpentier dut patienter jusqu'à la mort de son rival pour obtenir réparation, écrivant de la musique d'église dont une impressionnante série de messes : Messe de Minuit, Missa Assumpta est Maria, brillante Messe de Monsieur de Mauroy, etc.
En Autriche, c'est Heinrich Franz von Biber (1644-1704), d'origine tchèque, qui a honoré le genre des plus belles œuvres : Missa Alleluja à 36 voix, Missa Bruxellensis, Missa Salisburgensis (autant de musts festifs !), etc.
C'est précisément vers 1700 que la domination musicale austro-allemande s'est installée durablement pour deux siècles. Trois sommets de la musique, appartenant aux mondes baroque, classique et romantique, résument cette suprématie, désormais ancrée dans l'inconscient collectif :
A côté de ces trois chefs-d'œuvre inégalés, on compte, entre 1700 et 1900, beaucoup de messes de valeurs, écrites par des musiciens de toutes convictions. Nous les avons, à nouveau, classées par époques, en nous limitant aux plus significatives. Il en existe certainement beaucoup d'autres et de fait, on en exhume régulièrement.
Outre la Messe en Si, Jean-Sébastien Bach a écrit 4 messes luthériennes (encore appelées Messes brèves), BWV 233 à 236, qui bien qu'également parodiées, sont d'authentiques chefs-d'œuvre. L'enregistrement mentionné, dirigé par Philippe Herreweghe, est de toute beauté. Incontournable !
Un autre grand pourvoyeur de messes, à cette époque, fut le Tchèque Jan Dismas Zelenka (1679-1745), un génie encore trop méconnu. J'aurais souhaité réparer cette injustice en affichant son portrait mais il n'en n'existe aucun dont l'attribution soit certaine. Il a écrit une trentaine de messes dont certaines ont été enregistrées : Missa Circumcisionis, Missa Dei Patris, Missa Votiva, Missa Gratias Agimus Tibi, Missa Purificationis, etc. Le finale du Gloria de la Missa dei Filii est une course folle du choeur qui culmine dans un Amen extraordinaire de virtuosité (essentiel !).
Si le grand Haendel n'a pas écrit pour l'office catholique, il n'en va pas de même de cet autre Saxon trop peu connu, Johann Adolph Hasse (1699-1783) qui lui, a pris la précaution de poser pour l'éternité. Voici, en illustration, la Missa Ultima et la Messe en sol mineur.
Poursuivez votre promenade baroque en écoutant, au hasard, cette sélection d'extraits d'œuvres de qualités et d'originalités diverses :
A partir de 1750, les musiciens ont pris de plus en plus de libertés avec les exigences du culte, oubliant purement et simplement les recommandations du Concile de Trente ! Avec l'avènement du classicisme, la musique d'église s'est progressivement transformée en un genre franchement décoratif dont le style Rococo est l'équivalent architectural parfait.
En Bohême, l'un des berceaux du classicisme, Frantisek Tuma (1704-1774) force le respect avec cette Missa veni Pater Pauperum tandis que bien plus tard, Jakub Jan Ryba (1765-1815) a écrit des œuvres joyeusement populaires, cultivant un style volontairement (?) naïf (Missa Pastoralis).
Les deux grands maîtres de l'époque classique, Haydn et Mozart, n'ont pas été avares de messes, ils en ont écrit une bonne douzaine chacun. La Messe Nelson de Joseph Haydn (1732-1809) est l'exemple parfait de la messe festive qui plaît à tous les amateurs de trompettes et de choeurs. Quant à la Messe en ut mineur, KV 427 de Mozart, elle n'est pas loin d'égaler, en puissance, le Requiem.
Il ne faut surtout pas oublier, Michael Haydn (1737-1806), le talentueux et beaucoup trop négligé frère cadet de Joseph, ami et inspirateur de Mozart à Salzbourg, dont voici les Missa Sancti Hieronymi, Missa a Tre et Missa Tempore Quadragesimae, extraites d'un vaste catalogue.
Deux musiciens ont, chacun à leur manière, fait la transition entre le classicisme et le romantisme. Outre l'immense Missa Solemnis déjà citée, Beethoven a écrit une autre messe aux proportions plus modestes : la Messe en ut, opus 86, qui vaut cependant un sérieux détour.
Luigi Cherubini (1760-1842), ici peint par Ingres, était un musicien remarquable que Beethoven considérait d'ailleurs comme le plus grand de son temps (on suppose qu'il se mettait hors concours !). Il a servi tous les régimes à une époque où cela nécessitait des compétences d'équilibriste, écrivant pour les intronisations, les exécutions et les enterrements des grands de l'époque : Messes à la mémoire de Louis XVI, du Couronnement de Charles X puis de Louis XVIII, de funérailles du Prince Esterhazy plus une série d'œuvres non nécessairement dédicacées à une cérémonie particulière (Messe de Sainte Cécile, Missa Solemnis n°2).
Joseph Simon Mayr (1763-1845) est l'un de ces petits maîtres qui ont dû vivre dans l'ombre du géant Beethoven. Voici, pour la petite histoire, sa Messe en do dont le Kyrie initial emprunte le thème du trio opus1 n° 3 du Maître de Bonn. Tant qu'à emprunter, autant choisir ses modèles !
Les messes de Franz Schubert et d'Anton Bruckner encadrent précisément le romantisme :
Entre les deux, on saluera au passage des œuvres d'importances diverses; à chacun de se faire une opinion :
Des musiciens qu'on associe habituellement à la scène se sont mis, eux aussi, à l'écriture de messes un brin théâtrales, on s'en doute :
Cependant, plus on avance dans le 19ème siècle, plus la pratique du genre se fait rare. Pour la première fois dans l'histoire de la musique, des musiciens importants - Tchaïkovski, Wagner, Mahler, Debussy, etc. - n'écrivent pas une note pour l'église. C'est un signe des temps et c'est à ce point qu'il faut chercher pour trouver des messes (de valeurs toutes relatives) :
La liste ne prétend pas être complète mais les faits sont là : les messes se comptent désormais sur les doigts de quelques mains à peine !
Le 20ème siècle va amplifier le déclin de la spiritualité en musique et la position dominante de la Russie communiste n'arrangera pas les choses. Seuls quelques musiciens se sont ponctuellement intéressés à un genre délaissé :
Dans ce désert musical, j'ai fait un peu de place pour une curiosité, réservée aux initiés : la Missa Adormus te, Opus 21, de Johann Senstschmid (1936- ). Cette œuvre est écrite selon la technique des 12 sons de Josef Matthias Hauer, évoquée par ailleurs. Ecoutez l'exhortation grégorienne qui prélude le Credo et sa suite dodécaphonique : n'est-ce pas là une sorte de retour aux sources versions 12 sons ?
On prête cette phrase à André Malraux (1901-1976) : "Le 21ème siècle sera religieux (ou spirituel?) ou ne sera pas". Le fait est qu’en musique, le retour à une forme de spiritualité est perceptible, singulièrement en Europe orientale et septentrionale. Certes, aucune des œuvres qui suivent n’est comparable à la Messe en si, au Requiem ou à la Missa Solemnis car il faut bien s’en faire une raison, en musique plus que dans n’importe quel autre forme d’art, il est des sommets qui n'ont plus jamais été atteints.
Voici néanmoins quelques œuvres récentes qui augurent peut-être d'un renouveau du genre. Elles sont l'œuvre de musiciens confirmés :
ou d'inconnus qui cherchent à se faire un nom, parfois maladroitement :
L'art transcende la mort. Les preuves abondent et l'art d'inspiration religieuse en est prodigue. Connaissiez-vous ce Double Visage de la Prudence qui orne le tombeau en marbre de Carrare de François II, duc de Bretagne et de Marguerite de Foix ? Ne manquez pas de faire le détour par la Cathédrale Saint Pierre de Nantes lors de votre prochaine visite en Bretagne. En 1789, ce superbe ensemble a échappé, par miracle, aux marteaux des révolutionnaires : démonté dans l'urgence, il a été enterré le temps que les esprits se calment, les Talibans sont décidément partout. Par bonheur, tous les iconoclastes du monde seront toujours impuissants face à la musique !
Si le genre de la messe en musique a sérieusement périclité avec le temps, il existe une variante qui n'a pas subi un sort comparable : c'est la messe réservée à l'office des morts, encore appelée Requiem. Il est bien connu que le taux de fréquentation des églises remonte brusquement lors des enterrements et ceci explique peut-être cela.
On observe qu'il est rare que les compositeurs écrivent plus d'un Requiem dans leur vie, d'où on peut raisonnablement supposer qu'ils se le réservent : on n'est jamais assez prévoyant ni si bien servi que par soi-même. Quelques altruistes ont néanmoins écrit ou prêté une œuvre pour :
La succession des mouvements de la messe des morts diffère de celle de la messe ordinaire : on enlève systématiquement le Gloria et le Credo jugés trop joyeux. On ajoute, par contre, un Introït, un Dies Irae et des répons à la demande : Libera me, In Paradisium, etc.
On peut dresser un inventaire des requiem existants, la matière ne manque pas à toutes les époques. Rien qu'en consultant le site jpc, on découvre 30 pages bien remplies ! Il est juste de dire que les Requiem de Mozart, de Verdi et de Fauré s'y taillent la part du lion avec un nombre impressionnant d'interprétations différentes mais il reste de la place pour beaucoup d'autres œuvres plus ou moins (in)connues.
Le premier requiem mentionné dans l'histoire est celui de Guillaume Dufay (1400-1474). La musique en est malheureusement perdue d'où il résulte que celui de Johannes Ockeghem (1425-1497) ouvre effectivement la longue liste. Ce musicien est représenté ci-contre, en présence de quelques élèves.
Suit une énumération un peu sévère qui nécessite peu de commentaires. On observera que contrairement à ce qui se passe pour la messe des vivants, le taux de production de Requiem n'a jamais faibli.
Quelques requiem ne portent ce nom que par extension :
Les mortels que vous êtes, soucieux de préparer leurs obsèques dans les meilleures conditions mais intimidés par le sérieux des œuvres proposées jusqu'ici, peuvent se rabattre sur des œuvres de caractère plus populaire, en tous cas plus faciles d'accès : voyons ce qui est possible.
Pris sans doute du remord d'avoir construit leur carrière sur la quête d'un succès facile, quelques compositeurs se sont lancés dans l'écriture d'une grande œuvre susceptible - sait-on jamais - de les sauver, le moment venu. Ils ont pratiqué, pour ce faire, la technique qu'ils maîtrisent : le mélange des genres. Le procédé n'est pas nouveau : déjà, au 18ème siècle, Joseph-Marie Amiot (1718-1793) avait imaginé faciliter l'évangélisation de la Chine en conciliant la rigueur de la musique savante occidentale et les raffinements sonores extrêmes orientaux. Sa Messe des Jésuites de Pékin est un modèle du genre. D'autres exemples ont suivi, sur d'autres continents, singulièrement en Amérique latine où le métissage de la musique savante espagnole avec les rythmes locaux a produit quelques fruits savoureux, telle cette Missa Mexicana récemment reconstituée.
Plus près de nous, voici ce que peut donner le croisement de genres a priori éloignés :
Le Requiem a apparemment encore de beaux jours devant lui. Il est vrai qu'un genre musical qui célèbre ceux qui partent et console ceux qui restent ne mérite pas de tomber dans l'oubli.