Walter Braunfels (1882-1954) a connu la gloire dans les années 1920 mais elle fut de courte durée, s'éteignant aux heures sombres qu'a connues l'Allemagne. Elle ne s'est jamais rallumée, du moins du vivant du compositeur. Par bonheur sa descendance s'est investie dans le projet d'entretenir sa mémoire et de veiller sur son oeuvre :
Bien que Braunfels ait été brièvement mentionné dans la chronique relative à l'Allemagne, quelques enregistrements récents permettent d'en affiner le portrait (musical).
Walter est né du second mariage de son juriste de père avec Hélène Spohr, petite-nièce du célèbre (surtout à l'époque) compositeur Ludwig Spohr (1784-1859), l'occasion de vous remémorer l'une des 9 symphonies achevées par celui-ci (n°9). Le rapport génétique est d'autant plus probable qu'Hélène était aussi musicienne, ayant même travaillé avec Liszt.
Bien qu'ayant commencé le piano très jeune, Walter n'a pas manifesté l'acharnement souhaité par sa mère, préférant improviser au gré de son humeur. La pauvreté relative de la vie musicale à Francfort l'a, dans un premier temps, détourné de la carrière artistique : Flottow, Lortzing, Gounod ou Meyerbeer, alors à la mode en province, ne constituaient pas pour lui un aliment stimulant. Il étudia donc le droit et l'économie, à Munich, où il rencontra le chef Felix Mottl qui était en train de répandre ... Wagner et Berlioz, autant de rencontres majeures qui réveillèrent son appétit musical. Il se remit dès lors sérieusement à ses premières études, soucieux de passer du statut d'amateur distingué à celui de professionnel : leçons de piano auprès de Theodor Leschetitzky (Professeur d'Artur Schnabel et d'Ignaz Paderewski) et de composition auprès de Karl Nawratil puis surtout de Ludwig Thuille (1861-1907) (Si vous ne connaissez pas ce dernier, écoutez son Concerto en ré, pour piano, et surtout son beau Quintette à clavier, opus 20).
Le talent d'orchestrateur de Braunfels est apparu clairement, pour la première fois, dans les Variations symphoniques, opus 15, sur une chanson traditionnelle française (1909) et il a culminé avec les Phantastische Erscheinungen eines Themas von Hector Berlioz (Apparitions fantastiques sur un Thème de Berlioz, celui de la Chanson de la Puce (en 1:20), extrait de la Damnation de Faust) (1917). Entre-temps Trois Chants chinois (1914) ont constitué une belle contribution au genre du lied avec orchestre.
Don Juan (1924), fantasmagorie pour grand orchestre se réfère à l'opéra de Mozart dont vous aurez plaisir à retrouver quelques grands thèmes (l'air dit du Champagne en 1:04:24, suggéré confusément en 1:00 puis exploité explicitement en 2:20, les autres sont laissés à votre sagacité). Cette oeuvre est souvent couplée au disque avec l'original Concerto pour orgue et choeur d'enfants (1927). L'autre concerto (1911) est une oeuvre antérieure, pour piano & orchestre, dont le bel adagio évoque lointainement le climat de celui du 2ème de Brahms.
Prélude & Fugue, pour orchestre (1935), est une oeuvre conventionnelle dans sa structure mais absolument magistrale dans sa réalisation. Il est incompréhensible qu'aucun orchestre digne de ce nom ne mette jamais à l'affiche ce quart d'heure de musique enivrante. Cette oeuvre est à rapprocher de la Toccata, Adagio & Fuge, pour orgue (1933) (zappez les 3 premières minutes plutôt décourageantes).
Au plan vocal, Braunfels a composé des lieder tout au long de sa vie, certes jamais en avance sur leur temps mais remplis de poésie comme en témoigne ce beau Die Nachtigall .
Mais il s'est surtout rapidement lancé le défi d'écrire des opéras, livrets compris, sur des thèmes empruntés à des auteurs en vue : Prinzessin Brambilla (d'après E. T. A. Hoffmann) (1909, revu en 1930 et en 1953) et Ulenspiegel (d'après Charles De Coster) (1913, Ici des extraits enchaînés d'une production récente au Théâtre de Linz) furent deux oeuvres prometteuses quoique pas totalement abouties.
Le (premier) succès d'envergure est venu, en 1923, lorsque l'opéra de Munich a monté Die Vögel (1919) (Les Oiseaux, d'après Aristophane), cette fois une réussite incontestable. L'oeuvre fut même considérée comme l'opéra allemand le plus important de son temps, à égalité avec Palestrina de Hans Pfizner (1869-1949), un fameux compliment (Les deux compositeurs se lièrent d'ailleurs d'une amitié forte et durable). Aucune trace de chromatisme dans ce langage intemporel qui semble avoir ignoré la mode du temps. L'oeuvre a suscité l'intérêt de quelques-uns des chefs les plus importants de l'époque (Bruno Walter, Hans Knappersbutch et Wilhelm Furtwängler, ce dernier pas rancunier de s'être fait volé sa fiancée !).
Parmi les opéras ultérieurs, Don Gil von den Grünen Hosen (1924, d'après Tirso de Molina) et Galathea (1929, d'après un thème développé par Ovide), ne sont malheureusement pas disponibles au contraire de Der Traum ein leben (1937) (Le Rêve d'une Vie, d'après Grillparzer), monté en 2001 à Regensburg.
Les menaces qui ont progressivement pesé sur la communauté juive ont convaincu Braunfels de se convertir au catholicisme. Opportunisme ou conviction, il s'est mis à l'écriture d'oeuvres sacrées au rang desquelles un Te Deum (1921) faisant clairement écho au modèle d'Anton Bruckner. Une Grand Messe suivit, en 1926, puis un grand cycle de cantates s'étalant sur 12 ans (1932-1944), toutes inspirées par la progression de l'année liturgique (Das Kirchenjahr), pour l'Avent (Advent), Noël (Weihnachten), la Passion (Passionskantate) et Pâques (Osterkantate).
Das Spiel von der Auferstehung des Herrn (Le Jeu de la Résurrection du Seigneur, 1938, revu en 1954) est malheureusement indisponible. Verkündigung est un Mystère sacré en un Prélude et 4 Actes, en fait une adaptation en allemand de L'Annonce faite à Marie de Paul Claudel; notez l'incantation mahlérienne initiale. L'oeuvre, écrite en 1937, n'a été créée qu'après la guerre, en 1948, car Braunfels était en pleine traversée du désert.
Elle avait en fait imperceptiblement commencé peu après 1923, l'année du putsch manqué contre le gouvernement de la République de Weimar. Sorti de l'ombre de sa prison (après à peine plus d'un an d'incarcération, une paille pour une tentative de coup d'état !), Hitler sollicita Braunfels afin qu'il écrive un hymne destiné au mouvement des "chemises brunes", une offre évidemment repoussée. Les racines juives du musicien refirent surface et le musicien se retrouva catalogué, en 1938, parmi les artistes dits dégénérés du 3ème Reich.
Coupé de tout public, le compositeur se retira sur les bords du lac de Constance où il continua d'écrire pour lui-même, en particulier Szenen aus der Leben der Heiligen Johanna (1943), une oeuvre mettant en scène la vie de Jeanne d'Arc, un sujet curieusement à la mode en ces temps troublés (Bernard Shaw au théâtre, Carl Dreyer au cinéma et Arthur Honegger en oratorio). L'oeuvre n'innove certes guère, étalant ses emprunts à Wagner, mais elle s'impose par son souffle incontestable. La représentation luxuriante (2008) du Deutsche Oper de Berlin est disponible chez Arthaus.
Braunfels pourtant excellent pianiste n'a que fort peu écrit pour son instrument. Par contre, il a composé deux Quatuors à cordes datés de 1944 qui ont été suivis par un autre quatuor (en mi mineur, indisponible) et un Quintette à cordes . Le succès ne fut pas au rendez-vous car le temps de Braunfels était passé comme était passé celui de Korngold, logé sous d'autres cieux (Hollywood !) mais à la même enseigne. D'ailleurs la tardive Sinfonia brevis (1948) n'eut pas plus de succès que la grande Symphonie (1953) de Korngold.
Après la guerre, Braunfels fut réintégré à la tête du Conservatoire de Cologne d'où il avait été chassé aux heures sombres. Dès lors, il ne composa plus que deux oeuvres mineures : Hebridentänze (1951) et le ballet Der Zauberlehrling (L'apprenti sorcier 1954) une commande de la TV allemande. En rupture avec son temps, Braunfels était devenu démodé, ce qui a fait dire au chef James Conlon qu'il avait été réduit au silence par deux fois.
Voici pour conclure quelques enregistrements marquants, extraits de sa discographie :