La Musique, art essentiellement temporel, occupe une position relativement isolée parmi les Arts. Une chronique antérieure a mis en évidence le fossé qui la sépare de la Peinture, art essentiellement spatial. A ce stade, on s'attendrait plutôt à ce qu'elle partage davantage de points communs avec la Danse, l'art du mouvement. De fait, Danse et Musique ont longtemps vécu en symbiose étroite, ne pouvant quasiment se passer l'une de l'autre. La Danse a toujours compté sur la Musique pour lui fournir un cadre temporel et la Musique a récupéré les rythmes dansés pour se constituer une base de données exploitables. Le résumé préliminaire qui suit est réservé au lecteur pressé tandis que les sections suivantes détaillent et illustrent quelques points présumés importants.
C'est à la Renaissance (1430-1600) que l'on a commencé à compiler les danses en provenance de tous les horizons, y compris de terres lointaines en voie de colonisation. L'idée était de construire une base de données codifiées, utile au répertoire de la Danse de Cour.
La période baroque (1600-1750) s'est ensuite partagée entre deux courants concurrents : les musiciens (essentiellement) français ont raffiné (le genre de) la Danse noble afin de l'insérer dans l'Acte de Ballet (Opéra- et Comédie-Ballet) tandis que d'autres, essentiellement italiens, ont opté pour le point de vue différent d'une Musique instrumentale affranchie de toute intention chorégraphique quitte à conserver les motifs rythmiques des danses répertoriées.
Au 18ème siècle, l'âge (pré)classique a cultivé une danse aristocratique débarrassée des modèles anciens considérés comme surannés. A vrai dire, elle n'a guère conservé que le menuet, une danse qui a assez inexplicablement fait fortune jusqu'à ce que la Révolution française (et Beethovenienne !) le rende quasiment caduque.
Le 19ème siècle a connu trois phénomènes distincts : 1) l'embourgeoisement de la Danse ou, si l'on préfère, l'accaparement de la danse par la bourgeoisie, menant tout droit au phénomène jamais démenti de la Danse de salon, 2) l'éclosion de la "Danse classique", en pointes et tutus, telle que pratiquée dans le grand "Ballet romantique" et 3) la redécouverte des patrimoines nationaux de danses populaires, contribuant à agrandir considérablement la base des données rythmiques désormais accessibles aux compositeurs du monde entier.
Au début du 20ème siècle, l'étonnante collaboration entre les Ballets russes et Igor Stravinsky a consacré l'avènement d'une danse en voie de modernisation, en tous cas débarrassée de ses conventions les plus pesantes. Quelques décennies plus tard, Maurice Béjart n'a pas fait que remplacer les tutus par des collants ou des jeans, il a propulsé la danse dans une nouvelle ère où elle a rêvé d'un statut autonome où elle pourrait, en particulier, choisir en toute liberté ses musiques d'accompagnement.
Danse et Musique ont alors tenté l'expérience d'une séparation à l'amiable, revendiquant une existence propre dans leur gestion du rythme.
Cette chronique n'est pas une histoire de la danse en musique ni d'ailleurs de la musique à danser, une encyclopédie ne suffirait pas. Elle se penche essentiellement sur la dette mutuelle que ces deux arts ont contractée au cours de leur histoire et elle s'interroge sur l'avenir de leur collaboration.
Danse et Musique coexistent depuis la nuit des temps sans que l'on sache qui a précédé et motivé l'autre. Le bref historique qui suit commence au Moyen-Age tardif qui signe, de fait, les débuts de la musique instrumentale occidentale.
Au Moyen-Age, bien que réprouvée par l'église, la musique à danser s'est invitée, populaire aux fêtes villageoises et noble dans les Cours princières. Celle-ci est une émanation de celle-là, récupérée, dans un premier temps, par les trouvères et jongleurs itinérants et perfectionnée ensuite par des musiciens de cour de plus en plus professionnels.
Des premières musiques à danser nous ne savons pas grand-chose. Celles mentionnées ci-après vous paraîtront peut-être simpl(ist)es mais c'est en partie dû à un instrumentarium encore rudimentaire. Les reconstitutions actuelles reposent essentiellement sur une iconographie d'époque (dessins d'instruments, d'attitudes et de figures de styles dansés), que les spécialistes interprètent au mieux de leurs connaissances et plus vraisemblablement de leurs intuitions. David Munrow, un brillant musicien et musicologue anglais, a publié, en 1970, un LP (Face 1, Face 2, présentation en anglais) qui fait entendre quelques instruments reconstitués pour les besoins de la démonstration. Une autre compilation indispensable est parue chez Veritas (2CD).
A la fin du Moyen-Age, les danses en vogue se nomment Ductia, Branle, Estampie, Saltarello, Moresque, etc. Vous en trouverez des exemples (Trotto) dans un enregistrement bien documenté de l'ensemble Millenarium, publié chez Ricercar.
Il a cependant fallu attendre les débuts de la Renaissance, après 1400 (Naissance de Guillaume Dufay, pour faire simple), pour que la musique à danser progresse significativement.
Dès la première moitié du 15ème siècle, la Danse de Cour a gommé le caractère débridé des danses villageoises en imposant un ensemble de codes censés lui donner quelques lettres de noblesse. Par exemple, on a distingué les Hautes Danses (Volte, Gaillarde, Chaconne, etc), alertes, qui se traitent à pas sautés, et les Basses Danses (Branle, Pavane, Gavotte, etc), plus calmes, qui se traitent à pas glissés.
C'est à la Cour des Ducs de Bourgogne que la danse aristocratique a fait ses premiers pas en musique : de par sa position géopolitique, elle a été en mesure d'attirer les meilleurs musiciens des provinces du Nord, en tête Guillaume Dufay et Gilles Binchois et à leur suite quantité de disciples de valeur (Antoine Busnois, Hayne van Ghizeghem, les frères Arnold et Hugo de Lantins, etc).
Cet essor musical a ensuite bénéficié du travail d'éditeurs entreprenants tels, Pierre Attaingnant (1494-1551), actif à Paris, Jacques Moderne (1500-1560), actif à Lyon, Tielman Susato (1500-1561) et Pierre Phalèse (le Vieux) (1510-1575) (Sans oublier son fils, Pierre le Jeune, et ses petites-filles, Magdaléna et Maria), actifs à Louvain et Anvers. Tous ont publié des "Danceries", sorte de recueils proposant les premiers "tubes à danser" de l'histoire de la musique. Beaucoup de ces oeuvres à succès sont demeurées anonymes mais d'autres ont été attribuées à des musiciens en vue tel Claude Gervaise (1540-1583), sans garantie que l'auteur désigné n'ait pas emprunté quelques airs à la mode à une époque où cela ne choquait personne.
En 1589, Thoinot Arbeau (De son vrai nom, Jehan Tabourot, notez l'anagramme) a publié son traité L'Orchésographie, précisant les pas dansés en regard des musiques correspondantes (Une gaillarde dans l'exemple ci-contre).
Un enregistrement déjà ancien du Broadside Band de Jeremy Barlow en propose quelques extraits significatifs (Branles simple et double, de Bourgogne et de Champagne, Tourdions, Gaillardes, etc, cf la notice pour l'ordre des intitulés).
Malgré un temps de retard sur sa rivale bourguignonne, la Cour du Roi de France n'a pas voulu être en reste, s'inventant le modèle du Ballet de Cour dont les premières traces remontent aux règnes de Charles IX (Ballet des Polonais, 1573) et Henri III (Ballet comique de la Reine, 1581). Il s'agissait d'une tentative d'art total destiné à marquer avec fastes quelques événements importants, à une époque où l'opéra n'existait pas encore. Les meilleurs musiciens impliqués, Pierre Guédron, Antoine Boësset et Etienne Moulinié, sont ceux-là même qui s'étaient déjà illustrés dans l'Air de Cour, mutation distinguée des chansons de la Renaissance. On possède peu d'enregistrements de ces premiers ballets. Mentionnons quelques extraits proposés par Le Poème harmonique (Ballet du mariage de Pierre de Provence et de la belle Maguelonne, Moulinié, 1638) et surtout un beau recueil dû au Concert des Nations, dirigé par Jordi Savall et consacré au règne de Louis XIII. Incidemment, observez que la Bourrée d'Avignonez, jouée ainsi que d'autres pièces lors des fêtes célébrant le mariage du Roi, en 1615, est clairement inspirée de la Bourrée extraite (en 3:39) des Danses de Terpsichore (1612) de Michael Praetorius.
Le ballet de Cour a accompagné les débuts du règne de Louis XIV qui s'y est d'ailleurs personnellement mis en scène dès l'âge de 15 ans (Ballet Royal de la Nuit, ne manquez pas l'air initial de l'excellent Jean de Cambefort, en 3:10. Les musiques, en partie perdues, sont de Jean de Cambefort, Antoine Boësset, Louis Constantin, Michel Lambert, Francesco Cavalli et Luigi Rossi. Pour l'enregistrement, les parties manquantes ont été reconstituées par le chef, Sébastien Daucé).
Lorsqu'il a renoncé à se produire sur scène, le Roi a chargé son intendant Lully de faire évoluer le Ballet de Cour vers l'Opéra-Ballet et la Comédie-Ballet. Lully a fait de son mieux pour satisfaire son royal employeur mais le genre "nouveau" arrivait un peu tard comparé aux tendances nouvelles de la musique italienne (Sonate, Concerto et Opéra).
La vogue des suites de danses s'est bientôt propagée dans toute l'Europe :
- En Allemagne, Michael Praetorius (1571-1621) (Danses de Terpsichore, comparez avec cet autre enregistrement paru chez Ricercar), Erasmus Widmann (1572-1634) (Musicalischer Tugendtspiegel) et Samuel Scheidt (1587-1654) (Ludi Musici) ont adapté le principe de la Dancerie au tempérament germanique possiblement plus retenu (Scheidt).
- En Italie, la danse noble s'est également invitée dans les Cours princières (Mantoue, Ferrare, Florence, ...). C'est même là qu'ont été publiés les premiers traités de Danse connus, datant des années 1445-1450, soit 50 ans avant l'Orchésographie. Cependant, contrairement à l'ouvrage de Thoinot Arbeau, qui conjugue danse et musique, ceux de Domenico Da Piacenza et de Guglielmo Da Pesaro ne détaillent que les pas dansés sans préciser les correspondances musicales (Cf Les premiers traités de danse au XVe siècle en Italie, de Sylvie Garnero).
Note. La codification des Danses de Cour a d'emblée posé le problème d'une notation chorégraphique parallèle à la notation musicale. Les traités de Da Piacenza, Da Pesaro et Arbeau n'ont été qu'une étape préliminaire dans un domaine qui a été appelé à évoluer constamment. Une étape importante a été le Traité de Raoul-Auger Feuillet, "Chorégraphie ou l'art de décrire la danse", publié en 1700. Le principe en était simple : sur une feuille représentant la salle de danse, la trajectoire des danseurs était représentée avec les figures attendues à chaque barre de mesure. Ce système a évolué à mesure que la danse s'est libérée des contraintes de Cour et d'autres systèmes ont pris le relais jusqu'à tomber eux-mêmes en désuétude (Ils demeurent toutefois un sujet d'étude pour les spécialistes chargés de déchiffrer les chorégraphies du passé, par exemple celles qui ont rendu célèbre Marius Petipa lors de son séjour prolongé en Russie, cf infra). De nos jours, il n'est pas rare que chaque chorégraphe utilise un système personnel, adapté à ses exigences.
Les recueils italiens enregistrés à ce jour sont relativement peu nombreux, proposant souvent des oeuvres de Giogio Mainerio (1535-1582) (Primo Libro de Balli). Si vous avez gardé en mémoire les extraits des sections précédentes, vous n'aurez aucune peine à reconnaître en Schiarazula Marazula (à partir de 1:45), la version lente d'un air déjà entendu en France. Ceci confirme à nouveau, qu'à cette époque, les mélodies volaient d'un musicien à l'autre sans s'embarrasser des droits d'auteurs ! Voici encore une belle Chiaranzana anonyme (danse siennoise) et une anthologie proposant d'autres pages empruntées à Giorgio Mainerio (1535-1582), Giovanni Gabrieli (c.1554/7-1612), Giovanni Giacomo Gastoldi (1554-1609), etc.
- Le cas de l'Espagne est nettement plus complexe, en cause de profonds métissages. Le déjà riche répertoire hispanique, fait de Canarios, Fandangos, Jotas, Folias, Asturianas, Muñeiras, Valencianas, Zambras, Sevillanas, Farrucas, Saetas, ..., s'est progressivement enrichi d'apports extérieurs, Morescas, Sardanas, Boleros, ..., consécutifs à une immigration continue (phénicienne, grecque, romaine, arabe, gitane, ...).
A ce corpus déjà impressionnant, se sont ajoutées quantité de danses importées d'Amérique et aussitôt amalgamées au répertoire local. Voici deux enregistrements particulièrement réussis :
1. Un enregistrement de l'ensemble, Elyma, dirigé par Gabriel Garrido, témoigne rétrospectivement de l'apparition, en 1531, de la Vierge de Guadalupe à un Indien aztèque. La plupart des pièces ont été signées, Roque Jacinto de Chavarría (1688-1719). Ne manquez pas l'irrésistible "Lanchos para bailar" d'un anonyme qui ne méritait pas cet oubli injuste.
2. Un autodidacte de génie, Lucas Ruiz de Ribayaz y Fonseca (1626- ?), a compilé un grand nombre de pièces éparses dans son recueil "Luz y Norte" (1677) : ces Españoletas, Gallardas, Zarambeques, Xácaras, Tarantellas, Torneos, etc ..., sont magistralement interprétées par le Harp Consort, dirigé par Andrew Lawrence-King.
Tous pays confondus, quantité de danses portent des noms évocateurs d'un possible lieu d'origine : Canarie, Bergamasque, Sicilienne, Pavane (Padoue pour certains, paon (qui se pavane) pour d'autres voire Pas d'Espagne pour les plus téméraires), etc.
De même la Gigue française tirerait son nom de la Jig anglaise (à moins que ce soit le contraire ...) tout comme la Country dance (littéralement "Danse paysanne") traduirait la Contredanse continentale (où deux partenaires se tiennent l'un contre l'autre). C'est en 1651 que John Playford (1623-1686) a publié la première édition (il y en aura 18 jusqu'en 1728) de son immense et incontournable recueil, The English Dancing Master, sorte de bible de la danse populaire britannique. L'enregistrement de l'ensemble Les Witches est excellent et il en existe d'autres, tous parus chez Alpha, fouillez !
Enregistrer les musiques anciennes qui viennent d'être évoquées est affaire de spécialistes : aucune partition n'existe au sens moderne du terme et les instruments disponibles sont des répliques hypothétiques d'après documents d'époque. Il est dès lors inévitable que les reconstitutions diffèrent d'un enregistrement à l'autre. La vérité historique absolue étant hors d'atteinte, une solution consiste, tant qu'à faire, à contenter nos oreilles modernes en compensant les éventuels défauts de fidélité par la qualité des rythmes et des sons produits. Voici quelques groupes instrumentaux qui ont rendu (et/ou rendent encore actuellement) justice à ce répertoire :
- Le Studio der frühen Musik, dirigé par Thomas Binkley (1931-1995), s'est surtout préoccupé de musiques médiévales (Estampie), qu'il a traitées avec beaucoup de liberté sinon de fantaisie, en particulier dans l'extrait proposé. Il a joué un rôle important dans l'histoire de la musique ancienne mais la rugosité de ses sonorités jointe à l'ancienneté des enregistrements nuit quelque peu à sa notoriété.
- Le Early Music Consort of London, dirigé par David Munrow (1942-1976), est particulièrement digne d'intérêt. En à peine 20 ans d'une bien trop courte vie, Munrow a effectué un travail de recherche d'autant plus méritoire qu'à ses débuts, la musique ancienne balbutiait encore largement. Il a exhumé et reconstitué quantité d'oeuvres de façon à les rendre jouables; il a reconstruit des instruments d'après les documents d'époque et enfin, il a fourni un effort pédagogique immense pour expliquer sa démarche au plus grand monde. Ce merveilleux musicien était hélas de santé fragile au point d'attenter à ses jours, privant ainsi la Musique de l'un de ses plus brillants serviteurs. Réécoutez en boucle ces formidables Danceries de Tielman Susato, Thomas Morley, Michael Praetorius et Giogio Mainerio. Note. Pour la petite et improbable histoire, sachez que la production du documentaire "La Course en Tête", du cinéaste Joël Santoni, a confié l'essentiel de la bande sonore à David Munrow : on y revoit le champion cycliste Eddy Merckx pédaler au son de "Danceries" de la Renaissance, un mélange des genres plutôt inattendu.
- Le New London Consort dirigé par Philip Pickett (1950- ) est connu pour ses enregistrements de deux épais volumes consacrés aux oeuvres vocales de Guillaume Dufay et Jan Ockeghem et, pour ce qui nous concerne, pour ce bel enregistrement (controversé mais je vous avais prévenu) des Danses de Terpsichore de Praetorius. L'ensemble a malheureusement cessé toute activité, son chef ayant été rattrappé par la Justice britannique pour de graves faits de moeurs.
- Actuellement, c'est l'ensemble Hesperion XX(I), dirigé par Jordi Savall (1941- ), qui s'impose par une activité débordante au service de toutes les musiques anciennes, en particulier dans le riche répertoire des danses hispaniques (Folias de España, Folias Criollas (El Nuevo Mundo), Lachrimae Caravaggio plus des dizaines d'autres enregistrements passionnants).
- D'autres ensembles peuvent retenir votre attention : la Capella Antiqua München de Conrad Ruhland, The Broadside Band de Jeremy Barlow, l'Accademia del Ricercare de Pietro Busca, l'Ulsamer Collegium de Josef Ulsamer, ..., mais la liste est en fait beaucoup plus longue que cela.
Pendant les règnes de Louis XIV et de Louis XV et en dépit de conflits incessants, le prestige "intellectuel" de la Cour de France est demeuré intact. Dans toutes les Cours d'Europe, on a appris et cultivé le style (et le goût) français au même titre que l'on a pratiqué la langue française. En matière de danse, le "Style noble" ou "Belle Danse" a été adopté partout et les musiciens ont massivement assimilé le modèle de la Suite (à la) française.
Il s'agit d'une pièce instrumentale en plusieurs mouvements qui se suivent dans un ordre plus ou moins immuable, "Allemande, Courante, Sarabande, Gavotte, Menuet & Gigue" (avec des variantes possibles entre la sarabande et la gigue). Musicalement parlant, chacune de ces danses respecte une signature rythmique sauf que des variantes existent, résultats d'une évolution temporelle ou géographique (Cf l'exemple ci-après de la sarabande, emprunté au Grove Dictionary) :
Par extension, on range sous l'appellation "française" des Suites qui reposent sur des danses demeurées proches des sources populaires (rigaudons, tambourins, musettes, rondeaux, ...). C'est sans doute un abus de langage mais il se défend dès l'instant où l'on observe que les plus grands musiciens français, de Couperin à Rameau, ont pratiqué ces variantes (Cf ce site pour quelques illustrations sonores bien choisies).
L'explosion du baroque musical, vers 1600, a coïncidé avec la révolution instrumentale dans l'Italie du Nord (Familles des luthiers, à commencer par celle du père fondateur, Andrea Amati (vers 1511-1580)). S'il ne fait guère de doute que les compositeurs transalpins y ont vu l'occasion de contester l'hégémonie française, ils l'ont fait avec une certaine déférence, se contentant, dans un premier temps, d'inventer leurs propres variantes des formes acquises : ainsi la courante française (à 3/2 ou 6/4) s'est transformée en corrente (à 3/4 voire 3/8), plus alerte. Les premières Sonates en trio d'Antonio Vivaldi (1678-1741) déclinent encore à l'ancienne la suite de leurs mouvements et il ne faut donc pas s'étonner de ne pas encore y trouver la fantaisie qui assurera le succès de Vivaldi auprès des amateurs de musiques endiablées.
Avec le temps, les musiciens italiens ont développé un art instrumental nouveau, progressivement affranchi des conventions en usage. Certes les danses ont continué de nourrir les rythmes mais en-dehors de toute référence explicite : alors qu'en France (et en Allemagne, on y revient sous peu), les mouvements ont conservé leurs appellations primitives (allemande, courante, sarabande, ..., gigue, bourrée, gavotte, ...), les italiens ont progressivement opté pour des appellations neutres n'évoquant plus que les tempi correspondants (adagio, andante, allegro, vivace, ...). La période baroque a ainsi vu la musique italienne contester sa consoeur française et finalement la supplanter lorsque celle-ci a eu épuisé ses effets (Querelle des Bouffons, 1752-54).
Johann Sebastian Bach (1685-1750) et Jean-Philippe Rameau (1683-1764), deux des plus grands génies du baroque musical, ont, chacun à leur manière, repensé l'univers de la danse dans leurs oeuvres :
Rameau fut une exception vers la fin de sa vie, ne recourant sans dommage à des formes historiquement dépassées que par la grâce d'un génie complètement hors normes. L'âge classique (bientôt essentiellement viennois) a progressivement délaissé l'arsenal des danses baroques n'en conservant plus que quelques-unes dans d'innombrables recueils de Danses allemandes, Contredanses, Ländler ou Danses viennoises (Mozart, Haydn, Schubert et même le jeune Beethoven). C'est assurément Mozart qui s'est le mieux tiré d'affaire, en particulier dans ses recueils tardifs; exigez les enregistrements déjà anciens de Willi Boskovsky (à condition de les trouver, ce qui n'est pas garanti !).
A l'époque de Haydn et de Mozart, le menuet, galant par essence, s'est retrouvé bien seul dans l'univers instrumental naissant de la Sonate, du Quatuor et de la Symphonie. Il est même passé à la trappe lorsque Beethoven a décidé de s'en passer, définitivement à partir de 1803.
Le jeune Beethoven a encore sacrifié aux canons de la musique viennoise classique dans les 12 Menuets WoO 7, les 12 Danses allemandes WoO 8 ou encore les 12 Contredanses WoO 14, toutes oeuvres plaisantes qui n'annoncent guère les bouleversements à venir, sauf peut-être les Contredanses qui manifestent déjà une certaine impatience. Bien qu'il n'ait jamais renié ces oeuvres de jeunesse, le compositeur ne les a pas incorporées à son catalogue raisonné. C'est pourquoi elles sont habituellement répertoriées dans un catalogue séparé sous le sigle WoO (Werk ohne Opuszahl, oeuvre sans numéro d'opus). Vers 1800, Beethoven a cessé toute référence au menuet classique dans l'intitulé de ses mouvements : le 3ème mouvement de la Symphonie n°1 (en 16:32), bien que noté "Minuetto : Allegro molto vivace", est bien trop rapide pour être assimilable à un menuet, c'est bel et bien un scherzo comme ce sera le cas dans les symphonies ultérieures à l'exception de la 8ème, volontairement rétro.
Naturellement, le compositeur a régulièrement utilisé des rythmes de danse mais sans intention chorégraphique, comme dans l'andante du Quatuor n°9 qui est une authentique sicilienne. Le rythme recomposé est omniprésent dans l'oeuvre de Beethoven et son apothéose se trouve dans le dionysiaque finale de la Symphonie n°7, que Wagner a justement surnommé "L'apothéose de la danse". Il est construit sur un thème bondissant déjà utilisé par le compositeur pour accompagner son harmonisation d'une mélodie irlandaise (WoO 154 n°8, positionnez-vous en 0:37 ou en 1:11 par exemple).
Au 19ème siècle, tous les musiciens ont suivi l'exemple de Beethoven, puisant leur schémas de rythmes dans la base de données patiemment constituées au cours des siècles précédents.
Au 19ème siècle, Danse et Musique ont gagné les salons bourgeois. Fuyant comme beaucoup d'autres l'insurrection polonaise contre la Russie, Frédéric Chopin (1810-1849) a fini par trouver l'asile qu'il cherchait à Paris (Son père, Nicolas Chopin, avait fait le chemin inverse en fuyant sa Lorraine natale, en 1787). Chopin ne s'est guère produit en (salle de) concert, sa réserve naturelle et le caractère intimiste de son piano ne s'y prêtant guère. Il a fréquenté quelques salons mondains et a surtout reçu dans son appartement parisien. Il y a fait entendre les rythmes de sa Pologne adoptive dans ses cycles de Polonaises, Mazurkas et Valses, tous devenus universellement célèbres.
Franz Liszt (1811-1886), musicien davantage cosmopolite, a fréquenté les mêmes salons que Chopin lors de ses fréquents séjours parisiens. Il a aussi composé des Valses, des Ländler et même cette Mazurka, un clin d'oeil à son ami et rival pianistique. Il a également fait entendre des Csardas et des Rhapsodies, réminiscences de sa Hongrie natale, préfigurant en cela le retour aux sources des musiques nationales.
Personne n'a jamais dansé sur les Valses de Chopin et pourtant celles-ci ont contribué à élever le statut du genre considéré jusque là comme mineur. Note. Par contre, on a chanté sur ces mêmes valses : écoutez les mélodies écrites par Pauline Viardot (1821-1910) sur les thèmes de 12 Mazurkas; en particulier "Coquette" !
Il est impossible, à ce stade, de ne pas mentionner l'engouement viennois pour l'art de la Valse (mais aussi de la Polka, de la Marche, etc), quasiment incarné par les membres de la famille Strauss, en particulier son représentant le plus illustre, Johann Strauss II (1825-1899) (Le beau Danube bleu, Valse de l'Empereur, ..., Tritsch-Tratsch-Polka, ...).
Sous l'appellation "Danse de Salon", on peut également inclure un ensemble de danses importées des Amériques centrale et du Sud, en particulier le fameux Tango, glorifié par le compositeur argentin Astor Piazzolla (1921-1992) et idéalement servi par (le grand violoniste) Gidon Kremer et sa Kremerata Baltica (Oblivion).
Chopin et Liszt ont anticipé un vaste mouvement paneuropéen de (re)découverte des patrimoines musicaux. L'époque s'y prêtait où chaque région partait à la (re)découverte de ses racines culturelles, perçues comme le ciment possible d'une identité nationale retrouvée.
Un grand nombre de compositeurs se sont attelés à cette tâche, récoltant, harmonisant et instrumentant un vaste ensemble de danses populaires. Ce fut l'époque des suites de Danses : slaves (Anton Dvorak), hongroises (Johannes Brahms), norvégiennes (Edvard Grieg), suédoises (Max Bruch), ... . Initialement écrites pour piano (éventuellement à 4 mains), la plupart ont été ultérieurement orchestrées quoique pas forcément par l'auteur désigné (Brahms, par exemple, n'a personnellement orchestré que trois danses hongroises sur les 21 existantes; Dvorak s'est, en particulier, occupé des 5 dernières).
Les musiciens britanniques ont également exploité leur riche patrimoine insulaire quoique avec quelques décennies de retard : Ralph Vaughan Williams (English Folk Song Suite), Malcolm Arnold (Four scottish Dances, Four cornish Dances), William Alwyn (Elizabethan Dances, Scottish Dances) et plus près de nous, Peter Maxwell Davies (Orkney Wedding, with Sunrise, Carolisima).
A l'aube du 20ème siècle, Bela Bartok a accompli un travail de prospection ethnomusicologique considérable au service des répertoires d'Europe centrale : il a instrumenté à la lettre des airs entendus (3 airs populaires hongrois du district de Csik), il en a orchestré d'autres, rassemblés en cycles cohérents (Esquisses hongroises, BB103, Chants paysans hongrois, BB107, Suite de danses roumaines, BB61 & 76, ou transylvaniennes, BB102) et il en a forgé de nouveaux de toutes pièces (Improvisations sur des mélodies hongroises, SZ74).
Le 19ème siècle a intégré la danse dans la structure autonome du grand ballet romantique, un genre qui plaît aux publics disposés à adhérer à ses conventions multiples (Adolphe Adam : Giselle et surtout Leo Delibes : Sylvia et Coppélia, ...). L'Opéra de Paris exigeait même qu'un ballet soit inséré dans toute oeuvre mise à l'affiche. Note. Si la plupart des compositeurs français se sont pliés de bonne grâce à cette contrainte, Richard Wagner a connu quelques difficultés lorsqu'il a entrepris, en 1855, de présenter son Tannhäuser sur la scène du défunt Opéra Pelletier. Répugnant à interrompre l'action dramatique telle que développée dans la version primitive créée à Dresde, en 1845, il s'est contenté d'insérer la Bacchanale du Venusberg juste après l'ouverture. Cela ne lui a guère porté chance, les représentations (très chahutées) ayant été interrompues après trois représentations seulement.
C'est un danseur français brillamment reconverti dans la chorégraphie, Marius Petipa (1818-1910), qui a revitalisé les ballets impériaux de Saint-Pétersbourg. Renonçant à ne voir dans la danse qu'un divertissement bourgeois et frivole, il a imaginé d'y intégrer une action dramatique capable de rivaliser avec celles que l'on rencontre dans les meilleures pièces théâtrales chantées. Il a appliqué ses recettes à un grand nombre d'oeuvres de qualité variable, allant des oeuvres facilement démodables de Ludwig Minkus (La Bayadère, Don Quixote) ou d'Alexandre Glazouvov (Raymonda) aux trois grands chefs-d'oeuvre de Piotr Ilitch Tchaïkovski (La Belle au Bois dormant, Casse-Noisette et Le Lac des cygnes). Son travail soigneusement noté lui a survécu à tel point qu'il n'est pas rare que les productions actuelles (en particulier russes) reprennent des éléments de ses chorégraphies.
En tournées européennes, au début du 20ème siècle, les Ballets russes de Sergei Diaghilev ont joué un rôle essentiel dans la modernisation du spectacle dansé, permettant au compositeur Igor Stravinsky et au chorégraphe Vaslav Nijinski de révolutionner le genre à la faveur d'un triptyque fameux, L'Oiseau de feu, Petrouchka et Le Sacre du Printemps. On garde encore en mémoire l'énorme scandale que fut la création du Sacre (1913, Théâtre des Champs-Élysées), les danseurs martelant la scène de leurs danses païennes. Aujourd'hui, toute polémique a évidemment disparu et la musique du Sacre s'est imposée dans les salles de concert du monde entier comme l'acte de naissance de la musique moderne.
Avide de renouvellement permanent, Stravinsky a composé d'autres ballets dans les esthétiques les plus variées :
- classiques : Pulcinella, Le Baiser de la Fée et Jeu de Cartes,
- néo-hellénistiques : Apollon musagète et Orphée,
- abstraites : Danses concertantes, Scènes de Ballet et le fascinant Agon, l'un des rares exemples de spectacle dansé réussi sur une musique librement dodécaphonique.
L'URSS s'est particulièrement illustrée dans le théâtre dansé et tous ses musiciens survivants ont collaboré à l'oeuvre commune, teintée de propagande. Selon leur degré de résistance à l'oppression, ils ont hésité entre un "rétromantisme" assumé (Alexandre Glazounov : Raymonda, Tikhon Khrennikov : Napoléon Bonaparte, Aram Khatchatourian : Spartacus, ...) et un modernisme mesuré (Dimitri Schostakovitch : L'Age d'Or et Le Boulon), Mieczyslaw Weinberg : La Clef d'Or , Rodion Shchedrin : Anna Karenine et Le petit Cheval bossu , enfin Alfred Schnittke : Gogol et le merveilleux Peer Gynt).
Le plus couronné de succès fut sans aucun doute Serge Prokofiev, qui a composé quelques ballets restés célèbres (Chout, Le Pas d'Acier, Le Fils prodigue, Sur le Dniepr et surtout les grands classiques, tous composés après le retour en URSS, Roméo et Juliette, La Fleur de Pierre et Cendrillon).
La seconde moitié du 20èmesiècle a vu l'expansion des musiques américaines, en particulier des rythmes anglo-saxons et latinos. Dans la première catégorie et parmi un répertoire considérable (Cf cette chronique consacrée aux USA) on trouve (entre autres !) les irrésistibles ballets d'Aaron Copland (1900-1990) (Billy the Kid, Rodeo), les comédies musicales de Leonard Bernstein (1918-1990) (Mambo extrait du ballet West Side Story), les pages pour orchestre de John Adams (1947- ) (Chairman Dances, Foxtrot for Orchestra), celles, maxi-minimalistes, de Philip Glass (1937- ) au sommet de sa première manière (Dancepieces et les extraordinaires Dances 1-5), les pièces décontractées de Michael Torke (1961- ) (Being, Ash) et celles débridées de Carter Pann (1972- ) (Slalom). Dans la seconde, on peut mentionner (A nouveau, simples exemples !) les Poèmes dansés d'Heitor Villa-Lobos (1899-1978) (Uirapurú), les hymnes au Tango d'Astor Piazzolla (1921-1992) (Tango Ballet), les fresques symphoniques de Carlos Chavez (1899-1978) (Sinfonia India) ou de José Pablo Moncayo (1912-1958) (Huapango) et le "tube" d'Arturo Marquez (1970- ) (Danzon n°2). Toutes ces oeuvres sont potentiellement chorégraphiables même si cela n'a rien d'inéluctable.
Il est commode de faire coïncider (provisoirement !) les débuts de l'ère contemporaine avec la fin du second conflit mondial. A cet instant précis, Danse et Musique se sont trouvées dans la position inconfortable de paraître futiles. Une tentation a existé de contribuer à l'effort collectif du réveil des consciences par une sorte d'antihédonisme expiatoire. En musique, cela a donné le courant sériel, poussant à l'extrême les questionnements du dodécaphonisme de Schönberg. La Danse a connu un épisode similaire, heureusement davantage limité dans le temps.
A partir de 1955, Maurice Béjart (1927-2007) a bousculé le rapport que la danse entretenait depuis toujours avec la Musique en recourant à des "partitions" qui n'étaient nullement destinées à être dansées : Symphonie pour un Homme seul (sur des montages "électrosoniques" de Pierre Henry et Pierre Schaeffer, 1955), Messe pour le Temps présent (A nouveau Pierre Henry et Michel Colombier, 1967), Le marteau sans Maître et Pli selon Pli (Pierre Boulez, 1973 et 1975). En libérant la Danse de la tutelle musicale, ces oeuvres ont pris le risque d'éloigner le public traditionnel. Béjart a d'ailleurs été le premier à tirer la leçon de ces expériences peu concluantes et il est revenu, avec le succès que l'on sait, aux fondamentaux du couple danse-musique dans quelques spectacles devenus mythiques, Boléro de Ravel, Neuvième de Beethoven, Chant du Compagnon errant de Mahler, ... , autant de succès qui lui ont naturellement été reprochés par les nostalgiques de l'expérimentation radicale. Béjart n'ayant pas reçu en France l'attention (et les subsides) qu'il espérait, il a déménagé à Bruxelles, en 1959, pour y fonder les Ballets du XXème Siècle, aussitôt intégrés au Théâtre de la Monnaie. Il a quitté cette institution 27 ans plus tard, suite à un conflit avec le Directeur Gérard Mortier, et il a rejoint Lausanne où il a fondé le Ballet Béjart. Cet artiste passionné a largement contribué à la promotion et au développement de son Art partout dans le monde. En France, on a vu naître des écoles et des compagnies de danse dont pas moins de 19 Centres chorégraphiques nationaux pratiquant tous les genres, des plus classiques aux plus modernes.
De même qu'en musique l'impasse sérielle a trouvé une issue possible dans le mouvement postmoderne, en particulier le minimalisme théorique et radical de John Cage et celui musical de Philip Glass, la danse contemporaine a fait un bond en avant sous l'impulsion de deux chorégraphes également américains et aux conceptions similaires :
- Merce Cunningham (1919-2009), compagnon de Cage à la ville et adepte de ses théories sur le hasard et l'écoute sensorielle, et surtout,
- Jerome Robbins (1918-1998), qui a collaboré à ses débuts avec Leonard Bernstein (West Side Story, Fancy Free) mais qui a trouvé sa vraie voie en investissant l'univers de Philip Glass dans quelques spectacles cultes (Glass Pieces, ne manquez pas la troisième partie en 15:48). Il est l'inventeur d'un style hypnotique reconnaissable, mélange de rigueur et de décontraction.
Elève de Cunningham et disciple de Robbins, Lucinda Childs (1940- ) a également collaboré avec Glass dont elle a parfaitement assimilé l'esthétique, en particulier dans une contribution essentielle à l'"audiopéra" Einstein on the Beach (Autre extrait significatif : Dance 1).
Un mouvement aussi puissamment novateur ne pouvait qu'essaimer : lorsqu'on observe une chorégraphie de Pina Bautsch (1940-2009), une allemande cependant mais qui a fait ses études à New York (Elle a été membre du New American Ballet), on comprend, fasciné, qu'un vent de liberté a soufflé sur le spectacle dansé. Pour le mélomane cependant, un fait saute aux yeux (et aux oreilles !) : les musiques d'accompagnement proviennent désormais de tous les horizons et il faut souvent fouiller les notices des programmes pour en trouver une mention à peine détaillée. Souvent préenregistrées, elles sont passées au rang d'accessoires scéniques.
La pratique consistant à recourir à des musiques prémixées en studio participe clairement d'une volonté d'affirmer la prééminence de la chorégraphie, au risque de compromettre la qualité de l'accompagnement sonore. Les chorégraphes se justifient en expliquant que l'improvisation corporelle est de fait difficilement conciliable avec une musique écrite (Certains ont d'ailleurs poussé la démarche jusqu'à chorégraphier le silence !). Les musiciens sont naturellement plus réservés : que dirait-on d'un spectacle d'opéra où les chanteurs se produiraient en "mode karaoké" au motif que le chant devrait supplanter l'orchestre ? Précisons quand même que nombre de chorégraphes actifs en ce début de 21ème siècle continuent de puiser leurs accompagnements dans l'immense répertoire musical même s'ils ne peuvent pas toujours se payer le luxe de musiciens réellement présents dans la fosse.
D'une certaine façon, en minimisant l'apport des musiciens, la Danse contemporaine n'a fait que rendre la monnaie de sa pièce à la Musique qui avait depuis longtemps affranchi ses rythmes de l'univers chorégraphique.
Reste que l'électrification généralisée du son est un sujet de préoccupation. L'Art urbain (Street Art), éphémère mais bien réel, est entré dans la Danse en développant une variante acrobatique à la portée de jeunes amateurs doués pour cet exercice. En recourant à la boîte à musique, le style Hip-hop a rompu les amarres avec toute musique acoustiquement digne de ce nom, une issue prévisible pour un art qui descend dans la rue. Le problème est que la Danse, mère de tous les rythmes, voit de plus en plus ses arrière-arrière-petits-enfants se contenter d'ersatz produits par des boîtes à rythmes stéréotypés comme si dix siècles de bon ménage entre Danse et Musique n'avaient jamais existé. Et à ceux qui n'imaginent pas qu'une autre musique puisse accompagner les contorsions urbaines, on ne peut que recommander de visionner la Danse des Sauvages des Indes galantes de Rameau (Chorégraphie : Bintou Dembélé; direction musicale : Leonardo Garciá Alarcón) : elle est la preuve par l'exemple qu'aucun divorce n'est inéluctable tant qu'un effort d'ouverture demeure.
A suivre : La Musique parmi les arts (III), Gastronomie et Diététique de l'audition