Parmi les familles qui ont touché à tous les domaines de la musique, il en est une qui a ratissé particulièrement large en côtoyant, pendant trois générations, les meilleurs artistes de son époque. L'édition 2013 du Festival de Radio-France à Montpellier a particulièrement attiré mon attention sur quelques-uns des membres, plus ou moins illustres, de la famille Garcia.
L'arbre généalogique élagué, reproduit ci-contre, enfonce ses racines en Andalousie, au départ du couple que formèrent deux chanteurs célèbres en leur temps :
Manuel Garcia junior (1805-1906), que son père destinait naturellement au chant, n'avait pas les dons de ses deux soeurs cadettes aussi s'orienta-t-il, dès ses 23 ans, vers l'enseignement, d'abord au Conservatoire de Paris puis à Londres où il acheva sa longue carrière. Il s'est illustré en adoptant un point de vue, novateur pour l'époque, qui prenait en compte la morphologie et la physiologie des organes phonatoires. Il fut, en particulier, l’inventeur d'un laryngoscope à miroir destiné à observer les cordes vocales. Au moins deux de ses quatre enfants ont conservé un contact étroit avec ses travaux sur la musique, s'occupant en particulier de l'édition de ses traités, mais l'histoire a fini par perdre leurs traces.
Maria Felicia Garcia a connu les horreurs d'une éducation paternelle insensément sévère et les honneurs de 10 années triomphales sur les scènes d'opéra du monde entier. Mariée à Eugène Malibran, son aîné de 28 ans, elle trouva le moyen de faire annuler ce mariage pour vice de forme (Le Consulat de France à New-York n'était pas compétent pour marier un ressortissant français et une espagnole) d'où elle put donner libre cours à sa passion pour le violoniste et compositeur belge, Charles-Auguste de Bériot (Un siècle plus tard, une autre Maria (Callas) vivra une aventure un peu similaire sauf que le violoniste était armateur). Maria garda cependant, à la scène, le surnom de "La Malibran" dont l'avait affublé un public idolâtre.
Maria et Charles-Auguste donnèrent le jour à Charles-Wilfrid, compositeur (On lui doit 4 Concertos actuellement introuvables) et surtout professeur de piano, au Conservatoire de Paris. Son élève le plus fameux fut Maurice Ravel qui lui dédia sa Rhapsodie espagnole. Le bonheur du couple fut pourtant de courte durée : Maria mourut prématurément, du mélange d'une chute de cheval et d'un refus de se ménager voire de se soigner. Veuf, De Bériot reprit sa carrière de violoniste-compositeur; aujourd'hui, on ne joue plus guère ses Concertos (10 au total, n°7, dont le n°1 dédié au premier Roi des Belges). Ecoutez encore cette Fantaisie opus 100, bien dans la veine virtuose de l'époque des Vieuxtemps, Wieniawski, Sarasate, etc.
Pauline Garcia a vécu une vie très différente. Elève de Franz Liszt, pour le piano, et de ses parents, pour le chant, elle vécut sous la rude contrainte de remplacer sur scène sa soeur défunte, ce qu'elle fit avec des moyens davantage dramatiques que vocaux. Berlioz appréciait peu son timbre de voix au contraire de Saint-Saëns qui lui dédia les plus belles pages de son opéra célèbre, Samson et Dalila (rôle de Dalila).
Pauline était aussi laide que sa soeur Maria était belle, cependant elle n'en fut pas moins courtisée par quelques brillants esprits dont Alfred de Musset et surtout Ivan Tourgueniev (1818-1883), qui en demeura discrètement amoureux les 40 dernières années de son existence. Giacomo Meyerbeer, Hector Berlioz, Charles Gounod, Camille Saint-Saëns, Frédéric Chopin, Georges Bizet, Edouard Massenet mais aussi Georges Sand et Clara Schumann virent en elle une des femmes les plus intelligentes de son temps et tous fréquentèrent ses salons dans l'hôtel particulier du quartier de la Nouvelle-Athènes (Paris, 9ème), à la Villa des Frênes (Bougival) ou en son château de Courtavenel.
Elle abandonna le chant, en 1863, lorsque sa voix déclina, se consacrant à la composition et à l'éducation (musicale) des quatre enfants qu'elle eut de Louis Viardot. Ses mélodies (Hai luli, Mélodies russes) sont davantage que simplement charmantes et l'enregistrement ci-contre, paru chez Analekta, est carrément passionnant. Elle a également écrit des opérettes passablement désuètes bien que ces extraits de Cendrillon témoignent d'une réelle noblesse d'inspiration. Ecoutez encore cette Romance pour violon & piano que vous comparerez bientôt à celle écrite par son fils, Paul. Deux de ses quatre enfants firent, en effet, preuve d'un talent musical certain :
L'arbre généalogique du couple Garcia-Sitches n'est sans doute pas mort mais, ainsi qu'il arrive souvent, il ne porte plus les fruits d'antan. Qu'on se rassure, d'autres arbres prennent régulièrement la relève, surgis de nulle part.