Une chronique préliminaire a rappelé un ensemble de codes et conventions qui affectent l'opéra. Elle s'est achevée avec l'intention d'illustrer le genre depuis les origines jusqu'à nos jours. Aussi large que possible mais (inévitablement) partiel, l'inventaire promis s'étale sur trois chroniques couvrant successivement les périodes baroque et classique, romantique et postromantique et enfin moderne et contemporaine. Elles évoquent les oeuvres maîtresses du "grand" répertoire sans oublier pour autant celles qui pour être moins connues n'en sont pas moins dignes d'intérêt. Chaque oeuvre est datée afin d'attirer l'attention du lecteur sur le fait qu'en matière d'opéra, le style n'a pas toujours progressé linéairement, opérant de fréquents retours en arrière. La datation est parfois approximative eu égard aux faits que : 1) certaines compositions et leurs révisions éventuelles se sont étalées sur plusieurs années et 2) la création scénique a pu être encore plus tardive.
Les illustrations sonores proviennent d'enregistrements effectués en direct ou en studio, voire de spectacles filmés. Actuellement les bases de données les mieux diversifiées sont tenues à jour par les consortiums Chandos et Naxos, qui incluent des centaines de références issues de labels ayant pignon sur rue dont CPO, particulièrement actif dans la recherche d'oeuvres négligées. D'autres (groupes de) labels plus confidentiels (Opera rara, Tactus, Lyrita, Bongiovanni, Dynamic, etc) proposent également nombre d'oeuvres rarement enregistrées mais avec une garantie variable d'excellence artistique et/ou technique (Attention, certaines oeuvres ne sont disponibles qu'en DVD, mise en scène oblige).
Note. Une remarque générale s'impose à tous les stades de l'exposé des parties II, III & IV : le jugement porté sur une oeuvre méconnue peut n'être que provisoire car la qualité de l'interprétation est essentielle pour l'apprécier à sa juste valeur. Le choix des voix et des instruments ainsi que le soin apporté aux articulations et à la dynamique générale peuvent rendre magique une oeuvre qui autrement paraîtrait soporifique. Par exemple, l'air Per la gloria d'adorarvi (en 48:55) est demeuré célèbre dans l'opéra Griselda de Bononcini mais voici comment le grand ténor Beniamino Gigli l'interprétait il y a 75 ans, mal accompagné par un ensemble instrumental complètement "kitsch". C'était sans doute l'exemple de ce qu'il ne fallait pas faire même si en ces temps lointains, on s'en contentait faute de mieux !
Il peut paraître hasardeux de commenter le répertoire opératique en se basant sur un catalogue d'enregistrements quand le chant théâtral (comme la musique instrumentale) exige idéalement la présence en salle. Cependant, dans le cas de l'opéra, c'est la plupart du temps impossible ne serait-ce que parce qu'une oeuvre est rarement montée au-delà d'une douzaine de représentations au terme desquelles les protagonistes s'éclipsent pour incarner un rôle différent à l'autre bout de la Terre. Au bilan, à peine quelques milliers de spectateurs privilégiés peuvent assister à un événement particulier. Une conséquence est que, pour un individu lambda donné, la probabilité d'assister un jour à la représentation scénique de l'une quelconque des oeuvres rares évoquées ci-après est proche de zéro. C'est moins grave qu'il y paraît : une production "live" remplit rarement tous les critères d'excellence d'un art présumé total (Distribution vocale idéale, orchestre motivé, chef inspiré, ..., et je laisse de côté la mise en scène), d'où un enregistrement bien conçu peut souvent être une bonne affaire, en tous cas toucher un large public.
L'inventaire qui suit étant tributaire des enregistrements disponibles, il ne peut prétendre être complet ni même objectif et tout lecteur désappointé de ne pas y trouver trace d'une oeuvre significative qui lui tiendrait à coeur peut introduire une réclamation en bonne et due forme, sous réserve qu'il puisse produire un enregistrement existant. Les pochettes qui servent d'illustration ne reflètent en rien l'échelle des valeurs connues, elles attirent simplement l'attention sur des enregistrements valeureux sortant de l'ordinaire.
Cet exposé et les deux qui suivront divisent l'échelle du temps opératique avec légèreté de manière à faciliter la présentation. Les dates charnières ont donc été arrondies afin de frapper les mémoires sans (trop) bousculer la chronologie véritable.
La période baroque s'est étalée entre 1600 (Réveil musical des Italiens) et 1750 (Mort de J-S Bach). Elle est commodément divisée en deux sous-périodes posées égales par facilité, la césure coïncidant approximativement avec l'apparition et la diffusion d'un nouvel instrumentarium (Cordes crémonaises, bois et vents perfectionnés, etc). Au point de vue vocal, on est passé de la récitation "cantando" ponctuée par un petit ensemble instrumental (Violon, luth, théorbe, orgue portatif, flûte à bec, cornet à bouquin, etc) au chant virtuose accompagné par un véritable orchestre baroque.
On rappelle que les musiciens italiens n'ont guère brillé autant que leurs collègues peintres, sculpteurs et architectes à l'époque de la Renaissance : peu disposés à suivre le mouvement polyphonique imposé par les Maîtres franco-hennuyer-flamands, avec lequel ils n'avaient que peu d'affinités, ils ont peiné à faire valoir leur art du chant monodique accompagné pour lequel ils possédaient pourtant des compétences indiscutables.
Les temps ont changé vers la fin du 16ème siècle lorsque la polyphonie savante a eu épuisé ses effets : l'Italie a alors pu émerger et offrir un berceau à l'opéra naissant, qui n'a jamais cessé de grandir. A vrai dire, il ne pouvait naître qu'en Italie : aux 17ème et 18ème siècles et à l'exception très particulière du baroque Versaillais (inventé par Lully, un italien !), les compositeurs de toutes provenances géographiques ont implicitement admis que la langue italienne était, de par l'ouverture de ses voyelles et la gestion de son accent tonique, celle qui servait au mieux le chant, au double plan de la mélodie et de l'agilité vocale. Il a fallu attendre la fin du 18ème siècle pour que l'allemand réclame enfin ses droits, suivi ultérieurement par toutes les langues nationales.
Une oeuvre collective étonnamment précoce a anticipé la naissance de l'opéra : La Fabula di Orfeo (vers 1480), d'après un poème d'Angelo Poliziano. Due à la collaboration de Serafino dall' Aquilano, Marchetto Cara, Bartolomeo Tromboncino et Michele Vicentino, elle a été la première tentative connue de mise en musique du mythe d'Orphée. Le magnifique enregistrement paru chez K617 en ravira plus d'un, davantage que celui, plus ancien, de l'ensemble Huelgas. Etrangement, cette oeuvre pionnière est (apparemment) restée sans lendemain immédiat.
L'opéra n'est en effet véritablement né que 100 ans (!) plus tard, de la fusion de deux éléments musicaux parvenus à maturité, la mélodie monodique d'extraction populaire (Frottole de Marchetto Cara, 1470-1525, et de Bartolomeo Tromboncino, 1470-1535) et le Madrigal savant. Ces deux constituants, brefs par essence, ont alors fusionné avec l'intention d'alimenter des oeuvres théâtrales s'installant dans la durée.
Cela ne s'est pas fait sans tâtonnements et les premiers essais qui nous sont parvenus (parfois en lambeaux !) ont surtout été des comédies madrigalesques reposant sur le principe de la Commedia dell'arte. La formule n'a cependant pas fait fortune, les meilleurs spécimens connus, dus à Orazio Vecchi (1550-1605) (L'Amfiparnaso, 1594) et Adriano Banchieri (1568-1634) (La Pazzia senile, 1598 et La Barca di Venezia per Padova, 1605), ayant peiné à nouer une intrigue digne de ce nom.
Une (autre) oeuvre collective, La Pellegrina (1589), a fait un pas dans la bonne direction : destinée à célébrer les noces de Ferdinand 1er de Médicis et de Christine de Lorraine, elle a mobilisé le concours de plusieurs musiciens connus (Cristofano Malvezzi, Emilio de Cavalieri, Luca Marenzio, Giulio Caccini, Jacopo Peri, ...). Avec le recul, elle n'est pas encore un opéra à proprement parler mais plutôt une suite d'intermèdes décousus sans projet théâtral abouti.
Les choses se sont véritablement mises en place à partir de la Pastorale Dafne (vers 1598), de Jacopo Peri (1561-1633), malheureusement perdue. Elle fut suivie par l'Euridice (1600) du même Peri, une commande destinée à célébrer les noces florentines de Henri IV (absent !) et de Marie de Médicis. La même année, Giulio Caccini (1551-1618), qui avait collaboré à l'oeuvre de Peri, a produit sa propre Euridice, effectivement montée en 1602. Dafne (comme Orfeo ed Euridice) était un thème à la mode et de fait, en 1608, Marco da Gagliano (1582-1643) en a écrit une autre, en tous points excellente, sur un livret d'Ottavio Rinuccini. Note. Dafne a également été le thème du premier opéra allemand (connu), sur une musique d'Heinrich Schütz (1627), perdue elle aussi. Schütz ayant travaillé sur la base d'un livret de Martin Oppitz (d'après celui de Rinuccini) et celui-ci nous étant parvenu, le chef Roland Wilson a imaginé restaurer la musique manquante en l'empruntant à des oeuvres antérieures de Schütz, voire de collègues italiens proches de Gagliano. Son travail a fait l'objet d'un enregistrement récent paru chez CPO.
Aucune des oeuvres précédentes ne se déroule à la manière d'un opéra "traditionnel" : le discours s'y tient souvent à la troisième personne du singulier, animé par un personnage allégorique qui commente l'action davantage qu'il ne la vit. Dans cette veine, La Rappresentazione di Anima et di Corpo (1600) d'Emilio de Cavalieri (1550-1602), a également revendiqué le titre de premier opéra en date mais le point de vue actuel le voit plutôt comme le premier oratorio profane de l'histoire.
Il est d'usage de considérer que l'acte officiel de baptême du genre opéra a été signé le 24 février 1607, date de la première représentation de l'Orfeo de Claudio Monteverdi (1567-1643). Sa toccata initiale, une réminiscence brillante de ce que Peri avait déjà fait entendre dans son Euridice, a sonné l'avènement du baroque. Ce fut un coup de tonnerre semblable à ceux qui retentiront 200 et 300 ans plus tard à l'avènement des périodes romantique et moderne (L'Héroïque de Beethoven en 1804 et le Sacre du Printemps de Stravinsky en 1913).
Cette oeuvre fondatrice a été représentée et enregistrée un très grand nombre de fois. Si la version historique d'Harnoncourt ou celle récente et incandescente d'Alarcón remportent un maximum de suffrages, je conserve personnellement un faible pour l'ancienne version dirigée par Michel Corboz, avec le ténor Eric Tappy, merveilleux de prestance vocale dans le rôle d'Orfeo (Admirez les n°13, 19, 21!, 22!, 23). D'autres versions moins médiatisées voire minimalistes peuvent être très convaincantes, telle celle, récente, proposée par Emiliano Gonzaleds Toro dirigeant l'ensemble I Gemelli et incarnant le rôle d'Orphée.
Note. Il importe de réaliser une fois pour toutes que nombre d'opéras baroques ne nous sont pas parvenus sous la forme d'une partition immédiatement exploitable. Certains originaux sont perdus et nous n'en possédons que des copies souvent contradictoires quant à la découpe des scènes, l'instrumentation et même la succession des notes et des paroles. Des scènes entières ont parfois été supprimées ou remplacées par d'autres sans rapport avéré. Même dans le cas d'Orfeo où une partition originale nous est parvenue, il subsiste de nombreuses incertitudes dues au fait que tout n'y est pas scrupuleusement noté. Un travail musicologique s'impose donc afin de rendre l'oeuvre jouable. Historiquement, des compositeurs tels Vincent d'Indy, Ottorino Respighi, Gian Francesco Malipiero, Carl Orff, Bruno Maderna, Luciano Berio et plus récemment Philippe Boesmans ont tenté des adaptations (d'Orfeo) reposant sur des données musicologiques constamment (re)mises à jour. De même, des chefs tels Nikolaus Harnoncourt, Jordi Savall, William Christie, Christina Pluhar et Leonardo García Alarcón ont adopté le point de vue de l'interprète en quête d'une restitution historiquement informée, sauf que rien que leur nombre suffit à démontrer qu'aucune d'entre elles ne peut prétendre à "la" vérité historique de toute façon hors d'atteinte. Il appartient donc à l'auditeur contemporain de comparer les enregistrements disponibles et d'opter pour celui qui lui "parle" le mieux.
Monteverdi a composé d'autres opéras mais la plupart sont perdus (Arianna dont il ne subsiste qu'un célèbre Lamento, Le Nozze d'Enea con Lavinia, Andromède, Proserpina rapita, ...) sauf Il Ritorno di Ulisse in Patria (1641) et L'incoronazione di Poppea (1643). Il est possible que les oeuvres égarées correspondent à des travaux collectifs ayant mobilisé l'assistance d'élèves et que la dispersion du travail a entraîné celle des manuscrits. Notons, à l'appui de cette thèse, que le Couronnement de Poppée nous est parvenu sous forme de deux copies contradictoires et que l'on a jamais vraiment identifié la part prise dans la composition par d'autres intervenants, dont certainement Cavalli et peut-être Ferrari. Par exemple, le balancement en forme de chaconne du merveilleux air conclusif Pur ti miro, pur ti godo évoque celui de la cantate Queste pungenti Spine de Benedetto Ferrari (1603-1681). Tant que vous y êtes, réécoutez tout l'acte 3 dans la version Harnoncourt-Ponnelle et profitez de l'extraordinaire finale (à partir de 23:40) : le couronnement de Poppée (Rachel Yakar), sa jubilation intérieure à l'idée d'avoir évincé l'épouse, Octavie, enfin son duo énamouré avec Néron (Eric Tappy).
Francesco Cavalli (1602-1676), de son vrai nom Francesco Caletti-Bruni (Cavalli était le nom de son mécène vénitien), a été l'autre pôle de ce premier âge d'or. Certes il n'a jamais possédé le génie aventureux de Monteverdi ni disposé d'un ensemble instrumental aussi varié que lui; par contre il a appris et retenu les leçons de son aîné, produisant un nombre impressionnant d'oeuvres de qualité (environ 35), que l'on exhume progressivement, telles La Calisto (1652) et Ercole amante (1662). Toutefois ma préférée est (actuellement, attendons d'autres découvertes !), Eliogabalo (1668), d'autant (ou parce) qu'il a bénéficié d'une production remarquable dirigée par Leonardo García Alarcón (Commencez en 1:06:34 ou en 2:00:00).
Entre Monteverdi et Cavalli, un grand nombre de compositeurs se sont lancés dans l'aventure théâtrale, produisant de nombreux opéras à rallonge, en cause des récitatifs envahissants que l'on abrège éventuellement (Cf 1ère Partie). Reconnaissons que personne, aujourd'hui, ne remarque ces coupures pas même ceux qui suivent le livret avec l'espoir de comprendre une action généralement alambiquée à l'extrême.
Parmi d'autres chefs-d'oeuvre incontestables, mentionnons ceux de Stefano Landi (1587-1639) (Il Sant' Alessio, 1631, et La Morte d'Orfeo, 1619, une belle réussite !), Domenico Mazzocchi (1592-1665) (La Catena d'Adone, 1626), Luigi Rossi (1598-1653) (La Lyra d'Orfeo, 1647), Gioseffo Zamponi (ca1605-1662) (Ulisse all' Isola di Circe, 1650), Antonio Cesti (1623-1669) (Orontea, 1656, La Dori, 1657, et le gigantesque Il Pomo d'Oro, 1667, dont la durée pouvait approcher les 6 heures !), Antonio Draghi (1634-1700) (El Prometeo, 1669) et Bernardo Pasquini (1637-1710) (L'Idalma overo chi la dura la Vince, 1680). La liste ne s'arrête certainement pas là et des découvertes sont probables si l'on se décide enfin à fouiller les bibliothèques, par exemple à la recherche d'oeuvres réputées perdues de Benedetto Ferrari (1603-1681).
L'opéra italien a conservé une longueur d'avance pendant le second Baroque, gagnant même les faveurs de la plupart des Cours européennes, à l'exception notoire de celle de Louis XIV (Cf infra). Si les livrets n'ont guère changé de thèmes, continuant de puiser dans la mythologie grecque (mais s'inspirant également de la vie des notables de l'Antiquité romaine voire du Moyen-Age : Titus, Charles le Chauve, ...), la musique et le chant ont évolué, revendiquant un droit à l'extraversion.
Les écoles florentine, vénitienne, romaine et napolitaine se sont fait une rude concurrence dans les domaines de l'opéra séria (sérieux) ou buffa (comique), rivalisant d'une virtuosité vocale frisant l'extravagance (intervalles acrobatiques, vélocité débridée et ascension globale dans le registre aigu).
Sur les conseils et/ou les injonctions de leur Princes protecteurs, nombre de musiciens venus de tous les coins d'Europe ont alors fait le voyage vers la péninsule afin d'apprendre les "vraies" recettes de l'opéra, de les imiter puis d'innover à leur tour dans le meilleur des cas. Des compositeurs italiens ont fait les voyages en sens inverse dans le but de diffuser l'art du beau chant.
Le vénitien Antonio Vivaldi (1678-1741) et les napolitains Nicola Porpora (1686-1768) et Leonardo Vinci (1690-1730) ont été les trois grands maîtres du baroque festif italien. Ensemble ils ont établi un catalogue des procédés vocaux les plus variés, virtuoses ou langoureux sans que la musique y perde jamais ses droits.
- Prêtre réputé bigot mais nullement décidé à brider une veine mélodique que l'Eglise aurait pu réprouver, Antonio Vivaldi a été la star de son temps : renonçant au service religieux en 1706 mais pas à son habit, "Il Prete Rosso" a composé au moins 50 opéras et encore le compte n'est pas certain. La santé sinon la qualité de cette musique saute à nos oreilles contemporaines, surtout lorsqu'elle est servie par des ensembles baroques qui respectent les standards musicologiques actuels d'intonation et d'articulation : L'Olimpiade (1734, Concerto Italiano, Dir. Rinaldo Alessandrini), Tito Manlio (1719) et L'Incoronazione di Dario (1717, Academia Bizantina, Dir. Ottavio Dantone), Farnace (1727) et Orlando finto Pazzo (1714, Academia Montis Regalis, Dir. Alessandro de Marchi), L'Atenaide (1728) et Montezuma (1733, Modo Antiquo, Dir. Federico Maria Sardelli), La Verità in Cimento (1720) et Orlando furioso (1727, Ensemble Matheus, Dir. Jean-Christophe Spinosi), Griselda (1735, Aradia Ensemble, Dir. Kevin Mallon), Catone in Utica (1737, Il Complesso baroquo Dir. Alan Curtis), Armida (1718, Concerto italiano Dir. Rinaldo Alessandrini), ..., il est impossible de les citer tous. Les labels Virgin et Naïve (Edition Vivaldi apparemment interrompue en 2015) ont été particulièrement actifs dans ce domaine. Si, passionné, vous écoutez tout ce qui est disponible, ne vous étonnez pas d'entendre çà et là des airs déjà entendus, on est au pays du pasticcio, l'appellation italienne du recyclage musical de pages antérieures.
- Nicola Porpora a beaucoup voyagé, de Naples vers Rome, Vienne, Venise, Londres, Dresde et retour à Naples pour y mourir. Nul doute qu'il a compté parmi les meilleurs ambassadeurs de l'opéra italien (Orlando et Polifemo à Londres en 1720 et 1735). Il est en particulier connu pour avoir composé nombre d'airs virtuoses pour le castrat Farinelli, par exemple celui situé à l'extrême fin de l'opéra "Carlo il Calvo" (1738, Part 1 et Part 2). Profitez-en pour comparer les interprétations de Cecilia Bartoli (en 1:33), reine du staccato, et de l'adorable Julia Lezneva, si naturelle en plein délire vocal. Carlo il Calvo (Charles le Chauve) est une oeuvre dont je ne me lasse pas, en particulier dans la mise en scène somptueuse du Festival baroque (!) 2020 de Bayreuth et disponible en DVD (Découvrez, par exemple, Quando s'oscura il Cielo, l'air superbe à l'acte 2, en 1:43:43). Bien que Porpora ait composé plus de 35 opéras, on est encore loin du compte en ce qui concerne les enregistrements disponibles. Pourtant il suffit d'écouter Semiramide riconosciuta (1728) ou Germanico in Germania (1732) pour se convaincre de l'urgence de la tâche.
- Leonardo Vinci est la surprise du chef (Aucun lien de parenté avec l'illustre inventeur). Voilà un génie méconnu dont les studios d'enregistrement commencent à peine à explorer l'oeuvre riche d'au moins 40 opéras : La Partenope (1723), Gismondo, Re di Polonia (1727), Catone in Utica (1728) et surtout Artaserse (1730), ici dans une superbe production (2012) de l'Opéra de Nancy, avec le Concerto Köln, Dir. Diego Fasolis, et une brochette de spécialistes du chant baroque (Philippe Jaroussky, Max Emanuel Cenčić, Franco Fagioli, Yuriy Mynenko, ..., rien que des hommes éventuellement travestis !). Si vous êtes vraiment pressé, commencez par l'Acte 3, à partir de 3:13:30, c'est une merveille de tous les instants.
Un autre napolitain, Giovanni Battista Draghi (1710-1736), mieux connu sous le nom de Pergolesi (Sa famille étant originaire de Pergola), était parti pour égaler ses aînés mais la tuberculose en a décidé autrement. Ephémère son génie n'en a pas moins frappé les esprits par la nouveauté de sa conception théâtrale et sa maîtrise de l'action en musique. C'est d'ailleurs sa Serva Padrona (La Servante maîtresse, 1733), un simple intermède divertissant, qui a été l'un des détonateurs de la Querelle des Bouffons. Ne passez surtout pas à côté de ses oeuvres majeures où l'efficacité tant mélodique que virtuose est omniprésente : Lo Frate 'nnammurato (1732, Stravinsky y a puisé les thèmes de son ballet Pulcinella, amusez-vous à les repérer), Il Prigionier superbo (1733), Adriano in Siria (1734, à ne pas manquer !), Il Flaminio (1735) et L'Olimpiade (1735). Le talent de Pergolesi a frappé les esprits de son temps jusqu'en Allemagne où le grand Bach a entièrement retranscrit son célèbre Stabat Mater (Psaume 51 Tilge, Höchster, meine Sünden, BWV 1083). Nul doute que s'il avait vécu plus longtemps, il se serait imposé comme l'un des grands Maîtres du Baroque italien.
Note. Les extraits proposés montrent que l'oeuvre de Pergolesi a bénéficié des soins attentifs de la Fondazione Pergolesi (Spontini) en association avec le Théâtre de Jesi, sa ville natale (Région des Marches). Qu'une cité d'à peine 40000 habitants possède un des théâtres lyriques les plus réputés d'Italie démontre, s'il en était besoin, l'attachement profond de ce pays pour l'opéra.
D'autres musiciens méritent votre considération :
- Agostino Steffani (1654-1728) (I Trionfi del Fato, 1695, Tassilone, 1709, et l'émouvant Niobe, Regina di Tebe, 1687).
- Alessandro Scarlatti (1660-1725, le père de Domenico) (Telemaco, 1718 et le tardif La Griselda, 1721) et Francesco Gasparini (1661-1727) (Il Bajazet, 1719).
- Antonio Caldara (1670-1736), surtout connu pour ses contributions à la musique sacrée, n'a pas fait dans le détail avec une centaine d'opéras ! Comme souvent, c'est peut-être cette pléthore qui a nui à sa reconnaissance (La Concordia de Pianeti, 1733, et La Clemenza di Tito, 1734).
- Domenico Scarlatti (1685-1757) n'est pas seulement l'auteur d'un fameux ensemble de Sonates pour clavecin : écoutez Ottavia Restituita al Trono (1703), qui prend le contrepied du Couronnement de Poppée en rendant ses droits à l'épouse face à la maîtresse.
D'autres musiciens parfaitement estimables tels, Giovanni Battista Bononcini (1670-1747) (La Griselda, 1722), Benedetto Marcello (1686-1739) (Excellente Arianna, 1727, superbement enregistrée), Giuseppe Antonio Brescianello (1690-1758) (Formidable Tisbe, 1718), Geminiano Giacomelli (1692-1740) (Merope, 1734, bien servi par Cecilia Bartoli) ou l'étonnant Riccardo Broschi (1698-1756), enregistré seulement par fragments on se demande bien pourquoi (Merope, 1732, Idaspe, 1730), ont brillé sans nécessairement atteindre le point d'incandescence.
L'école napolitaine a également influencé plus d'un compositeur de la péninsule ibérique. Découvrez, par exemple, Amor aumenta el Valor (1728) de l'espagnol José de Nebra (1702-1768) ou La Spinalba, ovvero Il vecchio matto (1739) du portuguais Francisco António de Almeida (1702-1755).
Après la perte déjà évoquée de Dafne (1627) d'Heinrich Schütz (1585-1672), l'Allemagne a dû attendre plus de 60 ans avant que Heinrich Ignaz Franz Biber (1644-1704) propose une oeuvre importante, le flamboyant Arminio (1691, son unique opéra).
L'Oper am Gänsemarkt (2000 places !) avait pourtant été inauguré à Hambourg, dès 1678, dans le but de satisfaire un public cultivé qui souhaitait suivre l'intrigue de chaque oeuvre dans sa langue ordinaire. Ce théâtre a surtout rayonné lorsqu'il a pu compter sur le concours de musiciens fameux (Keiser, Händel, Telemann, ...).
Reinhard Keiser (1674-1739) y a été le premier grand pourvoyeur d'opéras, alternant le meilleur (Croesus, 1710, Fredegunda, 1715) et le moins bon (Der siegende David, 1721, dont la rigidité est héritée des Passions religieuses en vogue en Allemagne du Nord). Georg Caspar Schürmann (1672-1751), son sucesseur à la Cour de Brunswick, a composé plus de 30 opéras dont beaucoup sont malheureusement perdus (Die getreue Alceste, 1719). Il est plus difficile de juger l'oeuvre de Johann Mattheson (1681-1764), en cause la pénurie d'enregistrements. J'ai quand même trouvé cet écho pétersbourgeois de son Boris Godunov (1710) mais, de qualité médiocre, il ne suffit pas pour se faire une idée précise (Un enregistrement nettement supérieur vient de paraître chez CPO).
Georg Philipp Telemann (1681-1767), l'un des compositeurs les plus prolifiques de tous les temps, a peiné à reproduire à la scène les succès remportés en musique instrumentale. En tous cas, ses opéras ne tentent guère les éditeurs sans que l'on sache trop si cette défection est la cause ou la conséquence d'un manque d'intérêt (Germanicus, 1704, Der Geduldige Sokrates, 1721, Orpheus, 1726). Ne manquez pas cependant l'étonnant Miriwais, 1728, d'après le nom de l'émir Pachtounes Miriwais (1673-1715) et testez cette oeuvre débridée, par exemple en 21:00 (!) ou en 1:53:05.
Telemann a été le musicien le plus apprécié en son temps. Lorsque le poste de Cantor de (l'église) Saint-Thomas de Leipzig a été déclaré vacant, suite à la disparition de Johann Kuhnau (1660-1722), c'est lui qui a été pressenti pour lui succéder. Suite à son refus, le poste a été proposé à Christoph Graupner (1683-1760), deuxième sur la liste, mais son employeur (Le Landgrave Ernst Ludwig de Hesse-Darmstadt) l'a dissuadé d'accepter, si bien que le poste échut finalement à JS Bach, 3ème choix sur la liste ! Bien que Graupner se soit spécialisé en musique religieuse, il a quand même composé quelques opéras dont Antiochus und Stratonica (1707). Son oeuvre est presque intégralement conservée à la Bibliothèque de Darmstadt où elle attend toujours d'être éditée.
Ce qui a manqué à l'opéra germanique naissant, c'est la fluidité du chant, une difficulté que le recours à l'italien aurait permis de contourner plus sûrement. C'est d'ailleurs ce qui a fini par se produire : nombre de compositeurs saxons ont franchi les Alpes afin d'apprendre leur métier en immersion quand plusieurs musiciens italiens ont fait le voyage inverse à l'invitation des Cours de Vienne (Vivaldi) ou de Dresde (Porpora). L'opéra italien a dès lors diffusé dans toute l'Europe et, sauf en France, la langue italienne s'est imposée pendant plusieurs décennies.
Deux grands voyageurs, Georg Friedrich Händel (1685-1759) et Johann Adolph Hasse (1699-1783) se sont imposés au sein de l'école saxone.
Händel a débuté sa carrière professionnelle à Hambourg, puis il a fait un stage déterminant en Italie (1706-1710) avant de faire des allers et retours entre l'Allemagne et l'Angleterre, pays où il a fini par se fixer et se naturaliser sous le nom de Haendel. Il a composé une quarantaine d'opéras, la plupart pour les théâtres londoniens : Agripinna (1710), Rinaldo (1711), Lucio Silla (1713), Giulio Cesare (1724), Tamerlano (1724), Rodelinda (1725), Alessandro (1726), Orlando (1733), Alcina (1735; cette version dirigée par Richard Bonynge a 60 ans mais quelle leçon de chant de Joan Sutherland ! Celle dirigée par Richard Hickox est également parfaite, cf illustration), Arminio (1737), Serse (1738, célèbre largo en 5:58), etc. Beaucoup ont été enregistrés notamment chez Naïve. Ne vous étonnez pas à nouveau d'entendre, çà et là, des airs déjà entendus dans d'autres oeuvres du Maître : tout comme Vivaldi, Händel a été un grand spécialiste du recyclage en interne. Ne soyez pas non plus étonné que deux enregistrements d'une même oeuvre diffèrent dans leur minutage : les chefs décident souvent de pratiquer des coupures là où bon leur semble et pas seulement au niveau des récitatifs encombrants. Plus étrange, il leur arrive de chambouler l'ordre des numéros quand ils n'en suppriment pas certains pour les remplacer par d'autres issus d'oeuvres différentes, au motif que le compositeur était le premier à recourir à ce procédé.
Haendel a connu des triomphes à Londres mais aussi des revers, particulièrement entre 1710 et 1740 : des intrigues nombreuses, une rivalité absurde avec Bononcini (qui ne lui arrivait pourtant pas à la cheville), des cabales diverses et une défection progressive du public anglais pour l'opéra seria ont eu raison de l'entrain du compositeur. Convaincu d'avoir fait le tour d'un genre dont il ne pouvait plus tirer aucun profit, il s'est tourné vers l'oratorio. Il a fait un bon choix, s'assurant l'estime définitive de ses hôtes, heureux de posséder enfin une "spécialité musicale" que personne en Europe ne pourrait leur contester.
Hasse fut le concurrent direct de Haendel, en qualité comme en quantité (50 oeuvres au moins). Pourtant, aujourd'hui, il ne fait guère l'objet d'attentions comparables de la part des éditeurs et il faut fouiller pour trouver des enregistrements de qualité. Vous devez au moins connaître Cleofide (1738), un chef-d'oeuvre très bien enregistré par la Cappella Coloniensis (Dir. William Christie) et une brochette de chanteurs aguerris (Emma Kirkby, Agnes Mellon, Derek Lee Ragin, Dominique Visse, David Cordier, ...). L'oeuvre est constamment belle, les récitatifs sont concis et les airs brillants, tous en en forme de tubes (En 10:07, 27:31, 33:35, ...). En fouillant davantage, vous trouverez d'autres oeuvres de valeur tels, Siroe (1733), L'Eroe Cinese (1753), L'Olimpiade (1756) et Zenobia (1761).
L'oeuvre vocale de Johann David Heinichen (1683-1729) a été détruite pendant les bombardements de Dresde sans que quelqu'un ait eu l'idée (ou le temps ?) d'en faire des copies. On a quand même conservé ce superbe Flavio Crispo (1720) et le résultat nous rend encore plus inconsolables. Notez que la même mésaventure est arrivée aux opéras de Tomaso Albinoni (1671-1751).
Après l'Allemagne, l'Autriche est entrée dans la danse, préparant l'émergence de la Première Ecole de Vienne. Deux musiciens encore trop négligés de nos jours, Johann Joseph Fux (1660-1741) et Carl Heinrich Graun (1704-1759), ont initié le mouvement :
- Fux qui s'était fait connaître grâce à un traité essentiel sur le contrepoint (Gradus ad Parnassum) n'a connu qu'un seul succès retentissant à la scène avec le monumental Costanza e Fortezza (1723), joué par plus de 300 exécutants à Prague, lors du couronnement de Charles VI de Bohême. Ascanio Re d'Alba (1708), Dafne in Lauro (1714) et Orfeo ed Euridice (1715) méritent pourtant un égal détour.
- Quant à Graun, il a composé plus de 30 opéras dont Polydorus (1726) et surtout Cesare ed Cleopatra (1742), parfaitement restitué par la troupe de René Jacobs. Qu'attendent les éditeurs pour explorer davantage son oeuvre ? Notez qu'il existe un enregistrement Decca consacré à des extraits d'opéras, chantés par l'excellente Julia Lezhneva.
Pour mémoire, le très protestant Johann Sebastian Bach n'a pas écrit d'opéra, ses Passions tournées vers un passé mémoriel en ont tenu lieu. Ses fils ont respectueusement suivi son exemple à l'exception du plus jeune, Johann Christian (Cf infra) qui s'est lancé dans l'aventure après le décès de son père; personne ne sait si celui-ci aurait approuvé. De même, l'excellent collègue Bohémien Jan Dismas Zelenka (1679-1745) a préféré l'oratorio à l'opéra; il y aurait pourtant excellé si l'on en juge par Il Diamante (1737), une très belle Sérénade de circonstance pour un mariage princier.
La musique orchestrale anglaise ayant enregistré un retard permanent sur celle développée sur le continent, l'opéra en a pâti, se cantonnant la plupart du temps dans l'écriture de Semi-opéras (Masks, Musiques de Scène et/ou Intermèdes), destinés davantage à servir le théâtre parlé qu'à le concurrencer. Il importe cependant d'insister sur les contributions significatives de John Blow (1649-1708) (Venus et Adonis, 1682), Henry Purcell (1659-1695) (The Tempest, 1695, The fairy Queen, 1692, The indian Queen, 1695) et John Eccles (1668-1735) (Semele, 1706).
Le passage au "grand opéra" ne s'est fait qu'épisodiquement, essentiellement à l'initiative de Purcell. Le poignant Didon et Enée (1689) et le brillant King Arthur (1691) sont deux oeuvres qui comptent parmi ce que le répertoire baroque compte de plus précieux. Longtemps après Purcell, il n'y eut plus que le tardif Thomas Arne (1710-1778) pour entretenir un opéra spécifiquement anglais (Alfred, 1740, Artaxerxes, 1762).
L'opéra "à l'italienne" s'est rapidement imposé sur toutes les scènes européennes. Il n'a été contesté qu'en France pour des raisons qu'il convient de rappeler brièvement. Louis XIV tenait au rayonnement de "sa" Cour de France et singulièrement de la langue qu'on y parlait et il entendait que l'opéra joué à Versailles serve celle-ci. Le théâtre parlé étant déjà codifié selon les règles strictes de la tragédie classique racinienne, l'opéra se devait de suivre l'exemple. Mais pour cela, il fallait un Maître de Musique entièrement dévoué à cette cause. Ironiquement, le Roi l'a trouvé en la personne d'un ... italien, Jean-Baptiste Lully (1632-1687), de son vrai nom, Giovanni Battista Lulli.
L'aventure versaillaise de Lully a débuté avec la création de Cadmius et Hermione (1673) et elle s'est terminée avec Armide (1686) pour un total de 13 oeuvres achevées. Une 14ème, Achille et Polyxène (1687), a été complétée par Pascal Collasse. La plupart de ses opéras, Athys (1676), Alceste (1674), Isis (1677), Phaéton (1683), ... , ont été enregistrés avec des bonheurs divers.
J'avoue n'avoir jamais été emballé par cet Art guindé à l'extrême où un théâtre d'un autre âge phagocyte la musique. Il a fallu attendre la disparition de Lully et bientôt l'assoup(l)issement de son Souverain pour que les musiciens français connaissent enfin un relâchement des règles imposées par la Raison d'Etat. Ainsi Armide, le dernier opéra achevé par Lully, a été revu et modernisé avec beaucoup d'esprit par François Francoeur (1697-1787) : un enregistrement de cette version jamais (re)présentée à la scène est paru récemment chez Alpha (Comparez l'air "Nous ne trouvons partout que des gouffres ouverts" dans la version originelle de Lully et dans celle remaniée par Francoeur).
Le bilan de Lully n'a pas été aussi favorable qu'espéré. Aucun style opératique n'est plus conventionnel que le sien et, à ce titre, il ne pouvait guère être porteur d'avenir. C'est bien ce qu'on a observé dans les faits : son modèle a disparu avec lui et les musiciens français en ont profité pour "moderniser" leur style. D'autre part, l'intriguant Lully avait exigé et obtenu de son auguste employeur le privilège du monopole de l'Opéra Royal. Cela a contribué à marginaliser nombre de collègues parfaitement estimables dont le plus brillant de tous, Marc-Antoine Charpentier (1643-1704). Ecarté des scènes théâtrales, celui-ci a en effet dû attendre la disparition de Lully pour prendre une courte revanche sur le sort et montrer la voie d'un opéra libéré des conventions d'un art qui n'en comportait que trop. Ne manquez donc pas son unique opéra Médée (1693) (David et Jonathas, 1688, est plutôt à ranger parmi les drames bibliques). Notez que Médée sacrifie encore à l'obligation d'un Prologue à la gloire du Roi Soleil (Celui-ci règnait encore et on ne badinait pas avec l'autorité de droit divin).
En introduisant une touche de souplesse italienne dans sa musique, Charpentier a ouvert une voie prometteuse à tous les successeurs qui lui ont emboîté le pas, en particulier lors du règne nettement plus libéral de Louis XV : Marin Marais (1656-1728) dans Sémélé (1709), André Campra (1660-1744) dans Le Carnaval de Venise (1699) et Tancrède (1702), Henry Desmarest (1661-1741) dans Vénus et Adonis (1697), Elisabeth-Claude Jacquet de la Guerre (1665-1729) dans Céphale et Procris (1694), Jean-Fery Rebel (1666-1747) dans Ulysse (1703), André-Cardinal Destouches (1672-1749) dans Callirhoé (1712), Jean-Joseph Mouret (1682-1738) dans Les Amours de Ragonde (1714), Joseph Bodin de Boismortier (1689-1755) dans Daphnis et Chloé (1747), Jean-Marie Leclair (1697-1764) dans Scylla et Glaucus (1746) et Jean-Joseph Cassanea de Mondonville (1711-1772) dans Les Fêtes de Paphos (1758), quand je vous disais que la disparition prématurée de Lully a été providentielle ! Si vous êtes pressé, écoutez en priorité Sémélé, Callirhoé, Daphnis et Chloé et surtout le très réussi Scylla et Glaucus.
Jean-Philippe Rameau (1683-1764) exige un traitement de faveur. Ce musicien pas comme les autres a attendu d'avoir 50 ans pour aborder l'opéra, l'accommodant à une sauce où l'harmonie savante a côtoyé une verve populaire parfaitement styl(is)ée. Son parcours a démarré de façon magistrale avec Hippolyte et Aricie (1733) et il s'est terminé trente, ans plus tard, avec Les Boréades (1763), l'incroyable chef-d'oeuvre d'un jeune homme de 80 ans ! Entre les deux, on ne sait qu'admirer le plus parmi Les Indes galantes (1735), Castor et Pollux (1737), Dardanus (1739), Platée (1745), Zaïs (1748), Zoroastre (1749) et Les Paladins (1757) pour ne citer que des oeuvres essentielles. Tout est harmoniquement raffiné et rythmiquement entraînant chez ce musicien alors que l'homme avait la réputation d'être irritable et bougon. Son art a été contesté lors de la Querelle des Bouffons évoquée en première partie mais il n'en a eu cure, certain d'avoir raison en toute circonstance. Jean-Jacques Rousseau, grand défenseur de la musique italienne, fut son contradicteur le plus zélé : musicien à ses heures perdues (dans tous les sens du terme), il a tenté de montrer l'exemple de ce qu'il prônait dans Le Devin du Village (1752), un divertissement apprécié en son temps mais, au bilan historique, sans autre prétention que la sienne.
A une époque où le (pré)classicisme se répandait à Vienne, Rameau a été le dernier représentant du baroque français finissant (mais flamboyant !). Il fut un temps déjà lointain où l'on ne l'entendait que piètrement interprété (Mais c'était déjà ça !); ce n'est heureusement plus le cas et ses oeuvres se présentent aujourd'hui comme le parfait exemple d'une alliance improbable entre les conventions d'un genre révolu et une modernité harmonique éternelle. Après lui, la Révolution de 1789, méfiante par nature contre tout art connoté élitiste, a plongé la France dans un demi-siècle de franche obscurité musicale.
En musique instrumentale, il est d'usage de clore le Baroque à la mort de J-S Bach (1750) pour céder la place à la période préclassique. Animé par les musiciens de l'école de Mannheim, en Bohême, et par Carl Philipp Emanuel (1714-1788), en Allemagne, le Préclassicisme a développé l'Empfindsamkeit (La sensibilité exacerbée, 1740-1760) et sa suite naturelle, plus techniquement sophistiquée, la période "Sturm und Drang" (Tempête et Passion, 1760-1770). Les mentalités étaient en train de changer et l'individualisme (pré)romantique couvait à l'écoute des idées véhiculées par les philosophes des Lumières.
Rien de semblable ne s'est vraiment produit à l'opéra, en cause une pénurie de livrets progressistes : l'opéra n'était tout simplement pas encore prêt à abandonner les sujets antiques pourtant en voie de péremption. Au bilan, il s'avère que la frontière séparant le Baroque du Préclassicisme demeure floue d'où une part d'arbitraire dans le découpage temporel adopté.
En Italie, Baldassare Galuppi (1706-1785), plutôt banal dans sa musique instrumentale, a fait beaucoup mieux à la scène, en particulier grâce à quelques opéras bouffes très réussis (Il Mondo alla Roversa, 1750, Il Mondo della Luna, 1750, L'inimico delle Donne, 1771) voire sérieux (L'Olimpiade, 1762). De même, Niccolò Jommelli (1714-1774) (Il Vologeso, 1766, Armida abbandonata, 1770), Gennaro Manna (1715-1779) (Lucio Papiro dittatore, 1748) et Antonio Mazzoni (1717-1785) (Aminta, il Re pastore, 1756).
En Autriche, Ignaz Holzbauer (1711-1783) s'est distingué par la création de l'un des premiers singspiel (Günther von Schwarzburg, 1748) tandis qu'en Allemagne, le dernier fils (musicien professionnel) de J-S Bach, Johann Christian Bach (1735-1782), a produit une oeuvre convaincante qui a impressionné le jeune Mozart (Endimione, 1772, Lucio Silla, 1775, Amadis des Gaules, 1779).
Enfin, en Bohême, l'un des centres les plus actifs du préclassicisme, il convient d'honorer Jiri Antonin Benda (1722-1795), aussi à l'aise dans le singspiel léger (Der Dorfjahrmarkt, 1775 et Romeo und Julie, 1776) que dans le mélodrame (Ariane à Naxos, 1775 et Medea, 1775, deux oeuvres qui annoncent également clairement Mozart) et surtout Florian Leopold Gassmann (1729-1774), inexplicablement négligé par les éditeurs sauf quelques extraits significatifs (Catone in Utica, 1761, L'Amore artigiano, 1767, et L'Opera seria, 1769, une parodie du genre). En quittant leur Bohème natale, ces musiciens ont fortement contribué à déplacer le centre de gravité de l'Europe musicale vers Vienne pour y faire le lit du classicisme mozartien.
S'il est universellement admis aujourd'hui que Wolfgang Mozart (1756-1791) a dominé la musique de son temps, cela n'a pas toujours été indiscutable et d'ailleurs plusieurs de ses contemporains ont occupé des postes académiques plus enviables que le sien. Deux musiciens contradictoires, Gluck et Haydn, ont préparé son règne à l'opéra.
Aucun compositeur n'est plus difficile à cerner que Christophe Willibald von Gluck (1714-1787), en cause un décalage certain entre ses compétences musicales et théâtrales. Si l'on trouve de (rares) belles pages dans sa musique de chambre (Sonates en Trio, admirablement restituées par Musica Antiqua Köln), on ne peut guère en dire autant de ses oeuvres orchestrales (Rudimentaire Sinfonia en sol majeur), d'ailleurs il n'a guère insisté dans cette voie. Ses vraies compétences, il les a démontrées à la scène au point que c'est à lui que les encyclopédistes ont fait appel pour défendre les intérêts de l'opéra français lors de la "revanche" de la Querelle des Bouffons (Querelle des Gluckistes et des Piccinistes, cf Première Partie) : il était, de fait, le mieux à même de prolonger la tradition lullyste en la modernisant autant qu'il le pouvait.
Originaire de Bohême mais voyageur itinérant (Milan, Londres, Prague, ...), Gluck a expérimenté, à la demande, tous les styles en vogue là où il s'installait pour un temps. Les oeuvres composées avant 1760 (Demofoonte, 1743, Ezio, 1749, Le Cinesi, 1754) sont cependant peu représentatives du style qui lui vaudra l'immortalité.
C'est en s'installant à Vienne qu'il a réformé son art en privilégiant le Théâtre musical plutôt que la Musique théâtrale. A cette fin, il s'est imposé quelques contraintes : éviction de la pyrotechnie vocale (improvisations, virtuosité gratuite, mélismes), articulation du texte pour en faciliter la compréhension, discours continu évitant les redites artificielles, atténuation des différences entre récitatifs et airs, fluidité de la mélodie, tous changements tendant à gommer les conventions liées au baroque festif. Le dramaturge s'est révélé lorsqu'il a insufflé un air nouveau dans une tragédie antique pourtant en voie de dépassement (Orfeo ed Euridice, 1762, Alceste, 1767, Paride ed Elena, 1770, trois chefs-d'oeuvre à connaître impérativement). Gluck a mis ses recherches en application lorsqu'il est venu à Paris à l'invitation de la Reine Marie-Antoinette, l'occasion de proposer des versions françaises de ses meilleures oeuvres (Orphée et Eurydice, 1774, Iphigénie en Aulide, 1774, et Iphigénie en Tauride, 1779). C'est encore à Paris qu'il s'est impliqué avec succès dans la querelle précitée en composant Armide (1777) sur le livret que Philippe Quinault avait déjà proposé à Lully en 1685. C'est encore dans cette capitale qu'il a progressivement perdu les faveurs d'un public aspirant à des formes de théâtre plus actuelles. Il a alors regagné Vienne, n'y produisant plus que des oeuvres mineures à mille lieues de ses ambitions.
L'accomplissement de son noble projet a valu à Gluck les faveurs des musicologues. Un problème se pose toutefois à l'auditeur actuel le mieux disposé envers sa musique : souffrant d'un déficit dynamique de l'orchestre et de lacunes instrumentales, celle-ci exige des interprètes "classiqueux" capables de la faire vivre malgré ses défauts. Ce n'est que lorsque toutes les conditions sont remplies, que Gluck trouve la place qui lui revient d'autorité au Panthéon des musiciens plutôt qu'entre deux pages des Histoires de la Musique.
Joseph Haydn (1732-1809), le compositeur le plus admiré en son temps, apparaît (à l'opéra) comme une sorte d'anti-Gluck. Autant Gluck a été mal à l'aise dans le traitement de l'orchestre mais habité par un véritable projet dramatique, autant Haydn a vécu tout le contraire, peinant à imposer sa (bonne) douzaine d'opéras (italiens). Ecoutez La Fedeltà premiata (1781), une oeuvre qui passe pour l'une de ses meilleures : malgré quelques airs bien enlevés, elle ne possède pas l'urgence dramatique capable de l'imposer durablement à la postérité. De même, Armida (1784) a beau avoir bénéficié d'une interprétation idéale de la part du tandem Harnoncourt-Bartoli, il répand un ennui inexplicable.
Le grand chef hongrois Antal Dorati a consacré une pseudo-intégrale à cette oeuvre inégale. Elle n'est pas aisément disponible mais vous n'aurez guère d'autre choix sauf à piocher dans l'Edition Haydn parue chez Brillant (Celle-ci propose La Vera Costanza, L'Infedelta delusa, Il Ritorno di Tobia, La Fedelta Premiata et L'Anima del Filosofo). Parmi les enregistrements récents, vous trouverez peut-être votre bonheur dans Orlando paladino (1782) bien dirigé (en direct) par René Jacobs.
Ce jugement concernant les opéras de Haydn peut paraître sévère mais il résulte 1) d'une déception par rapport aux "standards" élevés de sa musique instrumentale, 2) d'un déficit récurrent d'engagement dramatique à l'écoute des bouleversements sociétaux en préparation et, inévitablement, 3) de la proximité intimidante avec l'oeuvre magistrale de Mozart.
A Salzbourg puis à Vienne, Wolfgang Mozart a en effet dominé l'opéra de son temps et de tous ceux qui ont suivi. Les raisons de cette suprématie sont multiples :
- Mozart a parfaitement assimilé les antécédents et les conséquents de la Révolution de 1789 dans deux oeuvres majeures : 1) Le Nozze di Figaro (1786, d'après la pièce de Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais (1732-1799)) ont pris fait et cause pour un nouvel ordre social où servantes et valets pourraient bientôt réclamer leurs droits, et 2) Don Giovanni (1787) a exploité le mythe de Dom Juan (d'après Tirso de Molina) sur un mode faussement léger, mettant en scène un libertin en révolte contre une morale maudissant le péché. Ces deux oeuvres ont bénéficié des compétences du librettiste Da Ponte, prêtre de son état mais libertin à ses heures, comme Casanova qui lui a servi de modèle, on est resté en famille.
- Il a libéré avec succès l'opéra de la contrainte (de la langue) italienne en imposant l'allemand dans deux autres oeuvres majeures (Le bouffe Die Entführung aus dem Serail, 1782, et l'ésotérique Die Zauberflöte, 1791). Zaïde (1780), demeuré inachevé, est surtout célèbre pour son air fameux "Ruhe sanft, mein holdes Leben", typique de l'aisance mélodique du compositeur.
- Enfin et surtout, il a été de très loin le musicien qui a le mieux connu et respecté (les limites de) la voix humaine, tant masculine que féminine. Il a su avec exactitude ce qu'il pouvait demander à ses interprètes sans entraver leur musicalité. Seul Richard Strauss fera aussi bien 150 ans plus tard mais au service des voix féminines seulement.
Mozart a composé une trentaine d'opéras dont un certain nombre d'oeuvres de jeunesse de qualité variable voire mineure (Mitridate Re di Ponto, 1770, Lucio Silla, 1772, l'incroyable réussite d'un jeune homme de 16 ans, Il Re Pastore, 1775, ...). Aujourd'hui, surtout en Europe, ses 7 ouvrages principaux (Outre les quatre déjà mentionnés, Idomeneo Re di Creta, 1781, Così fan tutte, 1790, et La Clemenza di Tito, 1791) occupent une place de choix dans la programmation des grandes maisons d'opéra.
D'autres musiciens ont (sur)vécu dans l'ombre de Mozart tels, Johann Gottlieb Naumann (1741-1801) (Gustav Wasa, 1786, Aci e Galatea, 1801), Johann Christoph Vogel (1756-1788) (La Toison d'Or, 1786, Demophon, 1788) et (L'Abbé) Georg Joseph Vogler (1749-1814) (Gustav Adolf och Ebba Brahe, 1792).
Mis à part le (très) tardif Rameau, repris dans la section consacrée au baroque finissant, la France s'est endormie sur ses lauriers, se contentant de l'apport de musiciens venus d'ailleurs. Franz Ignaz Beck (1734-1809), né à Mannheim mais installé durablement dans la région de Bordeaux, s'est particulièrement illustré dans L'Isle déserte (1779). Quelques musiciens issus des provinces du Nord ont séjourné dans la capitale française, dont André Modeste Grétry (1741-1813), dont l'unique tragédie Andromaque (1780) suffit à sa gloire, bien plus sûrement que sa longue suite d'opéras-comiques. Il est vrai que ceux-ci n'ont pas toujours trouvé des interprètes irréprochables (Zémire et Azor, 1771), sauf Le Jugement de Midas (1778) et La Caravane du Caire (1783), parfaitement dirigés par Marc Minkowski et Guy Van Waas. Quant à l'oeuvre de François-Joseph Gossec (1734-1829), elle a été trop inféodée aux régimes successifs vécus par le compositeur au cours de sa longue carrière pour s'inventer un style sincèrement original (Improbable Thésée, 1782, et impossible Triomphe de la République, 1793).
En Italie, Ferdinando Bertoni (1725-1813) (Orfeo ed Euridice, 1762), Niccolò Piccinni (1728-1800) (Didone abbandonata, 1770) et Antonio Sacchini (1730-1786) (Renaud, 1783, Œdipe à Colone, 1786) ont entretenu une tradition antique vacillante. L'innovation est plutôt venue de la mode de l'Opera buffa, annonciateur de (la génération de) Rossini : Domenico Cimarosa (1749-1801) n'a longtemps été connu que pour ses intermèdes comiques (Il Maestro di Cappella, 1793, interprétation parfaite !) dans la lignée de (La Servante Maîtresse de) Pergolesi mais il en étonne plus d'un avec ses opéras "mozartiens" (Gli Orazi e i Curiazi, 1796, et surtout Il Matrimonio Segreto, 1792). Quant à Giovanni Paisiello (1740-1816), il annonce encore plus clairement Rossini, titre et musique dans Il Barbiere di Siviglia (1782).
L'excellent Antonio Salieri (1750-1825) n'a en rien été le rival malheureux de Mozart que décrit une légende tenace (Il a été très justement apprécié à la Cour impériale de Vienne). Il a composé une quarantaine d'opéras et si ce nombre peut inspirer une certaine méfiance à une époque aussi tardive, force est de recommander quelques oeuvres d'une réelle efficacité musicale : Armida (1771), Europa riconosciuta (1778), Les Danaïdes (1784), Les Horaces (1786), Axur (1788), Falstaff (1799, belle interprétation) sans oublier le finale de Prima la Musica e poi le Parole (1786, écoutez à partir de 1:16, Mozart a peut-être écouté avant vous, en tous cas ses Noces de Figaro datent de la même année !).
Simon Mayr (1763-1845), d'ascendance allemande mais essentiellement actif en Italie, a clairement annoncé (son élève) Donizetti et Rossini (Che Originali !, 1798, à partir de 31:30). On peut seulement reprocher à cet excellent musicien de n'avoir pas mis à profit sa longue existence pour évoluer davantage (Saffo, 1794, Medea in Corinto, 1813, Alfredo il Grande, 1820, Fedra, 1820).
Le Maître de Chapelle (1821) de Ferdinando Paër (1771-1839) annonce également Rossini mais c'est pour une autre raison que j'épingle son auteur à cet endroit de l'exposé. C'est à cause de sa Leonore (1804) que Beethoven a dû rebaptiser la sienne Fidelio : les deux opéras étaient strictement contemporains et le Théâtre "An der Wien" ne souhaitait pas qu'on puisse confondre leurs affiches. Quant à confondre leurs musiques, c'était chose impossible car une page de l'Histoire de la Musique venait définitivement d'être tournée.
En 200 ans, on a composé des opéras par centaines et sans doute par milliers si l'on inclut ceux, innombrables, qui dorment encore dans les bibliothèques. Cependant, pour la période concernée, le "grand répertoire" (Cf l'ouvrage, "Opéras mythiques" d'Elisabeth Brisson, cité en 1ère partie) n'a essentiellement retenu que ceux composés par Monteverdi et Mozart, deux musiciens situés aux extrêmités de la ligne du temps 1600-1800. Où sont passés Vivaldi, Händel et Porpora pour s'en tenir aux essentiels ? Plusieurs explications sont possibles et recevables :
- Leurs oeuvres sont extraordinairement brillantes mais elles sont interchangeables et leur nombre (plus de 40 pour chacun) a fini par en banaliser l'éclat. Il devenait dès lors difficile d'en extraire une qui compterait plus que n'importe quelle autre.
- Les livrets baroques ont trop souvent emprunté leurs arguments théâtraux aux faits et gestes des héros de la mythologie (Orfeo, Dafne, Telemaco, Arianna, ...) ou aux exploits des héros de l'Antiquité (Serse, Giulio Cesare, Cleofide, ...), voire, plus rarement, du Moyen-Age (Orlando, Carlo il Calvo, ...). Cela a fini par poser de sérieux problèmes aux metteurs en scène soucieux de les transposer dans un contexte plus actuel. Ceux qui s'y sont essayés ont rarement réussi leur pari si bien qu'au bilan, les meilleures productions scéniques sont encore celles qui se sont accommodées des contraintes d'origine, payant le prix de ne pas les reproduire trop souvent. Ajoutons que la plupart des oeuvres baroques et (pré)classiques évoquées ci-avant sont longtemps restées inconnues et que cela n'a pas facilité leur entrée à un répertoire constitué de fait au long du 19ème siècle.
- Le répertoire opératique "officiel" s'est en effet construit sur base d'oeuvres plutôt récentes, bénéficiant d'un couple partition-livret dûment mis au net donc prêt à l'emploi. Un public bourgeois a trouvé son confort d'écoute dans des oeuvres dont l'intrigue leur parlait davantage, de Mozart à Strauss, en passant par Rossini, Verdi, Wagner, Massenet et Puccini, voire un peu au-delà et les Théâtres ont suivi, recette oblige. Tout cela a mené à une échelle potable des valeurs mais néanmoins biaisée.
Actuellement, on programme de plus en plus d'opéras baroques à mesure qu'on en exhume. On les produit comme autant de fruits exotiques mais sans leur reconnaître la position de prestige qu'ils méritent éventuellement et très certainement dans les cas de Vivaldi, Porpora, Händel, Vinci, Rameau, Gluck, Salieri, ... , relisez les pages qui précèdent et (re)faites votre échelle personnelle, sans tricher.