J'ai mentionné ponctuellement le compositeur Rued Langgaard (1893-1952) dans deux chroniques antérieures, consacrées l'une à la Symphonie et l'autre au Quatuor à cordes. J'y reviens dans la perspective d'une exploration plus complète de son oeuvre, rendue possible depuis que deux éditeurs danois apparentés, Danacord et Dacapo, se sont penchés sérieusement sur son catalogue, symphonique, vocal, pianistique et de chambre (plus de 400 oeuvres au total !).
Autant les milieux musicaux danois ont célébré dignement deux gloires nationales incontestables, Niels Gade (1817-90) et Carl Nielsen (1865-1931), autant ils ont longtemps négligé d'en faire autant au bénéfice de Rued Langgaard. Cette situation n'a réellement commencé à changer qu'après la mort du compositeur, lorsque Bo Wallner a publié une Histoire de la Musique nordique dans laquelle Langgaard a enfin trouvé la place qui lui revenait de fait. Les musicologues danois ont alors commencé à s'intéresser sérieusement à cette personnalité hors du commun et les éditeurs ont emboîté le pas, publiant puis enregistrant un nombre croissant d'oeuvres pour le plus grand bonheur des mélomanes férus de découvertes inespérées.
Tous les exégètes qui se sont penchés sur le cas Langgaard sont au moins d'accord sur un point : sa vie et son oeuvre sont indissociables au point que l'une ne peut être déclinée sans l'autre. Les extraits musicaux qui illustrent cette chronique ont été majoritairement empruntés aux catalogues Danacord et Dacapo et les éléments biographiques correspondants ont été puisés à deux sources de première main, fatalement apparentées, le site officiel consacré à Rued Langgaard et le rapport transmis par Bendt Viinholt Nielsen auprès de la Société danoise pour la recherche musicale (2009). Cet auteur s'est imposé comme l'un des meilleurs connaisseurs de l'oeuvre du compositeur et il ne faut pas chercher ailleurs l'origine de la numérotation BVN du Catalogue qu'il a contribué à éditer.
Le jeune Rued (né Rud) a grandi en tant qu'enfant unique de deux parents musiciens : le pianiste, enseignant et compositeur Siegfried Langgaard (1852-1914) et la pianiste Emma Foss (1861-1926). C'est sa mère qui l'a initié au piano, dès l'âge de 5 ans, et c'est son père qui a supervisé son apprentissage théorique, confié initialement à quelques professeurs particuliers de renom (Johan Svendsen, Carl Nielsen, Wilhelm Rosenberg, ...). Siegfried Langgaard enseignait pourtant au Conservatoire Royal de l'Académie Danoise mais il ne faisait guère confiance à cette institution, désapprouvant, en particulier, ses conceptions musicales !
Note. Le pianiste Siegfried Langgaard (1852-1914) a compté parmi les nombreux élèves (réels ou revendiqués) de Franz Liszt. Il s'est essentiellement consacré à l'enseignement et accessoirement à la composition. Parmi ses oeuvres, on n'a guère conservé qu'un Concerto en mi bémol majeur, plutôt réussi, et un autre en mi mineur qui l'est nettement moins (Son fils Rued composera tardivement, en 1935, un Concerto pour piano (BVN 29) qui s'en inspire inutilement). Psychologiquement fragile, Siegfried s'est réfugié dans une théosophie musicale obscure qu'il a répandue autour de lui, en particulier à domicile, un fait qui n'a pas été sans conséquence sur le développement de son fils. Pessimiste quant à la destinée humaine, il considérait que les Arts, singulièrement la Musique telle qu'il la concevait, étaient le meilleur remède garant d'une harmonie du monde présumée menacée. Plus concrètement, il a soutenu le combat des "véritables" grands maîtres du passé (Bach, Mozart, Beethoven, Wagner, Franck, Bruckner) contre les musiciens modernes (Schönberg) ou mondains (Puccini).
Siegfried et Emma ont tout fait, parfois maladroitement, pour que leur surdoué de fils réussisse en composition. Croyant bien faire, ils lui ont même dicté la voie à suivre, inutilement respectueuse d'un idéal classico-romantique pourtant menacé à cette époque charnière. Mis sous pression et peu enclin à se rebeller, le jeune Rued s'est dans un premier temps plié aux recommandations parentales avant de se trouver fort désemparé lorsqu'il a ressenti les exigences d'une modernité pour laquelle il avait de l'attirance et de réelles compétences. La disparition des parents, à 12 ans d'intervalle, a inévitablement pesé sur sa trajectoire musicale.
Le résumé qui suit illustre les quatre périodes créatrices du compositeur en les rapportant au cycle représentatif de ses 16 symphonies. Une discographie plus complète terminera l'exposé.
Les premières oeuvres de Langgaard ont assez normalement été composées dans l'esprit du romantisme finissant et le moins que l'on puisse dire c'est que tout a bien commencé pour le jeune Rued : il n'avait pas encore 20 ans, en 1911, lorsqu'il a achevé sa monumentale Symphonie n°1 (BVN 32, 1908-11), ainsi que le Poème symphonique Sfinx (BVN 37, ici dans une révision datée de 1913). Avec l'aide active de ses parents, il est même parvenu à les faire jouer, en 1913, par la Philharmonie de Berlin sous la direction du grand chef, Max Fiedler, une belle carte de visite ! Mieux, ce fut un succès et même sa plus grande heure de gloire; hélas la suite immédiate fut moins heureuse. De fait, la Symphonie n°2 (BVN 53a, 1912-14) n'a pas connu un succès comparable malgré un mouvement lent d'une grande noblesse (en 16:53). Plusieurs années plus tard, il l'a révisée (Symphonie n°2, BVN 53b, 1926-33) avec l'espoir (déçu) de la rendre plus acceptable par les milieux musicaux influents.
Langgaard a fini par comprendre qu'il était victime d'une trop grande fidélité aux recommandations parentales à une époque où la modernité réclamait ses droits. Au Danemark, à cette époque, le musicien en vue s'appelait Carl Nielsen et il montrait une autre voie tout en faisant beaucoup d'ombre autour de lui.
L'année 1914 a été un (premier) tournant décisif dans la vie de Langgaard : orphelin de son (re)père, il a (in)consciemment compris que le moment était venu de prendre ses responsabilités et donc son envol. Il l'a fait d'abord en douceur, produisant une belle Symphonie n°3 (Ungdomsbrus, BVN 96 a & b, 1915-16 & 1925-33), encore bien sage avec ses réminiscences de Rachmaninov, puis une brillante Symphonie n°4 (Løvfald, BVN 124, 1916-20) nettement plus imprévisible et annonciatrice des tumultes à venir.
Les années 1916-1924 ont de fait incarné la période "moderniste" du compositeur, de loin la plus fructueuse. Certes, la Symphonie n°5 (BVN 191, 1918-26 & 1925-33) demeure d'essence tonale mais ses inflexions bousculent le rythme et relèguent la mélodie au second plan. A noter qu'il en existe une deuxième version (Steppenatur, BVN 216 a & b, 1917-20 & 1931) généralement couplée à la précédente lors des enregistrements.
La Symphonie n°6 (Det Himmelrivende, BVN 165 a & b, 1920 & 1928-30) a rompu les amarres, ambitionnant peut-être de rivaliser avec la "Quatrième" de Nielsen (L'inextinguible). Cependant, la polyphonie serrée de Langgaard va plus loin que celle de son modèle, anticipant celle développée par Paul Hindemith (1895-1963) à la même époque.
Toutefois c'est dans Sfærernes Musik (Musique des Sphères, BVN 128, 1916) que Langgaard a le plus (et le mieux) repoussé les limites de la modernité ambiante. Comme son titre le suggère, cette étude symphonique propose une musique cosmique, littéralement spatio-temporelle (L'aspect spatial est suggéré par une répartition éclatée des interprètes, double orchestre, soliste vocal, choeur, orgue et piano joué directement sur les cordes). Incroyablement moderne mais d'une parfaite audibilité, elle est demeurée sans descendance naturelle jusqu'à ce que, près d'un demi-siècle plus tard, György Ligeti (Lux Aeterna et Requiem en 14:47) se proclame l'héritier naturel de cette oeuvre singulière.
Si vous deviez ne retenir qu'une seule oeuvre de Langgaard, optez donc pour Sfærernes Musik, jamais elle ne vous décevra (Ne manquez pas l'épisode éthéré final commençant en 24:54). Optez pour l'enregistrement réalisé par Gennady Rozhdestvensky chez Chandos : il vous propose un complément de choix, Quatre Poèmes pour soprano & orchestre (n°16 à 19), le parfait antidote au modernisme radical de l'oeuvre précédente.
D'autres oeuvres ont marqué cette période créatrice, par exemple Insectarium (BVN 134, 1917) ou Afgrundmusik (Musique des Abysses BVN 169, 1921), pour un piano faisant l'objet de traitements inhabituels mais jamais gratuits (frappes sur la table du piano, excitation des cordes à mains nues, ...).
Dans le remarquable Quatuor n°2 (BVN 145, n°5 à 8), daté de 1918, on trouve (n°6) l'évocation futuriste d'une locomotive qui préfigure la mieux connue Pacific 231 d'Arthur Honegger. De même, le Quatuor n°3 (BVN 183, n°9 à 11) montre à quel point Rued Langgaard maîtrisait les modes d'expression moderne sans jamais verser dans la caricature.
Le compositeur a consacré beaucoup d'effort (et de larmes !) à son unique opéra (sacré), Antikrist (BVN 170, 1921-23). Maintes fois remanié pour cause d'insuccès, il a été systématiquement refusé à la scène, davantage à cause de son sujet (auquel il tenait cependant !) que de sa musique. Il ne l'a jamais entendu dans son intégralité et la première n'a eu lieu qu'en 1980, sous la direction de Michael Schønwandt. Ecoutez Antikrist, c'est un chef-d'oeuvre !
On peut craindre que Siegfried Langgaard se soit plus d'une fois retourné dans sa tombe en entendant ces oeuvres si éloignées de ses recommandations. Comme pour se justifier, Rued les a commentées en ces termes : "Ma musique ressemble à de la musique moderne, mais elle ne l'est pas tant que cela". Le drame c'est que personne ne l'a cru ni dans un sens ni dans l'autre. Socialement, il a progressivement cessé d'exister alors que musicalement il était à la pointe du progrès : cela a suffi à le convaincre d'avoir rejoint la cohorte des génies incompris. De plus en plus amer, il s'est alors replié sur lui-même, se condamnant de facto à un exil musical dont il n'est sorti qu'avec difficulté.
Le décès de sa mère, en 1926, n'a rien arrangé, pas même son mariage avec Constance Tetens, une mère de substitution davantage qu'une épouse désirée. De plus, toutes ses tentatives pour se voir confier un poste d'organiste digne de son talent se sont soldées par un échec, le privant d'une source de revenus réguliers. On lui a officiellement reproché son intransigeance, en particulier son opposition aux réformes du chant luthérien préconisées par Thomas Laub (1852-1927). Déstabilisé, il a commencé à douter de ses moyens au point de bientôt perdre toute inspiration. Si ce n'est pas encore perceptible dans la Symphonie n°7, dont les deux versions se laissent écouter avec plaisir (n°7/1, BVN 188, 1926), et (n°7/2, Ved Tordenskjold i Holmens Kirke, BVN 212 a & b, 1926 & 1930-32), ce l'est dans la Symphonie n°8 (Minder ved Amalienborg, BVN 193 a & b, 1926 & 1934), qui pèche par une introduction calamiteuse et une suite qui ne vaut guère mieux.
Lucide, Langgaard a dès lors délaissé la composition d'oeuvres ambitieuses pour s'atteler à la révision d'œuvres antérieures, dans l'espoir, sans doute, de les rendre plus accessibles donc convaincantes auprès de ses contemporains. Cette tentative s'est assez normalement soldée par un nouvel échec tant il est vrai qu'en Art, une démarche conciliante esr rarement couronnée de succès.
En 1940, Langgaard a (enfin) obtenu un poste d'organiste à la Cathédrale de Ribe (Jutland). Certes, Ribe n'était pas Copenhague et cette nomination ressemblait fort à une voie de garage mais elle lui a au moins rendu un peu de dignité et assez d'espoir pour se remettre sérieusement au travail. Il a même pu donner quelques concerts de ses oeuvres. Voici un document historique le montrant brièvement en train de diriger le choeur de "sa" Cathédrale, ... sauf qu'on a oublié d'enregistrer le son, tout un symbole.
C'est pendant cette (dernière) période qu'il a trouvé la force de composer 8 nouvelles symphonies (n°9 à 16). Inégales, elles brillent surtout par une forme d'improvisation fantasque où la musique part dans tous les sens sans se soucier du sort qu'elle connaîtra. Sauf les n°9 (Fra Dronning Dagmars By, BVN 282, 1942) et n°10 (Hin Torden-Bolig, BVN 298, 1945), aucune, même révisée, n'a trouvé grâce aux oreilles de la Société Nationale de Radiodiffusion. Il y a pourtant poussé le genre symphonique dans quelques derniers retranchements, au mépris du qu'en-dira-t-on.
Les Symphonies n°11 & 12 durent quelques minutes à peine mais elles ne sont pas dépourvues d'éloquence pour autant, en particulier la 11ème qui, avec ses tubas additionnels, martèlent, pendant six minutes, un thème de fin du monde. Quant à la 12ème, elle est encore plus radicale, se terminant de façon abrupte avec l'instruction imprimée sur la partition : "Amok! Un compositeur explose".
Les Symphonies n°13 à 16 sont également réussies, tour à tour aventureuses et démodées, emphatiques et oniriques, mais toujours bien inspirées :
Fra Dybet (From the Abyss, BVN 414), pour choeur & orchestre, est la dernière composition achevée par Langgaard : grinçante et apaisée, on y entend le fantôme menaçant du Dies Irae, son propre Requiem.
Le label Dacapo s'est particulièrement investi dans l'enregistrement d'oeuvres de Langgaard et plusieurs intégrales par genres sont enfin disponibles dans de bonnes conditions d'écoute.
Musique symphonique. Les 16 Symphonies ont été enregistrées sous la direction de Thomas Dausgaard. N'hésitez pas à vous promener en compagnie d'un compositeur qui a cherché à refaire le monde de la musique à sa façon. La Sinfonia interna (BVN 180), pour solistes, choeurs et orchestre, ne fait pas partie de l'ensemble mais elle est incontournable. Cette oeuvre "théâtrale" d'une grande noblesse est en fait une compilation d'oeuvres dont la composition s'est étalée sur 30 ans (1915-1945). Particulièrement ambitieuse, elle a été remaniée un grand nombre de fois et certaines parties sont même considérées comme perdues. L'enregistrement mentionné est donc une reconstitution mettant en évidence le talent du musicien.
On ne dénombre que très peu d'oeuvres concertantes sauf un Concerto pour piano anodin et surtout un Concerto pour violon, merveilleux de légèreté (BVN 289, en un seul mouvement bien trop court hélas). Quelques oeuvres symphoniques isolées retiennent encore l'attention : Drapa (BVN 20, à la mémoire d'Edvard Grieg), Sfinx (BVN 37, version révisée) et Interdikt (BVN 335), merveilleusement emphatique.
Outre la Musique des Sphères déjà évoquée, l'excellent chef Gennady Rozhdestvensky a aussi enregistré The End of Time (BVN 243, 1943) pour le label Chandos, encore une découverte !
Musique de chambre. Le cycle des 6 Quatuors à cordes, enregistrés par le Quatuor Nightingale (Volumes 1, 2 & 3) est absolument indispensable : on y entend de belles réminiscences de la grande époque viennoise, surtout Beethoven (Finale du Quatuor n°4, en 19:20). L'oeuvre pour violon & piano, interprétée par Gunvor Sihm & Berit Johansen Tange (Brillant Vol 1, à écouter en priorité, Vol 2 & Vol 3) est intéressante quoique tardive, appartenant majoritairement à la dernière période du compositeur.
Un bel enregistrement Dacapo propose quelques oeuvres chambristes qui cassent encore les codes (Augustinusiana, BVN 63, et Scherzo, BVN 62). Toutefois dans ce domaine beaucoup reste à enregistrer.
Musique pour clavier seul. Berit Johansen Tange a enregistré un vaste florilège d'oeuvres pour piano en 4 volumes (Vol 1, Vol 2, Vol 3, Vol 4). C'est la partie la plus directement accessible de l'oeuvre de Langgaard, en cause de nombreuses références à un passé romantique présent dans toutes les mémoires. Si le Volume 1 ne propose que des pièces accessibles (Ne manquez pas la Sonate fantaisie BVN 121 ni les merveilleux Gitanjali Hymns, n° 42 à 44), il n'en va déjà plus de même au Volume 2 : certes Remembrances of Summer (n°1 à 4) empruntent plus d'une tournure à Robert Schumann, par contre Afgrundsmusik (BVN 169, n°5 & 6) s'aventure en plein 20ème siècle. Un autre enregistrement paru chez Danacord vaut également l'écoute sous les doigts de Peter Froundjian.
Organiste professionnel, Langgaard a évidemment composé pour son instrument favori mais autant vous prévenir, l'austérité est souvent au rendez-vous, aggravée par la grandiloquence innée de l'instrument romantique. Son oeuvre du genre la plus importante est Messis (BVN 228, 1935-37), un Drame en trois "Soirées" plus un Postlude d'une durée totale approchant les deux heures. Bien que considérée comme l'un des sommets de son oeuvre religieuse, je doute qu'elle puisse vous séduire (Commencez par le Postlude en 1:41:09 et n'insistez pas si vous n'accrochez déjà pas à ce niveau).
Si, malgré les réserves formulées, vous souhaitez acquérir un enregistrement dans ce domaine, optez pour l'enregistrement de la Fantasia patetica (BVN 19) réalisé par Ulrik Spang-Hanssen. C'est une oeuvre de jeunesse empreinte d'une certaine légèreté.
Musique vocale. Mis à part l'incontournable opéra sacré Antikrist, déjà évoqué, c'est le domaine le moins connu de l'oeuvre de Langgaard. Ole Ugilt Jensen et Bendt Viinholt Nielsen ont rassemblé et édité les partitions de 125 Lieder dans le cadre de la Rued Langgaard Edition mais, sauf erreur ou omission, seuls 18 Lieder ont été enregistrés à ce jour.
De très belles surprises vous attendent encore du côté d'oeuvres chorales d'autant que l'excellent ensemble Ars Nova Copenhagen en a enregistré plusieurs pour le label Marco Polo (Merveilleux Rose Garden Songs II, c'est simple mais c'est beau).
Le Destin n'a guère été généreux avec ce valeureux musicien : il n'a reçu aucun poste d'importance dans la vie musicale de son temps, n'a reçu aucune commande d'œuvres et n'a eu aucun élève. Seule la moitié de ses œuvres ont été jouées de son vivant, la plupart d'entre elles une seule fois et presque toujours à sa seule initiative. Après sa disparition, sa musique a tout simplement été oubliée. Aux yeux des observateurs de l'époque, de jeunes musiciens danois (Vagn Holmboe, Herman Koppel, Niels Viggo Bentzon, cf cette chronique consacrée à la musique danoise) étaient en train de prendre la relève et il leur semblait plus urgent de les accompagner vers le succès plutôt que Langgaard (injustement) perçu comme dépassé. Heureusement, la roue du temps ne s'arrêtant jamais, une renaissance s'est amorcée dans les années 1960, dont l'intéressé n'a jamais rien su.
Langgaard a été un visionnaire et un idéaliste intransigeant. En oscillant par périodes entre les polarités du romantisme et du modernisme, il a créé autant d'œuvres qui pointaient aussi bien cinquante ans en avant qu'en arrière dans le temps et ce faisant il a désarçonné tous ceux qui tenaient à l'enfermer dans une case de leur Histoire de la Musique. Il a pourtant souvent fait le (bon) choix de la prise de risque, souvent rémunérateur en Art, mais ses auditeurs n'ont pas compris les raisons de sa versatilité stylistique.
Le philosophe, Severin Christensen, un ami de longue date de la famille Langgaard, a tenté de mettre des mots sur ce parcours chaotique. Il a expliqué que toute sa vie, Langgaard est demeuré fidèle à l'idée que tout citoyen mérite d'être reconnu et récompensé pour les valeurs – tant physiques que spirituelles – qu’il produit à travers son travail. En tant qu'artiste il s'est senti investi d'une mission spirituelle capable de digérer les échecs intermédiaires : "La vie veut toujours plus de vie". Voilà bien une explication de philosophe, sauf qu'elle pourrait à tout le moins expliquer la propension du compositeur à remanier sans cesse des oeuvres antérieures qui pourtant n'en demandaient pas tant.