Billets d'humeur

Hadopi

Signé Franquin
Signé Franquin

Il ne s'agit nullement du nouveau cri du Marsupilami mais du nom d'une loi votée en France ce 12/05/2009. Hadopi n'est pas davantage le nom du parlementaire qui en a eu l'idée, c'est le sigle qui condense son intitulé : "Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet", ouf !

Les apprentis pirates - Français, pour l'instant - qui téléchargeront illégalement des musiques (ou des films) à partir de plates-formes Internet, n'auront donc qu'à bien se tenir : après deux avertissements, par simple courriel, ils se verront privés de leur drogue favorite.

Ces nouvelles dispositions ont provoqué les remous que l'on devine dont certaines remarques plus pertinentes que d'autres.  J'en ai retenu deux que je souhaite commenter.

  1. Au niveau des principes, personne ne peut raisonnablement contester que les auteurs et les interprètes d'une œuvre (disons musicale) puissent revendiquer une juste rétribution pour le lot d'émotions qu'ils offrent à leurs admirateurs : il faut que tout le monde vive et les artistes sont des maillons précieux dans toute société civilisée. 

    Reste à opposer une réaction proportionnée au phénomène de société que constitue le téléchargement anarchique des fichiers mis en commun par les internautes.    Il a été proposé d'autoriser le téléchargement libre, moyennant la prise d'un abonnement qui couvrirait des droits d'auteurs raisonnables mais cette option séduisante n'a pas été retenue. 

    Personne ne sait quel montant serait raisonnable au plan de la justice sociale : que vaut une symphonie (ou un tube de l'été) par rapport à un prix Nobel (± 1.000.000 d'euros à partager éventuellement) ou une victoire à Wimbledon (même montant !) ?  Je doute que notre société matérialiste ait ne fut-ce qu'un élément d'appréciation.  D'ailleurs, comment fixer un prix pour une œuvre d'art qui, par définition, n'en a pas ? 

    Toutes considérations philosophiques mises à part, le point intéressant est de comprendre pourquoi cette solution - a priori élégante - n'a pas été retenue.  Des experts (comptables !) ont estimé que pour compenser, de cette manière, les pertes de revenus des sociétés de disques, il faudrait doubler l'abonnement Internet, ce qui est impensable.   L'argument est ridicule car ce calcul comptabilise les profits à tous les échelons de la pyramide de l'enregistrement musical.  Or chacun sait - ou devrait savoir - que la part qui revient aux artistes est infime.  Se servir d'eux comme alibi au maintien du prix anormalement élevé des CD est tout simplement malhonnête.

    Il est clair que le piratage n'existerait pas si l'objet convoité était légalement accessible à un prix abordable.  Ma CD-thèque personnelle comporte plus de 2500 opus : à 20 € le CD, c'est tout simplement trop cher, beaucoup trop cher.  Quand un major de l'industrie objecte qu'il ne peut "vraiment" pas vous faire l'article pour moins que cela, que veut-il dire ?  Tout simplement que s'il veut continuer à s'habiller chez Pierre Cardin, à rouler en Mercedes et à "golfer" à Vittel, il est vrai que c'est impossible.  Voilà pourquoi vous qui allez à la FNAC à vélo, en vêtements de seconde main, devrez continuer à payer le gros prix.

    Voilà aussi pourquoi les majors sont en train de couler.  Quand j'étais jeune, il n'y en avait que pour eux, DGG, EMI, … car on ne connaissait rien d'autre.  Sauf à se contenter de médiocres interprétations slovaques distribuées à bas prix, il n'y avait aucun moyen de leur échapper.  Karajan pouvait se déplacer en jet privé ou - si vous préférez - Johnny Hallyday, en yacht.  Notez, au passage, qu'aucun des droits récoltés 200 ans après sa mort n'a jamais servi à extraire Mozart de sa fosse commune. 

    Aujourd'hui, les choses commencent à changer : les majors prennent l'eau, scandalisés qu'on ait seulement songé à les éclabousser.   Sans réaction, ils vont sombrer et ce n'est pas moi qui les plaindrai, ayant largement contribué à leur fortune. 

    Le point intéressant n'est nullement la prédiction de cette fin prochaine mais bien le fait, qu'au bilan, la musique classique ne s'est jamais si bien portée, grâce à de nouveaux labels, CPO, Naxos, Brillant, qui ont fait leur apparition.  Au début, personne ne les a pris au sérieux, surtout les deux derniers cités: ce ne pouvait être que la version modernisée des CD slovaques mais avec le temps, les choses ont changé.

    CPO et Naxos sont d'un dynamisme remarquable, produisant de réelles nouveautés à une cadence effrénée.  Grâce à eux, on a pu découvrir, à des prix tout à fait abordables, les œuvres de Ferdinand Ries, Siegfried Wagner, Allan Pettersson, Egon Wellesz, Georges Rochberg, Krzysztof Penderecki, … .  Les affaires marchent si bien que Naxos a déjà avalé quelques gros poissons concurrents : BIS, Ondine, Da Capo, Capriccio, etc.  Mieux encore : Naxos qui a foi dans sa politique de défrichage de partitions méconnues, propose une écoute "stream" illimitée de l'entièreté de son catalogue (BIS, Ondine, Da Capo, Capriccio, …, inclus) pour à peine plus de 20 $  par an !  Si vous aimez, vous achetez, c'est aussi simple que cela … et cela marche !

    Brillant fait aussi bien, question prix en tous cas : pour 3 € en moyenne (NDLR : en 2000 car, avec le temps, le prix des nouveautésa a tendance à augmenter, pour atteindre 7 € en 2020), vous pouvez vous procurer des rééditions intéressantes mais aussi des nouveautés qui ne versent pas dans un répertoire facile (Les Quatuors de Malipiero, ceux de Villa Lobos, les symphonies de Salieri, d'Alfven ou de Glazounov, ..., je vous en dirai plus un de ces jours).  On objectera à propos des rééditions - cela a été dit - qu'il est un peu facile de racheter à bas prix les tiroirs des majors mais qui empêchait ceux-ci de procéder aux exhumations qui s'imposaient (Avec le temps et avec retard, ils commencent à s'y mettre) ?  Quant aux nouveautés - qui constituent quand même la moitié du catalogue Brillant - elles nécessitent également des interprètes, des studios d'enregistrement, des ingénieurs du son et des circuits de distribution.  Si à 3 € pièce, Brillant fait des bénéfices, quel peut être, à votre avis, le prix de revient du produit fini ?  Lors de leur lancement, en Hollande, les CD Brillant coûtaient UN euro pièce !  Cela a duré plusieurs années.  Actuellement, ils sont distribués un peu partout dans le monde dans des fourchettes de prix variant du simple au triple : seraient-ce subitement les artistes qui feraient leur beurre ?  Que nenni, ils ont été payés au cachet, pour solde de tous comptes.

    En résumé, à partir de 6 € le CD, en moyenne, le téléchargement n'aurait plus de raison d'être : le piratage serait tué dans l'oeuf.  Mais on pourrait aussi bien abandonner ce support musical, en s'inspirant du projet latent de la suppression pure et simple des logiciels résidents. Actuellement le citoyen irréprochable (et fortuné) achète une licence pour tous les programmes payants qu'il utilise couramment (calculs, traitements de textes, d'images, de sons, de films, ...). Cela lui donne le droit de les installer physiquement sur sa machine personnelle. Une alternative serait possible sous réserve de l'avènement du très haut débit internet qu'autoriserait un câblage massif par fibres optiques. Les logiciels seraient alors utilisables en direct, via le réseau, moyennement une contribution financière s'apparentant à celle que les téléphiles connaissent déjà sous la forme de bouquets. Le CD serait alors remplacé par une immense banque de données, consultable à la demande. Précisons à nouveau que si cette solution paraît élégante (sauf aux intermédiaires spécialisés), elle autorise d'autres dérives qui nous ramènent au point de départ : seuls des abonnements à prix (très) raisonnables viendraient à bout de la contrefaçon.

  2. Au niveau pratique, on remarque d'emblée que la loi s'attaque à la clientèle et nullement aux véritables pirates, ceux qui proposent.  Elle ne fait d'ailleurs rien d'autre lorsqu'elle s'attaque à toutes sortes d'autres activités criminelles.  Cela peut surprendre dans la mesure où il paraîtrait plus simple de contrer quelques fournisseurs véreux isolés qu'une clientèle dispersée.  

    Dans le cas qui nous occupe, la raison est connue, les plates-formes délictueuses sont dissimulées dans des pays qui ne respectent pas nos lois. 

    Cette remarque en appelle une autre qui indique que toute loi en la matière est précisément illusoire car inapplicable.  Certes on peut organiser une chasse aux sorcières mais ce sera toujours avec un temps de retard.  Les politiciens rêvent de lois incontournables mais ils ne vivent pas dans la réalité : tôt ou tard il faudra bien qu'ils délèguent le pouvoir de contrôle aux informaticiens et c'est évidemment là que réside la faille.  Tout informaticien qui mettra en place une barrière de sécurité trouvera toujours en face de lui un collègue qui contournera l'obstacle.  En informatique, toute action trouvera toujours sa parade rendant, dans ce cas précis, le téléchargement difficile à tracer.  Pour l'instant, ce sont des serveurs localisés à l'étranger, demain ce seront des adresses flottantes, aussitôt créées aussitôt effacées. 

    Au bilan, la seule traque qui vaut d'être organisée est celle des gros requins qui copient de manière industrielle et écoulent leurs produits frauduleux.  Pour ceux-là, nous n'avons évidemment aucune sympathie.  Espérons simplement que les futurs services de répression des fraudes s'intéresseront à eux en priorité. Qu'on me permette cependant quelques doutes : les gros requins ont toujours été le fonds de commerce de la justice et leur traque est sérieusement réglementée.

    Un mois était à peine passé que Hadopi avait déjà du plomb dans l'aile. Cette loi a été censurée par le Conseil constitutionnel qui s'est ému qu'un organe purement administratif puisse prendre des sanctions du type proposé. Seuls des juges devraient pouvoir le faire. Je doute que ceux-ci soient plus compétents en informatique que les fonctionnaires mais cela fait tourner la machine administrative qui, c'est bien connu, se nourrit de ces dossiers qui font la ronde. L'affaire demeure clairement à suivre et on espère un règlement équitable pour toutes les parties, au bénéfice de la culture musicale.

    Dans un nouveau rapport, daté de 2015, le Sénat suggère finalement la suppression de la HADOPI, en estimant que "cette autorité n’a pas apporté la preuve de son efficacité en tant que gendarme de l’Internet », et que « les moyens de lutte contre le piratage à travers le mécanisme de la réponse graduée sont inopérants". CQFD ou dont acte, comme il vous plaira.