Cela fait dix ans que certains ricanent et que d'autres grincent des dents : l'épiphénomène "Brillant" est cependant en train de perdre son "épi" et d'acquérir ses lettres de noblesses. Actuellement, toutes les surfaces de vente réservent quelques étagères du rayon classique aux CD publiés par ce label.
Personne, il y a dix ans, ne pouvait y croire : un hollandais, Pieter van Winkel, entreprenait de créer un label discographique classique reposant sur quelques principes forts :
Brillant, puisque c'est son nom, fit ses premiers pas sur les marchés hollandais et belge dans des conditions quelque peu surréalistes. Une chaîne de magasins, spécialisée dans la droguerie, la cosmétique et la parapharmacie, accepta de distribuer les CD. Chaque quinzaine, le folder "Kruidvat" proposait un nouveau coffret plus, environ une fois par mois, 5 nouveaux CD de Cantates sacrées de Bach dans une interprétation batave inédite, dirigée par Peter Jan Leusink. Chaque coffret était lancé au prix attractif de 7,5 euro et ce n'était qu'un début ! Douze volumes de cantates parurent au total, toujours disponibles actuellement au prix unitaire de 10 euro. Je me demande cependant qui - à part les distraits - les achète encore vu que l'édition Brillant de l'œuvre complète de Bach peut, aujourd'hui, être acquise pour 80 euro seulement, les cantates y figurant évidemment à côté des autres œuvres du Cantor. Actuellement, le contrat de distribution avec Kruidvat semble dissout et les CD Brillant ont rejoint le circuit normal.
Le coffret Bach (155 CD), premier projet d'envergure du nouveau label, devait paraître en un temps record (l'an 2000 commémorant les 250 ans de la disparition du compositeur). Comme il était inconcevable d'enregistrer 155 CD en si peu de temps, Van Winkel eut l'idée de négocier le rachat des licences d'exploitation d'enregistrements existants, auprès des firmes en possédant les droits. Beaucoup de négociations aboutirent mais Teldec, contactée pour la réimpression de sa prestigieuse intégrale "Leonhardt-Harnoncourt" des Cantates, opposa une fin de non-recevoir. Van Winkel n'abandonna pas la partie pour autant et confia à Peter Jan Leusink, le projet pharaonique de les enregistrer (en 15 mois !). Celui-ci fit de son mieux, malgré un délai trop court. L'indulgence n'ayant jamais fait partie des qualités reconnues chez les critiques musicaux, le résultat a essuyé quelques commentaires sévères au plan artistique. Je les ai tempérés ailleurs sur ce site : certes, si vous ne pouvez (sur)vivre sans les Cantates et que vous n'êtes pas sur la paille, achetez l'intégrale Suzuki (Si vous n'êtes pas pressé, attendez que BIS se décide à la vendre en coffret à prix réduit, sinon prévoyez 1000 euros pour les pièces détachées). Si par contre, vous voulez faire connaissance avec ces œuvres sans vous ruiner (quitte à débourser davantage pour celles qui vous plaisent particulièrement), l'offre Brillant est très convenable. Son moindre mérite n'est-il pas d'avoir fait découvrir, en quelques mois, les cantates à quelques 100.000 hollandais toujours friands de prix attractifs ?
Le reste de l'intégrale Bach (soit 95 CD) réserve quelques belles surprises, au rang desquelles je retiendrai avant tout :
Ce coffret comporte plusieurs nouveaux enregistrements : outre les Cantates, l'œuvre pour clavier a été intégralement enregistrée par le claveciniste "maison" Pieter-Jan Belder. Belder fait partie des collaborateurs satisfaits des termes du contrat proposé par Van Winkel : un cachet convenable pour solde de tout compte, sans pourcentage sur les ventes. Certes, l'intéressé reconnaît qu'il ne sera jamais riche mais la notoriété acquise suffit à remplir son carnet d'engagements. De fait, il s'est vu proposer, dans la foulée, une intégrale Domenico Scarlatti (à présent achevée) et il s'attaque actuellement au Padre Soler. Leusink, en revanche, s'est quelque peu mordu les doigts d'avoir accepté le marché des cantates : il ne s'attendait pas à ce qu'elles se vendent si bien et peut-être ne croyait-il pas trop au projet, un peu fou, de Van Winkel.
L'enregistrement des Cantates (60 CD, soit plus du tiers du coffret complet) fit exploser le budget de Brillant, au point de compromettre l'avenir de l'entreprise. Van Winkel eut alors l'idée "brillante" de récidiver avec l'œuvre intégrale de Mozart. Ce n'était pourtant pas gagné d'avance car enfin, comment imaginer intéresser un large public aux 626 numéros d'opus du Maître de Salzbourg : la majorité n'en connaît que la "Petite Musique de Nuit" ou la mélodie "Ah vous dirais-je maman" pour l'avoir entendue au berceau, émise par une boîte à musique.
Le coup de poker s'avéra pourtant gagnant au-delà de toute espérance : rien qu'en France, plus de 200.000 intégrales furent vendues. Habilement lancé au moment des fêtes de fin d'années, le coffret Mozart devint le cadeau "commode" par excellence.
Le coffret Mozart (160 CD pour 60 euro) ne manque pas d'intérêt, à commencer par les 41 Symphonies dans l'excellente interprétation "maison" de Jaap ter Linden. C'est l'occasion d'entendre toutes les symphonies de jeunesse, largement interchangeables, il est vrai. Les Quatuors (sous licences Claves & Nimbus) sont très bons eux aussi; quant aux incontournables 27 Concertos pour piano, ils font l'objet d'un enregistrement raffiné de Derek Han (piano) & Paul Freeman, à la tête du Philharmonia Orchestra. Côté opéra, j'ai noté, outre "Les Noces de Figaro" et "Cosi fan Tutte" par la Petite Bande (licence Accent), un "Enlèvement au Sérail" très … enlevé sous la direction de Charles Mackerras (Licence Telarc). Au bilan, on ne peut qu'admirer l'ingéniosité déployée par Van Winkel pour que tous les opéras de jeunesse - mais aussi les messes et les oratorios - soient présents dans cet ensemble.
Un intéressant coffret Beethoven (85 CD pour 80 euro) a suivi. On y trouve les incontournables attendus :
L'essentiel de l'oeuvre de Beethoven est connu de tout mélomane un brin cultivé. Aussi les amateurs seront-ils ravis de découvrir, dans ce coffret, quantité d'œuvres rares et non nécessairement négligeables. Ces œuvres, ne portant pas de numéros d'opus, sont tout simplement notées WoO ("Werk ohne Opuszahl"). Vous découvrirez en priorité :
A côtés de ces coffrets monumentaux que les collègues envieux qualifient de cercueils ramasse-poussière, d'autres coffrets, plus ou moins (in)complets, sont également disponibles. Un lien rompu peut signifier que l'article est temporairement indisponible :
Des coffrets, Vivaldi et Haendel, partiels on s'en doute, vu le catalogue pléthorique de chacun, ont paru en leur temps mais je n'en trouve plus trace. Je soupçonne qu'ils reparaîtront un jour, complétés et surtout relookés, les opéras proposés actuellement n'étant guère dignes de passer à la postérité.
Le catalogue Brillant propose également un grand nombre d'albums reprenant l'ensemble complet des œuvres écrites par un compositeur particulier, dans un genre donné. Le lecteur comprendra qu'une énumération détaillée serait fastidieuse. Je me contenterai de l'aider à s'y retrouver dans ce qui, au rythme soutenu des parutions, s'apparente de plus en plus à une jungle.
Deux adresses peuvent être consultées en priorité :
Je me contenterai de vous proposer quelques bonnes affaires : des interprétations de valeur, à des prix défiant toute concurrence :
Wagner est le parent pauvre du catalogue Brillant. Un Ring est paru en son temps qui ne tenait pas la route; il semble d'ailleurs avoir disparu. Je ne doute pas que Van Winkel trouvera sous peu une licence plus intéressante.
Brillant a un temps distribué (à ce prix on peut presque le dire ainsi !) des coffrets Verdi, Puccini, Bellini, Donizetti (5 opéras, 10 CD) et Rossini (5 opéras en un acte, 8 CD), reprenant une brochette d'opéras représentatifs de chaque compositeur. Le coffret Verdi était particulièrement remarquable, proposant une douzaine d'opéras chantés par Carlo Bergonzi, Placido Domingo, Leontyne Price, Rolando Panerai, Grace Bumbry, …, rien que du beau monde saisi au mieux de sa forme. Cet album a apparemment disparu du catalogue sans que je sache pourquoi, peut-être un problème de licence ?
J'ajouterai, pour faire semblant d'être complet (à vous de fouiller), une multitude d'enregistrements de mélodies (Fauré, Brahms, Schumann, Messiaen, …), d'œuvres chorales rarement enregistrées (Mendelssohn, Brahms, Schumann, les messes de Schubert, …).
On aura noté que certains albums ne craignent pas de s'aventurer dans des domaines peu fréquentés. Qui, à part Crésus, pourrait se permettre de s'approvisionner sur les marchés les plus chers afin de découvrir les symphonies de Clementi, de Magnard ou d'Alfven, les quatuors de Malipiero, de Schönberg ou de Villa Lobos ?
Van Winkel, jamais à court d'idées, a encore imaginé fouiller les archives des studios d'enregistrements :
Ces enregistrements live (parfois de studio) n'ont rien perdu de leur charme et certains sont même entrés dans la légende du 20ème siècle :
Que coûte un CD Brillant ?
Lorsque Brillant rachète à bon compte les droits de réimpression d'enregistrements existants, on comprend qu'il puisse comprimer les prix. Le point important, c'est qu'il le fasse effectivement : lorsque Decca a racheté les droits sur les enregistrements Philips, il s'en est bien gardé ! Si les choses commencent à changer (cf supra, les opéras de Haydn), c'est précisément parce que la concurrence s'active, précisément sous l'impulsion de Brillant.
Curieusement, lorsque Brillant a commencé à publier ses propres enregistrements (sous licence joan.records), le prix, au départ de l'usine, était à peine supérieur (Ce n'est plus tout à fait le cas actuellement, cf infra). Ce n'est que lorsque les albums parvenaient dans les bacs des distributeurs que leur prix variait du simple au triple !
Prenons un exemple, frappant mais caractéristique : l'intégrale des 15 symphonies de Schostakovitch dans l'excellente interprétation de Rudolf Barshai. Kruidvat a lancé ce coffret à 17 euro ! C'était une aubaine pour un album qui a reçu les acclamations des commentateurs de tous bords. L'intégrale n'est sans doute pas parfaite à tous points de vue - aucune autre ne l'est d'ailleurs - mais pour un prix dérisoire, elle vous garantit des années de bonheur musical !
Actuellement et hors promotions éventuelles, cet article se vend chez : Amazon.com à 63 $, Amazon.fr de 37 à 56 euro, Abeille Musique à 39 euro, Fnac Montpellier à 53 euro et jpc à … 20 euro. Cet exemple n'est nullement une exception : les 10 symphonies de Mahler par Eliahu Inbal coûtent 30 euro chez jpc, 60 euro à la Fnac Montpellier, 59 $ chez Amazon.com, 44 euro chez Abeille. Je pourrais continuer comme cela à l'infini. Ces prix sont indicatifs car ils fluctuent en permanence plus fort que les cours de bourse.
Comment convient-il d'interpréter ces différences ? Un élément de réponse figure dans les explications - un brin candides - que le patron d'Abeille Musique a fournies, en son temps, à un journaliste, confessant qu'au prix où il le vendait, le coffret Mozart avait suffi à quadrupler son chiffre d'affaires annuel et triplé son résultat. Comprenez que cette opération lucrative fut possible à une époque où les mélomanes français découvraient des prix incroyablement bas sans se rendre compte qu'ils l'étaient encore plus en Hollande (Kruidvat) et surtout en Allemagne (jpc). Aujourd'hui, c'est sans doute plus difficile, les gens commencent à s'intéresser à ce qui se passe en dehors de leurs frontières et les marges d'abus se réduisent : le coffret Mozart s'achète à 79 euro chez Abeille pour 60 chez jpc.
Une chose est sûre en tous cas : lorsqu'un album est vendu deux fois plus cher, les artistes n'en retirent rien. Seront-ils consolés d'apprendre qu'ils ne sont pas seuls dans ce cas ? Dans les entreprises qui vendent une technologie innovante, ce sont rarement les génies du laboratoire qui se couvrent d'or mais plutôt les commerciaux qui se débrouillent pour vendre au mieux un produit que souvent, ils ne comprennent même pas. Il en sera ainsi tant que la société n'aura pas refait l'inventaire de ses valeurs.
Naguère, l'industrie du CD classique était presque exclusivement aux mains de quelques labels dominants, DGG, EMI, Decca, Philips, etc, qui tous, déclaraient perdre de l'argent. La variété renflouait, parait-il, le navire du classique, un peu comme les assurances vies renflouent le secteur des accidents de roulage. Une autre vérité, c'est que ces labels construisaient leur empire sur les noms de quelques stars devenues gourmandes, les producteurs et les distributeurs n'étant pas en reste. Il y a cinquante ans, les "fauchés" que nous étions presque tous, devaient résister au mirage des orchestres slovaques de seconde zone jouant les symphonies convoitées. Ceux qui voulaient "leur Karajan, cru 1977" dans Beethoven - on les comprend - devaient payer le prix fort : 10 euro par disque LP, une fortune pour l'époque : DGG pavoisait et Karajan se pavanait en jet privé. Aujourd'hui, nous sommes entrés dans une autre époque : les stars sont concurrencées par une pléiade de jeunes musiciens dont on découvre qu'ils ont aussi du talent. Il me paraît sain qu'une firme comme Brillant mise sur eux en leur proposant un contrat certes limité dans le temps mais qui leur donne une occasion de se faire connaître.
Brillant a introduit un peu d'air frais dans un système qui commençait à sentir le moisi. On découvre aujourd'hui que "compression des prix" et "répertoire élargi" peuvent parfaitement rimer avec "rentabilité". Les Hollandais sont des gens pragmatiques et durs en affaire; on ne leur fait pas facilement prendre des vessies pour des lanternes. Certes, le procédé de rachat des licences ne fait pas que des heureux. Certains interprètes, étrangers au projet "Brillant", n'apprécient guère - on les comprend - que leurs anciens enregistrements connaissent une nouvelle diffusion sans qu'ils puissent réclamer quoi que ce soit au titre de droits d'auteurs. Sigiswald Kuyken a fort justement déploré cet état de chose lorsque ses opéras avec la Petite Bande ont été incorporés au coffret Mozart mais Brillant n'y est spécifiquement pour rien : il n'aurait pas reçu un meilleur traitement de la part d'une autre firme. Les méandres des tractations commerciales sont, de fait, rarement profitables aux artistes qui ne s'entourent pas d'un cabinet d'avocats. Evidemment s'ils le faisaient, on présume qu'ils ne seraient pas artistes !
Epuisant progressivement les réserves d'enregistrements abandonnés par d'autres labels, Brillant accentue ses propres productions et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il ne cède pas à la facilité en publiant des albums exigeants : Album Hanns Eisler (10 CD), Oeuvres pour clavecin de Jean-Henri d'Anglebert, The London Manuscript de Silvius Leopold Weiss (12 CD incontournables !), la Musique de chambre de Richard Strauss (9 CD), L'oeuvre de Joaquin Rodrigo (21 CD), celle de Frescobaldi (17 CD), etc, je vous le répète fouillez ici.
Est-ce un bémol ou une normalisation ? Actuellement (2014), Brillant vend ces nouveaux enregistrements plus chers, vers 7 euros, un prix qui tente de s'aligner sur la concurrence directe, le label Naxos. L'avenir nous dira si c'est là que se situe la limite de prix raisonnable du CD classique de pointe.