Trois compositeurs néerlandais importants ont marqué la vie musicale de leur pays après la deuxième guerre mondiale : Peter Schat (1935-2003), Tristan Keuris (1946-1996) et Louis Andriessen (1939 - ). Après avoir évoqué les deux premiers, ici même, le moment est venu de portraiturer le troisième.
Louis Andriessen est né à Utrecht dans une famille de musiciens : son père, Hendrik (1892-1981), son oncle, Willem (1887-1964) et son frère aîné, Jurriaan (1925-1996), furent des compositeurs connus. Chez les Andriessen, l'idéal musical était celui de la musique française et pas vraiment de sa consoeur germanique, jugée surchargée voire ... ennuyeuse (Cfr l'entretien accordé à la maison d'édition Boosey & Hawkes par le compositeur et ponctué de musiques typiques de l'auteur) !
Bien qu'ayant étudié sous la houlette du strict avant-gardiste, Kees van Baaren, au Conservatoire de La Haye, Louis Andriessen va très vite se détourner du style appris pour s'orienter vers une écriture éminemment personnelle et tout aussi radicale. Il est probable que les stages de perfectionnement passés auprès du libéral, Luciano Berio (1925-2003), à Milan puis à Berlin, l'ont encouragé à voler de ses propres ailes mais le fait est que c'est la découverte des musiques de Terry Riley (In C), Steve Reich et Philip Glass (première manière, soit Einstein on the Beach ou Music with changing Parts) qui l'a orienté vers le minimalisme pulsé qui deviendra sa marque de fabrique.
Louis Andriessen est avec son modèle, Steve Reich, le musicien de l'ère postmoderne le moins contesté par l'intelligentsia d'avant-garde. Il doit cette considération au fait que sa musique, dynamique et volontiers spartiate, ne cherche pas particulièrement à plaire, refuse largement la consonance et s'affirme clairement antiromantique. En ce sens, le minimalisme dont il se réclame se démarque de la mouvance américaine dont il est pourtant issu.
Andriessen a renoncé aux ensembles instrumentaux classiques, en particulier à l'orchestre symphonique où les cordes ont naturellement tendance à dominer. Il préfère des formations inhabituelles, aux couleurs plus agressives imprimées par des guitares électriques, trombones, saxophones et percussions en tous genres. Le compositeur s'est d'ailleurs investi dans la formation des ensembles, Schönberg, Asko, Volharding (cultivant un son jazz) et Hoketus (cultivant un son rock). Son modèle formel est Stravinsky et il ne cache pas son amour des sonorités empruntées aux ensembles de Count Basie ou Stan Kenton, comme en atteste Facing Death, une adaptation pour quatuor de saxophones d'une oeuvre primitivement écrite pour quatuor à cordes. La version originale a été enregistrée par le Quatuor Schönberg sur ce beau CD.
L'oeuvre d'Andriessen a pas mal été enregistrée, en particulier chez Nonesuch. La perspective que vous trouviez ces enregistrements à l'étalage de votre fournisseur habituel est cependant ténue tant il est vrai que la musique d'Andriessen fait peu recette.
Nocturnen (1959) est une oeuvre de jeunesse encore paisible qui ne devrait effrayer personne, j'en ai hélas perdu la trace.
Anachronies I (1967), rétrospectivement dédiée au pionnier que fut Charles Ives (1874-1954), et surtout Anachronies II (1969) procèdent à des collages hétéroclites. J'ai perdu la trace de liens sonores de ces oeuvres, par contre j'ai retrouvé ce collage iconoclaste sur les symphonies de Beethoven, que vous vous exercerez à identifier (de même que les musiques qui interférent). Ces oeuvres agréables voire amusantes sont toutefois restées sans lendemain, la surcharge stylistique les privant - intentionnellement, je précise - d'une cohérence exploitable sur le long terme.
Worker's Union (1975) et De Staat (1976), d'après la République de Platon, inaugurent le style caractéristique du compositeur : une pulsation continue broyant tout sur son passage, déployant des timbres âcres et des accords stridents parfois heureusement tempérés par des lignes vocales aériennes provenant en droite ligne du Philip Glass de la première manière (par exemple North Star).
Toutes les oeuvres de cette période ne sont pas de difficultés égales. Si De Snelheid (1983) est d'accès relativement aisé, on n'en dira pas autant de "De Materie" (1988), oeuvre en 4 parties (De Materie, Hadewijch, De Stijl et Part IV), qui ne craint pas, par moments, de fatiguer l'oreille par des accords assourdissants.
Hout (1991) revient à des intentions plus raisonnables et vous apprécierez au moins l'originalité des timbres. Toutes les oeuvres écrites à cette époque montrent un compositeur volontiers militant, ne cachant pas son souhait d'entendre les interprètes jouer au maximum de la dissonance écrite.
Zilver (1994) et Trilogie van de laatste Dag (1997) marquent le début d'une évolution vers une musique plus apaisée où les timbres commencent à s'adoucir.
Cette tendance se poursuit avec La Passione (2002) et La Commedia (2008) qui utilisent et respectent la voix. Précisément, Andriessen a écrit deux opéras en collaboration avec le cinéaste bien connu, Peter Greeneway :
Si Rosa (1994), entretient encore une agressivité de ton que l'extrait choisi dissimule, Writing to Vermeer (1999) est une oeuvre intemporelle qui devrait mettre tout le monde d'accord (L'extrait proposé n'est qu'un échantillon parmi d'autres, largement présents sur Youtube : prospectez et si vous êtes convaincus, procurez-vous l'enregistrement !). Writing to Vermeer est un authentique chef-d'oeuvre qui étonne dans la mesure où son esthétique s'écarte nettement de la ligne dure voire intransigeante des oeuvres précédentes. Raison ou sagesse venant avec l'âge, peu importe, ne nous plaignons pas d'entendre un des opéras majeurs des dernières décennies.
Un double CD vient de paraître chez Attaca, reprenant l'essentiel de sa musique pour piano, sous les doigts de Ralph van Raat. Tous les styles y sont représentés : à côté de pages trépidantes, Rondo Barbaro ou Trepidus, on y trouve d'inattendues pages d'album aux titres - mais aussi aux contenus - romantiques, Menuet Pour Marianne, Berceuse pour Annie ou Romance pour Cecilia.
L'enseignement qu'Andriessen a dispensé au Conservatoire de La Haye a été le reflet de ses convictions stylistiques. Il les a transmises à quelques élèves qui ont fait leur chemin en suivant plus ou moins fidèlement ses traces :
Louis Andriessen a toujours clamé qu'il lui serait très facile d'écrire de la "belle" musique, au sens "romantique" du terme mais que ce faisant, il se renierait car ce ne serait ni la musique qu'il a envie d'écrire ni celle qu'il veut entendre. Après autant d'années au service de telles convictions, l'honnêteté intellectuelle de l'artiste ne peut être mise en doute. Elle s'est confirmée, si besoin en était, avec la parution de Theatre of the World (2015), une oeuvre baroque - au sens moderne du terme - brillamment conçue (Un enregistrement Nonesuch existe depuis 2017). La musique d'Anfriessen lui survivra-t-elle, c'est une autre histoire, que seuls nos enfants pourront écrire. J'espère simplement qu'ils n'oublieront pas - au moins - Writing to Vermeer, une oeuvre dont je n'arrive décidément pas à me séparer.