De parents musiciens amateurs, Henry Wood (1869-1944) hésita longtemps entre la peinture, l'orgue, le chant (Il fréquenta la classe de Manuel Garcia et fut même un temps son pianiste accompagnateur) et la composition (Oratorio St Dorothea et Returning the Compliment), avant de se décider pour ... la direction d'orchestre. Ce fut la rencontre avec le chef Felix Mottl, lors d'un pèlerinage à Bayreuth, qui fixa son choix.
Wood n'a pas laissé le souvenir d'une direction comparable à celle des grands chefs allemands de l'époque, d'Otto Klemperer à Wilhelm Furtwängler. Par contre, il a rempli le rôle essentiel de révélateur de quelques 717 oeuvres de 357 compositeurs différents auprès d'un public anglais, avide de musique. Bien qu'il se soit intéressé aux procédés d'enregistrement dès 1908, ses nombreuses réalisations ont disparu des catalogues depuis longtemps, sauf quelques rééditions Decca et Columbia, en particulier des symphonies de Ralph Vaughan-Williams (Symphonie n°2, désolé ce n'est pas un chef-d'oeuvre).
Le buste ci-contre de Wood (1938) est le résultat d'une commande passée au sculpteur Donald Gilbert, destinée à fêter ses 50 années de métier. Outre sa valeur artistique, il a démontré sa solidité lors des bombardements allemands de 1940 : il fut l'une des rares pièces que l'on retira intacte des ruines du Queen's Hall de Londres. Ce buste, ordinairement rangé dans une niche de la Royal Academy of Music, déménage chaque année au-devant de l'orgue du Royal Albert Hall, lors des 8 semaines d'été que durent "The Henry Wood Promenade Concerts".
The Prom's Concerts constituent une des institutions musicales les plus remarquables qui soient. Ils sont nés en 1895 à l'initiative de l'imprésario Robert Newman (1858-1926) avec comme ligne directrice d'éduquer progressivement le goût musical d'un public néophyte. La stratégie était simple : attirer ce public avec des musiques (très) faciles voire légères et des tarifs démocratiques puis, petit à petit, élever le niveau d'exigence du répertoire jusqu'à incorporer la musique la plus contemporaine. Cet objectif ambitieux fut atteint en à peine deux décennies. Mieux encore, 120 ans plus tard, le projet demeure intact, rencontrant chaque année un succès qui ne se dément pas en dépit d'une programmation de plus en plus audacieuse sur laquelle nous aurons à revenir tant elle est remarquable. Inutile d'insister sur le fait que l'intitulé de la série n'a, depuis longtemps, plus aucun rapport avec l'étymologie des "Concerts promenades" qui désignaient, vers 1900, des interprétations de musiques légères, en plein air, pour l'agrément de promeneurs plus ou moins attentifs.
Une telle organisation n'aurait jamais vu le jour sans l'aide de généreux mécènes, en particulier Edgar Speyer et George Cathcart. Ce dernier, médecin ORL de son état, posa deux conditions : que Wood soit le chef attitré et que le diapason de l'orchestre soit abaissé d'un demi-ton conformément à l'usage en vigueur sur le continent. Sa pratique professionnelle auprès des chanteurs lui avait appris qu'un diapason élevé abîmait les voix et Wood était du même avis. Les membres des sections bois et vents de l'orchestre tentèrent bien de protester au motif qu'ils n'avaient pas les moyens de se payer de nouveaux instruments mais on les fit taire en leur en prêtant, qu'ils acquirent progressivement lorsqu'ils comprirent que cette exception (bien) britannique était condamnée.
Le premier concert eut lieu le 10 août 1895, au Queen's Hall de Londres. Le lieu se prêtait au projet démocratique : un espace libre situé au-devant du parterre permettait aux moins fortunés de circuler librement, éventuellement un verre à la main et la cigarette aux lèvres (une fantaisie qui sera interdite en 1971). Les places assises, situées en retrait, coûtaient de 3 à 5 fois le prix de base établi à 1 Shilling. A l'exception de l'ouverture de Rienzi de Wagner, le programme inaugural ne fut pas particulièrement excitant, faisant la part trop belle à des musiques légères insignifiantes. Wood réagit bientôt et décida de consacrer l'essentiel des lundis à Wagner, des vendredis à Beethoven et des autres jours à Tchaïkowsky, Mozart, Brahms, bref à tous les classiques qui, à l'époque, étaient encore largement inconnus du grand public.
L'abnégation de Wood ne fut pas pour rien dans le succès de cette entreprise, lui qui refusa les postes de direction de deux des phalanges américaines les plus prestigieuses, le N-Y Philharmonic (à la suite de Mahler !) et le Boston Symphony : il considérait qu'il était de son devoir de se consacrer à l'éducation de masse de ses compatriotes, un rôle qu'il assura effectivement jusqu'à sa mort.
Au décès de Newman, en 1926, les mécènes privés laissèrent la place à la BBC qui cherchait depuis longtemps à retransmettre les concerts. L'opposition était vive à l'époque car l'idée se répandait que ce serait la fin des salles de concert (air connu, encore maintes fois chanté de nos jours avec des variantes) mais la BBC tint bon et elle parvint à ses fins. Pour Wood, ce fut une bonne chose car le nouveau contrat renforça l'orchestre, lui imposa un élargissement du répertoire et accrut le nombre des répétitions.
Si Wood n'a jamais rivalisé avec les plus grands chefs continentaux, Bruno Walter, Wilhelm Mengelberg, Wilhelm Furtwängler, Arturo Toscanini, Otto Klemperer, ..., il a cependant marqué le métier par quelques initiatives durables :
Mais par-dessus tout, aucun chef n'a autant cru dans le potentiel éternellement sous-estimé du public pour apprécier la musique de son temps. Les conséquences de ce credo artistique sont encore bien palpables aujourd'hui : Londres est devenue l'un des centres de gravité du monde musical.
Les bombardements qui s'abattirent sur Londres en 1940 détruisirent complètement le Queen's Hall et les concerts se dispersèrent en province avant de se retrouver à l'Albert Hall, deux fois plus grand et tant pis pour l'acoustique. Prenant de l'âge, Wood encouragea le talent de quelques jeunes chefs, Basil Cameron, Eugène Goossens, Arthur Payne, Malcolm Sargent et Adrian Boult, les invitant à diriger certains concerts. Nul ne sait exactement pour quelles raisons Thomas Beecham n'a jamais bénéficié des mêmes faveurs.
La consultation des archives des Prom's - tenues à jours dans ses moindres détails depuis 1895 ! - donne une idée de l'évolution de la programmation. Une recherche chronologique est possible mais elle est un brin fastidieuse (plus de 10 000 concerts !). La recherche par auteurs semble plus aisée, à condition de savoir qui on cherche ! A côté des classiques confirmés, de Bach à Mahler, Wood a considérablement élargi le répertoire dans plusieurs directions :
Au bilan, chaque saison propose actuellement une centaine de concerts où la variété le dispute à l'exigence de la programmation. On ne s'étonnera guère que, formés à une telle école, les mélomanes anglais comptent parmi les plus avisés au monde.
Les Prom's se clôturent invariablement par un concert festif, The last Night of the Prom's, où un public bon enfant peut se livrer à quelques extravagances : couvre-chefs, calicots et drapeaux sont invités à la fête, agitables en tous sens aux sons de musique de moins en moins sérieuses à mesure que l'heure avance. Quelques airs - toujours les mêmes - ferment la saison : c'est l'occasion d'entendre quelques notes de Wood empruntées à l'une ou l'autre de ses fantaisies symphoniques. Son oeuvre la plus populaire demeure The Fantasia on british Sea Songs dont le célèbre Hornpipe (positionnez-vous en 4 min 25 s), joué de plus en plus vite, offre aux sujets de Sa gracieuse Majesté l'occasion d'un défoulement collectif. Observez que le public du parterre participe - pas toujours en cadence exacte - par un mouvement caractéristique des jambes, un dégourdissement bienvenu. Résonnent enfin quelques hymnes qui ont réussi l'exploit de dépasser le statut de cliché auquel ils semblaient condamnés : Pomp and Circumstance n°1 d'Edward Elgar, généralement dans l'arrangement choral Land of Hope & Glory (sur des paroles d'Arthur Christopher Benson) et Jerusalem d'Hubert Parry (1848-1918). Chaque membre de l'assistance peut donner de la voix en proportion de sa ferveur patriotique. Ah j'allais oublier le Rule Britannia de Thomas Arne (1710-1778) et le God save the Queen, je vous épargne.