On est bien peu de chose : Steve Martland, un fort gaillard cependant, nous a quittés l'année dernière à l'âge de 54 ans seulement, sans crier gare, en tous cas sans m'avoir laissé le temps de lui rendre hommage de son vivant. On l'a décrit accro à la cigarette et à la bière, indifférent aux statistiques implacables concernant les risques de décès prématuré.
Son look décalé - T-shirt, short bermuda et coupe au carré - n'est nullement emprunté à une photo de vacances : Martland affichait volontairement ses différences en toutes circonstances y compris au concert.
Au terme de ses études musicales, à Liverpool, en 1982, Martland a fait le choix inhabituel de se perfectionner au Conservatoire de La Haye, dans la classe de Louis Andriessen, dont l'influence s'avéra déterminante pour la suite. Voici, avant toutes choses, un échantillonnage de sa musique pleine de vie : si vous détestez, ce que je peux comprendre si vous ne jurez que par Mozart ou Schubert, inutile de poursuivre, les choses ne s'amélioreront pas !
Agacé par les conventions qui cloisonnent depuis toujours le milieu des musiques savantes, il s'est forgé un style où coexistent les univers classique (Purcell, The King Singers, Holst et même Vaughan Williams a priori à mille lieues de son univers habituel), folk, pop (John Lennon), rock et jazz (Loose Tubes, Maarten Altena Octet). Refusant (comme Andriessen d'ailleurs) les formations instrumentales traditionnelles, il s'est souvent exprimé au sein de son propre ensemble, The Steve Martland Band, composé de 11 musiciens (Violon, alto, violoncelle, saxos alto, baryton & basse, guitare électrique, claviers, trompette, trombone et batterie).
Trop excentrique pour les éditeurs "sérieux" et trop savant pour les autres, Martland a peiné pour trouver un label accueillant. La chance lui a cependant souri lorsqu'il a rencontré Anthony Wilson, directeur du label Factory Records, qui cherchait à renouveler l'univers de la pop music. Sans savoir à quoi il s'engageait, il signa les yeux fermés pour l'impression de Babi Yar, une oeuvre complètement folle, écrite pour orchestre divisé. Il mit l'enregistrement sur le marché avec une pochette sur laquelle figurait en tout et pour tout le nom de Martland et le numéro de catalogue sans la moindre information quant à ce qui attendait l'acheteur ! Il est juste de dire que le même CD proposait Drill , une oeuvre minimaliste pour deux pianos, exigeante mais de très belle facture. On ne s'étonnera guère d'apprendre que ce label disparut 3 ans plus tard.
L'artiste n'a jamais caché ses préoccupations écologiques et socio-politiques, étant particulièrement critique à l'égard de la gouvernance et de l'héritage de Margaret Thatcher. Il a collaboré, dans un esprit polémique, avec plusieurs cinéastes (Peter West dans Albion, Robert Katz dans Terra Firma et Greg Hall dans Kapital). Il s'est également investi dans un enseignement musical gratuit aux plus jeunes y compris au niveau de la composition (Strike Out project et The Prince's Trust, une fondation soutenue par le Prince Charles). Volontiers provocateur il ne s'est jamais gêné pour clamer haut et fort ses opinions incendiaires, y compris à la face des institutions qui produisaient ses oeuvres (BBC, Prom's Concerts).
On regrettera que trop d'activités extra-musicales aient détourné Martland de l'écriture assidue, ne nous laissant au bilan qu'un catalogue certes précieux, parce que différent, mais néanmoins trop mince. La situation est encore plus grave pour l'amateur mélomane, obligé de se livrer à un travail d'exploration des catalogues les plus confidentiels, sans la moindre assurance de succès.
Le style musical de Martland s'articule le plus souvent sur une pulsation rythmique infectieuse, héritée du hoquet médiéval, à laquelle, à moins d'être sourd ou paraplégique, on ne résiste pas longtemps. Les chorégraphes ne s'y sont pas trompés, qui ont puisé largement dans cette oeuvre hyper vitaminée, en particulier les remarquables Dance Works, créées par le London Contemporary Dance Theatre. Dans sa version pour ensemble, Dance Works répand son énergie primitive en projetant le son d'un instrument à l'autre, alternant consonances et dissonances.
On retrouve les mêmes procédés rythmiques dans une série d'oeuvres caractéristiques : American Invention, Horses of Instruction, Shoulder to Shoulder, Tiger Dancing, pour cordes, et Re-Mix, pour ensemble, d'après la Sonnerie de Sainte Geneviève de Marin Marais (1656-1728). Beat the Retreat débute par une série de battements répétitifs bientôt interrompus par une basse obstinée empruntée à Purcell (attendez 5 min 32 s), d'où le titre. J'adore ce qu'a fait de cette pièce le Nederlands Blazers Ensemble, lors d'un concert du Nouvel An, en 2006 aux Pays-Bas.
Patrol, pour quatuor à cordes, une exception bienvenue dans l'oeuvre de Martland, combine l'atmosphère planante du Tabula Rasa d'Arvo Pärt, la fantaisie élisabéthaine et pour finir, le violon populaire. Snapshot, comme Drill déjà mentionné, font regretter que le compositeur ne se soit pas davantage intéressé au piano.
Martland a occasionnellement travaillé avec des artistes issus des horizons les plus divers : les King's Singers dans Street Songs (Voici 3 extraits d'une minute chacun : Poor Roger, The blue Mist & The broken String ), le groupe Spiritualized dans Terminal et Sarah Jane Morris dans le cycle Glad Day, créé au Holland Festival 1988. Je n'ai malheureusement trouvé aucune trace sonore de Remembering Lennon, un hommage à son concitoyen liverpuldien, John Lennon.
L'éditeur Schott venait de renouveler le contrat d'exclusivité du compositeur quand est tombée la nouvelle de sa disparition. Son site officiel vous propose quelques compléments de valeur disponibles à l'écoute, en particulier Eternal Deligth, Mr Anderson's Pavane, Terminal, Starry Night, Thistle of Scotland & Kick. Enfin, voici deux références que je vous souhaite de trouver, la première qui regroupe Dances, Principia et Patrol et la seconde qui propose les Street Songs, un des bons enregistrements des King's Singers :