Il s'appelle Jay Greenberg (1991- ) mais il signe (provisoirement ?) ses oeuvres sous le pseudonyme de Bluejay car ainsi qu'il le dit lui-même, les geais bleus sont petits et font beaucoup de bruit. Son père est un linguiste américain et sa mère, une peintre israélienne. Ni l'un, ni l'autre ne se sentaient concernés par la musique jusqu'à ce que leur fils les interpelle par l'exercice de dons exceptionnels. Jay possède, en effet, une oreille et une mémoire auditive hors du commun qui le classent - d'après ceux qui l'ont approché - comme le prodige musical le plus étonnant que la composition musicale a connu depuis un siècle.
De tous temps, les jeunes prodiges ont fasciné. Les mathématiques en ont révélé quelques-uns :
Aujourd'hui, cette denrée se fait beaucoup plus rare pour des raisons plutôt faciles à comprendre. Il est impensable de faire œuvre innovante, en sciences, sans avoir eu le temps d'absorber - et de digérer ! - une part appréciable de la littérature existante. Ce bagage ne cessant de croître avec le temps, on conçoit qu'il soit de plus en plus difficile, pour un jeune scientifique, de créer, aussi doué soit-il : ce n'est pas tant que les génies précoces n'existent plus mais plutôt qu'ils manquent d'opportunités.
Le problème se pose sans doute différemment en musique où la perspective d'innover n'est que modestement entravée par le répertoire existant. Pourtant, sans raison explicable, cela fait près de 100 ans que la liste des Pergolèse, Mozart, Weber, Schubert, Mendelssohn, Saint-Saëns et Korngold tarde à s'allonger.
On se réjouira d'apprendre que cela est peut-être chose faite. En tous cas, l'actualité spécialisée fait grand cas du "phénomène" Jay Greenberg.
On dit de lui qu'il a touché le violoncelle dès l'âge de 3 ans, voire 2, exagèrent certains ! La précision importe fort peu, on sait combien il est tentant de tricher avec le calendrier lorsqu'un prodige paraît. Johann van Beethoven n'avait pas procédé autrement avec son fils Ludwig. Ce qui est certain, c'est que Jay est entré à la Julliard School à l'âge de 11 ans - du jamais vu en classe de composition - et qu'il a fallu lui aménager un parcours scolaire adéquat.
Déjà à 8 ans, Jay composait sur un synthétiseur, s'inventant un système de notations apte à fixer les idées musicales qui se bousculaient dans sa tête. On ne dispose d'aucun échantillon de ces essais de prime jeunesse : ceux qui figurèrent un temps sur la toile ont été retirés sans que l'on sache si c'était sur le conseil de ses professeurs qui y voyaient encore trop de maladresses ou si le démon des droits d'auteurs était déjà passé par là.
A 12 ans, il pouvait se vanter d'avoir complété 5 symphonies complètement orchestrées : quelles qu'en soient la valeur esthétique, c'est à coup sûr un exploit ! Depuis, il a ralenti le rythme puisqu'en 2008, seule une 6ème s'est ajoutée à la liste. Les exigences posées par ses maîtres de la Julliard ne sont certainement pas étrangères à ce qui apparaît comme une mesure protectrice : dorénavant, Jay n'accepte plus "que" trois commandes par an, refusant ainsi de céder à la tentation de transcrire tout ce qui lui traverse les sens.
Les professionnels qui l'ont approché y sont allés de commentaires dithyrambiques, osant toutes les comparaisons de Mozart à Korngold. Ceux, ils sont nombreux, qui craignent de manquer le train qui démarre, forment, dès à présent, un clan de supporters convaincus :
A l'évidence, une voie royale s'ouvre devant ce jeune musicien même si personne ne sait avec certitude où elle mènera.
Concentrons-nous sur l'unique pièce à conviction que je peux objectivement verser au dossier : un CD reprenant précisément la 5ème symphonie (2005) et le Quintette à cordes (2004).
On est immédiatement frappé par le métier très sûr que le jeune artiste déploie. Sans être innovante, la musique qu'il écrit n'est jamais mièvre et je doute que quiconque l'entendant pour la première fois sans en connaître la provenance puisse la rejeter pour carences techniques. Le finale de la symphonie est particulièrement enlevé; en voici un extrait caractéristique : .
Le genre du Quintette à cordes est réputé difficile et là encore le musicien s'en tire avec les honneurs sans davantage sortir du moule traditionnel. Voici un extrait de l'introduction initiale, nimbée de mystère : .
Reste qu'il faut également instruire le dossier à charge. Aussi bien faite soit-elle, cette musique manque encore d'âme pour que la comparaison avec Korngold s'impose. Le lecteur qui aurait des doutes peut se reporter au billet que j'ai consacré à ce dernier ou réécouter l'extrait proposé de sa Schauspiel-Ouvertüre, opus 4, composée par lui à l'âge de 14 ans .
Par ailleurs, comme Korngold - mais un siècle plus tard ! - Greenberg éprouve lui aussi quelques problèmes avec la modernité d'où cette impression gênante de "déjà entendu".
Henry Purcell (1659-1695), Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Camille Saint-Saëns (1835-1921), Félix Mendelssohn (1809-1847), Erich Wolfgang Korngold (1897-1957), …, sont autant de musiciens qui ont émerveillé non seulement par leurs dons précoces mais encore par la durabilité de leur oeuvre.
Jay Greenberg les rejoindra-t-il bientôt au Panthéon musical ? On l'espère pour lui et surtout pour la musique mais il est bien trop tôt pour l'affirmer avec certitude car il ne suffit pas de disposer de dons d'élocution hors du commun, il faut encore avoir quelque chose à dire, qui parle au cœur ou à l'intellect de ses semblables.
Jay Greenberg s'est sagement remis aux études, se faisant plus discret sur l'estrade. Kandinsky Sketches est une oeuvre récente (2012) qui témoigne du besoin de parfaire sa technique.