Faits divers

Grawemeyer Award for Music Composition

La musique contemporaine n'étant pas encore entrée dans les moeurs des salles de concert, elle en est parfois réduite à vivre de petits boulots tels les concours de composition. Ils ne sont pas nombreux, faute de généreux donateurs et de problèmes d'organisation. A Bruxelles, on en sait quelque chose : en 1953, le comité du Concours Reine Elisabeth de Belgique mit les petits plats dans les grands pour porter sur les fonts baptismaux la première édition d'une épreuve de composition. Un jury prestigieux (Nadia Boulanger, Gian Francesco Malipiero, Frank Martin, Bohuslav Martinu, Andrzej Panufnik, Jean Absil, ..., rien que du beau monde) et un orchestre à disposition ne suffirent pas : l'épreuve ne rencontra pas les faveurs du public et elle s'éteignit après 5 sessions (1953, 57, 61, 65 et 69). Seul vestige encore bien audible, le 7ème Concerto pour violon de Grazyna Bacewicz (1909-1969) remporta la palme en 1965.

L'épreuve a refait surface, destinée à fournir le concerto imposé des épreuves finales des concours de piano ou de violon. Réservée dans un premier temps aux compositeurs belges, le Concerto n°1 pour violon de Frédérik van Rossum (1980) et le Concerto n°4 pour piano de Frédéric Devreese (1983) demeurent mes meilleurs souvenirs, elle est actuellement ouverte à toutes les nationalités. Le succès (inter)national n'a pas suivi pour autant et, à ce jour (et à ma connaissance), seul The Tears of Ludovico (1999), du finlandais Uljas Pulkkis (1975- ) est entré au répertoire d'un grand interprète, en l'occurrence Marc-André Hamelin.

En 1995, la BBC avait mis sur pied une épreuve qui n'a pas davantage survécu à son ambition : le Masterprize for Composition a connu trois éditions avant de disparaître, sans doute victime de son succès (je parle du nombre des candidatures, plusieurs centaines de partitions à départager !). Il a couronné 6 oeuvres à chaque édition et j'ai rassemblé quelques échantillons de valeur : Andrew March (1973) (Marine à travers les Arbres), Victoria Borisova-Ollas (1969- ) (Wings on the Wind), Pierre Jalbert (1967- ) (In Aeternum), Carter Pann (1967- ) (Slalom), Qichang Chen (1951- ) (Wu Xing) et Christopher Theofanidis (1967- ) (Rainbow Body).

L'épreuve survivante la mieux dotée (actuellement 200 000 $) est, sans surprise, supportée par les fonds d'un neveu de l'Oncle Sam, feu Charles Grawemeyer. L'actualité toute récente - le prix 2012 vient déjà d'être attribué ! - m'incite à commenter d'urgence.

Charles Grawemeyer
Charles Grawemeyer

Charles Grawemeyer (1912-1993) fait partie de ces descendants d'immigrés - allemands dans ce cas - qui ont fait l'Amérique industrielle mais aussi culturelle. Quand on raconte qu'à 12 ans un américain pouvait faire fortune en achetant une poule et en vendre les oeufs jusqu'à acheter une autre poule et ainsi de suite, c'est de lui, en particulier, que l'on parle ! On raconte qu'il allait trouver les voisins pour leur louer des espaces vacants de garages, qu'il relouait à d'autres qui en avaient besoin. La grande dépression de 1929 mit un terme à ses petites affaires et il en profita pour suivre une formation universitaire, en chimie, à l'Université de Louisville. Il gravit tous les échelons de Reliance Universal, une compagnie internationale de revêtements et peintures, jusqu'à la retraite, en 1967, date à laquelle il fonda sa propre entreprise, Plastic Parts Inc. N'ayant rien perdu du sens des affaires, il fit fortune dont il consacra une modeste part (9 millions de dollars quand même) à une fondation devant honorer une oeuvre ponctuelle (plutôt que l'ensemble d'une oeuvre) dans les domaines suivants : Composition musicale (1984), Ideas Improving World Order (1988), Education (1989), Psychologie (2000) et ... Religion (1990) (Grawemeyer était un fervent presbytérien).

C'est évidemment le palmarès musical qui va retenir notre attention. Le règlement impose de couronner une oeuvre substantielle, créée depuis moins de 5 ans. La plupart des oeuvres primées sont écrites pour grand orchestre et on y trouve même plusieurs opéras, signe du temps que le genre n'a pas épuisé ses réserves. En de rares circonstances, on a honoré une oeuvre de chambre voire pour piano solo.

Le règlement du concours prévoit que l'attribution du prix ne soit pas exclusivement le fait de professionnels enfermés dans une tour d'ivoire. Si les nominations initiales sont effectivement décidées par un jury d'experts, la décision finale incombe tout autant à un panel d'amateurs distingués. Cette précaution est sage : confier le verdict à des pairs en composition ouvrirait la porte à tous les abus de pouvoir : ceux-ci sont trop souvent militants d'une école quand ce n'est pas d'une chapelle. Ce qui pourrait paraître aléatoire voire utopique ne l'est nullement et le bilan est positif, jugez plutôt :

  • 1985 - Witold Lutosławski (1913-1994) : Symphonie n°3 (1973-1983).
  • 1986 - György Ligeti (1923-2006) : Études pour piano (1985).
  • 1987 - Harrison Birtwistle (1934- ) : The Mask of Orpheus (1984).
  • 1988 - aucun prix décerné.
  • 1989 - Chinary Ung (1942- ) : Spiral VI, pour ensemble (1992).
  • 1990 - Joan Tower (1938- ) : Silver Ladders, pour orchestre (1986).
  • 1991 - John Corigliano (1938- ) : Symphony n°1 (1991).
  • 1992 - Krzysztof Penderecki (1933-2020) : Adagio pour grand orchestre (1989), en fait la Symphonie n°4.
  • 1993 - Karel Husa (1921- ) : Concerto pour violoncelle & orchestre (1988).
  • 1994 - Tōru Takemitsu (1930-1996) : Fantasma/Cantos, pour clarinette & orchestre (1991).
  • 1995 - John Adams (1947- ) : Concerto pour violon (1993).
  • 1996 - Ivan Tcherepnin (1943-1998) : Double Concerto pour violon, violoncelle & orchestre (1995).
  • 1997 - Simon Bainbridge (1952- ) : Ad Ora Incerta - Four Orchestral Songs.
  • 1998 - Tan Dun (1957- ) : Marco Polo (1995).
  • 1999 - aucun prix décerné.
  • 2000 - Thomas Adès (1971- ) : Asyla, Op. 17 (1997) pour orchestre.
  • 2001 - Pierre Boulez (1925- ) : Sur Incises (1996–1998).
  • 2002 - Aaron Jay Kernis (1960- ) : Colored Field, pour violoncelle & orchestre (1994).
  • 2003 - Kaija Saariaho (1952- ) : L'amour de loin (2000).
  • 2004 - Unsuk Chin (1961- ) : Concerto pour violon (2001), à ne pas manquer.
  • 2005 - George Tsontakis (1951- ) : Concerto n°2, pour violon (2003).
  • 2006 - György Kurtág (1926- ) : ... Concertante ..., Op. 42 (2003) pour violon, alto & orchestre.
  • 2007 - Sebastian Currier (1959- ) : Static (2003) pour flûte, clarinette, violon, violoncelle & piano.
  • 2008 - Peter Lieberson (1946- ) : Neruda Songs (2005), cycle pour mezzo-soprano & orchestre.
  • 2009 - Brett Dean (1961- ) : The Lost Art of Letter Writing (2006), concerto pour violon.
  • 2010 - York Höller (1941- ) : Mythos (1979-1995) pour orchestre.
  • 2011 - Louis Andriessen (1939- ) : La Commedia (2004-2008), opera multimedia.
  • 2012 - Esa-Pekka Salonen (1958- ) : Concerto pour violon (2009).

Trois dames apparaissent dans ce palmarès, l'américaine Joan Tower, la coréenne Unsuk Chin et la finlandaise, Kaija Saariaho. La parité n'y est pas encore mais bien la qualité.

Le prix n'a curieusement pas été attribué en 1988 et en 1999 et je n'ai pas trouvé la moindre explication à cela. Il me semble pourtant qu'une oeuvre de George Rochberg ou d'Alfred Schnittke n'aurait pas déparé l'ensemble.

Enfin l'opéra fait bonne figure dans la liste avec The Mask of Orpheus, Marco Polo, L'Amour de Loin et La Commedia, celui qui a particulièrement attiré mon attention. Mes lecteurs connaissent l'admiration que je cultive pour l'oeuvre de Louis Andriessen et ils savent que j'ai particulièrement apprécié un autre de ses opéras récents, Writing to Vermeer. La Commedia est de la même veine et je me réjouis que le jury du Grawemeyer ne ne s'y soit pas trompé.

Je croyais poster mon envoi quand j'ai reçu l'avis que le finlandais Esa-Pekka Salonen venait de remporter l'édition 2012 avec son Concerto pour violon & orchestre. Il s'agit plutôt d'une pièce pour violon avec accompagnement d'orchestre. Vous allez me trouver grincheux mais cette pièce m'endort : tant qu'à couronner un concerto pour violon récent, j'aurais choisi celui de James MacMillan, créé sous mes oreilles, par Vadim Repim, en 2010.

Il me reste à dire un mot du davantage controversé Prix Pulitzer de composition, dont vous trouverez le palmarès ici même. Son règlement prévoit que seul un compositeur américain peut être honoré et encore assortit-il l'attribution du prix de toutes sortes de règles byzantines que d'aucuns trouvent opportunément changeantes, ce qui n'a pas manqué de produire quelques conflits quasiment d'intérêt. J'y reviendrai peut-être un de ces jours.