Bach est un patronyme très répandu en Allemagne et je soupçonne bien des propriétaires de dresser leur arbre généalogique dans l'espoir de se trouver un brin d'ADN commun avec l'illustre famille Thuringeoise. Composée de pas moins de 90 musiciens (Instrumentistes, Organistes, Cantors ou Maîtres de Chapelle), elle s'est étalée sur 7 générations (1600-1850) au moins !
Leurs chances de succès sont cependant extrêmement faibles : lors de l'inauguration du monument à la gloire de Johann Sebastian, en 1843, à Leipzig, un seul membre de la lignée de Franconie (cf ci-dessous), Wilhelm Friedrich Ernst, était présent et il avait 84 ans (mais bon pied bon oeil, dixit Robert Schumann, qui le rencontra à cette occasion). Cependant, il paraît qu'il subsiste des descendants du côté de la lignée de Meiningen. Karl Bernhard Paul Bach (1878-1968), peintre de son état, s'est présenté comme le petit-fils de Gottlieb Friedrich Bach (1714-1785), une affirmation sujette à caution si l'on se réfère à leurs dates de naissance respective !
On possède peu de renseignements sur les origines lointaines de la famille Bach. On pense qu'elle provenait de Slovaquie ou de Moravie et que, protestante, elle a fui la répression catholique, lors de la Contre-Réforme. Elle s'est alors installée en Thuringe, dans un premier temps, puis elle s'est progressivement dispersée, en fonction des emplois qui se déclaraient vacants dans les différentes églises, chapelles et cours d'Allemagne, voire d'Europe.
L'esprit de famille a toujours régné chez les Bach. Des fêtes rassemblèrent régulièrement jusqu'à 120 personnes à Erfurt, Arnstadt, Steinach ou Meiningen, jusqu'au milieu du 18ème siècle. Elles disparurent un jour, aussi brusquement que les dinosaures, un météorite sur la Thuringe, peut-être ? Le mystère reste entier.
L'arbre généalogique de la famille Bach ne peut remonter au-delà des années 1500 : les recherches butent invariablement sur la perte de nombreux registres paroissiaux, lors de la guerre de 30 ans. Il en résulte que l'on considère habituellement que Veit Bach est l'ancêtre commun à tous les musiciens dont nous allons parler.
Johann Sebastian, qui était pleinement conscient de la valeur de ses lointains parents, fut le premier à s'intéresser à cet arbre, rassemblant ou recopiant les partitions parvenant en sa possession, en particulier lors d'échanges aux fêtes de famille. Son fils, Carl Philip Emanuel, complètera le travail lorsqu'il entrera en possession des archives paternelles.
Dans un souci de commodité, on distingue habituellement les membres de la famille par leurs prénoms, généralement composés, eu égard au fait que les Johann et les Christoph pullulent. Si vous êtes un intime, il est également permis de les distinguer par leurs initiales, JS, CPE, WF, etc.
Vu de loin, l'arbre présente quatre branches principales qui portent chacune le nom de son lieu d'établissement. Trois branches sont issues de la dispersion des fils de Johann Hans : Arnstadt (Heinrich), Franconie (Christoph donc ultérieurement Johann Sebastian, né à Eisenach) et Erfurt (Johann). Pour trouver l'origine de la quatrième branche, dite de Meiningen, il faut remonter à Lips, frère de Johann Hans.
Tous ces musiciens ne sont pas d'importance égale malgré le fait avéré qu'ils aient tous été porteurs du "gène musical". Il suffit d'étudier les oeuvres des trois fils de Johann Hans Bach pour comprendre que ces gènes se sont manifestés de façon dominante chez Heinrich et Johann mais de façon récessive chez Christoph. Heinrich les transmettra, à son tour, de façon dominante à Johann Christoph et Johann Michael tandis que, dans le cas de Johann, on saute une génération. Enfin dans le cas de Christoph, seul Georg Christoph s'illustrera à la première génération tandis qu'il faudra attendre la deuxième génération pour que naisse Johann Sebastian. Un phénomène similaire quoique aggravé s'est produit dans la lignée de Meiningen puisqu'on ne connaît pas de (grands)-parents musiciens de qualité à Johann Ludwig.
Le parcours de l'arbre commence donc avec Veit Bach, boulanger de son état et accessoirement joueur de cistre amateur. On sait tellement peu de choses à son sujet que même sa descendance directe est incertaine. On connaît surtout son fils, Johann Hans, mais on connaît nettement moins bien ses frères, Lips et Caspar, voire Veit II (filiation incertaine).
Johann Hans fut également boulanger (et accessoirement charpentier !) mais ses compétences musicales étaient suffisantes pour lui permettre de vivre de son art itinérant. Son prestige devait être réel si l'on en juge par le médaillon gravé qui est parvenu jusqu'à nous, portant l'inscription : « Hans Bach, fameux et amusant jongleur de cour, ménétrier comique, est un homme diligent, honnête et religieux ».
Il fut, en tous cas, le véritable point de départ de trois lignées prestigieuses qui maintinrent le secret de leurs gènes pendant 200 ans !
Ses trois fils connurent, en effet, un destin glorieux, soit directement soit par descendance interposée :
En 1707, les branches de Franconie et d'Arnstadt entrèrent en collision, Johann Sebastian épousant, en premières noces, son arrière-petite cousine, Maria Barbara. Le mélange des gènes fut particulièrement heureux puisqu'il donna naissance à deux authentiques génies : le surdoué (quoique un brin fantasque) Wilhelm Friedemann et l'indispensable - car au bilan irremplaçable - Carl Philip Emanuel.
Devenu veuf, Johann Sebastian épousa Anna Magdalena Wilcke, également musicienne de son état, et deux nouveaux compositeurs naquirent de cette union, Johann Christoph Friedrich et Johann Christian, moins essentiels cependant que leurs demi-frères. Les lois de la génétique ne s'appliquent décidément pas qu'aux lignées de petits pois ! J'ai évoqué les oeuvres des fils de JS dans une chronique antérieure et je n'y reviens pas ici. Si vous êtes attentifs vous avez noté, dans l'arbre ci-dessus, la présence d'un troisième fils (GH Bach) ayant atteint l'âge adulte : légèrement déficient, il n'a pas pu exercer le métier musical auquel il a cependant été initié.
Ces fameux gènes, si actifs jusque-là, s'essoufflèrent à la génération suivante : seul Johann Christoph (Troisième du nom si vous suivez et encore j'en ai laissé quatre de côté !) eut un fils musicien, Wilhelm Friedrich Ernst, celui-là même qui fut présent lors de l'inauguration du monument Bach à Leipzig. Ses cantates Westphalens Freude (plages 1 à 4) et Vater unser (plage 8) ne manquent pas de ce charme désuet qui caractérise le classicisme finissant. Cette Sinfonia en sol majeur pourrait subir le même reproche mais peut-on en vouloir au musicien d'être né quand Mozart avait 3 ans et d'être mort quand Brahms en avait autant ? Il aurait écrit un Concerto pour piano à 6 mains dont l'exécution prévoyait deux interprètes féminines ultra minces encadrant un homme de corpulence quelconque, Nihil novi sub sole !
Aussi étonnant que cela puisse paraître, la lignée de Franconie s'arrête à la mort de WFE, c'est à se demander comment il se fait que nous soyons si nombreux sur terre !
Si vous inspectez plus attentivement l'arbre généalogique, vous noterez qu'un certain Johann Ludwig Bach, occupe une branche complètement collatérale, issue de Lips, fils de Veit I. Pour être isolé, ce musicien n'en est pas moins essentiel : JS (re)connaissait le talent de ce lointain cousin. Il en recopia plusieurs cantates qu'on lui a, de ce fait, longtemps attribuées par erreur. Les musicologues (et les interprètes !), intrigués qu'une telle méprise ait pu se produire, se sont intéressés aux oeuvres vocales de JL, les proposant à l'enregistrement. Hermann Max, dirigeant la Rheinische Kantorei et Das Kleine Konzert, a gravé plusieurs CD essentiels pour le label Capriccio. Le grand chef-d'oeuvre est assurément la superbe Trauermusik, écrite pour les funérailles du Duc Ernst Ludwig von Sachsen-Meiningen sur un texte du défunt qui avait préparé ses funérailles ! Voilà un must en matière de musique ancienne dont j'ai extrait deux airs, l'un pour soprano (Ach ja, die Ketten ) et l'autre pour ténor (Ob gleich aller Treiber Wut ).
Johann Ludwig eut plusieurs enfants dont Gottlieb Friedrich, musicien et surtout peintre car c'est dans l'exercice de cet art qu'il est passé à la postérité : on lui attribue les pastels ci-contre, représentant son père et son lointain mais célèbre parent, JS en personne. Aux dernières nouvelles (1968, pas très fraîches, j'en conviens), le portrait de JS appartenait à la succession de KBP, présenté en introduction.
Enfin, il se peut que vous entendiez parler d'un autre Johann Michael (1745-1820), sans rapport avec le père de Maria Barbara. Sachez qu'il n'est que lointainement apparenté aux précédents, au point qu'aucune connexion n'a jamais pu figurer sur un arbre de dimension raisonnable. Tout ce qu'on sait de lui, c'est qu'il n'appartenait à aucune des lignées thuringeoises mais à celle, beaucoup moins fameuse, résidant en Hesse. Il tenait néanmoins beaucoup à ce qu'on le considère comme faisant partie intégrante de la famille. Hermann Max, encore lui, a enregistré quelques cantates, dont Das Volk, so im Finstern wandelt, aux accents se réclamant déjà du romantisme naissant. Ecoutez encore l'ensemble Luminis, en répétition dans Fürchtet euch nicht.
Je vous ai surtout proposé à l'écoute des oeuvres vocales des membres de la famille Bach parce que c'est ce qui se trouve le plus facilement sur le marché. Outre les CD publiés chez Capriccio, je mentionne l'album paru chez Naxos (4 CD). La plupart de ces musiciens étaient aussi organistes en fonction, hélas il n'est pas facile de trouver des enregistrements permettant de se faire une idée de leurs compétences respectives. Plus grave, les orgues jouées ne sont pas toujours d'excellente facture. Voici pêle-mêle quelques échantillons qui vous donneront peut-être envie de prospecter davantage, à condition que l'orgue ancien fasse partie de vos passions mélomaniaques :
Les mêmes noms réapparaissent sans surprise mais à l'évidence, aucune des oeuvres entendues ne laisse présager la science contrapuntique que JS portera à son degré de perfection absolue dans l'Art de la Fugue (A ce propos, a-t-on jamais fait mieux que Helmut Walcha jouant de l'instrument de Saint-Laurent à Alkmaar ?).
Il s'imposait, au terme de ce long périple, de conclure en rendant hommage à celui que Frédéric II de Prusse appela respectueusement "Le vieux Bach" lorsque celui-ci, âgé de 62 ans, lui rendit visite à Postdam.
Aujourd'hui, le vieux se porte comme un charme, tel un arbre qui a toujours pris soin de ne pas cacher la forêt de ses congénères.