Une mauvaise nouvelle surgit rarement seule : les mélomanes viennent encore d'en faire la triste expérience. La musique britannique a, perdu, en l'espace de deux mois, deux de ses plus précieux ambassadeurs : deux chefs qui se sont investis dans la découverte d'un patrimoine musical bien plus important qu'on l'imaginait avant qu'ils se mettent au travail. La presse (surtout) anglo-saxonne a salué la mémoire de Richard Hickox et de Vernon Handley en rappelant les hauts faits de leur biographie. Je ne peux rien ajouter de pertinent à ce sujet et me contenterai de commenter leur legs musical.
Richard Sidney Hickox (1948-2008) nous a quitté le 23 novembre 2008, à l'âge de 60 ans à peine. C'est fort jeune et pourtant le bilan de son activité est tout à fait exceptionnel. Présent sur les deux fronts : salles de concerts et studios, il nous a laissé 280 enregistrements environ, pratiquement exempts de déchets !
Qui peut en dire autant ? Pour tout dire, Richard Hickox aura été un des chefs les plus utiles à son art.
Je reviendrai plus en détail, l'un de ces jours, sur cette notion d'utilité chez les interprètes. Disons, pour faire court, qu'elle concerne des artistes tels Neeme Järvi, Gidon Kremer, Alexei Lubimov, Marc-André Hamelin, Christina Pluhar, etc., s'investissant dans la différence, soit dans des options interprétatives en rupture avec ce qui se fait habituellement, soit dans des choix de répertoires éloignés des sentiers battus. Hickox était un inlassable découvreur de partitions qu'il servait, cerise sur le gâteau, avec une réelle science de la direction d'orchestre.
Bien qu'il ait travaillé, au début de sa carrière, pour d'autres labels (EMI, en particulier), il était depuis longtemps fidèle à Chandos qui lui a offert le concours d'ingénieurs du son particulièrement habiles à restituer la clarté de ses exécutions et la beauté du son qu'il cultivait.
Connectez-vous sur le site Chandos mentionné et tapez Hickox dans la fenêtre prévue à cet effet : vous découvrirez des extraits sonores d'œuvres souvent inhabituelles et ce, dans des interprétations superlatives.
Si ne sachant par où commencer, vous hésitez à piocher au hasard, reportez-vous à la liste - fatalement subjective - que je propose à votre curiosité. Choisir étant renoncer, j'ai dû me résoudre à ne retenir que quelques enregistrements significatifs dans chacun des domaines abordés par ce chef.
Hickox s'est épisodiquement frotté à la musique ancienne à une époque où la concurrence des baroqueux rendait l'affaire périlleuse. On garde en mémoire les sarcasmes assez justifiés qui ont accompagné la parution des "Quatre Saisons" de Vivaldi (1678-1741) dirigées par Karajan à la tête de sa Philharmonie de Berlin; c'est dire si Hickox prenait des risques ! Je conserve pourtant précieusement un Alcina de Haendel (1685-1759) (de rêve !) enregistré par ses soins en 1986. Quant à ses Messes de Joseph Haydn (1732-1809), elles sont restées inégalées.
Hickox s'est peu aventuré dans le répertoire romantique : vous ne trouverez guère d'enregistrements de Symphonies de Beethoven, de Schumann ou de Brahms. Par contre, il s'est penché sur quelques maîtres négligés tel Johann Nepomuk Hummel (1778-1837) (Messes opus 111 & 77, 80 et WoO 13) ou Max Bruch (1838-1920) (Symphonie n°1 & Concerto pour violon n°3).
Il s'est surtout investi dans la défense de la musique anglaise du début du 20ème siècle, de compositeurs connus ou moins connus :
Edward Elgar (1857-1934), dont il a enregistré les symphonies, y compris la Troisième (Inachevée et complétée par Anthony Payne), de même que les grands Oratorios, The Kingdom, The Apostles, The Dream of Gerontius.
Ralph Vaughan Williams (1872-1958) dont il a enregistré les Symphonies mais aussi quelques raretés telles The poisoned Kiss, un opéra léger comme un soufflé qui ne retombe pas, aux antipodes des Christmas puddings auxquels le même compositeur nous a habitués. L'oratorio The Pilgrim's Progress vaut également un détour.
Gustav Holst (1874-1934), qui n'a pas écrit que les Planètes mais aussi, entre autres, ce beau Concerto pour deux violons ou Savitri.
Rayon célébrités moindres, notez pêle-mêle :
Frederick Delius (1862-1934) : Dance Rhapsody 1 & 2.
Frank Bridge (1879-1941), pour les amateurs mais j'avoue que sa musique n'est pas ma … tasse de thé.
Percy Grainger (1882-1961) et son oeuvre sans prétention mais pleine d'insouciance.
George Dyson (1883-1964), pour la vigoureuse Symphonie en sol et le Concerto da Chiesa.
Roger Quilter (1877-1953) & Gerald Finzi (1901-1956) pour leurs English orchestral songs (comparez leur mise en musique du poème, Come away Death).
Herbert Howells (1892-1983) : Three Dances.
Edmund Rubbra (1901-1986) : 11 Symphonies et la superbe Canterbury Mass.
Gerald Finzi (1901-1956), l'un des musiciens anglais les plus attachants de cette époque, ici dans Dies natalis. A découvrir !
William Alwyn (1905-1985) : les Symphonies, à connaître.
Michael Tippett (1905-1998) : 4 Symphonies ou l'oratorio A Child of our time (plage 16).
Hickox a enregistré une bonne partie de l'œuvre orchestrale de Benjamin Britten (1913-1976) y compris plusieurs opéras. Son interprétation du War Requiem compte parmi les meilleures qui soient.
J'ai gardé pour la fin la révélation que constitue, sous sa baguette, les Symphonies écrites par Malcolm Arnold (1921-2006), scandaleusement négligées au concert. Commencez par la symphonie n°2 dont je vous propose un large extrait des premier et quatrième mouvements puis enchaînez sur les troisième & quatrième Symphonies. Ce sera l'occasion pour vous de réaliser qu'Arnold n'a pas écrit que la musique du film Le pont de la rivière Kwaï ! Pour des raisons que j'ignore, Hickox n'a pas enregistré les symphonies 7, 8 9 et je le regrette. Il existe, par comparaison, une intégrale parue chez Naxos et dirigée par Andrew Penny et l'Orchestre National d'Irlande; je la trouve plutôt terre-à-terre.
Hickox s'est très galamment mis au service de deux compositrices de grand talent dont les noms sont largement restés méconnus :
Doreen Carwithen (1922-2003) : Concerto pour piano.
Grace Williams (1906-1977) : une artiste tellement volontairement discrète dans la vie qu'elle a obtenu ce qu'elle désirait, passer inaperçue. Ses rares œuvres exhumées sont pourtant remarquables. Ecoutez The Dancers, une trouvaille !
Hickox s'est également, à l'occasion, intéressé à la musique anglaise contemporaine :
Eis Thanaton, We shall see Him as he is et Fall and Resurrection de John Tavener (1944- ) sont, à cet égard, de belles réussites.
Robin Holloway (1943- ) : Sea surface full of clouds.
Nigel Osborne (1948- ) : Concerto pour flûte.
Barry Guy (1947- ) : After the Rain (Attention aux oreilles sensibles, commencez par la plage 2 puis essayez la 3. Inutile de m'écrire pour porter plainte, les oreilles, c'est comme les pieds avec les chaussures neuves, elles doivent s'y faire jamais l'inverse !)
Une friandise pour me faire pardonner : un maître de la direction d'orchestre ne pouvait manquer les délicieuses suites, sur des airs anciens, de ce maître de l'orchestration que fut Ottorino Respighi (1879-1936). L'irrésistible Bergamasca, de la deuxième suite, devrait faire l'affaire.
Un grand nombre de ces enregistrements l'ont été avec le City of London Sinfonia qu'Hickox a lui-même fondé en 1971 et qui se retrouve brutalement orphelin.
Moins médiatisé mais tout aussi attachant fut Vernon George Handley (1930-2008). Egalement passionné par la musique anglaise du début du 20ème siècle, il l'a défendue, avec panache, à la tête de "son" orchestre d'Ulster, une formation qu'on croirait de deuxième zone alors qu'il n'en n'est absolument rien : l'engagement que Handley a tiré de cette phalange est tout simplement incroyable.
Vernon Handley faisant également partie de l'écurie Chandos, il dut partager avec Hickox le travail d'exhumation afin éviter les doublons. Il a donc complété le catalogue avec des œuvres peu enregistrées d'Edward Elgar, de Granville Bantock, Ralph Vaughan Williams, Robert Simpson (1921-1997), Gerald Finzi (Concerto pour violoncelle), Arthur Bliss (1891-1975), Ernest John Moeran (1894-1950) (Symphonie en sol mineur) et William Walton (1902-1983). Vous trouverez plus de détails en vous repositionnant sur le site Chandos (Tapez Handley dans la fenêtre ad hoc).
Vous découvrirez trois grands cycles, consacrés à Frederick Delius (1862-1934), Charles Villiers Stanford (1852-1924) et Arnold Bax (1883-1953) (Les Symphonies et les Poèmes symphoniques).
Son dernier enregistrement d'envergure propose Omar Khayyam (plage 2 !) une œuvre monumentale de ce magicien du son qu'était Granville Bantock (1868-1946).
Bien qu'ayant vécu substantiellement plus longtemps que son collègue Hickox, Handley a nettement moins enregistré que lui. Il faut reconnaître que Hickox est une exception en musique, un peu comme son collègue estonien Neeme Järvi : sa boulimie musicale était réelle, encouragée par une capacité de déchiffrement phénoménale.
Cette chronique ne serait pas un billet d'humeur si je ne manifestais pas ma plus vigoureuse désapprobation à l'égard de la Couronne d'Angleterre qui n'a jamais permis que ces deux valeureux serviteurs puissent mentionner le titre de Sir sur leur carte de visite. Sachez dès lors que si l'on salue Sir Elton Jones ou Sir Paul McCartney, on doit simplement dire Mister Hickox ou Mister Handley; comme Mister Bean.