Zentralfriedhof est le nom du cimetière central de Vienne. On le visite comme on visite le Père-Lachaise à Paris, en particulier le quartier des musiciens où plane l'ombre de Beethoven (1770-1827). Franz Schubert (1797-1828) repose à ses côtés, c'était d'ailleurs son voeu. Si vous désirez rentabiliser votre déplacement, vous pouvez vous lancer dans un véritable jeu de pistes à la recherche des tombes de Johannes Brahms (1833-1897), Carl Czerny (1791-1857), Christoph Willibald Gluck (1714-1787), Karl Goldmark (1830-1915), Wilhelm Kienzl (1857-1941), György Ligeti (1923-2006), Hans Pfitzner (1869-1949), Antonio Salieri (1750-1825), Franz Schmidt (1874-1939), Arnold Schoenberg (1874-1951), Franz von Suppé (1819-1895), Hugo Wolf (1860-1903), Alexander von Zemlinsky (1871-1942) et la famille Strauss au grand complet. Les physiciens salueront au passage la tombe de cet autre Ludwig, Boltzmann (1844-1906), reconnaissable à l'inscription fameuse qu'elle porte, S = k ℓogW, dont la signification, relative à la notion d'entropie en physique statistique, est connue des initiés.
1828, pour Schubert, c'est l'année de la consécration : Beethoven décédé, c'est lui qui hérite de la première place au sommet de la hiérarchie musicale, hélas pour un an seulement. Atteint de syphilis, un mal qu'il savait incurable, il a vécu sa dernière année en plein désarroi, enchaînant par on ne sait quel miracle, une série impressionnante de chefs-d'œuvre, comme si la disparition du Maître de Bonn l'avait soudainement libéré : les 14ème et 15ème Quatuors, le Quintette à cordes, la 9ème Symphonie, les Trios à clavier opus 99 et 100, les derniers Impromptus - qui peut déjà dire mieux ? - et … son dernier cycle de lieder, Winterreise.
C'est un recueil de 24 mélodies écrites sur des poèmes de Wilhelm Müller (1794-1827). On dit que les vers n'en sont pas franchement bons et que sans leur mise en musique, plus personne n'en parlerait aujourd'hui. Ils racontent, en 24 tableautins, l'histoire d'un homme qui se retrouve seul au lendemain d'une rupture amoureuse : Schubert, secrètement épris de son élève, la princesse Caroline Esterhazy, s'y est musicalement mis en scène; on baigne en plein romantisme naissant.
Les interprétations de ce cycle sont nombreuses - on doit approcher la centaine - et vous pouvez vous livrer au jeu des comparaisons en consultant le site jpc. Initialement écrit pour voix de ténor, il a été chanté, moyennant les transpositions qui s'imposent, par des barytons (Thomas Hampson) et même des basses (Kurt Moll). Les dames (Christa Ludwig, Nathalie Stutzmann, Margaret Price) ont aussi voulu s'y essayer, un peu à contre-emploi poétique sauf à transposer le texte au féminin. Si on est amateur (et riche !), on peut parfaitement posséder plusieurs versions discographiques tant le timbre et la conduite de la voix humaine peuvent être différents. Comparez sur une même mélodie, par exemple la première du cycle, intitulée Gute Nacht, les performances vocales des chanteurs suivants :
Toutes ces versions respectent l'accompagnement d'origine, confié au piano. La qualité de celui-ci ne sera pas sans conséquence sur votre choix personnel tant il est évident que chez Schubert, le piano est un partenaire à part entière. J'apprécie beaucoup l'accompagnement nuancé qu'apporte Gerold Huber à Christian Gerhaher : ils forment un de mes tandems préférés.
Quelques arrangeurs ont eu l'idée de remplacer le piano par :
Ces adaptations ont malheureusement en commun d'être de facture plutôt banale, faisant, au bilan, regretter le piano d'origine.
La seule adaptation vraiment digne d'intérêt a été intitulée "Eine komponierte Interpretation" par son auteur, le compositeur (et chef d'orchestre) Hans Zender (1936- ). Il s'agit d'une véritable recréation qui respecte le texte mais non la lettre. Elle est d'un modernisme saisissant qui ne trahit nullement l'œuvre originale. Elle existe en deux versions au moins, l'une dirigée par le compositeur et chantée par Hans Peter Blochwitz, et l'autre dirigée par Sylvain Cambreling et chantée par Christoph Prégardien. Quelle que soit l'interprétation que vous choisirez, le CD ne fera absolument pas double emploi avec l'une ou l'autre interprétation classique du cycle, il constituera même une pièce indispensable de votre "CD-thèque".
Quelques mots sur Hans Zender, pour clore, un spécialiste de la calligraphie nippone, jusque dans son travail compositionnel. Il a également écrit, dans la même veine que Winterreise, un Dialogue avec Haydn et un remake (ré)instrumental des Variations Diabelli de Beethoven (non enregistrés à ce jour), également une Schumann-Phantasie, d'après son opus 17, qui ne manque pas d'allure (plages 1 à 6).
Soyez toutefois vigilant, le reste de son œuvre est d'un accès beaucoup moins aisé, c'est le moins qu'on puisse dire à l'écoute de Shir Hashirim ou de Canto II.