L’œuvre de Richard Wagner (1813-1883) est, à coup sûr éternelle, je n’en veux pour preuve qu’elle ait survécu à un siècle de mises en scène poussiéreuses pour ne pas dire calamiteuses. Notez que je n’incrimine nullement la corpulence avérée des interprètes d'origine qui avait sa raison d’être, certes non au plan scénique mais au plan vocal : le chant wagnérien exige un coffre que ne possèdent plus guère les chanteurs actuels, très soucieux de leur apparence physique. Dans ce domaine, il faut choisir : on ne peut chanter Brunehilde quand on a la silhouette de Carla Bruni, même pas Sieglinde, même pas une fille du Rhin.
Le wagnérien authentique n'aime pas Wagner, il le vénère, comme une idole. Il ne se rend pas bêtement à Bayreuth : il gravit à genoux la colline sacrée et tant pis pour les snobs qui l'attendent au sommet, en smoking ou en robe de soirée.
Car Bayreuth a ses rites auxquels on ne déroge pas. Seules dix oeuvres de maturité du Maître y sont représentées à tour de rôle : Lohengrin, Tannhauser, Le Vaisseau Fantôme, Les Maîtres Chanteurs, Le Ring (L'Or du Rhin, La Walkyrie, Siegfried et Le Crépuscule des Dieux), Tristan et Parsifal. Une exception cependant, en 1952, quand après 7 années de fermeture pour cause de dénazification, l'occupant donna le feu vert à la réouverture du festival à la condition qu'elle se fasse aux accents de la 9ème de Beethoven. Wilhelm Furtwängler, enfin blanchi des accusations portées un temps contre lui, dirigea l'oeuvre de réconciliation. L'enregistrement, entré dans la légende, est le centre de gravité de toute CDthèque qui se respecte. Depuis le train-train bayreuthien a repris, de moins en moins poussiéreux et de moins en moins impressionnant vocalement : où sont passés les Alexandre Kipnis, Richard Tauber, Hans Hotter, Lauritz Melchior, Kirsten Flagstad, Birgitt Nilsson, Germaine Lubin et tant d'autres, entrés dans la légende du chant wagnérien ?
Richard Wagner a, en fait, écrit 13 opéras complets (Les Noces est inachevé). Autant dire que trois oeuvres ne sont jamais représentées à Bayreuth : ce sont les opéras de jeunesse, Les Fées, La Défense d'aimer et Rienzi, tous jugés indignes. Il est régulièrement question de les programmer mais on ne voit rien venir. C'est grand dommage pour Rienzi - héritier de Meyerbeer, ce qui n'est jamais un compliment dans la bouche des critiques - car je ne peux m'empêcher d'en penser le plus grand bien.
Treize opéras en une vie d'artiste, ce n'est pas énorme même en considérant que le musicien écrivait ses livrets. En fait, Wagner se serait bien vu écrivain plutôt que musicien et il n'a, de fait, jamais cessé d'écrire : des livres, des lettres, des articles et des chroniques sur les sujets les plus variés, musicaux, philosophiques ou politiques. Il y commenta, avec plus ou moins de bonheur, ses propres oeuvres ou celles de ses devanciers (Beethoven en particulier); il partit en croisade contre la vivisection animale, ce qui partait d'un bon sentiment, mais aussi contre la judaïcité en musique, pourfendant Meyerbeer alors que ses premières oeuvres lui doivent autant qu'à Weber ! Ses écrits, teintés d'un antisémitisme endémique, seront repris et amplifiés moins d'un siècle plus tard par des nationalistes fanatiques dont, hélas, quelques membres de sa descendance.
Wagner n'aurait-il écrit de musique que pour la scène ? Pas vraiment et c'est précisément l'objet de cette chronique d'évoquer le solde de son oeuvre, marginal à certains égards et cependant digne d'intérêt.
Commençons l'inventaire par quelques ouvertures pour des opéras jamais écrits : Faust, Christophe Colomb et Le Roi Enzio. Pour votre facilité, le label Naxos a eu la bonne idée de les regrouper sur un seul CD, les confiant, hélas, à un orchestre de seconde zone.
Wagner a écrit pour le piano, des pages d'album mineures voire anecdotiques mais aussi quelques oeuvres plus ambitieuses. Toutes sont réunies sur un double CD hautement recommandable, paru chez Kontrapunkt :
C'est encore pour Mathilde que Wagner a écrit ses plus belles mélodies, les Wesendonck Lieder, qui préfigurent Tristan und Isolde. D'autres mélodies sont reprises sur ce CD, certaines en langue française, fruits de son séjour parisien.
Si l'on excepte l'adorable et célèbre Siegfried Idyll, cadeau de Richard à Cosima pour la naissance de leur fils Siegfried (et naturellement inspiré de thèmes de l'opéra éponyme), les oeuvres de circonstances que Wagner a écrites sont relativement anodines.
La Cène des Apôtres (Das Liebesmahl der Apostel) fait cependant exception. C'est une commande de la ville de Dresde qui a inspiré le compositeur, à une époque où il devait se remettre de l'échec du Vaisseau fantôme. L'oeuvre débute plutôt sagement mais culmine dans une apothéose digne de ses meilleures pages chorales.
Le jeune Wagner a trop été marqué par l'héritage beethovenien pour ne pas rêver de se mesurer à lui. La Symphonie en ut majeur est la seule oeuvre du genre qu'il ait achevée. Directement inspirée de la 7ème de Beethoven, elle passe bien la rampe malgré l'extrême jeunesse de son auteur, 19 ans à peine. Une 2ème Symphonie , en mi majeur, est demeurée inachevée (Le deuxième mouvement a été complété par le chef Félix Mottl et les mouvements 3 & 4 n'ont jamais existé).
Wagner s'est plus d'une fois promis de revenir à la symphonie mais on n'a retrouvé aucune esquisse susceptible de confirmer que ses intentions étaient réelles. En 1882, Parsifal venait d'être créé après quatre années de travail intense et Wagner, malade, n'était plus en mesure de prendre un nouveau départ. Il mourut à Venise et fut inhumé dans les jardins de sa demeure "Wanhfried" à Bayreuth. Cosima l'y rejoignit 47 (!) ans plus tard.