Il est peu probable que vous connaissiez, Fartein Valen (1887-1952), le propriétaire de cet improbable et néanmoins authentique gilet norvégien : il s'agit pourtant du père de la musique moderne de ce pays. Son mérite fut d'autant plus grand que la scène musicale locale était, au début du 20ème siècle, d'un conservatisme affligeant et qu'il dut pratiquement se battre seul afin d'en élever le niveau. Comble d'ingratitude, ses compatriotes tardèrent à reconnaître le fruit de ses efforts mais il n'en eut heureusement cure car cet homme avait foi en son art.
La foi, il l'eut d'ailleurs dans tous les sens du terme : ses parents missionnaires - ils ont vécu pendant 5 ans à Madagascar alors qu'il était jeune enfant - lui ont inculqué de stricts principes religieux qu'il a cultivés. Le choix de l'orgue comme instrument et l'étude du contrepoint de Bach ne sont certainement pas étrangers à cette éducation. De retour en Norvège, le petit Valen fit preuves de dons extrêmes dans tous les domaines sauf les mathématiques. On dit qu'il parlait 9 langues, sans compter celle des sons !
Cette passion de tout connaître ralentirent assez naturellement le cours de ses études musicales. Quittant le Conservatoire d'Oslo, en 1909, il se perfectionna chez Max Bruch, à Berlin, qui lui enseigna à un style romantique tardif (Sonate pour violon, opus 3, Ave Maria, opus 4 et Trio à clavier, opus 5). Il ne revint s'installer définitivement en Norvège qu'en 1924, après de longs séjours en France et en Italie. C'est la découverte du système atonal préconisé par Arnold Schönberg (1874-1951) qui lui ouvrit sa véritable voie mais au lieu de se glisser dans le courant sériel de l'école viennoise, il préféra hybrider une atonalité libre avec un contrepoint plus sévère, hérité de Bach, basé sur une progression plutôt motivique et dissonante qu'harmonique.
Il perfectionna son système écrivant la bagatelle de 25000 (!) études, non reprises à son catalogue officiel qui n'en comporte que 44. C'est à partir des années 1930 - Valen avait plus de 40 ans - qu'il reçut un appointement l'autorisant à composer à temps plein temps (Il avait vécu jusque-là d'un emploi d'archiviste à l'Université d'Oslo). Célibataire endurci, Valen, légua une part de ses biens à une fondation octroyant actuellement des bourses d'études à de jeunes musiciens norvégiens. Composant désormais à plein temps, il aborda, avec succès, la grande forme symphonique, comme en témoignent ses 2 Concertos (pour violon et pour piano) et ses 4 Symphonies (n°1, n°2, n°3 et n°4). Une 5ème était en chantier interrompu par la mort. Valen était pleinement confiant dans les possibilités expressives de la musique atonale : le finale de la Symphonie n°4 est exemplaire à cet égard, une immense chaconne comportant 18 variations sur une basse obstinée.
D'autres oeuvres intéressantes ont pour nom : la Pastorale, opus 11, les Sonetti di Michelangelo (1932), Préludes, opus 29, et surtout Le Cimetière marin, opus 20, et Ode to Solitude (1939) .
En musique de chambre, on retiendra le Quatuor à cordes n°2, le Trio opus 5 et la Sérénade pour 5 instruments à vent.
Peu de pièces pour piano ont émergé de l'immense catalogue non publié : les Sonates n°1 et n°2 ont trouvé un admirateur en la personne de Glenn Gould qui n'a pas hésité à déclarer que la musique de Valen avait compté comme une des rencontres essentielles de son existence mais il n'en reste pas de témoignage accessible.
Les oeuvres vocales sont plus nombreuses, en particulier des mélodies : Zwei Lieder, opus 39, Gedichte nach Goethe, opus 6, Ave Maria, opus 4, Mignon, Zwei Gedichte nach Goethe, opus 7.
Le label BIS a enregistré quelques oeuvres importantes de Valen : trois volumes (disponibles à l'écoute sur le site Naxos !) ont paru à ce jour.
Peut-être vous demandez-vous quelle mouche a bien pu piquer cet éditeur de proposer des pochettes ornées de roses : Valen s'est toujours passionné pour la botanique et pour les roses en particulier. Il avait même créé un hybride qui n'a malheureusement pas survécu à une vague de gel scandinave. Il se consola en reportant sa passion sur les cactus, nettement plus résistants, même sous ces latitudes.
Fartein Valen fait partie de ces musiciens qui, un peu partout en Europe, ont découvert avec intérêt, sinon enthousiasme, les idées propagées par Schönberg. Mieux encore, il en a fait bon usage : convaincu que l'absence de référence tonale n'était nullement un obstacle au déploiement d'un lyrisme certes austère mais parfaitement sensible, il écrivit une oeuvre d'une haute tenue à laquelle il est possible de s'attacher quand on lui consacre un temps d'écoute suffisant.