Il ne faut pas confondre John Tavener avec John Taverner (1490-1545). Ce dernier est généralement considéré comme le meilleur compositeur anglais de son temps, en particulier pour avoir écrit un ensemble de messes comme on n'en fait plus guère (Gloria Tibi Trinitas, Western Wynd, O Michael, Leroy Kyrie). Le label Hyperion en a enregistré quelques-unes, interprétées par les voix blanches (= dénuées de timbre, une spécialité britannique) de l'ensemble "The Sixteen". Je vous recommande, en passant, la Missa O Michael.
Sir John partage avec son aîné - dont il dit descendre ! - le privilège d'être également le meilleur Anglais de son temps, enfin, c'est un avis personnel car vous trouverez des contradicteurs qui préfèrent Thomas Adès, Oliver Knussen, Harrison Birtwistle, voire l'improbable Brian Ferneighough (J'ai volontairement ignoré James Mac Millan et Peter Maxwell-Davies qui sont Ecossais).
S'il n'est pas le meilleur, il est, en tous cas, le plus souvent joué. Son catalogue est immense, ayant même honoré des commandes pour toutes sortes d'occasions solennelles. Si elle a bien écouté, Lady Di a dû reconnaître Song for Athene, chanté lors de ses funérailles. Quant à Camilla Parker Bowles, promue Duchesse de Cornouailles, elle a eu droit à la dédicace de la suite de Noël Ex Maria Virgine - un titre qui ne s'invente pas ! - , pour célébrer son remariage avec le Prince Charles. Après tant de services rendus à la monarchie, il n'était que justice que sa Gracieuse Majesté élève le musicien à la dignité de Chevalier de l'Empire Britannique, ce qui fut fait lors de la promotion de l'an 2000. C'était la moindre des choses quand on songe que l'ex-Beatle(s), Paul McCartney, avait reçu cette récompense convoitée dès 1996.
John Tavener est un peu vite catalogué comme un adepte mystique de la nouvelle simplicité, une variante planante de minimalisme. Il puise, de fait, une bonne partie de son inspiration dans la tradition du chant orthodoxe, une religion à laquelle il s'est converti en 1977. Ce faisant, il a développé un idiome personnel, proche de l'icône, qui dans sa gestuelle contemplative, rappelle le style de l'Estonien, Arvo Pärt (1935- ), auquel on l'a souvent comparé.
Le catalogue des œuvres de Tavener contient 297 opus recensés. Le site jpc est particulièrement riche en références discographiques, n'hésitez pas à vous y référer en suivant le guide que voici pour vous orienter.
Les œuvres de jeunesse de Tavener (antérieures à 1977), The Wale, In Alium, Celtic Requiem, Ultimos Ritos, etc., ont été rarement enregistrées. Bien accueillies lors de leur création, elles n'ont jamais reparu à l'affiche des concerts, du moins de ce côté de la Manche.
La décennie qui a suivi (1977-1986) fut entièrement marquée par des œuvres d'inspiration orthodoxe. Essentiellement vocales, elles sont de dimensions variables, allant du simple hymne à la construction élaborée, en plusieurs parties.
Les hymnes courts, accompagnés ou non, sont nombreux et il suffit d'en citer quelques-uns parmi les plus significatifs : Two Hymns of the Mother of God, The Tyger, Cosmic Lament, The Lamb, The BridegRoom, Come and do your Will in Me, The Lord's Prayer, Akhmatova Song, God is with Us, Hymns of Paradise, Funeral Ikos, etc.
D'autres oeuvres, nettement plus ambitieuses, ont été écrites pour choeur et plus ou moins grand orchestre. Elles ne manquent ni de souffle ni d'allure : Lament for Jerusalem, Akathist of Thanksgiving, Eternity's Sunrise, We shall see Him as He is, Fall and Resurrection, Thunder entered Her, Total Eclipse, Agraphon, Akhmatova Requiem - à ne pas confondre avec le grand Requiem enregistré chez EMI -, Eis Thanaton, Ikon of Eros (un superbe chef-d'oeuvre), Theophany, Ikon of Light, Cosmic Lament et The Veil of the Temple, une merveille. Depart in Peace est écrit pour un ensemble plus retreint (soprano, violon, tempura et orchestre à cordes).
Theofany a une petite histoire susceptible d'intéresser les amateurs de bandes mixées. Le compositeur souhaitait incorporer à sa partition des sonorités éthérées qu'aucun instrument connu n'était, à son avis, capable d'émettre. Pensant que l'électro-acoustique était susceptible d'apporter une solution, il lui fallait trouver un technicien capable de synthétiser les sons qu'il entendait intérieurement et de les synchroniser sur une partition d'une demi-heure, au mètre particulièrement irrégulier. C'était tout un programme auquel s'est collé Jeremy Birchall. Celui-ci y a mis du sien en enregistrant sur plusieurs pistes (jusqu'à 13, par instants) sa voix de basse profonde sur les mots grecs "ego eimi" ("je suis"). Tant qu'à faire, il enregistra certaines pistes à vitesse double afin que reproduites à vitesse normale, elles soient perçues une octave encore plus bas. Il fit le contraire avec un gong à vent chinois afin que celui-ci soit perçu deux fois plus aigu que la normale. Les autres intervenants, orchestre et solistes, jouent évidemment à leur hauteur normale. Je vous passe les détails des problèmes de synchronisation entre la bande et l'orchestre car il semble que tout se soit toujours déroulé comme prévu, à chaque exécution de l'oeuvre, depuis sa création par l'orchestre commanditaire de Bournemouth.
Tavener a élargi sa palette sonore à partir de 1986, n'hésitant pas à investir le domaine de la musique profane. C'est même dans cette voie qu'il a écrit quelques-unes de ses plus belles œuvres : Butterfly Dreams, une œuvre chorale récente (2003), ne manque décidément pas de charme.
On regrette que le compositeur ait si peu écrit pour le piano solo quand on écoute ces belles pièces rassemblées sur un seul CD.
Il a également trop peu écrit pour des formations de chambre. Les trois quatuors produits à ce jour sont des réussites incontestables : The last Sleep of the Virgin , avec clochettes ajoutées, The Hidden Treasure (Tous deux interprétés de magistrale façon par le Quatuor Chilingirian, un enregistrement Virgin) et enfin Diodia (plages 2 à 8). Mentionnons encore Towards Silence, pour 3 (!) quatuors à cordes et cloche tibétaine et The Repentant Thief, pour clarinette & orchestre.
Tavener a encore expérimenté quelques formules instrumentales inhabituelles pour lui, par exemple : My gaze is ever upon You, pour violon solo et bande magnétique et Tears of the Angels où la bande est remplacée par un orchestre à cordes.
Les Schuon Lieder et To a Child dancing in the Wind (sur des poèmes de W. B. Yeats) sont deux beaux cycles de mélodies profanes.
Mary of Egypt (1991) est un o(pé)ra(torio), sur un thème religieux (Ecoutez le beau duo proposé en extrait).
The protecting Veil et Wake up and die, pour violoncelle et orchestre, comptent parmi les œuvres-fétiches de Tavener, celles qui l'ont révélé au monde entier. Les meilleurs violoncellistes du moment les enregistrent d'où les amateurs n'ont que l'embarras du choix. L'interprétation de Yo-Yo Ma, parue chez Sony, me paraît particulièrement réussie.
Les labels britanniques Hyperion et Chandos (Tapez Tavener dans la fenêtre) se devaient d'honorer la musique d'un artiste aussi brillant et ils ne sont pas les seuls : Collins, a très tôt apporté une contribution non négligeable au répertoire.
Au bilan, je ne peux cacher une affection, voire une admiration particulière, pour l'œuvre de John Tavener. Loin des modes qui n'ont eu aucune prise sur lui et de l'agitation d'un monde moderne déboussolé, il a développé un langage qui veut réconcilier l'auditeur avec l'harmonie universelle. Toute œuvre nouvelle est souvent digne d'intérêt et chaque enregistrement discographique est bienvenu. Je suis régulièrement à l'écoute de cette musique et le fait est que je ne m'en lasse pas.
La disparition prématurée de Tavener ne fut pas une surprise, il était atteint du syndrome de Marfan, une atteinte génétique rare. Sa disparition n'en constitue pas moins une perte impossible à rattraper.