Tour du monde

Suède

Suède
Suède

La Suède est très fière de proclamer, urbi et orbi, qu’elle est la 3ème exportatrice de musique pop au monde, après les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. Je la crois sur parole, ma culture en la matière étant restée - je devrais sans doute dire demeurée - figée aux accents du groupe ABBA. Qu'en est-il de sa musique savante ?

L’histoire de la musique suédoise a commencé, comme au Danemark, par une importation de main-d'œuvre étrangère. Le transfuge le plus connu fut l’Allemand Joseph Martin Kraus (1756-1792), contemporain de Mozart (1756-1791).

Inversement, le premier musicien d'envergure, authentiquement Suédois, Johan Helmich Roman (1694-1758) étudia un temps à Londres auprès du grand Haendel. On sent, à l'écoute de son œuvre majeure, Drottningholmsmuziken, qu'il a retenu les leçons de son professeur : cette belle suite se souvient incontestablement de la Water Music du Saxon. On n'a pas fini, loin de là, d'explorer le catalogue de ses œuvres. Signalons ces deux Messes Suédoises et des oeuvres purement instrumentales ne manquant décidément pas de charme, telles cette Sonate n°7 pour clavecin ou encore ce Concerto pour violon. Roman n'a pas usurpé son titre de "Père de la musique suédoise".

Il faudra attendre un siècle pour que se révèlent Adolf Fredrik Lindblad (1801-1878), un musicien apprécié de Schumann (Symphonies pleines d'aisance, n°1, n°2) et surtout Franz Berwald (1796-1868).

Celui-ci est un maître dont la musique réserve, à l'occasion, ces accents inattendus qui font la différence avec la production typique d'un romantisme passe-partout. La Neue Zeitschrift für Musik célébrait Berwald à l’égal de Mendelssohn, voire le dépassant. C'était sans doute exagéré et cependant, l'œuvre de Berwald, largement sous-estimée, est à découvrir : essayez les Symphonies (n°1, n°2, n°3, n°4), les Quatuors à cordes (n°2), les Trios (n°3), le Septuor ou l'opéra, Estrella de Soria.

Berwald est un astre relativement isolé dans le ciel suédois de l'époque. Ses successeurs, August Söderman (1832-1876) et Ivar Hallström (1826-1901) auront beau suivre des stages à Leipzig, le bastion de Mendelssohn, il n'en sortira rien de très probant dont nous pourrions faire état actuellement. Je ferai une exception pour Joseph Dente (1838-1905) dont la Symphonie, en ré mineur, surprend par son instrumentation originale.

Il faudra, en fait, attendre une génération supplémentaire pour que naissent des musiciens accédant à une certaine reconnaissance, la plupart écrivant des symphonies en pagaille (Qui a dit que cette forme était dépassée ?) :

Allan Pettersson
Allan Pettersson

Tous ces artistes valeureux pèsent plus ou moins lourd face au symphoniste géant que fut Allan Pettersson (1911-1980). N’allez pas croire qu’il ait été le chantre de son pays comme l’ont été Sibelius en Finlande et Nielsen au Danemark : Pettersson n’a écrit que pour lui-même et il avait ses raisons, plutôt tragiques.

A vrai dire, ce curieux personnage est essentiellement passé à la postérité pour avoir écrit 15 symphonies, numérotées de 2 à 16. Deux œuvres additionnelles, portant les numéros 1 et 17, sont incomplètes, la première parce que l'auteur l'a abandonnée (Elle vient d'être reconstruite, sur base d'esquisses existantes, par Christian Lindberg et un enregistrement vient de paraître chez BIS) et l'autre parce que la mort a interrompu sa genèse.

Qui n’a pas pris la peine - car c’en est une - de subir les Symphonies de Pettersson ne peut comprendre que la musique peut être autre chose que l’art futile de meubler un confort d’écoute. Frappé d’une maladie extrêmement invalidante, en fait une spondylarthrite rhumatoïde, Pettersson a entrepris de se soigner en écrivant la seule musique capable d’adoucir ses souffrances. Vous pourriez vous retrancher dans l’indifférence, après tout vous n’êtes pas sur terre pour endosser tous les malheurs du monde, mais vous auriez sans doute tort : je ne connais aucune musique qui sonne aussi violemment juste dans la douleur que la sienne. Par bonheur, ces symphonies sont parsemées d’îlots de rémission qui surviennent comme autant de baumes sur des plaies impossibles à soigner.

Si vous voulez tenter l’aventure, vous commencerez comme tout le monde, si l'on peut dire, par la plus accessible : la 7ème, qui vous donnera peut-être l’envie d’aller plus loin. Elle se termine sur une longue péroraison d'un calme après la tempête qui fait du bien. Vous enchaînerez par la 6ème, écrite en un seul mouvement (impossible de "sampler" !) ; elle vous trimballera dans une souffrance perpétuelle avant de s’ouvrir sur ce qui ressemble fort à trente minutes de paradis musical. Vous poursuivrez par les 5ème et 8ème puis vous vous attaquerez à la 9ème , d’une complexité effrayante, ce qui vous explique, en partie, pourquoi Pettersson n’a guère eu le temps d'écrire autre chose que ces Symphonies. Si vous avez survécu, vous êtes prêt à explorer les autres œuvres de ce musicien d’exception (par exemple, la bouleversante 12ème, pour choeur & orchestre où l'on peut même entendre de lointains échos du Boléro de Ravel, après 31 minutes environ) et la détresse, liée à la condition humaine, n’aura plus de secret pour vous. Sachez que la firme CPO propose, à prix doux, une intégrale en 12 CD de ces Symphonies. C'est un must absolu pour mélomanes aux nerfs solides ou, plus simplement, pour tous ceux qui pensent, à tort, être seuls à souffrir sur terre.

Note de la rédaction : mes fidèles lecteurs savent combien il est difficile de maintenir en ordre d'écoute les liens assurés par Youtube vers les musiques confidentielles. Je peux comprendre qu'à défaut d'accord financier acceptable entre les producteurs et les amateurs que nous sommes, il soit de bonne (?) guerre que ces liens soient régulièrement rompus dans le (seul) but de décourager des pratiques en principe illicites. Je constate avec bonheur que les liens vers les symphonies de Pettersson demeurent intacts. Le contraire serait de fait scandaleux : le compositeur a abandonné ses droits depuis longtemps et aucun interprète n'a le droit moral de les récupérer à son profit. Tant qu'elle ne sera pas remboursée par la sécurité sociale, cette musique doit être accessible aux plus démunis.

Pettersson a encore écrit un oratorio Vox Humana, un superbe Concerto n°2 pour violon, un Concerto pour alto, un Concerto pour violon et quatuor à cordes, 3 Symphonies pour cordes et des pièces vocales de moindre envergure.

La première génération de l'après-guerre rassemble un bataillon d'inconnus que je vous présente avec une illustration sonore à l'appui. Vous noterez la raréfaction des symphonies :

Karl-Birger Blomdahl (1916-1968) (Symphonie n°3), Sven-Erik Bäck (1919-1994), Claude Loyola Allgén (1920-1990) (Sonates pour violon solo, superbes !), Ingvar Lidholm (1921-), Maurice Karkoff (1927-), Bengt Hambraeus (1928-2000), Bo Linde (1933-1970), Karl-Erik Welin (1934-1992), Daniel Börtz (1943-) et Rolf Martinsson (1956- ).

Tous ces musiciens ont été très (trop ?) peu joués et quasiment pas exportés en-dehors de la Suède. Ce pays n'a guère manifesté la même volonté que le Danemark d'encourager et de promouvoir sa création musicale. Il en est résulté une certaine frilosité chez ses créateurs : la Suède est l'un des pays où le contingent des romantiques attardés est le plus important, ce que les écoutes précédentes ont dû vous révéler. J'ai quand même tenu à détacher quatre noms qui me semblent faire nettement mieux que la moyenne - au demeurant convenable - du lot précédent, de vrais aventuriers :

  • Sven-David Sandström (1942-) a fait grand bruit, c'est le cas de le dire, lors de sa création de son Requiem. L'auteur s'est ensuite assagi et sa High Mass remplit tous les critères d'une belle modernité, un succès qu'il a d'ailleurs confirmé avec Freedom Mass et plus récemment Le Messie, un oratorio sur le texte déjà mis en musique par Haendel.
  • Anders Eliasson (1947-) n'a jamais cessé d'écrire une musique moderne et cependant parfaitement accessible au commun des mortels (Symphonie n°3, Symphonie pour cordes, Trio pour cor, piano & violon, Concerto pour cor & orchestre, Concerto pour violon & cordes et Concerto pour saxophone alto, tout est à découvrir !).
  • Jan Sandström (1954-) a fait un tabac avec son Concerto n°1 pour Trombone et orchestre, magnifiquement servi par le très actif Christian Lindberg. Voici encore son Requiem.
  • Quelque chose me dit que le musicien le plus intéressant de cette génération pourrait être Anders Hillborg (1954-) (Concerto pour clarinette, Liquid Marble, Cold Heat). Voici un extrait de son concerto pour violon .
  • Beaucoup plus près de nous, Jonas Valfridsson (1980- ) démontre que la musique scandinave demeure bien vivante : le site personnel du compositeur vous permet d'entendre plusieurs oeuvres intéressantes.

Rayon interprètes nationaux, la Suède a offert, à un monde incrédule, des voix somptueuses comme on n’en fait plus. Chez les dames, la soprano Birgitt Nilsson (1918-2005) fut une idole : aucune représentation wagnérienne ne bénéficie plus de voix de cet acabit. Nous vivons à une époque où les fraises doivent être mûres en mars et aucun chanteur ne prend encore la peine de laisser sa voix s’épanouir dans l’ombre. Chez les messieurs, on honore en hauts lieux, le ténor trop tôt disparu, Jussi Björling (1911-1960), et l’increvable Nicolaï Gedda (1925-) qui a chanté pendant 40 ans, dans toutes les langues et sans accent. Des gloires beaucoup plus récentes sont le baryton Hakan Hagegard et la mezzo Anne-Sofie von Otter. Celle-ci a signé récemment un merveilleux CD de mélodies suédoises (Œuvres de Laci Boldemann (1921-1969) (4 Epitaphes opus 10, plages 2 à 5), Hans Gefors (1952-) (Lydias sanger, plages 6 à 12) et Anders Hillborg (1954-) (Lontana in sonno, plage 1)).

Côté instrumental, retenons le clarinettiste, Martin Fröst, extravagant mais génial, le tromboniste Christian Lindberg dont les commandes aux compositeurs locaux ont fait de la Suède la patrie du concerto pour trombone, l'ensemble de percussions Kroumata et le violoncelliste Torleif Thedéen.

Pour les amateurs, Jan Johansson (1931-1968) est le pianiste de jazz scandinave le plus célèbre. De formation classique, il a puisé son inspiration dans le répertoire populaire de quelques pays (Suède, Russie, Hongrie, ...).

Les choeurs suédois professionnels sont à peine moins célèbres que les choeurs baltes et les formations amateurs sont légions. La langue suédoise est paraît-il tout aussi chantante que la finnoise : écoutez cette prestation du St Jacobs Ungdomskör, lors d'une récente compétition en Allemagne, ou encore Muoayiyoum, d'Anders Hillborg.

Eric Ericson est un chef de choeur mondialement célèbre que vous ne confondrez pas avec son élève Gunnar Eriksson.

Théâtre de Drottningholm
Théâtre de Drottningholm

La Suède est très justement fière d'avoir conservé et entretenu, dans son état d'origine, le Théâtre du Château de Drottningholm. J'avoue n'avoir jamais très bien compris cette fatalité qui veut que les scènes d'opéra flambent inévitablement moins d'un siècle après leur inauguration. Serait-ce le fait d'artistes qui brûlent les planches ?

Quoi qu'il en soit, Drottningholm résiste au feu depuis 1766 (sa première mouture avait quand même flambé en 1762 !) : c'est le seul théâtre d’époque qui nous soit parvenu intact, y compris la salle des machines (à voler, à faire du vent, du tonnerre, ...). Il est toujours en pleine activité, essentiellement au service des musiques des 17ème et 18ème siècles.

Quelques labels discographiques confidentiels authentiquement suédois se nomment Sterling et Caprice Records. Le plus important se nomme BIS, particulièrement actif dans le domaine de la musique savante. Il ne se contente pas d'honorer la musique nationale (Edition Sibelius), loin de là, il s’est même lancée dans quelques projets un peu fous, tels une quasi-intégrale de l’œuvre du russe Alfred Schnittke et une intégrale (superlative !) des Cantates de Bach, commentée par ailleurs. Son catalogue est directement accessible à une écoute partielle - mais généreuse - grâce à la bienveillance de la maison mère (adoptive) Naxos.