En scellant l'histoire de la Première Guerre mondiale, les traités de Saint-Germain-en-Laye (1919) et de Trianon (1920) ont artificiellement réuni la Slovaquie et la Tchéquie dans un bancal état tchécoslovaque. Dissoute par le régime hitlérien, l'association reprit en 1945 jusqu'à la séparation pacifique et définitive, en 1993. Ces deux nations sont bien distinctes, par leurs langues (apparentées cependant), par leur histoire (la Slovaquie a passé une bonne partie de son temps à s'insurger contre les hongrois alors que les tchèques en décousaient avec les autrichiens) et surtout par des niveaux de développements très différents, économique (Depuis l'an 2000, la Slovaquie comble cependant une partie de son retard) et ... musical.
De fait, alors que la Tchéquie - présentée par ailleurs - a inondé l'Europe de musiciens de talent, on ne peut pas en dire autant de la Slovaquie. Les invasions tatares puis ottomanes y ont tôt inhibé le développement d'une musique sacrée qui aurait pu être intéressante, à la croisée des influences grégorienne et byzantine. Les manuscrits qui nous sont parvenus n'ont pas encore vraiment été exploités.
Il faudra attendre le 17èmesiècle pour que quelques rares musiciens nationaux s'illustrent dans le mouvement baroque paneuropéen. Ce ne sont pas des génies de premier plan mais reconnaissons que la musique écrite par Janos Sigismond Kusser (1660-1727) est plaisante sinon digne d'intérêt. Ecoutez ses 3 Suites pour Orchestre ou ses 2 Sérénades pour la Cour de Dublin.
La période classique ne fut guère plus généreuse en talents autochtones et les princes en furent souvent réduits à inviter les stars autrichiennes, Haydn et Mozart. Antonín Zimmermann (1741-1781), dont 3 Quatuors plutôt insignifiants ont été enregistrés chez Naxos, et Jiří Druzečky (1745-1819) comptent parmi les rares rescapés de l'histoire et encore leur conteste-t-on ici et là la nationalité slovaque. Cette contestation - un mal endémique dans cette région d'Europe centrale - a également atteint les deux plus grands musiciens effectivement nés slovaques, Hummel et Schmidt.
Johann Nepomuk Hummel (1778-1837) et Franz Schmidt (1874-1939), sont tout juste slovaques, né à Bratislava (Pressburg en allemand), une capitale tellement décentrée et proche de l'Autriche que celle-ci ne s'est guère gênée pour les revendiquer l'un et l'autre. Ayant déjà présenté Schmidt dans une chronique antérieure, je n'évoquerai ici que Hummel, un excellent musicien à (re)découvrir.
Hummel fut un des plus grands pianistes de son temps et un compositeur plus que doué. Il se lia d'une amitié orageuse avec Beethoven (Hummel redoutait que les talents d'improvisateur de Beethoven ne lui fassent de l'ombre, à Vienne, et Beethoven protesta plus d'une fois contre les libertés que Hummel prenait en transcrivant ses symphonies pour le piano). L'ultime réconciliation n'intervint qu'à l'extrême fin de la vie du Maître de Bonn et ces tribulations étaient, il y a 50 ans à peine, tout ce qu'on connaissait de Hummel excepté, je dois rectifier : un truculent Concerto pour Trompette, invariablement couplé au disque avec celui de Joseph Haydn et un insignifiant Concerto pour Mandoline, pieusement conservé par les virtuoses de l'instrument, trop heureux de posséder un concerto à leur répertoire. Le reste de son oeuvre ne lui a pas immédiatement survécu et il a fallu attendre les dernières décennies pour que quelques éditeurs curieux exhument l'essentiel de sa production. A part la symphonie qu'il n'a pas pratiquée, il a abordé tous les genres (pour des références discographiques précises, reportez-vous au site jpc, plusieurs pages bien remplies) :
Grand voyageur, à travers l'Europe entière, Hummel n'est jamais durablement revenu au pays et il ne se trouva personne pour préparer, à sa place, l'avènement d'une école authentiquement slovaque. Le seul musicien ayant acquis une certaine notoriété est Jan Levoslav Bella (1843-1936) dont voici un Te Deum. Marco Polo lui a consacré trois enregistrements intéressants, proposant des pièces pour piano et des Quatuors à cordes.
Il faudra attendre le 20èmesiècle pour trouver à nouveau trois musiciens de valeur soit, dans l'ordre chronologique :
Perturbée par les querelles esthétiques d'après-guerre et l'entrave du stalinisme, la musique slovaque manquait de ressources internes pour sortir de l'ornière. Ladislav Kupkovic (1936- ) et Vladimir Godar (1956- ) comptent parmi les rares musiciens dont les noms sont parvenus à l'Ouest :
Roman Berger (1930- ) s'essaye à une modernité toute relative dans cette Konvergencie 1, pour violon solo, et Juraj Hatrík (1941- ) fait de même dans cette Toccata pour piano. Rytmus d'Ivan Hrušovsky (1927-2001) démontre, une fois de plus, la capacité des musiciens slaves à bien écrire pour les formations chorales. Enfin, Ilja Zelenka (1932- ) écrit une musique gentillette, telle cette Musica slovaca, qui véhicule sans complexe des clichés à la mode.
Depuis 1951, Bratislava est devenue un centre musical éclectique, grâce, en particulier, aux journées musicales qui rassemblent, en été, les principales formations classiques, folkloriques ou de variétés. La musique populaire slovaque est, à l'image de toutes celles d'Europe centrale, d'excellente qualité et si le genre vous intéresse, je vous recommande l'ensemble Ponitran dont cette video devrait vous plaire.
Les orchestres (radio)symphoniques slovaques ont longtemps découragé la critique occidentale, proposant des versions de troisième ordre d'oeuvres du grand répertoire. Depuis ces temps héroïques, de l'eau a heureusement coulé sous les ponts du Danube. Le label Naxos a notamment resigné des contrats avec les mêmes orchestres en nets progrès, prenant néanmoins la précaution de les réorienter vers des répertoires moins fréquentés - Série "American Classics", par exemple - où toute concurrence européenne est improbable. Par ailleurs, l'ensemble Solamente Naturali, jouant sur instruments anciens, témoigne du renouveau slovaque qui n'est pas qu'économique : il est d'ailleurs l'acteur principal des CD Mater et Mathilde de Guise déjà évoqués.
Peu de solistes slovaques ont émerveillé le monde musical à l'exception de la grande soprano Edita Gruberova, née à Bratislava en 1946. Son interprétation de la Reine de la Nuit l'a rendue célèbre. Elle chantait déjà ce rôle à 25 ans et retrouvez-la, quelques années plus tard, cette fois en pleine possession de ses moyens vocaux.
Slovart Music et Music Master Slovakia sont deux labels slovaques mais je doute que vous puissiez facilement vous procurer leurs enregistrements. Ce serait peut-être le moyen de compléter une chronique qui, je m'en rends compte, frise l'indigence. Est-ce ma faute si c'est un musicien vieux de 200 ans (Hummel pour les distraits) - véritable outsider du romantisme musical - qui s'y est taillé la part du lion ?