Julius Röntgen (1855-1932), né à Leipzig et mort à Utrecht, fut inextricablement allemand et néerlandais. Son grand-père, Johannes Engelbert, commerçant, a émigré vers les Pays-Bas mais son père, Engelbert, violoniste, a fait le chemin en sens inverse pour rejoindre Leipzig. Trente ans plus tard, Julius retourna à Amsterdam pour s'y fixer.
On a expliqué l'exode d'Engelbert par l'insécurité qui régnait alors, aux Pays-Bas, mais cela ne tient guère la route : en 1848, c'est toute l'Europe qui était secouée par la tentative révolutionnaire de la Restauration et Leipzig ne devait guère être plus sûre que l'obscur village de Deventer. Supposons plus sûrement qu'Engelbert souhaitait parfaire sa formation musicale et que la grande ville saxonne était idéale, à cet égard. Il y suivit effectivement l'enseignement de Ferdinand David, le dédicataire du célèbre concerto en ré de Mendelssohn. Les leçons portèrent leurs fruits puisqu'à la mort de ce dernier, en 1873, il prit sa place comme premier violon du célèbre orchestre du Gewandhaus.
C'est à Leipzig qu'Engelbert rencontra la pianiste Pauline Klengel, la fille de Moritz Klengel, violoniste au sein du même orchestre (et nullement Cantor de St Thomas, 100 ans après J-S Bach, comme vous le lirez, en particulier sur le site de la UK Julius Röntgen Society, un comble !). De leur union naquit le petit Julius, tout cela pour vous situer l'hérédité musicale de ce dernier.
Vous entendrez souvent dire que Julius fut (petit-)cousin de Wilhelm Röntgen, Prix Nobel de physique, en 1901, pour la découverte majeure que vous savez. Ce n'est que très partiellement exact : certes ils appartenaient à la même famille mais ils n'étaient parents qu'au 7ème degré ! Vous pouvez vérifier sur ce site généalogique : partez de Julius et remontez jusqu'à Johann Heinrich Röntgen puis repartez de Wilhelm Conrad et remontez jusqu'au même, enfin faites les comptes.
Lors d'une de ses nombreuses visites au Danemark, la presse locale commit l'indélicatesse de commenter ainsi sa venue (j'édulcore) : "Un Röntgen certes mais pas le plus fameux !". Ce à quoi Edvard Grieg, l'ami de toujours, répliqua : "Un vulgaire os arrête les rayons de Wilhelm, jamais il n'arrêtera la musique de Julius" !
Entre 1862 et 1865, Julius a pris des cours d'harmonie, contrepoint et composition avec Moritz Hauptmann - un vrai Cantor de l'église St. Thomas, lui ! - puis des leçons d'instrumentation avec Carl Reinecke, alors chef du Gewandhaus.
Enfant prodige, il a composé dès l'âge de 9 ans. Introduit par sa mère, il a tôt fréquenté Franz Liszt, Heinrich von Herzogenberg, Franz Lachner et Johannes Brahms, en quête d'encouragement et de reconnaissance. Toute sa vie il en a conservé le goût pour les contacts entre artistes, nouant des amitiés durables avec, entre autres, Edvard Grieg, Carl Nielsen, Percy Grainger, Pablo Casals et Frederic Lamond.
En 1877, Röntgen choisit de s'installer à Amsterdam à l'invitation d'un ami de son père. Ce choix n'avait rien d'évident car cette ville ne rayonnait pas encore musicalement comme elle le fait aujourd'hui. Röntgen s'investit énormément pour que les choses changent, en particulier en s'impliquant dans la fondation du désormais célèbre orchestre du Concergebouw dont il brigua la direction. Elle lui échappa cependant au profit d'Hans von Bülow qui s'empressa de déléguer ses attributions au chef local, Willem Kes. Nullement découragé, Röntgen se remit à la composition tout en continuant à s'occuper du Conservatoire d'Amsterdam.
Le catalogue des oeuvres de Röntgen compte près de 610 œuvres abordant tous les genres, de la sonate à l'opéra. Il n'est absolument pas en ordre d'où une numérotation par genres peut poser problème : lorsqu'un doute est possible nous avons opté pour la référence tonale incontestable de l'oeuvre.
D'aucuns ont reproché à Röntgen d'avoir écrit 25 symphonies à une époque où cela ne se faisait plus. L'intégrale en cours chez CPO montre que cela n'est pas totalement injustifié, les pages inspirées alternant avec celles qui le sont moins (n°8). Pianiste confirmé, il était normal que Röntgen écrive des concertos pour son instrument, sept en tout. Ceux qui ont été enregistrés (n°2, n°4) sont particulièrement remarquables malgré quelques emprunts évidents aux maîtres du passé (écoutez les accents Schumanniens du concerto n°2, à partir de 3:00, dans l'allegro initial). Ajoutez-y 3 concertos pour violon (en la mineur, en fa dièse mineur) et 3 pour violoncelle (n°1, n°2, n°3).
Rayon musique de chambre on remarquera les Sonates pour violon & piano, celles pour violoncelle & piano (opus 41 et opus 56) et celles pour alto & piano (en ut mineur et en la mineur, au délicieux parfum populaire. NDRL : cette dernière référence est indisponible; il faut savoir que, sur Youtube, les références aux oeuvres de Roentgen sont plus régulièrement sabotées que n'importe quelle autre, allez savoir pourquoi). Avec une qualité d'inspiration supérieure à celle des symphonies, elles n'évitent cependant pas toujours de se ressembler traits pour traits. L'ensemble se complète avec les Trios à clavier (n°2, n°6, n°10) et quantité de pièces isolées (Sextuor à cordes, Quintettes à clavier (en la mineur, démarre en 6:00), Quatuor à cordes en la mineur, ... ).
Röntgen a beaucoup écrit pour le piano et cette partie de son oeuvre a été enregistrée récemment par le pianiste Mark Anderson : 4 CD passionnants sont déjà parus chez Nimbus, révélant quelques chefs-d'oeuvre incontournables telles ces Variations et Fugue sur un thème de J.P.E. Hartmann (Vol. 4). Un 5ème volume enregistré avec le concours de la pianiste Michelle Mares est consacré à des pièces pour deux pianos.
Röntgen a également excellé dans la fresque vocale aux accents mahlériens Aus Goethes Faust d'où on regrettera que les 4 ouvrages dramatiques écrits pour la scène aient disparu du répertoire.
Bien que le style compositionnel de Röntgen ne se soit jamais vraiment éloigné du romantisme finissant, le professeur a été à l'écoute de la modernité naissante (en particulier Hindemith, Stravinsky et Schönberg) dans les leçons d'analyse musicale qu'il a dispensées. Il a également suivi le travail des musiciens néerlandais de son temps dont l'un des plus valeureux, Willem Pijper.
Röntgen a passé ses dernières années (1925-1932) à Bilthoven, dans la villa moderne (pour l'époque !) que son architecte de fils, Frants, avait conçu pour lui (dont une salle de musique circulaire posée sur une dalle flottante seulement retenue par le plafond). C'est là qu'il a écrit ses dernières oeuvres dont une sage Symphonie bitonale (1930), plutôt en retard sur ce qui se pratiquait régulièrement en France depuis 15 ans au moins. Voici un fondu-enchaîné de ses 6 mouvements, réalisé à partir de l'enregistrement (Cobra) du Noord Nederlands Orkest, dirigé par Hans Leenders .
La villa Gaudeamus existe toujours, vous pouvez la visiter, transformée en Fondation pour le développement de la musique néerlandaise contemporaine.
Après la Seconde Guerre mondiale, et le temps qui passe, il ne s'est plus trouvé personne pour s'occuper de l'énorme bâtisse, dans une famille pourtant nombreuse au départ (Röntgen eut 7 enfants, la plupart musiciens, de deux épouses successives). Gaudeamus finit par être rachetée par Walter Maas qui la transforma en un centre de d'étude et de développement musical. Elle est encore ponctuellement le lieu de concerts accueillant un nombre fatalement limité d'auditeurs.
Le label CPO s'est suffisamment investi dans la publication de la musique de Röntgen pour que nous fassions la publicité pour au moins deux enregistrements qui sortent vraiment de l'ordinaire :