En musique instrumentale, le quintette à clavier apparaît comme la discipline chambriste la plus traditionnellement soignée, après le sacro-saint quatuor à cordes. Cette forme d'inspiration relativement récente (200 ans quand même !) désigne habituellement le piano accompagnant quatre instruments pouvant être à vents (au moins partiellement), c'est la forme divertissante, ou (intégralement) à cordes, c'est la forme savante, celle qui nous occupera principalement.
La période baroque a multiplié les combinaisons instrumentales, mêlant allègrement cordes, bois, vents et clavier (Sonata a 5 d'Albinoni, Telemann, Haendel et tant d'autres ... ). Notez qu'un sixième instrument peut être présent qui ne joue qu'un rôle de ponctuation, c'est le continuo. L'ère (pré-)classique n'a guère innové dans ses Sérénades et autres Divertissements. Même le grand Joseph Haydn (1732-1809), qui avait pourtant contribué à formaliser le genre du quatuor à cordes, n'a écrit que des quintettes pour formations subalternes, dans un esprit de pur divertissement (Divertimento pour baryton - instrument à cordes non vocales ! - , alto, violoncelle et 2 cors). Notez que cet autre Divertimento célèbre (en si bémol majeur), reprenant le choral de Saint Antoine (en 3:40) immortalisé par Brahms dans ses célèbres Variations pour orchestre, n'est qu'attribué au maître viennois.
Ni Mozart (Quintette KV 452) ni Beethoven (opus 16) ne se sont passionnés pour le genre, ne léguant que des oeuvres secondaires. Au bilan, on préférera les contributions sérieuses d'Anton Reicha (1770-1836), un proche de Beethoven, voire celles plus guillerettes de Franz Danzi (1763-1826). Les oeuvres de Reicha ont fait l'objet d'une belle intégrale, parue en 10 CD, chez CPO.
Un (ou deux) siècle(s) plus tard, on trouve encore des compositeurs amoureux du mélange des timbres instrumentaux : Anton Rubinstein (1855), Paul Taffanel (1876), Rimski-Korsakov (1876) - une oeuvre à la gaieté communicative -, Zdenek Fibich (1893), Gustav Holst (1903), Carl Nielsen (1922), Hans Huber (1918), et, plus près de nous, le jeune Elliott Carter (1948) et le moins jeune Jean Françaix (1987).
Boccherini (1743-1805) et Mozart (1756-1791) ont été parmi les premiers à croire en une formule plus sobre sur le papier mais, au bilan, plus ambitieuse : l'adjonction d'un instrument au quatuor à cordes classique. Au début, cela s'est fait dans plusieurs directions :
La forme pour cordes et piano qui va désormais nous occuper a adopté l'effectif du quatuor à cordes classique (deux violons, un alto et un violoncelle). Pourtant, dans son Quintette "La Truite" (1819) (ainsi nommé parce qu'il reprend la mélodie d'un lied antérieur, Die Forelle), Franz Schubert a réitéré une expérience déjà tentée par Jan Ladislav Dussek (1801) (et l'inévitable Boccherini) et consistant à remplacer le second violon par une contrebasse. Cette formule, également adoptée par Ferdinand Ries (1815), Johann Nepomuk Hummel (1822), Franz Limmer (1834), Louise Farrenc (1839), George Onslow (1846), Hermann Goetz (1874) et Josef Labor (1912), visait un nouvel équilibre des voix mais elle n'a pourtant pas fait fortune, sans doute à cause de la difficulté de recruter un contrebassiste en famille ou entre amateurs.
La recette du "véritable" quintette à clavier est aussi précieuse que celle de la tarte au riz de Verviers (Seuls les gourmets peuvent comprendre, qui, c'est la mode, veulent saisir l'Unesco pour un possible classement au Patrimoine mondial de l'Humanité !). On attribue à Robert Schumann l'initiative d'avoir définitivement (r)établi le schéma instrumental initial (avec second violon si vous suivez), proposant le modèle du Quintette opus 44, 1842. Cette formule s'est imposée à la plupart des compositeurs désireux d'écrire "leur" quintette, généralement au singulier car on ne défie pas le destin quand on ambitionne le chef-d'oeuvre ! Dans la suite, chaque oeuvre sera référencée par son numéro (éventuellement d'opus) et/ou sa tonalité, aucune ambiguïté ne devant être possible.
Ni Haydn, ni Mozart ni Beethoven n'ayant contribué au genre, c'est peut-être, à la réflexion, l'absence de modèle intimidant qui a libéré l'inspiration des successeurs, permettant l'épanouissement d'un répertoire particulièrement riche même dans le chef de musiciens pas toujours très connus.
La liste des sommets du genre figure dans toutes les bonnes histoires de la musique. Au 19ème siècle, outre le Schumann, elles mentionnent, en priorité, Johannes Brahms (opus 34, 1864, en fait la transcription d'une sonate reniée pour deux pianos, opus 34b), Anton Dvorak (opus 1, 1872 et opus 81, 1887), César Franck (fa mineur, 1879, souvent couplé au disque avec celui de Schumann pour cause de parenté évidente) et Gabriel Fauré (opus 89, 1905 et opus 115, 1921). Un siècle plus tard, les deux monuments ont été signés Dimitri Schostakovitch (opus57, 1940) et Alfred Schnittke (Bouleversant Quintette, 1972, à la mémoire de sa défunte mère).
Ces chroniques partant prioritairement à la recherche des trésors cachés, des fouilles supplémentaires (et un tri !) ont été nécessaires. Pour guider votre choix, j'ai parfois collé une étoile comme au Michelin, simples coups de coeur personnels.
Les deux chefs-d'oeuvre de Fauré le démontrent, la formule du quintette à clavier a toujours convenu à la sensibilité française, pudique ou enjouée. Quelles plus belles illustrations précoces que ces oeuvres signées Théodore Gouvy (opus 24*, 1850), Camille Saint-Saëns (opus 14, 1855) ou Alexis de Castillon (opus 1*, 1864) ?
Une génération plus tard l'intérêt ne faiblit pas à l'écoute de Charles-Marie Widor (opus 7, 1890), Théodore Dubois (fa majeur*, 1905) - admirable ! -, Florent Schmitt (opus 51, 1908), Jean Huré (ré majeur, 1908), Paul Le Flem (mi mineur*, 1909), Charles Koechlin (opus 80, 1908 revu en 1921), Gabriel Pierné (opus 41*, 1917), Louis Vierne (opus 42, 1917), Reynaldo Hahn (fa dièse mineur*, 1921), Jean Cras (ut majeur, 1922), Vincent d'Indy (opus 81*, 1924) et Lucien Durosoir (fa majeur, 1925). A ce stade, pourquoi ne pas ajouter le Poème*, 1911 de Gabriel Dupont, un quintette qui n'avoue pas son nom. Beaucoup de noms peu connus, c'est toute la richesse de la musique française des années 1900.
Les deux oeuvres majeures de Schostakovitch et Schnittke ne doivent pas faire oublier les artisans du renouveau russe : sauf le précurseur Alexandre Alyabyev (Quintette, 1830?), on ne présente (presque) plus les classiques, Alexandre Borodin (ut mineur*, 1862), Anton Rubinstein (opus 99, 1876), Anton Arensky (opus 51*, 1900), Nikolai Medtner (ut majeur*, 1903 terminé en 1949), Sergei Taneyev (opus 99*, 1911), Mikhail Gnesin (Requiem instrumental opus 11, 1913), Mieczysław Weinberg (opus 18*, 1944, attention chef-d'oeuvre !), Sofia Gubaidulina (Quintette, 1958, une oeuvre de jeunesse), Boris Tchaïkovsky (Quintette*, 1962) et plus récemment Nikolai Kapustin (opus 89*, 1998, dans son style jazz habituel).
J'ai naturalisé d'office les transfuges Karl Davydov (opus 40*, 1884) russo-letton, Paul Juon (opus 33, 1906 et opus 44*, 1909) helvéto-russe et Georgy Catoire (opus 28*, 1914) franco-russe.
Les quintettes austro-allemands sont d'excellente facture quoique souvent coulés dans un moule unique hérité de Brahms. Etrangement, le pionnier du genre fut un amateur distingué (ici même), le Prince Louis Ferdinand de Prusse (opus 1, 1803). Un bon demi-siècle plus tard (!), la liste s'est enfin allongée grâce aux efforts de Louis Spohr (opus 130, 1845), Joachim Raff (opus 107*, 1862), Carl Reinecke (opus 83, 1866), Franz Lachner (n°2 opus 145*, 1869), Ferdinand Thierot (opus 20*, 1869), Ferdinand Hiller (opus 156, 1873), Friedrich Kiel (opus 75, 1874 et opus 76, 1874), Heinrich von Herzogenberg (opus 17, 1876), Friedrich Gernsheim (opus 35, 1877 et opus 63*, 1890), Josef Rheinberger (opus 114*, 1878), Karl Goldmark (opus 30, 1879 et opus 54*, 1914), Eduard Franck (opus 45*, 1882), August Klughardt (opus 43, 1884), Max Bruch (sol mineur*, 1886) - une belle oeuvre sortie de la plume d'un musicien souvent (injustement) vilipendé -, Carl Frühling (opus 30, 1894), Max Reger (n°1, 1898 et, n°3, 1903), Ludwig Thuille (opus 20, 1901), Hugo Kaun (opus 39, 1902), Wilhelm Berger (opus 95, 1904), Anton Webern (Quintette, 1907) - une oeuvre de jeunesse sans rapport avec celles qui suivront -, Hans Pfitzner Piano (opus 23*, 1908), Hermann Zilcher (opus 42*, 1918), Erich Wolfgang Korngold (opus 15*, 1921), Franz Schmidt (sol majeur*, 1932) et Ernst Toch (opus 64, 1938). Après 1940, la veine s'est tarie, on devine pourquoi, en Allemagne Brahms est mort deux fois.
Les anglais soucieux de rattraper un retard séculaire ont mis les bouchées doubles dès la fin du 19ème siècle : Charles Villiers Stanford (opus 26, 1886), George Whitefield Chadwick (mi bémol majeur*, 1887), Ralph Vaughan Williams (ut mineur*, 1903), Hamilton Harty (fa majeur, 1904), Joseph Holbrooke (opus 44*, 1904) - une oeuvre annoncée symphonique par son auteur, de fait -, Henry Hadley (opus 50, 1904), Franck Bridge (ré mineur*, 1905) - magnifique ! -, James Friskin (ut mineur, 1907), Arnold Bax (sol mineur*, 1908), Adela Madison (Quintette, 1916), Edward Elgar (opus 84*, 1918), Cyrill Scott (n°1*, 1924) et ... presqu'un siècle plus tard, Thomas Adès (Quintette*, 2000).
Les cousins d'Amérique ont été aussi heureux à une époque globalement plus récente : Samuel Coleridge-Taylor Piano (opus 45, 1893), Arthur Foote (opus 38*, 1897), Amy Beach (opus 67, 1907), Leo Ornstein (Quintette*, 1927) - attention chef-d'oeuvre ! - , Vittorio Giannini (Quintette*, 1932), Roy Harris (Quintette, 1936), Charles Wakefield Cadman (sol mineur*, 1937), Walter Piston (Quintette*, 1949), George Rochberg (Quintette, 1975), John Harbison (Quintette, 1981), Charles Wuorinen (n°1*, 1994 & n°2, 2008), Elliott Carter (Quintette, 1997) et Lowell Liebermann (opus 114*, 2010).
On a écrit tellement de (beaux) quintettes sous toutes les latitudes qu'il me faut faire un choix parmi des oeuvres souvent peu connues. Je m'en tiens autant que possible à celles qui sont disponibles à l'écoute et qui y résistent !
Au rang des curiosités, et tous genres à 5 confondus, on trouve quelques spécimens étonnants ou simplement divertissants :