Fondé en 1998, par Vincent Dumestre, "Le Poème Harmonique" est un ensemble de musique ancienne qui partage avec Arpeggiata une exigence de perfection sonore au service de répertoires négligés des 16ème et 17ème siècles. Comme lui, il enregistre pour le label Alpha et chaque nouvelle parution est unanimement célébrée par la critique internationale.
Lorsqu'il ne parcourt pas le monde, il est en résidence à la restaurée Chapelle Corneille de Rouen où il supervise, depuis cette année, l'organisation du festival des "Saisons baroques". L'exceptionnelle qualité acoustique de cette formation prend tout son sens au concert et je ne peux que vous engager à courir les entendre autant que les écouter (Par exemple à Bruxelles, Studio 4 de la Place Flagey, ce 1/7/2016) car l'expérience est autant acoustique qu'artistique.
L'album "Il Fasolo ?" a particulièrement compté dans l'histoire du groupe. Son titre étrange fait référence à l'indécision qui subsiste quant à l'auteur véritable des pièces proposées, peut-être Giovanni Battista Fasolo (1598-après 1664) voire Francesco Manelli (1594-1667) ou tout autre qui aurait pris le surnom de Fasolo (= haricot, en vieux dialecte sicilien !) mais rien n'est sûr à ce sujet. Il propose 17 plages de musiques peu connues qu'on croirait pourtant des tubes dès la première écoute (La Barchetta passaggiera, Son ruinato, appassionato, Serenata in lingua lombarda et ne manquez pas la langoureuse chaconne finale, Acceso mio Core).
L'ensemble a abordé quelques grands classiques du baroque français dont les Te Deum de Marc-Antoine Charpentier (Commence en 3:30) et de Jean-Baptiste Lully (Commence en 30:18). Notez particulièrement sur cette vidéo la présence de Claire Lefiliâtre (la deuxième soprano en commençant à gauche de l'image), certes sous-employée dans ces pièces mais dont vous n'avez pas fini d'entendre la voix tombée du ciel (cfr infra). On la retrouve plus à découvert dans le Miserere de Michel-Richard Delalande (suivi par les 3 Leçons des Ténèbres du même).
Au répertoire de l'ensemble figurent quelques représentations théâtrales où comédiens (Le Bourgeois Gentilhomme, de Lully & Molière, et Le Malade imaginaire, de Charpentier & Molière), danseurs et artistes de cirque (Le Carnaval baroque), voire marionnettistes (Caligula, un opéra du peu connu Giovanni Maria Pagliardi) se joignent aux musiciens.
A la suite de quelques collègues précurseurs (Christie, Rousset), Dumestre a souhaité apporter sa pierre à l'édifice de la résurrection de l'oeuvre opératique de Lully et "son" Cadmus et Hermione est certainement digne d'éloges. Toujours à l'opéra, il a également joué Egisto de Cavalli et Didon et Enée de Purcell. Reconnaissons cependant que dans ce domaine, la concurrence est rude et que ce n'est sans doute pas là qu'il s'est rendu indispensable.
Dans un registre plus intime et lorsque l'ensemble s'adjoint la voix de Claire Lefiliâtre, l'alliage dépasse en grâce tout ce qui se conçoit dans le genre. Si, comme moi, vous êtes las d'entendre les bruits d'un monde en folie, réfugiez-vous dans ces deux univers parallèles :
La "bonne" chanson française ne date pas d'aujourd'hui ni même d'hier. La chanson polyphonique a tenu son rang, en France, dès la Renaissance (Claude Lejeune : "Qu'est devenu ce bel Oeil ?" et Clément Janequin : Toutes les Nuits) mais, à côté de cette chanson savante, une variante populaire a existé où la nostalgie a trouvé quelques-uns de ses plus beaux modes d'expression. Voici l'ensemble en récital dans ce répertoire.
Quelques enregistrements (Plaisir d'Amour, Aux Marches du Palais) ont immortalisé ces romances et complaintes d'autrefois, à une voix - celle de Claire Lefiliâtre évidemment ! - (Adorable Les tendres Souhaits, Quand je menais les Chevaux boire, Blanche Biche) ou à plusieurs (Le Roi a fait battre Tambour, La Fille au Roi Louis, La Louison, L'Amour de Moy).
C'est dans le domaine a priori daté de l'Air de Cour que l'ensemble a réalisé ses plus beaux enregistrements de musiques mélancoliques ou gaillardes. Charles Tessier (vers 1550-1610) (Quand le Flambeau du Monde, Me voila hors du Naufrage, J'aime la Dizaine ), Pierre Guédron (1565-1620) (Quel Espoir de guérir, Las ! Que ne suis-je née, Dessus la Rive de la Mer ya trois belles Filles , Qu'on ne me parle plus d'Amour ), puis son gendre Anthoine Boesset (1587-1643) (Nos Esprits libres et contents, A la Fin cette Bergère, Départ que le Devoir me fait precipiter et les exotiques Una Musiqua et Gran Chacona), ont enchanté les cours d'Henri IV et Louis XIII. Etienne Moulinié (1599-1676) (Concert de différents Oyseaux, L'humaine Comédie) a fait de même à la cour de Gaston d'Orléans, frère de Louis XIII.
Ces quatre albums ainsi que plusieurs enregistrements anciens sont repris dans un coffret de 20 CD, édité en 2019 au prix fort démocratique de 40 euros (Vérifiez si les morceaux qui vous intéressent en font partie).
Le mot de la fin sera pour Vincent Dumestre qui joue de la guitare baroque et du théorbe comme Cristina Pluhar, sa collègue d'Arpeggiata. Il a enregistré des pièces de Robert de Visée sur un CD paru chez Alpha, dont la fameuse chaconne (Plage 12).