On ne peut pas vraiment dire que Gabriel Pierné (1863-1937) soit tombé dans un oubli profond, cependant il est plutôt rare qu'on entende sa musique, du moins au concert. Il fait partie de ces artistes régulièrement cités en termes élogieux mais qu'au bilan, on programme rarement. Sa discographie est honorablement fournie mais seuls les curieux en savent quelque chose.
En son temps, ce transfuge d'une Alsace-Lorraine occupée, impressionna ses professeurs du Conservatoire de Paris, remportant, à 19 ans, un Deuxième Premier (sic) Grand Prix de Rome derrière le très oublié, Georges Marty (1860-1908). Elève de César Franck et d'Edouard Massenet, il en adopta le langage, à ses débuts, sans chercher à innover à tout prix. C'est sans doute une des raisons pour lesquelles les musicologues ne s'attardent pas outre mesure sur sa production musicale. Ils préfèrent insister sur sa direction des fameux "Concerts Colonne", entre 1910 et 1934, au service de musiques plus aventureuses que la sienne (Debussy, Ravel, Roussel, Milhaud, ...). Il fut également chef attitré des Ballets russes de Diaghilev. Cette double activité (plus de 48 concerts par an), jointe à une position d'organiste à Sainte Clotilde et à des charges d'enseignement, ne lui laissèrent quasiment que les mois d'été pour composer. Le catalogue de ses oeuvres couvre cependant les genres essentiels.
Pierné a peu écrit pour l'orchestre malgré des dons évidents d'orchestrateurs. Il n'est en particulier l'auteur d'aucune symphonie. Son oeuvre la plus célèbre, l'une des rares a avoir connu une notoriété posthume, est l'un de ses 9 ballets, l'adorable Cydalise et le Chèvre-pied.
La firme Hyperion a fort opportunément enregistré son unique Concerto pour piano, qui regarde avec bonheur dans la direction de Camille Saint-Saëns (Anthologie du concerto romantique, Volume 34). Ce CD propose quelques compléments de choix, de la ravissante Fantaisie-Ballet, opus 6, au franckiste Poème Symphonique, opus 37. L'interprétation de Stephen Coombs est excellente et la gravure impeccable comme c'est l'habitude dans cette série qui dépasse actuellement les 50 numéros.
Deux doubles CD (Volume 1 & Volume 2) sont parus chez Timpani reprenant l'essentiel de la musique de chambre du compositeur. Deux oeuvres très développées émergent de cet ensemble : le Trio à clavier , opus 45, et le Quintette à clavier, opus 41. Si leur sérieux vous rebute, essayez la fantasque Sonate pour violon & piano, opus 36. On trouve dans ces albums quantité d'autres pages moins ambitieuses mais pleines de charme, telle Expansion , pour violoncelle & piano, opus 21, ou Fantaisie-Impromptu pour violon & piano, opus 4. D'autres oeuvres s'essayent à des formations plus exotiques (et, à certains égards, typiques d'une certaine musique française, Debussy, Poulenc, ...), telles ces Variations libres & Final pour flûte, harpe et trio à cordes, opus 51.
Le pluriel est intentionnel car Pierné fut autant organiste que pianiste virtuose. C'est d'ailleurs lui qui succéda à Franck aux orgues de Sainte Clotilde, y déployant les mêmes talents d'improvisateur. Voici un Prélude en sol mineur, interprété par Thomas Rothfuss. Si vous aimez cette belle pièce, n'hésitez pas à l'écouter dans d'autres interprétations (2, 3, 4, 5, 6) : à l'orgue, rien n'est jamais pareil tant l'instrument s'avère aussi important que l'organiste ! Pierné a écrit pour le piano à toutes les époques de sa vie. Un CD Marc Polo propose un florilège d'oeuvres courtes et légères, telles qu'il les écrivait avant 1915. L'écriture de Pierné devint ensuite plus ambitieuse, culminant avec ces trois chefs-d'oeuvre que sont les Variations en ut mineur (1919), la Grand Passacaille (1932) et les 6 Pièces, datées de 1935. Un CD vraiment chiche (27 minutes !), édité par Pianovox, propose les Variations sous les doigts de Jean-Paul Sevilla. Voici l'énoncé du thème de départ, puis la 2èmevariation .
Bien que peu concerné par les problèmes de la foi, Pierné a entretenu l'héritage franckiste en écrivant quelques pages importantes, d'inspiration religieuse. Un CD Timpani propose trois belles partitions pour choeur et orchestre : L'An Mil, Les Cathédrales et Trois Paysages franciscains. Dans cette dernière oeuvre, Pierné se montre à l'écoute des meilleures pages de Claude Debussy.
Trois grandes fresques ont pour nom : La Croisade des enfants (1905), Des Enfants à Bethléem (1907) et Saint-François d'Assise (1912). A ma connaissance, seule la deuxième oeuvre citée a fait l'objet d'un enregistrement, paru chez Erato. On pourrait craindre a priori qu'une oeuvre écrite pour récitant, choeur d'enfants, soli et orchestre tombe dans le piège d'une naïveté trop souvent typique des musiques de Noël mais il n'en est absolument rien et la surprise est réelle de découvrir des pages d'une grande fraîcheur, dépourvues de mièvrerie. De plus, ce qui ne gâte rien, l'enregistrement est de qualité. Voici un fondu-enchaîné réalisé à partir des plages 2 & 7.
La mélodie française est un genre qui convenait au talent volontiers intimiste de Pierné. Il suffit, pour s'en convaincre, d'écouter cette ravissante mélodie, extraite des Trois Chansons, interprétée par Sandrine Piau. Il fut nettement moins heureux avec ses 9 opéras, tombés dans un oubli sans doute irrémédiable au regard de leur relative inconsistance. Seul Sophie Arnould a été enregistré, qui conte un peu de la vie d'une des grandes sopranos françaises (1740-1802) de l'époque Louis XVI.
Gabriel Pierné était un homme charmant, unanimement apprécié de ses contemporains. Sa musique, complètement à l'écart des révolutions stylistiques en pleine élaboration à cette époque, a souffert de sa frilosité pourtant parfaitement assumée. Aujourd'hui, nous faisons mieux la part des choses et le moment est venu de réécouter une oeuvre qui ne demande qu'à revivre.