Faits divers

Courrier des lecteurs. Georges Kan communique :
L'histoire cryptée des Sonates opus 54 & 57 de Beethoven

NDLR : physinfo ouvre occasionnellement ses colonnes à tout lecteur désireux d'apporter une contribution significative à l'analyse musicale ou un commentaire constructif concernant les thèmes généralement abordés sur ce site. Tout exposé n'engage que son auteur, dans le respect des règles en usage. Cette chronique présente le résultat des recherches entreprises par le musicologue Georges Kan à propos des Sonates n°22 (opus 54) et n°23 (opus 57), de Beethoven.

Présentation

L’opus 54 de Ludwig van Beethoven serait-il une contribution secrète à la Révolution Française ? C’est ce que tente de démontrer le musicologue Georges Kan dans ce dossier. Selon lui, pour composer cette sonate, Beethoven se serait particulièrement bien renseigné, autant sur la fin de Louis XVI que sur la réalité du champ de bataille à Valmy. Les nombreux indices et jeux de mots en français pointent naturellement la personnalité de Jean-Baptiste Bernadotte avec lequel Beethoven a été en contact à l’Ambassade de France, à Vienne, en 1798, avant d’entamer les esquisses de sa Troisième Symphonie, contemporaine de l’opus 54. Par ailleurs, le fait que la sonate ne comporte aucune indication de pédale (senza sord. ou Ped.), tend à renforcer l’idée d’une œuvre antérieure à l’opus 26 et composée avant 1800, sur un piano viennois de type Hammerflügel à genouillères (Walter ou Streicher).

Sonate n°22, opus 54
Sonate n°22, opus 54

La Sonate pour piano n°22 de Ludwig van Beethoven serait donc la représentation musicale de la Fuite de Varennes (1791) et de la Bataille de Valmy (1792). Sur la couverture de la première édition (A Vienne, au Bureau des arts et d’industrie) on peut lire l'inscription, LI me SONATE. La typographie utilisée (un gras renforcé) crée l’illusion d’un "LI" gravé dans le marbre. Il ne peut s’agir de la 51ème Sonate car Beethoven, d’une part n’en a composé que 32 en tout et que, d’autre part, s’il numérote effectivement ses œuvres (op. 54 en l’occurrence), il ne comptabilise jamais sa production par genre. "LI" serait une double référence cachée à Louis XVI et à Valmy : le produit de X et V ajouté au I donne LI, et les lettres VY entrelacées créent un V barré (ancêtre du L) et un I. Cette conjecture soulève une question subsidiaire, relative à la Sonate n°23 (Appassionata), opus 57, parue chez le même éditeur; afin de ne pas alourdir l'exposé, son examen est différé en fin de chronique.

Concise, la Sonate n°22 est composée de deux mouvements dont voici les titres, accompagnés de propositions métronomiques (MM = Maelzel's metronome oscillations) :

  • 1. In Tempo d'un Menuetto (sic) (40 MM la mesure)
  • 2. Allegretto (60 MM la mesure) - piu allegro (80 MM la mesure)

A noter dans la première partie, mesures 3 et 7 à la main gauche, la citation des 6 croches du Menuet d’Exaudet (fa-la-do-la-si-sol-fa) sous lesquelles venaient se placer les paroles révolutionnaires Imagine, un beau matin dans la Parodie "Sur l’inimitable machine du médecin Guillotin propre à couper les têtes et dite de son nom Guillotine". Le jeu de mots du titre In Tempo d'un Menuet tô(t), confirme que la Guillotine, objet de cette parodie très populaire pendant la Révolution française, est bien le sujet central de cette Sonate de Beethoven. En voici le premier couplet :

Guillotin,
Médecin,
Politique,
Imagine, un beau matin
Que prendre est inhumain
Et peu patriotique.
Et sa main
Fait soudain
Une machine
Humainement qui tuera, ...

Description

Sonate Op. 54 (1er mouvement)

Interrompu par de rudes triolets en octaves, le Menuet se déploie en séquences AAA’A’ plutôt sombres, quoique le deuxième A’ développe une ornementation féminine (gruppettos au lieu de simples trilles) tirant progressivement vers l’aigu.

Aux troisièmes et septièmes mesures du A , la main gauche donne les 6 croches du Menuet d’Exaudet jouées fausses avec un fa bécarre et un si bémol, une sorte d’imitation braillarde d’une voix du peuple grâce au sf décalé sur la 3e croche.

Les premières et troisièmes mesures du A’ utilisent quant à elles sur les notes mi et fa un procédé harmonique, le retard, participant du caractère sombre du mouvement; dans La Fuite de Varennes, le retard du convoi royal est un élément-clé de l’interception du Roi.

L’ambiance des Sans-culottes est assurée par l’apparition brutale des triolets du B dont les sforzando génèrent un thème d'allure révolutionnaire réutilisé en mode rétrograde dans le Finale de la Neuvième Symphonie, mes. 822-824, sur les paroles was die Mode streng geteilt (traduction : "Ce que, sévèrement, les modes divisaient") de l'Ode à la Joie. D’ailleurs, la main gauche n’est pas sans rappeler, mes. 26-27 et 40-41, l’hymne lui-même ou sa variation ternaire dans la 9ème Symphonie (mes. 656) .

Le plus stupéfiant dans ce mouvement reste que deux fois, mes. 38 et 54, la chaîne dansante de triolets s’interrompt brutalement sur trois notes reprises dans le grave, après une série d’accents dans l’aigu illustrant une forme de bousculade. Il s’agirait de la première description sonore connue d’une exécution publique, le supplicié marchant env. 20 minutes de la charrette à la guillotine (40 et 46 triolets respectivement). Le triolet conclusif, fait d’une tierce diminuée descendante suivie d’une seconde mineure ascendante, se répète ensuite comme une obsession avant le retour du A .

La reprise du Menuet, replaçant l’auditeur dans l’ambiance feutrée du Palais des Tuileries, voit se développer dans le A’ (mes. 88) une variation en contretemps paniqués , imitant les soupirs féminins alors que le A reste quasiment inchangé. Se dessine une séquence psychologique entre Louis XVI et Marie-Antoinette. La conclusion du thème B (triolets de la Guillotine) sera détournée cette fois vers une cadence résolue et déterminée qui signe la décision de partir de Paris. A la troisième apparition du Menuet, c’est le prolongement du thème orné du A’ (les soupirs de la Reine) qui amorce mes. 26 le début d’une échappée en croches pointées - doubles caricaturant l’allure bon-enfant du convoi et laissant sous-entendre par ailleurs que la Fuite de Varennes serait finalement une volonté de Marie-Antoinette.

La cadence (mes. 132) imite l’envol et le chant d’un oiseau (Flucht en allemand = "fuite" mais aussi "vol") bien vite stoppé par un trille mezzo voce fielleux suivi d’une injonction vers le grave notée Adagio aboutissant sur quatre double-croches hésitantes (les pas penauds du Roi remontant dans sa voiture). La toute dernière variation du Menuet, superposée à un accompagnement martial de triolets, referme le premier mouvement de cette Sonate .

Sonate Op. 54 (2ème mouvement)

"J’étais en plein dans la région où jouaient les boulets envoyés par l’ennemi. Le bruit est assez étrange, on le dirait composé du bourdonnement de la toupie, du clapotage de l’eau et du sifflement de l’oiseau."
Goethe, Campagne de France, trad. Porchat.

L'Allegretto décrit le champ de bataille de loin (mes. 1-36), de près (mes. 37-44), la charge (mes. 45-64), le grondement de la canonnade [peut-être les explosions des deux chariots de munitions français] (mes. 65-74), le sifflement des boulets de canon (avec l’effet Doppler, soit un chromatisme de 3 notes vers le grave - mes. 33, 36, 64, 126, 129), la clameur (mes. 115), les cris révolutionnaires (motif plus lent du triolet du 1er mouvement) et l’issue victorieuse (piu Allegro). Les deux dernières croches, comme deux rebonds vers le grave, évoquent peut-être la décapitation de Louis XVI, procédé repris par Hector Berlioz dans sa Symphonie fantastique (toute fin de la Quatrième Partie : Marche au supplice).

Modes de jeu

Jeu à contretemps

Le perpetuum mobile en double-croches du 2ème mouvement est basé sur un thème composé d’une gamme montante brisée en sixtes alternées offrant un motif aigu différent du grave si l’on joue à contretemps.

Beethoven, Sonate opus 54, Allegretto, mes. 1-5
Allegretto, mes. 1-5

Pour retrouver la ligne mélodique, on peut s’aider des relais entre m.g. et m.d., par exemple mes. 3, où le premier la doit être légèrement accentué pour consolider la répétition du suivant, juste après, à la m.d.

De cet impératif technique découle que les 2 premières mesures sont jouées à contretemps ainsi que les mes. 5-6, 9-10 et 13-16. Les sf placés trop à droite dans la première édition ne concernent pas la note tenue, mais la précédente, soit le la m.g. mes. 3, et le fa m.d. mes. 5. Ainsi, il est possible de rechercher une "orchestration" du mouvement qui correspondra peu ou prou au jeu des pouces .

Dynamiques

A noter, l’utilisation du cresc. en dynamique locale [lire] :

  • Mes. 11, le cresc., s’applique au sol m.g., renforcé avant de conduire au la-sol-fa-mi de la m.d à la mesure suivante.
  • Mes. 17, le cresc., s’applique au do m.g. en double-croche, ce qui donne deux gammes descendantes avec un accent sur le début de la première (effet d’artillerie avec le décalage vers le grave, connu depuis sous le nom d’effet Doppler).
  • Mes. 19, le decresc. explicitement pour le 2ème temps de double-croches à la m.g. : dynamique de précaution, decresc. = senza cresc. Ceci confirme que le cresc. mes. 17 est pour la m.g.

Ornementation

Dans l’Allegretto deux trilles seulement, l’un dans la 2ème volta de la mes. 20, l’autre aux mes. 160-161, deux roulements de tambour notés cresc. sur l’amorce (une sorte d’accent). Celui de la mes. 20, particulièrement court et dru, amorcé sur la note supérieure dans un contexte p dolce, donne l’illusion d’un roulement de tambour entendu de loin. Celui-là autant que les deux autres interviennent avant la relance de l’ostinato.

Les bruits de la guerre

L'effet Doppler des boulets de canon

Beethoven, Sonate opus 54, Allegretto, mes. 34-37
Allegretto, mes. 34-37

En poursuivant naturellement le jeu à contretemps de la mes. 33 à la m.g., et en mettant en relief les trois si bémol mes 34-35, la conclusion mes. 36 sonne comme un dérapage rapide de trois notes en chromatisme vers le grave .

Mes. 37, fin du jeu dolce, description puissante du champ de bataille .

La canonnade

Beethoven, Sonate opus 54, Allegretto, mes. 65-67
Allegretto, mes. 65-67

Les ff sont des dynamiques locales pour l’équivalent des 2 premières doubles croches. A noter l’effet d’écho mes 66 et 68, ainsi que les explosions en chaîne mes. 69-73 .

Les plaintes des blessés

Jouées à contretemps, les mesures 89 à 95 donnent à entendre un ostinato dans l’aigu particulièrement émouvant, le tout sur un puissant cycle de quintes. Le jeu de mots autour des "quintes" (les râles des agonisants) ne peut venir que d’un français ayant vécu le champ de bataille .

L'église de Valmy

Mesures 99, 101 et 103, trois accents Mi 2 (sonnent Ré 2 ou Do dièse 2) toutes les 2 secondes; cinq secondes plus tard, mes. 108, 110 et 111 (cresc. pour la dernière double croche de la mes. 111), trois accents Mi 3 (sonnent Ré 3 ou Do dièse 3 selon diapason).

Ceci est la signature sonore de l’Angélus. Il ne peut s’agir que d’une église catholique donc française. Pour rappel, les témoignages rapportent qu’à l’Angélus du matin commencèrent les combats (après dissipation du brouillard) et que la victoire survint avec le soulèvement héroïque des troupes révolutionnaires à court de munition, le soir à 7 heures .

Voici, en guise d'illustrations, quelques interprétations de la Sonate pour piano n°22 de Ludwig van Beethoven :

Le cas de la Sonate n°23

Sonate n°22, opus 54
Sonate n°23, opus 57

L'histoire ne s'arrête pas là : "Napoléon à la bataille de Rivoli" serait, d’après Georges Kan, le sujet de la Sonate n°23, opus 57, du même Beethoven.

Un premier problème est le suivant : la couverture de l'édition originale de cette oeuvre (chez le même éditeur) fait état d'une inscription énigmatique en tous points analogue à celle qui figure sur la couverture de la sonate n°22. La seule différence significative est le remplacement de la mention LI me SONATE par LIV me SONATE. Aucune autre oeuvre de Beethoven publiée au Bureau des arts et d’industrie ne comporte de mention similaire.

La première idée qui vient à l'esprit a été développée par Barry Cooper, dans "The Creation of Beethoven’s 35 Piano Sonatas" (Cooper incorpore au corpus habituel des 32 sonates, les 3 sonates d'extrême jeunesse, dites "A l'Electeur"). Il y cite Hans-Werner Küthen selon qui les inscriptions "LI me" et "LIV me" renvoient aux 51ème et 54ème sonates réellement publiées par le Bureau des arts et d’industrie tous auteurs confondus. Pour que cette interprétation tienne la route, il faudrait admettre que cet éditeur n'ait publié aucune sonate entre avril 1806 et février 1807 (dates de parution des opus 54 et 57). Déjà cela pose question et d'autre part, serait-il vraisemblable que Beethoven subisse par deux fois l’annonce d’une information qui ne relève en rien de son propre catalogue, lui qui maîtrisait les publications dans leur moindre détail ?

Une autre interprétation est envisageable : Beethoven aurait manipulé son éditeur en lui demandant de publier au moment opportun ses opus 54 et 57 sous les intitulés de LI et LIV sans révéler ses intentions subversives. En d'autres termes, Beethoven aurait cherché à retarder ces deux publications pour pouvoir les placer comme "LI me" et "LIV me" dans le catalogue de son éditeur et brouiller ainsi la lecture des titres respectifs, à savoir "La Révolution" pour l’opus 54 (LI faisant référence autant à la fin de Louis XVI qu’à Valmy), et "Napoléon à Rivoli" pour l’opus 57 (LIV décomposé en LI et [An] V).

La Sonate n°23, surnommée "Appassionata", est composée de trois mouvements :

  • Le premier, Allegro assai, dépeint la colère de Napoléon Bonaparte : bloqué à Mantoue, il risque maintenant la défaite face aux Autrichiens du Général Alvinzy. Le thème tantôt martial, tantôt impérial, ponctué de 4 croches dans le grave (reprises dans la Symphonie n° 5), est interrompu par des accords colériques.
  • Le deuxième mouvement, Andante con moto, décrit l’attente. Le thème varié change progressivement d’éclairage : nocturne dans la 1ère variation, aux aurores à la 2ème, puis plein soleil dans la suivante avant une conclusion résignée.
  • Le troisième mouvement, Allegro ma non troppo, annonce l’arrivée des renforts. Allégresse, vaillance et détermination ponctuent ce mouvement qui se clôt sur une tarentelle endiablée.