On n'arrête pas la science. Il paraît que, grâce aux progrès de l'hygiène et de la médecine, nous gagnons 3 mois d'espérance de vie chaque année. Gageons que cela n'est que provisoire sinon cela signifierait qu'il n'y aurait aucune limite à notre longévité. Il n'empêche, 25%, c'est impressionnant : même à la Caisse d'Epargne, on n'a jamais vu cela !
Réjouissons-nous donc ... quoique le bénéfice est mince si le but est de concentrer, dans des hospices, des bataillons de vieillards atteints de démence sénile.
A propos ... : il ressortirait d'études très sérieuses que la musique pourrait s'avérer une alliée précieuse en ce domaine. Toutes les observations vont dans le même sens : pour rester lucide, rien ne vaut de faire de la musique. La pratique domestique de cet art se perdant, espérons - qu'à défaut - l'écoute suffise !
On connaît, depuis toujours, des musiciens ayant maintenu une activité professionnelle bien au-delà des normes. Les pianistes sont apparemment privilégiés, au point qu'ils devraient pouvoir négocier une réduction de cotisation pour leur assurance-décès, jugez plutôt :
Quelques compositeurs ne sont pas demeurés en reste et cela n'a pas manqué d'impressionner deux générations de mélomanes. Les deux exemples les plus célèbres sont :
Ces exemples commençant à dater et il y a lieu de se demander si, dans ce domaine, on a également progressé de trois mois par an, ce qui nous mènerait vers … 95 ans. Quelques créations récentes tendent à démontrer que cela pourrait - effectivement - être le cas.
Les années 2012-2013 ont enregistré la disparition de deux compositeurs ayant fait preuve d'une longévité créative exceptionnelle :
Depuis la disparition d'Olivier Messiaen (1908-1992), Henri Dutilleux (1916-2013) était le musicien français le plus en vue. Si son nom n'a émergé qu'avec difficulté, c'est que l'homme a souffert des querelles intestines (post)sérielles qui ont ravagé la France, au lendemain de la guerre 39-45. Aujourd'hui qu'elles s'éteignent, faute de combattants, le paysage musical français redessine ses contours et le nom de Dutilleux peut enfin briller, comme il le mérite, grâce à un catalogue convaincant d'œuvres écrites à l'abri des modes éphémères. Tout un Monde lointain (1970) résume son credo artistique : c'est un concerto pour violoncelle commandé par Mstislav Rostropovitch, que Truls Mork joue ici avec passion (L'interprétation commence effectivement après 2' 50").
On vient de créer la version complète et définitive de sa dernière œuvre en date, Le Temps de l'Horloge, alors que le compositeur affichait fièrement ses 93 ans. L'œuvre, écrite pour la soprano Renée Flemming et le chef Seiji Ozawa, devait être prête pour sa création nippone en 2007 mais la dernière des quatre mélodies n'était pas terminée. C'est désormais chose faite et l'œuvre définitive a été entendue au Théâtre des Champs Elysées, en mai 2009. Voici d'autres partitions, composées à un âge (à peine) moins avancé :
Elliott Carter (1908-2012) mériterait assurément de figurer au Guiness Book. Rien que sa dernière décennie a vu la création d'une bonne demi-douzaine d'œuvres de chambre, d'une douzaine d'œuvres orchestrales (dont cinq concertos !), une douzaine d'œuvres pour instrument solo et la moitié d'œuvres vocales !
Sa dernière grande œuvre en date, "Interventions for Piano and Orchestra", a été créée en décembre 2008 par deux interprètes illustres, Daniel Barenboim au piano et James Levine à la direction du Boston Symphony Orchestra.
L'Aldeburgh Festival a également commémoré le centenaire du compositeur en créant, en juin 2009, son cycle vocal, "On Conversing with Paradise", sous la direction d'Oliver Knussen.
Le succès fut au rendez-vous lors de ces deux concerts mais qui a-t-on applaudi : la musique ou l'homme, resté fidèle à ses convictions esthétiques ? Un centième anniversaire - fêté en présence de l'intéressé - n'est pas exactement le lieu d'une critique objective et le fait est que les commentaires dithyrambiques des chroniqueurs doivent être pris avec précaution.
Carter a suffisamment vécu pour épouser plus d'un style mais le fait est que s'il a démarré dans la mouvance d'Aaron Copland (1900-1990), il a consacré la majeure partie de sa production à une musique ostensiblement sérielle.
Notez que si A Symphony of Three Orchestras (1977) ou le Concerto pour Hautbois (1987) apparaissent comme des oeuvres relativement abordables (enfin, tout est relatif !), Enchanted Prelude pour flûte et violoncelle (1988) l'est déjà nettement moins. Vu son titre, je trouve même qu'il y a tromperie. Notez que la vidéo proposée du Concerto pour Hautbois a été enregistrée lors d'un concert des Prom's, c'est dire si le public insulaire est déluré !
On dit qu'avec le temps, Carter s'est assagi et, de fait, "Interventions" présente ces instants de respiration musicale qui faisait cruellement défaut à beaucoup d'œuvres antérieures. Mosaic est une autre oeuvre récente (2004), pour harpe et ensemble
Pour d'autres références, reportez-vous au site jpc mais ne vous étonnez pas d'y trouver beaucoup d'œuvres difficiles, pour ne pas dire rébarbatives. Faut-il en conclure qu'il en va des nourritures musicales comme des nourritures terrestres : pour vivre vieux, rien ne vaut un régime spartiate ? Pour confirmer cette hypothèse, on attendra de voir jusqu'à quel âge vivra Pierre Boulez (1925- ), l'alter ego européen d'Elliott Carter.
Il y a bien sûr d'autres musiciens bien moins connus (même des experts!) qui ont vécu jusqu'à un âge respectable.
Un autre record est détenu par Leo Ornstein (1893-2002), dont la huitième et dernière sonate date de 1990 ! Le site qui lui est consacré propose plusieurs oeuvres à l'écoute. Faites également le détour par ce CD, paru chez New Albion, proposant les Fantasiestück, datés de 1960.
Kurt Schwaen (1909-2007) vient de se voir consacrer un très beau CD (paru chez Kreuzberg) que je recommande vivement. Toutes les pièces pour cordes qu'il contient ont été écrites entre 1985 et 2002. Commencez votre écoute par le bondissant "Jeu parti" et poursuivez votre promenade en parcourant 25 plages d'une musique heureuse qui ne se prend pas la tête. Elle soulèvera, sans doute, l'ire des critiques incapables de comprendre qu'on puisse encore écrire aujourd'hui une musique "qui plaît", ... comme au bon vieux temps. Admirons plutôt l'alerte longévité de cet artiste trop tôt disparu.