Tour du monde

Lituanie

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Les paresseux, j'en suis, adorent qu'on fasse le travail à leur place.  Précisément, l'association des compositeurs lituaniens fait bien les choses : son émanation, le LMIPC (Lithuanian Music Information and Publishing Centre) tient à jour un site web particulièrement remarquable, qui propose une documentation détaillée sur les musiciens nationaux de toutes tendances (classique, jazz, folk & pop), illustrations sonores à l'appui. Ah si tous les pays pouvaient en faire autant !

Vous pensez peut-être que son mérite est mince et que le tour de la musique lituanienne est vite fait.  Eh bien détrompez-vous : aucune chronique ne s'annonçait plus facile à écrire et, au bilan, ne m'a donné relativement plus de fil à retordre. 

La faute en incombe au catalogue d'œuvres que propose le LMIPC, digne en tous points de celui de la Redoute (si celui-ci existe encore !).   Je me suis, dès lors, vu contraint de faire un tri, subjectif sans doute, parmi tant de musiques inconnues.  Rien ne vous dispense de le refaire pour votre propre compte mais si vous manquez de temps, voici ce que je vous propose.   Chaque nom de compositeur renvoie au lien approprié et vous pouvez écouter les œuvres proposées. On le voit, la politique de diffusion musicale est très libérale en Lituanie à l'opposé de ce qui se pratique en Lettonie, un voisin cependant.

Grande comme deux fois la Belgique, la Lituanie (avec ou sans "h") est trois fois moins peuplée.  Il est vrai qu'elle détient le triste record du monde du nombre de suicides par habitant.  Par contre, son taux de musiciens est remarquablement élevé d'où je confirme, en saine logique, que la musique est un puissant antidépresseur. Qui plus est, la Lituanie détient un autre record, nettement plus réjouissant celui-là, celui du plus grand nombre de compositrices par habitant.  J'espère que vous les identifierez facilement car les prénoms lituaniens sont intraduisibles.

Un brin d'histoire (musicale)

Le Grand-Duché de Lithuanie ("h" obligatoire à cette époque) fut fondé en 1236 dans la zone d'influence de la catholique Pologne.  Coincée entre de grands voisins, elle n'a  pas cessé d'être ballottée à chaque fois qu'une guerre se déclarait ou se terminait.  Les dernières tribulations sont récentes puisque la Lituanie ne s'est définitivement affranchie du joug russe qu'en 1991.  Ce pays n'a développé un art musical savant que très tardivement.

"Sonate" de Ciurlionis
"Sonate" de Ciurlionis

Il a fallu, de fait, attendre la fin du 19ème siècle pour qu'apparaisse Mikalojus Konstantinas Ciurlionis (1875-1911).  Ciurlionis était un artiste polyvalent, à la fois peintre et musicien, une association de talents plutôt rare (Arnold Schönberg (1874-1951), très doué, était également dans ce cas mais il n'a peint que pendant un temps limité).  L'œuvre complète pour le piano de Ciurlionis a été enregistrée par son petit-fils Rokas Zubovas et elle est disponible en CD.  La pianiste lituanienne, Mûza Rubackyté, s'est naturellement également investie dans ce répertoire.

Le titre de "Père de la musique lituanienne" ne lui est généralement pas contesté même par son aîné, Ceslovas Sasnauskas (1867-1916), qui a surtout vécu à Saint-Pétersbourg et n'a guère écrit que de la musique vocale (Ecoutez le bel extrait proposé de son Requiem). 

La Lituanie a obtenu une première indépendance de la Russie en 1918 mais elle n'a duré que 22 ans : en 1940, est fut réabsorbée par l'URSS.  Les musiciens n'en ont pas vraiment profité; Juozas Gruodis (1884-1948) et Vladas Jakubėnas (1904-1976) me paraissent les auteurs les plus valeureux dans le genre. 

On fait habituellement plus de cas, à la même époque, de Vytautas Bacevičius (1905-1970), le frère de Grażyna Bacewicz (1909-1969) dont je vous ai chanté les louanges lors d'un précédent voyage en Pologne (Je n'ai jamais à comprendre par quelle subtilité tous deux s'étaient retrouvés de nationalité différente).  Cela dit, l'expressionnisme du frère me semble bien périmé en comparaison du modernisme de sa jeune soeur.   A tout prendre, je préfère encore Jeronimas Kacinskas (1907-2005) et sa technique en quarts de ton, apprise, à Prague, chez Aloïs Haba (1893-1973). 

Le retour de la Lituanie dans la sphère soviétique a enclenché toutes les tracasseries propres au régime stalinien.  On rappelle qu'en URSS, tout musicien qui écrit une musique un tant soit peu moderne est immédiatement taxé de "formalisme" et écarté des circuits de la diffusion quand ce n'est pas pire.  Cela pouvait aller très loin dans l'arbitraire : Jonas Nabažas (1907-2002) - encore un élève de Nadia Boulanger à Paris ! - fut réprimandé et pourtant il n'écrivait pas une musique franchement moderne !

La modernité à la sauce balte

Les compositeurs lituaniens n'ont, au bilan, guère été tentés par des actes de résistance comparables à ceux qu'on a connu en Russie. L'éloignement de la Lituanie par rapport à Moscou et la proximité géographique avec la Pologne aurait pourtant pu faciliter une certaine émancipation musicale.  Les musiciens lituaniens ont certainement eu l'occasion d'entendre ce qui se jouait au festival "Automne de Varsovie" dès sa création en 1956 et ils auraient pu en prendre de la graine, au moins en cachette. 

Toutefois, il n'est guère dans la nature des musiciens baltes d'adhérer sans réserve à des courants extrêmes.  Imprégnés de culture populaire où la tradition du chant choral est omniprésente, ils restent généralement attachés à une forme d'expression sensible.  Ecoutez les musiques d'Eduardas Balsys (1919-1984) ou de Julius Juzeliūnas (1916-2001), encore  empreintes de classicisme. 

Même Vytautas Barkauskas (1931- ) qui s'était mis à l'écoute des Krzysztof Penderecki (1933-2020), Witold Lutoslawski (1913-1994) et György Ligeti (1923-2006), est vite revenu à une modernité beaucoup plus sage, comme dans la "Partita" ou le "Concerto pour violon et alto", interprété par Gidon Kremer et Yuri Bashmet. 

Au plan esthétique, les musiciens lituaniens ont préféré rechercher de nouvelles textures instrumentales inventées pour des  ensembles de dimension réduite.  Au plan stylistique, beaucoup de musiciens ont adopté un style néo-romantique ou ont subi l'influence des minimalistes américains ou encore de la nouvelles simplicité chère à l'estonien Arvo Pärt (1935- ), tel Bronius Kutavičius (1932- ) est un précurseur du courant minimaliste lituanien.  "Gates of Jerusalem" montre qu'il ne s'est cependant pas cantonné dans ce registre, ressuscitant d'anciennes cérémonies rituelles auxquelles il emprunte la pulsation rythmique obsédante et hypnotique. Ecoutez encore Last Pagan Rites.

La musique composée par Feliksas Bajoras (1934- ), empreinte de formules populaires réinventées, devrait plaire à un vaste auditoire, un bel exemple de "son balte".

Osvaldas Balakauskas (1937- ) est un musicien attachant qui s'est construit une méthode compositionnelle introduisant un gène tonal au sein d'une écriture qui ne cherche pas particulièrement à l'être. Le résultat est probant et plaisant. 

N'hésitez pas à écouter les œuvres proposées des musiciens suivants, il serait étonnant que vous n'y trouviez pas votre bonheur : Vytautas Montvila (1935-2003), Antanas Rekašius (1928-2003), Jurgis Juozapaitis (1936- ), Anatolijus Šenderovas (1945- ), Algirdas Martinaitis (1950- ), Jūratė Baltramiejūnaitė (1952- ) et Dalia Kairaitytė (1953- ).

Mindaugas Urbaitis (1952- ), autre adepte du minimalisme, y a injecté une dose de lyrisme clairement reconnaissable dans les extraits présentés.  Der Fall Wagner est typique de son écriture la plus récente qui procède à une sorte de recyclage de musiques connues.

Vidmantas Bartulis (1954- ) brouille volontiers les pistes en proposant à ses auditeurs des oeuvres aux esthétiques très diverses, telles "I like Marlene Dietrich", "I like Schubert" ou encore le remarquable Bolero Pavana Lacrimae.

On réservera une mention spéciale à Onuté Narbutaité (1956- ) dont on découvre l'oeuvre avec intérêt (Monogramme, Symphonie n°1, Symphonie n°2, Quatuor n°2). A écouter, sans faute !

Mentionnons encore, en vrac,

Arvydas Malcys (1957- ), Loreta Narvilaitė (1965- ), Zita Bružaitė (1966- ), Antanas Kučinskas (1968- ), Linas Balčiūnas (1973- ) et Žibuoklė Martinaitytė (1973- ).

Le groupe des "Machinistes" représente une faction nettement plus moderne, pratiquant un motorisme hérité du minimalisme orienté rythme.  Il comprend, entre autres : Ričardas Kabelis (1957- ), Gintaras Sodeika (1961- ) et Rytis Mažulis' (1961- ).  Ce dernier n'hésite pas à introduire toutes sortes de procédés tels des micro intervalles ou des canons exposés à plusieurs tempi distincts.

Šarūnas Nakas (1962- ) est sans doute le moins accessible de tous quoique vous devriez trouver un certain plaisir à l'écoute de Chronon.  Vous apprécierez à tout le moins la performance, hors du commun.

Vynkitas Baltakas (1972- ) est un cas plutôt isolé d'un musicien moderne, au sens occidental du terme.  Il est vrai qu'il fut élève de Wolfgang Rihm et Peter Eötvös.

La nouvelle génération n'est pas moins intéressante, comptant dans ses rangs des musiciens aussi prometteurs que : Marius Baranauskas (1978- ), Justė Janulytė (1982- ),  Raminta Šerkšnytė (1975- ) et Gediminas Gelgotas (1986- ) (Never ignore cosmic Ocean).

La tradition chorale balte est inscrite au patrimoine immatériel de l'humanité.  Les chœurs de Vilnius sont célèbres, en particulier le chœur d'hommes Azuoliukas, issu de la maîtrise pour garçons du même nom.  Chaque année un grand rassemblement choral se déroule dans cette capitale qui rassemble plus de 25000 chanteurs !  On comprend, à présent, que Vilnius ait été choisie capitale européenne de la culture en 2009.