Tour du monde

Lettonie

Lettonie
Lettonie

Nous terminons notre périple dans les petits états baltes par la Lettonie, bordée - le saviez-vous ? - au nord par l'Estonie et au sud par la Lituanie.

L'instrument national letton est la voix.  Les lettons chantent comme d'autres font du jogging ou du patin.  Ils chantent plus que n'importe quel autre peuple au monde, même les estoniens ne font pas aussi bien.  Tous les 5 ans, la capitale, Riga, accueille un rassemblement de plus de 15000 chanteurs qui célèbrent - en chœurs ! - leur patrimoine folklorique (Latvia Song & Dance Festival, créé en 1873). En 2008, 18000 chanteurs répartis en près de 400 chorales et 50 ensembles vocaux ont enthousiasmé 250000 auditeurs, l'équivalent du tiers de la population de la ville ! 

Je ne pouvais décemment pas vous priver du bel exemple de jeunes filles en fleurs chantant à l'unisson un hymne certes naïf mais entraînant et plein de foi en l'avenir.  Si cela vous a plu, rendez-vous à Riga en 2013 !

Pour en finir avec le chant, sachez que le pays compte une douzaine de chœurs professionnels dont les plus importants sont le Chœur de Riga et le Chœur de la Radio lettone.

Au niveau de la création musicale savante, soyons clair, la Lettonie - pas plus que la Lituanie d'ailleurs - n'égalent l'Estonie. Certes, l'histoire n'a pas favorisé ce petit pays qui a subi les assauts continuels de ses chers voisins - n'obtenant son indépendance définitive qu'en 1991.  Je doute cependant que ceci explique cela, d'ailleurs l'Estonie fut logée à la même enseigne. 

Si ce pays a effectivement préservé son identité nationale en cultivant quoiqu'il arrive son patrimoine populaire, il n'a pris que très tardivement conscience que l'art musical pouvait aussi se décliner autrement qu'en chantant les airs d'autrefois. 

C'est Jazeps Vitols (1863-1948) qui a fondé le Conservatoire de Riga après son retour de Saint-Pétersbourg où il avait commencé sa carrière (Il paraît qu'il y eut Miaskovsky et Prokofiev comme élèves).  Son œuvre, on ne peut plus traditionnelle, est pleine de fraîcheur ainsi qu'en témoigne cette Ouverture dramatique, opus 21.

La musique lettone a pris ensuite un essor qu'il est difficile de juger pour des raisons bassement extra-musicales : la législation lettone est l'une des plus répressives au monde en ce qui concerne le partage de l'information hors de tout contrôle.  Tout site qui aurait l'idée de proposer des fichiers culturels même à des fins purement documentaires est impitoyablement censuré.  Cette mesure, parfaitement ridicule en soi, pénalise considérablement la musique lettone en dehors des frontières : mis à part quelques musiciens reconnus internationalement (Vasks, Plakidis, Maskats) il est pratiquement impossible de se faire une idée de ce qui s'écrit en Lettonie.  La musique lettone avait-elle vraiment besoin de cela ?  Vous trouverez sur le site http://www.lmic.lv/ quelques renseignements académiques mais rien de plus.

Je tempère immédiatement ce jugement négatif en vous renseignant l'adresse du site de la radio lettone qui met gracieusement à votre disposition ses archives depuis 2008. Vous entendrez donc, sur Latvijas Radio 3 Raidījumu, de la musique - en particulier lettone - mais sans commentaire explicatif, auquel vous ne comprendriez de toute façon rien, sauf que j'ai quand même retenu que Vivaldi se prononçait Vivaldi en letton.

Alfreds Kalnins (1879-1951) est sans doute un excellent musicien, en tous cas, son opéra Banuta passe pour une œuvre importante.   Je peux aussi vous proposer des bribes du cycle vocal,  The Sea (plages 6 à 11).   Sur le même CD vous trouverez Potter's Field une page intéressante de son fils, Janis (1904-2000), naturalisé canadien en 1954.

Janis Medins (1890-1966) et ses deux frères Jazeps (1877-1947) et Jekabs (1885-1971), Gedert Ramans (1927- ), Artur Grimps (1931- ), Romuald Kalsons (1936- ), Raimonds Pauls (1936- ), Paul Dambis (1936- ) et Juris Karlsons (1948- ) sont autant de musiciens connus dans la littérature spécialisée, qui partagent le triste sort de n'être entendus par personne sous nos longitudes, sacrifiés qu'ils sont sur l'autel des droits d'auteurs.  Notez, j'insiste, l'absurdité d'un système qui veut protéger les droits sur des œuvres que personne ne peut écouter.

Seul Janis Ivanovs (1906-1983) a échappé au désastre sans qu'on sache pourquoi lui plutôt qu'un autre.  Certes, il est présenté par ses compatriotes comme le premier symphoniste letton mais précisément, le contenu de ses 21 Symphonies, pour une fois largement enregistrées et disponibles à l'Ouest,  ne m'a guère convaincu. 

La (grande) ville de Riga, qui héberge à elle seule un bon tiers de la population du pays, est un centre artistique et musical d'importance, pas seulement réputée pour son festival de chant choral. Le peintre Mark Rothko, le compositeur Peteris Vasks et le violoniste Gidon Kremer comptent parmi les Lettons les plus célèbres.

Mark Rothko
Mark Rothko
Peteris Vasks
Peteris Vasks
Gidon Kremer
Gidon Kremer

Peteris Vasks (1946- ) est le seul compositeur letton internationalement apprécié.  Une écriture exigeante se souciant d'être comprise par le plus grand nombre lui a valu cet honneur mérité.   Ne manquez ni le Pater Noster chanté par les chœurs de la radio lettone - un pur produit de terroir ! - ni Viatore qui se souvient à sa manière de Tabula Rasa, d'Arvo Pärt (1935- ).

Vasks n'incarnant pas seul la modernité lettone, voici trois collègues, moins importants il est vrai, et pratiquant des genres très différents :

Imants Kalnins (1941- ) - apparemment rien à voir avec Alfreds et Janis - est un doué touche-à-tout, très populaire en son pays précisément parce qu'il ne dédaigne pas de mettre ses talents au service de musiques plus légères, opéras et symphonies rock (Rock Symphony ).   Puristes s'abstenir !

Peteris Plakidis (1947- ) et Arturs Maskats (1957- ) sont plus sérieux tout en restant largement accessibles.  Du second, voici un extrait du Concerto grosso , composé en 1996. Ugis Praulins (1957- ) et Rihards Dubra (1964- ) ont écrit quelques belles oeuvres d'inspiration religieuse, telles la Missa Rigensis, pour le premier, et la Missa Signum Magnum, pour le second.

L'interprète letton le plus célèbre est incontestablement le grand violoniste Gidon Kremer qui parcourt le monde seul ou accompagné de sa Kremerata Baltica.   Il fut troisième (!) lauréat du Concours Reine Elisabeth en 1967, remporté par un autre letton, Philippe Hirschhorn.   Celui-ci a disparu prématurément, en 1996, sans avoir réellement fait la carrière fulgurante qu'on lui prédisait.  Kremer, lui, tint ses promesses bien au-delà des espérances, devenant même l'un des interprètes les plus essentiels du 20ème siècle non seulement grâce à ses talents violonistiques - et la concurrence est rude - mais surtout pour les services rendus à la musique contemporaine.  Il fut un des défenseurs de la première heure de Schnittke, Pärt, Goubaïdoulina, Silvestrov, …, les faisant connaître et les imposant lors des sessions des festivals de Lockenhaus et de Gstaad qu'il a longtemps codirigés.  Pour faire bonne mesure à l'Ouest, il s'est également mis au service des concertos de John Adams, Philip Glass et même Michael Nyman (Concerto non enregistré à ce jour).

Très sollicité par les jeunes compositeurs, Kremer crée chaque année deux partitions parmi la centaine qu'il reçoit. Ses capacités de déchiffrage sont apparemment illimitées. Sachez qu'un concert de Kremer est une expérience dont on ne sort jamais indemne et que, précision non négligeable, il vous en coûtera à peine la moitié d'une entrée à un concert de Carla Bruni. Ne vous fiez pas trop à la programmation surtout si elle est annoncée longtemps à l'avance : Kremer est le spécialiste des changements de dernières minutes.  Je ne l'en blâmerai pas, dans son cas je ne procéderais pas autrement : comment voulez-vous savoir 24 mois à l'avance ce que vous aurez envie de jouer ?  Je possède un autographe du Maître que je conserve précieusement dans mes archives.