Il y a 200 ans disparaissait Joseph Haydn (1732-1809), musicien qui aurait pu se prendre pour le nombril du monde musical. Jugez plutôt : il a 18 ans à la mort de Jean Sébastien Bach; il est ami avec Mozart et il sera, un temps, le professeur de Beethoven qui aura 39 ans à son décès. Sa musique est, à l'image de l'homme, toujours de bonne humeur, équilibrée comme il convenait à l'époque mais pas du tout avare de surprises. Le surnom de Papa Haydn vient de l'affection que lui portaient les membres de l'excellent orchestre d'Esterhaza.
Esterhaza, sorte de Versailles à la Hongroise (reconstruit et achevé en 1766), était le nom du palais de la famille Esterhazy à Fertöd, une petite ville située à la frontière avec l'Autriche.
Si vous envisagez un pèlerinage dans la région, ne manquez pas de visiter également l'autre château Esterhazy, situé à Eisenstadt, une ville de tradition germanophone située, à l'époque, en territoire hongrois mais rattachée à l'Autriche depuis 1919. Les Autrichiens sont très attachés à l'idée que Haydn soit clairement identifié comme un des leurs et vous les vexeriez en ne faisant pas le détour par la salle Haydn de "leur" château.
C'est cependant essentiellement dans la résidence secondaire, Esterhaza, que Haydn eût ses appartements, à partir de 1761 et qu'il ne servit pas moins de quatre princes successifs : Paul II-Anton (1711-1762), Nicolas I (1714-1790), Anton Esterházy (1738-1794) et Nicolas II (1765-1833).
Digression tendant à apporter de l'eau au moulin de ceux qui pensent que le monde est petit : Ferdinand Walsin-Esterházy (1847-1923), petit-fils de Jean Marie Auguste Walsin-Esterházy, lui-même fils naturel de Marie Anne Esterházy de Galántha et du Marquis languedocien, Jean André César de Ginestous, fut le véritable responsable de l'affaire Dreyfus, une publicité dont se serait bien passée l'illustre famille qui n'obtint pas de la justice qu'il perde son patronyme.
Haydn n'eut guère l'occasion de connaître Paul II Anton, décédé en 1762, soit à peine un an après son entrée en service.
La grande époque musicale d'Esterhaza date, en fait, du règne de son successeur, frère et mélomane, Nicolas I, dit le Magnifique. Celui-ci n'hésita pas à recruter les meilleurs instrumentistes disponibles afin de constituer un orchestre de très haut niveau pour l'époque. Promu Kapellmeister en 1766 (à la mort de Gregorius Werner, musicien peu connu, écoutez cependant des extraits de son Musikalische Kalender), Haydn ne fut jamais considéré comme un laquais par ses employeurs princiers. Il faut dire qu'il jouissait d'un prestige considérable dans l'Europe entière, étant régulièrement sollicité par Johann Peter Salomon pour ses concerts londoniens. Nicolas I opposa cependant une fin de non-recevoir aux demandes répétées de congé de Haydn.
Haydn eut plus de chance avec son successeur, Anton, fils du précédent. Ne s'intéressant absolument pas à la musique, celui-ci congédia tous les musiciens à l'exception du compositeur qui eut droit à une pension confortable lui permettant de s'évader une première fois à Londres.
A la mort d'Anton, son fils Nicolas II fut à peine plus exigeant, ne réclamant qu'une messe annuelle pour célébrer, chaque 8 septembre, la fête de son épouse, la princesse Maria Hermenegild (celle-là même qui veillait à ce que Haydn ne manquât jamais de son vin favori, du Malaga). Il reçut six messes au total (1796-1802) qui comptent parmi les meilleures œuvres qu'Haydn ait écrites (Paukenmesse, Heiligmesse, Nelsonmesse, Theresienmesse, Schöpfungmesse et Harmoniemesse. Je garde un faible pour l'ancienne version Hickox, toujours disponible chez Chandos). Après un second séjour à Londres, la santé de Haydn déclina et il conserva ses dernières forces pour deux oratorios qui ont scellé sa célébrité : La Création (1798) et Les Saisons (1801). Nicolas II dut se résoudre à commander ses messes annuelles à d'autres musiciens, Hummel notamment en 1804 (Messe opus 80) mais aussi Beethoven en 1807 (Messe opus 86). C'est en entendant cette oeuvre novatrice que Nicolas II vexa Beethoven en lui déclarant : "Mais enfin, Maître, qu'est-ce que vous nous avez écrit là" !
L'œuvre instrumentale et orchestrale de Haydn n'est pas moins intéressante, harmonieusement répartie entre tous les genres. Si aucune de ses symphonies ne peut prétendre égaler la Symphonie Jupiter (1788) de Mozart, l'ensemble fait meilleure figure que celui de son collègue, singulièrement les symphonies "Sturm und Drang" (n° 34 à 59) et les "Londoniennes" (n° 93 à 104). Même ses symphonies de jeunesse tiennent mieux la distance que celles que Mozart composait au même âge.
Haydn a fixé la norme classique relative au quatuor à cordes : les six quatuors opus 20 (1772) et opus 76 (1797) constituent ses deux meilleurs cycles. Que 25 ans les séparent s'explique en partie par le fait que le compositeur dut abandonner le genre pour satisfaire le goût de Nicolas I pour le baryton (encore appelé viola di bardone, sorte d'intermédiaire entre l'ancienne viole de gambe et le moderne violoncelle) : il dut écrire pas moins de 126 Trios pour cet instrument, complètement délaissé de nos jours.
Les 62 sonates pour clavier ont beaucoup été enregistrées avec les résultats les plus divers. Selon le choix de l'instrument et les options de l'interprète, elles peuvent de fait sonner très différemment. Comparez, par exemple, Alfred Brendel (CD 4, plages 6 à 8), Ronald Brautigam (CD 9, plages 7 à 9), Christine Schornsheinm (CD 9 plages 10 à 12) et Fazil Say (plages 1 à 3) dans la Sonate Hob. 37. Pour le "fun", comme on dit maintenant, vous ferez encore le détour par sa transcription pour … accordéon (plages 1 à 3) !
Le pianiste n'a aucun droit à l'erreur dans ce répertoire (phrasés, articulations, tempi). On peut massacrer une sonate de Beethoven - ce ne sont pas les exemples qui manquent ! - cela reste du Beethoven. C'est impossible avec Haydn (ou Mozart) : une interprétation idéale est quasiment requise sous peine d'ennui mortel, ce que les interprètes traduisent, dans la pratique, en affirmant que rien n'est plus difficile à jouer que la musique de l'époque dite classique.
Je réserve une mention spéciale au corpus des 45 Trios à clavier, une formation instrumentale qui convient à Haydn même si le rôle du violoncelle y demeure subalterne. Ces œuvres ont fait l'objet de plusieurs intégrales, une preuve - s'il en fallait - de l'intérêt que les interprètes portent à ce vaste ensemble. Comparez à nouveau :
Ce n'est pas un hasard si je termine l'inventaire des œuvres de Haydn par l'ensemble des 45 trios : je soigne simplement mes transitions. On sait que la commémoration d'un anniversaire de compositeur (même s'il s'agit de son décès, il faut bien trouver des prétextes de vente !) est souvent l'occasion pour l'un ou l'autre label discographique de faire paraître une réalisation d'hommage. Il s'agit, la plupart du temps, d'éditer, à des conditions avantageuses, un pan entier plus ou moins méconnu de l'œuvre. Le moins que l'on puisse dire, c'est que nous n'avons pas été gâtés. J'espérais, entre autres, un nouvel enregistrement des 13 opéras italiens mais personne ne semble s'y être collé. On devra dès lors revenir à l'ancienne version Antal Dorati qui n'a, d'ailleurs, rien perdu de son charme.
Seule la firme Brillant a publié un coffret de 150 CD pour 80 €, reprenant environ deux tiers de l'œuvre du compositeur. Outre les quatuors, les sonates (hélas jouées sans âme), les trios, les messes, les 104 symphonies (très) bien dirigées par Adam Fischer, on y trouvera précisément les fameux Trios pour baryton qu'on croyait condamnés à l'oubli.
Heureusement le Festival d'Eisenstadt veillait au grain : il a commémoré l'année Haydn, à sa façon, en invitant 18 compositeurs à écrire chacun une œuvre pour piano, violon et violoncelle, à la mémoire du Maître. Une contrainte a volontairement pesé sur le choix des compositeurs puisque ceux-ci sont répartis équitablement entre l'Autriche (6), le reste de l'Europe (6) et le reste du monde (6). Ils ont, de plus, été passés au tamis de la tonalité élargie car aucun compositeur (post)sériel n'a été invité à la fête. Cela donne un beau florilège plutôt sage - trop sage diront certains. On se gardera pourtant de se plaindre, d'abord parce qu'une telle initiative mérite les éloges et ensuite parce que le résultat se laisse écouter avec beaucoup de plaisir.
C'est le juvénile Trio Eisenstadt qui a enregistré ces 18 œuvres pour le label Capriccio. J'ai sélectionné trois extraits d'œuvres écrites par des compositeurs provenant d'horizons très différents mais vous pouvez découvrir les autres sur le site Naxos, en écoute partielle ou intégrale suivant la formule que vous aurez choisie (gratuite ou modérément payante, pour rappel, environ 20 $/an).
Johanna Doderer (Autriche), Klaviertrio DWV 52.
Bongani Ndodana-Breen (Afrique du Sud), Two Nguni Dances.
Elena Kats-Chernin (Australie), Calliope Dreaming ou 7 minutes de musique anti dépressive !