Compositeurs l'un et l'autre, Johann Gottlieb Goldberg (1727-1756) et Anton Diabelli (1781-1856) partagent ce privilège d'être passés à la postérité, non pour l'excellence de leur musique, mais par procuration, grâce à un coup de pouce du destin.
La musique écrite par Goldberg n'est ni très bonne, ni très mauvaise : disons qu'elle est banale pour l'époque comme en témoignent ces extraits. Le seul point d'inquiétude est que Johann Sebastian Bach considérait Goldberg comme l'un de ses meilleurs élèves.
La musique composée par Diabelli est, elle, carrément insignifiante, jugez plutôt. Il est heureux que Diabelli ait pu gagner sa vie comme éditeur.
Outre qu'il était élève de Bach, Goldberg était claveciniste attitré du Comte Keyserling, lequel souffrait, paraît-il, d'insomnies et souhaitait qu'on lui joue, tous les soirs, la même musique dédicacée à son endormissement. Il n'est pas clair pourquoi Bach, en personne, s'est collé à la composition de cette pièce alors que Goldberg aurait pu le faire plus efficacement !
Je dois à la vérité de préciser que certains prétendent que l'histoire a été déformée voire embellie au cours des décennies; on dit tant de choses, allez savoir. Ce qui est sûr, c'est que Bach a écrit pour la circonstance 31 variations sur une superbe Aria de sa composition. Le cycle est connu sous l'appellation "Variations Goldberg" et vous seriez parfaitement impardonnable d'en ignorer le contenu.
Il a été enregistré un nombre colossal de fois, tant au clavecin qu'au piano moderne (On trouve même sur le marché des adaptations pour d'autres formations instrumentales). Si vous optez pour le clavecin, vérifiez que la sonorité de l'instrument vous plaît car il en est qui produisent un bruit de ferraille qu'aucun exécutant, aussi brillant soit-il, ne peut corriger. Voici pour fixer vos idées, un clavecin convenable.
Si vous optez (plus vraisemblablement ?) pour le piano, sachez que vous n'impressionnerez plus grand monde dans les salons en prétendant qu'on n'a jamais fait mieux que Glenn Gould. Soyez plutôt "classe" et suggérez Maria Tipo, une indémodable aristocrate du clavier.
Diabelli était éditeur de musique et, l'histoire est cette fois authentique, il a sollicité une cinquantaine de compositeurs du moment pour qu'ils écrivent chacun une variation sur un thème de valse de sa composition. Schubert, le tout jeune Liszt, Mozart fils, Hummel, plus un bataillon d'inconnus dont voici la liste ont répondu à l'appel : après tout, ils étaient payés pour leur peine ! Voici les variations dues à Anselm Hüttenbrenner, Franz Schubert et surtout Franz Liszt (11 ans à l'époque !), sous les doigts experts de Cyprien Katsaris. Ce cycle fatalement disparate a rarement été enregistré dans son intégralité. Voici cependant quelques extraits enregistrés par Doris Adam.
Beethoven, également contacté, a, dans un premier temps, refusé de participer, jugeant le projet stupide et le thème insignifiant. En vidant sa corbeille, il semble qu'il se soit ravisé : pris de frénésie, il finit par écrire 33 variations qui démantibulent complètement le thème original. Le cycle résultant sera publié séparément par Diabelli, sous l'appellation, "33 Veränderungen über einen Walzer von Diabelli", que l'on traduit par "33 Transformations sur une valse de Diabelli", ce qui correspond effectivement au traitement que Beethoven a fait subir au thème original. La postérité ne s'est pas embarrassée de ces nuances, rebaptisant l'oeuvre, "Variations Diabelli".
Les enregistrements des Diabelli sont aussi nombreux que ceux des Goldberg et ici encore le choix de l'interprétation importe. Je propose, sans grande originalité, celle, très applaudie lors de sa parution, du jeune pianiste polonais, Piotr Anderszewski.
Vous ne pouvez pas davantage ignorer les Diabelli que les Goldberg : ces deux cycles sont les piliers du genre de la variation pour clavier.
L'art de la variation ne date pas d'hier : le premier recueil d'importance fut l'oeuvre de Costanzo Festa (1490-1545), compositeur et chanteur en service à la Chapelle papale. L'oeuvre, jamais publiée du vivant de son auteur devait être connue des spécialistes car des éditions tardives nous sont parvenues, faisant état de 125 variations sur le thème anonyme de La Spagna (37 notes en tout, énoncées au début de l'oeuvre) plus une vingtaine ajoutées tardivement par Giovanni Maria Nanino (1545-1607). Ce recueil colossal n'a jamais été enregistré dans son intégralité. Par contre, Paul van Nevel en a gravé des extraits significatifs (32 Contrapunti) sur un CD paru chez Harmonia Mundi (A découvrir !).
Cependant, c'est au au 19ème siècle que cet art s'est considérablement développé :
Assez causé des gloires (re)connues, le moment est venu de vous signaler trois cycles ambitieux et récents. Les deux premiers nous viennent des USA :
L'immense cycle, "The People United Will Never Be Defeated ! (1975)", est l'œuvre de Frederic Rzewski (1938- ), un pianiste et compositeur américain que les Liégeois devraient connaître puisqu'il a enseigné au Conservatoire de cette ville à partir de 1977. Bien qu'à la retraite, il vit et demeure actif en Belgique. Ce cycle comporte 36 variations sur un thème révolutionnaire chilien dû à Sergio Ortega (1969). Aussi longtemps que ce lien restera actif, vous pouvez l'entendre, chanté par le groupe Quilapayun.
Voici le cycle, dans une interprétation live du compositeur. Le site de la firme Hyperion propose d'autres extraits plus courts sous les doigts aussi experts de Marc-André Hamelin et il détaille les mouvements de l'œuvre.
"Ghosts Variations" (1990) est l'œuvre de Georges Tsontakis (1951- ), un compositeur apprécié aux Etats-Unis et largement inconnu de ce côté de l'Atlantique. Il s'agit plutôt d'un cycle de transformations sur un thème mozartien qui n'apparaît qu'en cours de développement puis une deuxième fois, complètement déchiqueté tout à la fin (d'où le titre). L'oeuvre est en trois parties, Ad Libitum , Scherzo 1 et Scherzo 2. Elle sonne encore mieux sous les doigts du pianiste anglais, Stephen Hough , mais hélas pour vous, Hyperion fait une chasse impitoyable à toute reproduction sur Youtube.
Le troisième exemple nous ramène curieusement à notre point de départ : le pianiste allemand Franz Hummel (1939- ) se consacre de plus en plus à la composition. Son catalogue (Symphonies, Opéras, ...) est impressionnant mais nous n'en connaissons rien de ce côté du Rhin. Il a eu l'idée d'enregistrer, pour le label Neos, un double CD proposant le cycle de Beethoven, accompagné du sien propre également intitulé "33 Veränderungen über einen Walzer von Diabelli" ! L'idée peut paraître prétentieuse, au mieux saugrenue mais le fait est que l'ensemble, s'il ne détrône évidemment pas celui de son illustre modèle, se laisse écouter avec beaucoup d'intérêt.
En 2011, Hans Zender (1936- ) a remis le couvert au départ de ces mêmes "Diabelli" mais le lien que je vous avais trouvé est désormais rompu, dommage et ridicule, pour dire vrai.