Il peut paraître singulier qu'il faille déjà extraire de l'oubli un musicien mort depuis à peine 70 ans. C'est pourtant un devoir qui s'impose vis-à-vis de John Foulds (1880-1939), un musicien anglais fort mal traité par l'histoire de la musique.
Il semble avoir payé très cher le fait d'avoir écrit, à des fins alimentaires, beaucoup de musique légère dont il n'est, de fait, pas resté grand-chose sauf l'une ou l'autre ballade celtique. Cependant, ce musicien est l'auteur de partitions nettement plus sérieuses voire aventureuses qu'on commence seulement à redécouvrir. En tous cas, aucun musicien anglais n'a (res)suscité autant d'intérêt en si peu de temps, y compris chez ses compatriotes.
Foulds a commencé très tôt la pratique musicale et on le retrouve, à 20 ans, violoncelliste de l'Orchestre Hallé dirigé par Hans Richter. Cette expérience le mit au contact des grands musiciens germaniques de son temps, en particulier, Mahler et Strauss.
Comme compositeur, Foulds n'a connu que quelques années de gloire de l’autre côté de la Manche, en particulier lors de la création de son World Requiem , le 11 novembre 1923, devant une salle comble (La scène du Royal Albert Hall l’était tout autant puisqu’on dénombrait 1200 exécutants !). Même Bernard Shaw, habituellement peu avare de critiques, loua la musique. La roue de la fortune allait cependant bientôt tourner : l’œuvre, éminemment pacifiste, ne cadrait pas avec l’esprit revanchard entretenu par les survivants de la "grande" guerre et ceux-ci eurent tôt fait de discréditer son auteur. Ce fut d’autant plus facile que Foulds passait pour un marginal baignant dans l'ésotérisme à la mode dans les milieux anticonformistes. D'ailleurs son Requiem mélangeait hardiment des textes liturgiques et hindouistes.
Après 1926, on ne trouve plus trace d’une exécution publique du Requiem et il a fallu attendre 2007 et les efforts conjoints de la BBC et de la firme Chandos pour qu’un double CD soit gravé, nous permettant enfin de juger l’œuvre. Elle occupe désormais - au moins au disque - une place enviable dans le vaste répertoire choral que les musiciens anglais ont cultivé avec prédilection depuis un siècle (Vaughan-Williams, Holst, Elgar, Walton, …).
Dépité de ne pas être pris au sérieux dans son propre pays, Foulds se laissa tenter par un séjour parisien (1927-1930), où il rencontra Varèse, Stravinsky et les membres du Groupe des Six. C'est là qu'il composa ce qui passe aujourd'hui pour son chef-d'œuvre, Dynamic Tritptych, opus 88 , et qu'il acheva cette autre œuvre culte, Three Mantras. Three Mantras est tout ce qui reste d'un projet ambitieux, l'opéra Avatra : voyant sa musique de plus en plus négligée et doutant qu'il vaille encore la peine de passer autant de temps sur une œuvre au destin incertain, il en détruisit les trois quarts déjà écrits, condensant le reste dans ces quelques pages purement orchestrales.
Foulds tenta un retour au pays, écrivit les Music Pictures I, II & III et surtout le remarquable Quartetto Intimo, opus 89 mais, lassé par l'insuccès, il s'embarqua définitivement pour les Indes.
L'attirance de Foulds pour les Indes ne participait pas du caprice exotique, très à la mode à cette époque : son collègue, Gustav Holst, ne l'avait-il pas précédé dans cette voie, sincèrement attiré par la culture et la philosophie indoues ? Il étudia de très près les musiques locales, savantes et populaires, rêvant d'une réconciliation des genres. C'est ainsi qu'il n’hésita pas à parsemer ses propres œuvres de gammes exotiques et de micro-intervalles. Il envisagea même de fonder un orchestre indo-européen et de lui dédier une symphonie, hélas jamais écrite : le choléra l'emportant prématurément.
Au concert il a fallu attendre la fin des années 1990 pour qu'on redécouvre l'œuvre de Foulds et le CD a naturellement suivi. S'ils ne sont pas légion, tous les enregistrements valent le détour : en consultant un catalogue comportant une centaine d'opus, les musicologues ont été droit aux œuvres importantes afin de préparer au mieux la réhabilitation qui s'imposait.
Deux CD sont parus chez Warner Classics : outre le concerto déjà cité, le premier CD propose le 3ème volet des Music Pictures, opus 33, et le célèbre Keltic Lament (plage 10), opus 29 n°2, un arrangement d'un des nombreux tubes de salon écrits par le musicien à ses débuts. L’autre CD propose Three Mantras et un Concerto, Lyra celtica, pour soprano vocalisante et orchestre.
Kathryn Stott a par ailleurs enregistré pour le label BIS quelques pièces pour le piano dont les surprenants "Essays in the Modes", opus 78 . Si vous parvenez à le dénicher, ne manquez pas l’hypnotique Gandharva, opus 49, qui s'anime mystérieusement après 30 secondes d’accords tâtonnants.
L'exhumation de l'œuvre de Foulds pose bien des problèmes ne serait-ce que parce que beaucoup de partitions sont indisponibles, perdues ou détruites. Les musicologues sont désespérément à la recherche de fonds pour une édition de l'opéra de concert, Vision of Dante (composé vers 1900), qui dort à l'état manuscrit sur les étagères de la British Library.
Tous ceux qui ont œuvré pour un retour de la musique de Foulds au grand répertoire ont été droit au but, proclamant péremptoirement que le musicien était un des plus grands génies de la musique anglaise. Il faut parfois crier fort pour espérer être entendu. S'il est vrai que Dynamic Tryptich est un concerto pour piano extrêmement brillant - sans doute un des plus originaux écrits au 20ème siècle - et que Three Mantras ne lui est guère inférieure en qualité, on attendra cependant d’autres découvertes d’un niveau comparable pour confirmer cette appréciation pour le moins flatteuse.