Billets d'humeur

Football et Musique

Voilà un rapprochement que vous pourriez, à juste titre, trouver parfaitement saugrenu. Il m'a, en fait, été suggéré par un article paru dans la presse belge du jeudi 1er mai 2008 (Quotidien, Le Soir). A la faveur d'une tournée en Espagne de l'ONB (Orchestre National de Belgique), qualifiée de triomphale, son intendant, Albert Wastiaux, y a été d'un couplet musico-sportif qui appelle quelques commentaires. Je cite :

" … Il me semble qu'on (l'ONB) est au niveau des huitièmes de finale de la Ligue des champions en football, parmi les 16 meilleures équipes. Et nous espérons arriver en quarts de finale, parmi les huit meilleures …".

Les supporters sont décidément d'un optimisme inoxydable ! Certes, la prophétie fait plaisir à entendre mais après réflexion, elle éveille quelques doutes. Il faut savoir que l'ONB est le moins bon élève de la classe symphonique belge, après l'Orchestre Philharmonique de Flandre et loin derrière l'Orchestre Philharmonique de Liège. Or pour faire partie du Gotha des huit meilleures phalanges symphoniques européennes, il ne suffirait pas de dépasser ces deux-là : rien qu'au Royaume-Uni, en Allemagne, en Autriche et en Russie, on dénombre une douzaine d'orchestres qui sont hors d'atteinte, même à moyen terme. Si on y ajoute la Tchéquie, la Hongrie, les pays scandinaves, la France et la Hollande qui contribuent chacun pour au moins un ensemble de qualité supérieure, on devine que la réalisation de cette prophétie tiendrait du miracle.

On imagine que l'euphorie d'Albert Wastiaux fait suite à l'accueil chaleureux que le public Madrilène vient de réserver à la prestation de l'ONB. Au risque de passer pour un rabat-joie, les pays du sud de l'Europe ne constituent pas un excellent baromètre dans ce domaine : aussi étrange que cela puisse paraître, aucun ne possède de formation d'élite et il n'est, dès lors, pas trop difficile de proposer à leur public des concerts qui les changent de leur grand ordinaire. Une explication possible réside dans le fait qu'un orchestre symphonique exige une discipline de groupe que les méridionaux ne cultivent pas avec une rigueur suffisante - pas plus que leurs finances d'ailleurs, si l'on juge les remontrances insistantes de la Communauté européenne - le soleil a parfois des effets maléfiques ! On se souvient de la mésaventure que Karajan a connue lorsqu'il a été invité à élever le niveau de l'Orchestre National de France : il a très vite jeté l'éponge, convaincu qu'il était impossible de rassembler plus de 80 Français à l'écoute mutuelle les uns des autres. C'était certainement exagéré mais cela mettait en lumière le monde qui sépare les manières de travailler, de part et d'autre de la Moselle et du Rhin.

Note ajoutée par l'auteur lors de la révision de cette chronique en novembre 2011. La remarque entre tirets, datée de mai 2008, pouvait paraître bien légère alors qu'elle était prémonitoire. Comment se fait-il que la rigueur dans la gestion des finances d'un pays soit proportionnelle à la latitude du lieu (sinon à son carré) et que l'euro se détricote invariablement à partir du sud ? Je m'étonne qu'il ne se trouve aucun journaliste spécialisé prêt à commenter ce phénomène dans la presse. Il est vrai que nous vivons à une époque où le politiquement correct bannit toute expression d'une vérité qui pourrait paraître discriminante (ici vis-à-vis de la latitude, vous voyez jusqu'où cela va). La vérité c'est que nous vivons à une époque où on n'est plus libre de dire ce que l'on pense, même lorsque c'est le reflet de l'évidence.

L'enthousiasme d'Albert Wastiaux est sans doute également en rapport avec le fait que l'ONB aurait enfin trouvé le chef qui lui convient. Le chef finlandais Mikko Franck a quitté l'ONB en 2007, après cinq ans de bons et loyaux services et il vient d'être remplacé par Walter Weller, de quarante ans son aîné. Soyons clairs : l'un et l'autre sont d'excellents chefs et on voit mal pourquoi l'un réussirait là où l'autre aurait échoué. On dit que les musiciens s'entendent mieux avec Weller : espérons surtout que ce n'est pas la conséquence des choix artistiques qui président à l'élaboration des programmes. Les concerts madrilènes n'étaient pas vraiment rassurants à cet égard avec un programme franchement "bateau" qui puisait dans le répertoire romantique.

Tous comptes faits, voilà le véritable point commun avec le football : quand une équipe va mal, plutôt que de changer les joueurs, on change l'entraîneur. Notez que ledit entraîneur retrouve très vite du boulot ailleurs. C'est la version sportive du paradoxe boursier : lorsqu'une action change de propriétaire, c'est que se sont rencontrés un vendeur qui estime qu'il est temps de se débarrasser d'un titre promis à la baisse et un acheteur qui pense exactement le contraire. En musique on ne change pas l'entraîneur, on change le chef et on espère que l'orchestre jouera mieux. A l'ONB, cela dure depuis des décennies.

Mikko Franck
Mikko Franck
Walther Weller
Walther Weller
Andrey Boreyko
Andrey Boreyko

On souhaite bon travail au Maestro Weller car du travail, il y en a. On souhaite de même bonne chance à Mikko Franck qui retourne dans son pays natal comme Directeur général de L'Opéra National de Finlande pour un contrat qui le mènera au moins jusqu'en 2011.

Aux avant-dernières nouvelles l'entente de l'orchestre et de son nouveau chef est excellente et elle produit ses premiers effets bénéfiques. On se prend à espérer que nos musiciens fassent mieux que nos footballers. Le contraire serait malheureux !

Aux dernières nouvelles, Walter Weller cède (déjà !) la place à un jeune chef russe, Andrey Boreyko, tandis que l'équipe belge de football est lanterne rouge - ou presque - au classement européen.

Aux toutes dernières nouvelles (Classement 2013), l'équipe belge opère un redressement spectaculaire, au point d'intégrer le Top 10 sous l'égide d'un entraîneur on ne peut plus belge, Marc Wilmots dont personne ne voulait : on en souhaite autant à notre phalange symphonique, reste à trouver le chef charismatique sans qu'il soit indispensable d'aller le chercher bien loin.

Les 75 ans de l'orchestre ont inspiré un article rétrospectif parfaitement documenté à Jean-Pierre Tribot, rédacteur en chef de Resmusica.com. Dans le politiquement neutre et correct on ne peut assurément faire mieux.