Cette chronique n'ouvre nullement une souscription au profit des jeunes compositeurs nécessiteux. Elle souhaite simplement rendre hommage à quelques musiciens que la mort a surpris avant même qu'ils n'aient eu 30 ans accomplis et le temps matériel de confirmer les espoirs légitimes que d'aucuns entretenaient à leur sujet. Ils sont rangés dans l'ordre chronologique, ce que le "look" de chaque portrait confirme immédiatement.
Giovanni Battista Pergolesi (1710-1736) est né à Jesi (Italie). De tous les musiciens disparus prématurément, c'est assurément celui qui a proposé le catalogue le plus fourni, prouvant une fois encore la facilité d'écriture des musiciens de l'époque baroque. Les enregistrements d'oeuvres de Pergolèse ne manquent pas mais curieusement, ils sont souvent de qualité médiocre, tant en ce qui concerne les interprètes que la prise de son. Qu'attend-on, par exemple, pour enregistrer convenablement Lo frate 'nnammurato, l'opéra qui servira de banque de données à Igor Stravinsky pour la rédaction de son Pulcinella ? Par contre, en ce qui concerne le (dernier) Salve Regina et surtout le célèbre Stabat Mater, vous n'aurez que l'embarras du choix. J'ai gardé une préférence toute personnelle pour l'enregistrement très intimiste de René Clemencic (avec, entre autres, Mieke van der Sluis, Gérard Lesne et Fabio Biondi !) mais rien ne vous empêche de vous livrer au petit jeu des comparaisons sur le site jpc. Autre exception de qualité, Les Vêpres de Marie, une reconstitution de Malcolm Bruno, sont disponibles sur un double CD indispensable.
Note : Pergolèse fut aussi l'auteur de l'amusant intermède La Serva Padrona, longtemps une des rares œuvres qu'on a jouées de lui. Cette pochade, novatrice à l'époque, fut la source de la célèbre et parisienne, Querelle des Bouffons (1752-54), opposant le coin du Roi (Louis XV), défenseur de la tragédie hiératique "à la française" (de Lully à Rameau) et le coin de la Reine (Marie Leszczyńska), partisan d'italianiser l'opéra français en faisant place à une verve plus populaire.
Thomas Linley (the Younger) (1756-1778) à ne fatalement pas confondre avec son père, Linley the Elder (1733-1795), est mort par noyade alors que l'Angleterre, déjà pas trop riche en talents musicaux, comptait sur lui. Comble de malchance, son oeuvre a subi des pertes irréparables si bien que vous devrez vous contenter de miettes (Concerto pour violon en fa majeur). Plus que jamais, The Tempest, d'après Shakespeare évidemment, vaut ce que valent les interprètes qui s'y investissent : si la version proposée est poussive, le CD enregistré chez Hyperion est d'une toute autre tenue. Ecoutez-le et voyez si vous pouvez adhérer à cette prédiction que Linley incarnait possiblement un Mozart anglais. The Song of Moses et Lyric Ode sont d'autres réussites du même label.
Hyacinthe Jadin (1776-1800) est né de parents belges, installés à Versailles depuis 1760. On sait que la révolution de 1789 fut davantage politique qu'artistique et que les musiques françaises dignes de ce nom furent rares. Jadin se présentait comme le seul rival possible, en son temps, d'Etienne Nicolas Méhul (1763-1817) mais le destin en a décidé autrement : ayant échappé à la conscription napoléonienne pour raisons de santé, il est précisément mort de la tuberculose, à 24 ans, non sans avoir illuminé le paysage musical parisien pendant 6 ans. Son oeuvre conservée comprend 12 Quatuors à cordes, agencés par groupes de trois (opus 1, n°3), 7 Trios à cordes (opus 2, n°3), un nombre incertain de sonates pour piano (opus 3) (d'autres avec accompagnement de violon) et 3 Concertos pour piano. Ne vous fiez pas trop aux numéros d'opus car ils sont fantaisistes, aucun référencement ne s'imposant actuellement. Si les quatuors ont été bien enregistrés par le Quatuor Mosaïques, l'oeuvre pour clavier attend toujours l'interprète idéal.
Juan Crisóstomo de Arriaga (1806-1826) est né à Bilbao (Espagne), 50 ans jour pour jour après Mozart. Son père y vit un signe du destin car il lui donna deux prénoms secondaires du Maître de Salzbourg (Johannes, Chrysostomes, Wolfgangus, Théophilus). Ce "Mozart espagnol" n'a pas connu la gloire de son lointain parrain. Contemporain de Beethoven, le classicisme de ses oeuvres - par ailleurs d'excellente facture - ne le range définitivement pas parmi les novateurs du siècle qui s'annonce. Ecoutez comme le premier mouvement de son 3ème Quatuor se souvient, avec bonheur sans doute mais aussi quelques années de retard, du début de l'opus 18 n°1 du Maître de Bonn. Il a écrit quelques oeuvres pour grand effectif dont une symphonie et un opéra, "Los esclaves felices", dont l'édition définitive est en cours. Le catalogue jpc vous renseigne sur ce qui est actuellement disponible sur le marché du CD. Le compositeur est mort de la tuberculose, à Paris, ville qu'il n'avait plus quittée depuis son entrée au Conservatoire.
Note : on sait fort peu de choses sur la vie de ce jeune homme et on en connaîtrait encore moins sans les notes personnelles de son maître, François-Joseph Fétis (1784-1871), professeur au Conservatoire de Paris (jusqu'en 1832, data à laquelle le premier Roi des Belges le rappela pour y diriger le Conservatoire de Bruxelles).
Norbert Burgmüller (1810-1836) a commencé ses études musicales sous la tutelle de son père mais il dut attendre l'âge de 16 ans pour disposer d'un professeur plus compétent, Ludwig Spohr. Ses progrès furent dès lors fulgurants, handicapés hélas par des troubles du comportement (crises d'épilepsie sur fond d'alcoolisme récurrent). Un sévère chagrin amoureux compliqua son état qui devint franchement dépressif. Il retrouva un peu de confiance lors de sa rencontre avec Joséphine Collin mais il mourut tristement, se noyant (stupidement ?) lors d'une cure, un comble. Burgmüller fréquenta Mendelssohn et Schumann et tous deux furent frappés par le talent du jeune homme. A son décès, Mendelssohn composa sa Marche funèbre, opus 103, et Schumann se fendit d'un article dithyrambique dans la Neue Zeitschrift für Musik. Rayon musique, les oeuvres symphoniques sont particulièrement remarquables : Symphonie n°1 (il en existe une deuxième, inachevée et partiellement retravaillée par Schumann), Concerto pour piano, opus 1 (Beethoven est bien présent et Brahms n'est plus très loin). Les quatuors à cordes sont également formidables, où l'auteur s'inspire clairement de ceux de Beethoven : écoutez l'attaque initiale du n°4, opus 14. Enfin, si vous étudiez le piano et que vous en avez marre des exercices habituels, pourquoi n'essayeriez-vous pas les 25 études faciles et progressives, opus 100 ?
Elève apprécié par Franz Liszt, Julius Reubke (1834-1858) est une autre victime de la tuberculose. L'oeuvre qui nous est parvenue est essentiellement écrite pour clavier (piano et orgue). Le Psaume 94 est son oeuvre la plus célèbre : outre une technique impeccable, elle témoigne d'une profondeur d'inspiration qui force l'admiration et tant pis si vous n'aimez pas l'orgue romantique. Les Sonates pour piano sont tout aussi impressionnantes, on comprend l'admiration de Liszt (Sonate en si bémol majeur) même si, depuis lors, beaucoup d'eau a passé sous les ponts du Rhin : je les trouve un brin démodées.
Hans Rott (1858-1884) est né à Vienne (Autriche). Sa disparition prématurée a été déplorée par Gustav Mahler (1860-1911), en personne, qui voyait en lui le fondateur de la symphonie moderne, au sens où il l'entendait. Le fait est que le début du 3ème mouvement de la Symphonie de Rott préfigure nettement (euphémisme ... !) le deuxième mouvement de la 1ère de Mahler. Vous pouvez comparer d'autres enregistrements disponibles sur le site jpc. Cette comparaison est d'autant plus nécessaire que, bizarrement, aucun orchestre de gros calibre n'a enregistré cette oeuvre. Selon le choix que vous ferez, vous aurez éventuellement droit à quelques compléments de choix, tels ces deux préludes orchestraux, dans l'enregistrement paru chez Arte. Ne confondez pas cette grande symphonie en mi majeur avec la petite Symphonie pour orchestre à cordes, en la bémol majeur. Si vous voulez tout savoir sur ce musicien étonnant, sachez qu'un site existe qui lui est consacré, une émanation de la Hans Rott Gesellschaft Wien. Aucun extrait audio n'y est cependant proposé. Atteint de troubles mentaux sévères, il tenta à plusieurs reprises de se suicider; c'est pourtant la tuberculose qui eut finalement raison de lui.
Guillaume Lekeu (1870-1894) est né à Verviers (Belgique). Sa disparition prématurée fut également ressentie comme une perte irréparable tant les premières œuvres achevées annonçaient un compositeur de haute tenue. Sa superbe Sonate pour violon et piano, dédiée à Eugène Ysaye, fut pendant longtemps une de ses rares œuvres que l'on jouait, souvent couplée, au disque, à celle de César Franck. Depuis on s'est attaché à redécouvrir d'autres œuvres de musique de chambre toutes aussi intéressantes. Le site jpc vous les propose toutes en écoute rapide. Voici encore 3 pièces pour piano, rarement jouées. Il eut peu de temps pour se familiariser avec l'écriture orchestrale mais les quelques pages symphoniques disponibles sont en tous points remarquables, en particulier son célèbre Adagio pour cordes. De toute évidence, la Musique allait devoir compter avec ce jeune homme quand le typhus en décida autrement, l'emportant prématurément.
La courte vie de Clement Harris (1871-1897) fut chargée d'émotions. Homosexuel à une époque où il n'était pas sans danger de l'afficher, il n'en est cependant pas mort comme tant d'autres anglais illustres après lui : pétri de culture grecque, il s'enrôla dans l'armée afin de combattre les turcs et c'est là qu'il perdit la vie. Entre-temps il avait eu le temps de faire la connaissance d'Oscar Wilde et de Siegfried Wagner convaincant même celui-ci de marcher dans les pas de son illustre père alors qu'il ne rêvait que d'architecture. On possède peu de choses de la production de ce musicien : le label VHS a édité un CD précieux reprenant quelques Etudes de Concert qui ont fière allure.
Né en Finlande mais d'origine allemande, contemporain de Jean Sibelius mais élève de Max Bruch, Ernst Mielck (1877-1899) se présente comme l'un des musiciens les plus doués de sa génération. Victime de la tuberculose, on jugera la perte subie en écoutant les très belles oeuvres parvenues jusqu'à nous, une bonne dizaine au total : Symphonie, opus 4, Suite finlandaise (adorable !), Ouverture dramatique, Pièce de Concert, pour piano & orchestre, Konzertstück, pour violon & orchestre, la Cantate Altböhmisches Weihnachtslied, Quatuor à cordes. Très nationaliste, la Finlande de cette époque a tardé à reconnaître le talent de cet enfant de coeur.
Rudi Stephan (1887-1915) est né à Worms (Allemagne). Le style qu'il a d'emblée développé ne ressemble à aucun autre, aussi éloigné de celui, largement en vigueur, de la "3èmeécole de Vienne" (Zemlinsky, Korngold & Schreker) que du mouvement dodécaphonique (Schönberg, Berg & Webern). Faute de mieux, on l'apparente au mouvement Jugendstil (la version allemande de l'Art nouveau) sans que j'aie la moindre idée de ce que cela peut bien signifier en musique. L'oeuvre encore manuscrite de Stephan a subi une destruction massive lors des bombardements alliés de 1944-45. Dans ce qui nous reste, j'ai sélectionné deux œuvres significatives : Musik für Orchester , extrait d'un CD paru chez Chandos et l'opéra Die Erste Menschen, remarquablement enregistré par l'Orchestre national de France dirigé par Mikko Frank. Si elles ne vous plaisent définitivement pas (écoutez et réécoutez quand même, ce serait trop facile !), n'insistez pas, le reste est à l'avenant. Le musicien est mort au front de l'Est, en Galicie.
Alexei Stanchinsky (1888-1914), est né à Vladimir, un coin perdu quelque part en Russie. Ce génie avait, paraît-il, la musique infuse, jouant et composant sur le piano familial comme si cet art lui était familier depuis toujours. Il prit cependant des leçons de Serge Taneyev, ... par correspondance, sans doute une première à l'époque ! Le jeune homme était de santé mentale fragile et la vie dans une grande ville lui était impossible. Le danger le guettait cependant aussi à la campagne et il périt, accidentellement noyé dans la rivière jouxtant sa propriété. Scriabine en personne admettait que Stanchinsky l'avait devancé par bien des trouvailles pianistiques et tant Prokofiev que Lourie se sont déclarés ses fervents admirateurs. Un CD vous propose des extraits significatifs de son oeuvre que vous compléterez, si l'appétit vous est venu, en consultant le site Hexameron.
Cecil Coles (1888-1918), est né à Kirkudbright (Ecosse). Il a commencé ses études musicales à Edimbourg et les a poursuivies à Londres où il fit la connaissance de Gustav Holst (1874-1934), nouant une amitié qui ne devait jamais se défaire. En 1908, Coles remporta une bourse d'études devant le mener en Allemagne, à Stuttgart, où il côtoya quelques grands musiciens du temps dont Richard Strauss. Il quitta ce pays à regret, en 1913, lorsque les poussées belliqueuses rendirent l'atmosphère irrespirable pour le pacifiste qu'il était. Il revint sur le continent, engagé dans les troupes auxiliaires, une appellation qui ne rend pas immédiatement compte des risques afférents : il fut tué sur la Somme en tentant de ramener à l'infirmerie un soldat blessé au front. Gustav Holst lui dédiera son Ode to Death. L'œuvre de Coles n'est pas très abondante et sans l'obstination de sa fille Catherine - qui n'a jamais connu son père - il est probable que le musicien Coles serait bel et bien oublié. Un CD, en tous points recommandable, est paru chez Hyperion qui propose quelques œuvres significatives de ce musicien. Tout y est admirable et c'est à regret que je dois me contenter de deux courts extraits : Fantastic in Appearance , une mélodie avec orchestre d'après un poème de Verlaine et Estaminet de Carrefour , extrait de sa dernière œuvre, Behind the Lines, au titre révélateur; cette suite nous est parvenue incomplètement, les obus ayant apparemment détruit une partie du manuscrit. Grâce à la musique, le soldat Coles n'est plus un inconnu pour vous.
Juliette (dite Lili) Boulanger (1893-1918) est née à Paris (France). Bien que sa soeur aînée, Nadia, ait cultivé avec amour et ferveur le souvenir d'une musicienne de grand talent, il a fallu attendre plus d'un demi-siècle pour que les éditeurs se penchent réellement sur son œuvre. Aujourd'hui, nous disposons enfin d'un éventail assez large de partitions, essentiellement vocales, avec accompagnements divers, allant du simple piano au chœur, voire l'orchestre. Pur produit de la tradition française, la musique de Lili Boulanger est équilibrée, pudique et cependant éloquente. Tout amateur de mélodie doit écouter les œuvres en tous points remarquables enregistrées sur ce CD. La grande forme ne lui était pas davantage étrangère comme sur cet enregistrement absolument indispensable, paru chez Chandos. Voici encore le Psaume 24, dirigé cette fois par John Elliot Gardiner (Observez une fois encore le dévouement des anglais à la musique française). Lili décéda d'une tuberculose intestinale.
Note : On sait moins que Nadia (1887-1979) l'avait précédée dans la composition. Elle cessa cependant de le faire à la mort de sa soeur, jugeant sa propre œuvre comparativement futile et inutile. Cet enregistrement de mélodies prouve cependant tout le contraire. Elle se reconvertit dans l'enseignement avec le succès planétaire que l'on doit savoir. La liste de ses élèves remplit, de fait, un annuaire (1200 noms au moins !), comprenant quantité de jeunes compositeurs chez qui elle a toujours pris soin de respecter les aspirations stylistiques : Grażyna Bacewicz, Elliott Carter, Aaron Copland, Jean Françaix, George Gershwin, Philip Glass, Jacques Ibert, Wojciech Kilar, Igor Markevitch, Krzysztof Meyer, Astor Piazzolla, Walter Piston, Kazimierz Serocki, ..., appréciez l'éclectisme des tendances !
André Devaere (1890-1914) fut une autre victime de la grande (?) guerre, succombant aux blessures encourues à St. Joris-aan-de-Ijzer, dès les premiers jours des hostilités. Le label Etcetera a honoré cet élève d'Arthur De Greef bien mieux que n'importe quelle commémoration en publiant quelques-unes de ses pièces pour piano, l'instrument qui lui avait valu les plus hautes distinctions au terme de ses études. Ne manquez pas cette merveilleuse Sonate en mi majeur (plages 8 à 11). Qu'attend-on pour explorer davantage un catalogue qu'on devine inévitablement mince ?
Antonio Fragoso (1897-1918), musicien portugais, fut encore plus météorique que ses infortunés compagnons de chronique. Il est mort de la tristement célèbre grippe espagnole. On possède de lui des pièces éparses, pour piano solo, Petite Suite, 7 Préludes mais aussi quelques pièces de musique de chambre : le Trio à clavier ou cette Sonate inachevée pour piano & violon. Une association se souvient de lui, qui tente d'éditer le maximum de son oeuvre écrite. Si vous entendez le portugais, je vous engage à la rejoindre pour en apprendre davantage, à son sujet, en "podcast".
Né dans une célèbre famille d'organistes - vous connaissez certainement sa soeur Marie-Claire, par ailleurs ardente défenseur de son oeuvre - Jehan Alain (1911-1940) est universellement connu pour une oeuvre, Litanies, qui a fait sa fortune musicale. Voici la soeur jouant un extrait de cette oeuvre mythique. Trois Danses est l'autre partition connue de ce merveilleux musicien. D'autres oeuvres méritent cependant votre attention, telle cette Messe modale (Début, Fin) ou ce Requiem, digne de ceux de Fauré et Duruflé. Il a également écrit pour le piano (3 Etudes) et même, dixebat sa soeur, pour l'orchestre. Hélas il a emporté ces dernières encore en chantier sur le champ de bataille de la Loire où elles périrent, comme lui, au "chant" d'honneur.
Vitezslava Kapralova (1915-1940) est née à Brno (Tchéquie). Son père, le compositeur Vaclav Kapral, fut sans doute son premier professeur mais elle en connut bien d'autres aussi illustres, tels Vitezslav Novak, Bohuslav Martinu et plus brièvement, Nadia Boulanger, lors de son séjour parisien. Elle étudia aussi la direction d'orchestre avec Zdenek Chalabala, Vaclav Talich et Charles Munch, se positionnant comme la première femme à diriger la Philharmonie tchèque. Après l'invasion de la Tchécoslovaquie par l'Allemagne en 1939, elle choisit de demeurer en France et d'évacuer à Montpellier lors de l'invasion de Paris. C'est là qu'elle succomba de ce qui fut diagnostiqué comme une tuberculose. Malgré sa disparition prématurée, Kapralova a pas mal écrit comme en témoigne son catalogue. D'aucuns pensent qu'elle se serait imposée comme la figure féminine de proue dans la vie musicale de son temps, un honneur qui reviendra à la polonaise Grazyna Bacziewicz. Son oeuvre, peu diffusée, demeure d'accès difficile. Ecoutez des extraits, courts mais remarquables de ces quelques pièces pour piano ou encore ce mouvement complet de la Partita opus 20, pour piano & orchestre, à mon sens beaucoup plus convaincante que la Symphonie militaire qui lui a valu sa prime notoriété. Note ajoutée en 2024 : son oeuvre orchestrale vient d'être enregistrée chez CPO (Double CD passionnant).
Gideon Klein (1919-1945) a compté parmi les victimes de la seconde guerre mondiale. Elève d'Alois Hába, à Prague, il n'eut pas le temps de se rendre à Londres pour se perfectionner. Il fut au contraire déporté au camp de concentration de Theresienstadt. Ce camp n'était, au départ, pas le pire de tous car on y avait réuni dans un (in)confort relatif tout ce que la Tchécoslovaquie comptait d'artistes brillants, en particulier ses collègues, Hans Krása, Viktor Ullmann et Pavel Haas, plus Karel Ančerl, futur chef de la Philharmonie tchèque. En 1944, les nazis, réalisant que la guerre était perdue, transférèrent tous ces musiciens à Auschwitz où ils disparurent tragiquement, à l'exception d'Ancerl miraculeusement épargné. Les oeuvres écrites à Theresienstadt ont survécu, permettant, en particulier, de mesurer la perte qu'a représentée la disparition de Klein. C'est sa sœur survivante, Eliška Kleinová, qui a rassemblé le matériel d'édition nécessaire. Le brillant Divertimento, pour octuor à vent (2 hautbois, 2 clarinettes, 2 bassons et 2 cors), de même que les Trois Lieder, opus 1, pour soprano et piano (Vodotrysk (Texte de Klaj), Polovina života (Hölderlin), Soumrak shůry sesouvá se (Goethe)) datent des années de liberté. Quelques oeuvres demeurées inachevées du fait de la déportation (Prélude, pour violon solo, Quatuor à cordes opus 2, Duo pour violon et violoncelle) ont néanmoins été éditées en l'état : elles ont été rassemblées sur ce CD paru chez Praga. Ont suivi des oeuvres souvent vocales destinées à être interprétées par les camarades de captivité : Madrigaux d'après François Villon et Friedrich Hölderlin, První hřích, pour voix d'hommes et chœur, des arrangements d'airs populaires tchèques et russes et l'émouvante Berceuse (Sch’haw b’ni), un arrangement d'un chant hébraïque. Au rayon instrumental, les oeuvres les plus significatives furent la Fantaisie et fugue, pour quatuor à cordes, la Sonate pour piano et surtout le magistral Trio à cordes (Allegro, Variations, Molto vivace), oeuvre terminée quelques jours seulement avant la déportation finale.
Parvenu au terme de cet inventaire peu réjouissant, quelques remarques s'invitent, plus ou moins anodines :
Il s'en est fallu de peu pour que Franz Schubert (1797-1828) fasse également partie de la liste de ces infortunés de l'histoire musicale. Son cas est extraordinaire : n'a-t-il pas défié les lois de l'entendement en publiant, en quelques années à peine, un corpus qui suffit à le poser comme un des candidats les plus sérieux au premier accessit, à côté d'un podium (définitivement ?) occupé par le trio Bach-Beethoven-Mozart. On peut se demander ce que ce diable d'homme aurait écrit s'il avait vécu ne fût-ce que 10 ans de plus. Evidemment, on peut en dire autant de Beethoven. Cependant, il est possible que la question soit mal posée et que ce soit précisément l'imminence pressentie de la fin qui dicte certains chefs-d'oeuvre (Les exemples, de fait, ne manquent pas : Art de la Fugue de Bach, Stabat Mater de Pergolèse, Requiem de Mozart, Derniers Quatuors de Beethoven, Quintette à cordes de Schubert, ..., pour s'en tenir aux cimes). A moins que le Destin ne se soit donné pour règle de frapper lorsqu'un humain menace de trop éclairer ses ténèbres, allez savoir.
Note finale : Bien que cette chronique soit réservée aux compositeurs, je saisis l'occasion de rappeler à la mémoire de chacun le talent exceptionnel de la violoniste française, Ginette Neveu (1919-1949), qui, pour mémoire, défit le grand David Oïstrakh lors du Concours Wieniawski, en 1935. La voici, impériale, dans le Poème d'Ernest Chausson. Elle disparut, au large des Açores, dans un accident d'avion reliant Paris à New-York. Le boxeur Marcel Cerdan était également du voyage, abandonnant la chanteuse, Edith Piaf à sa tristesse.