Elisabeth de Belgique, épouse du Roi Albert 1eret violoniste amateur - elle jouait en privé avec George Enescu et Albert Einstein ! - a oeuvré à la création d'un concours réservé aux violonistes et aux pianistes du monde entier. Ce concours portait initialement le nom d'Eugène Ysaye (1858-1931), en hommage au grand artiste. Interrompu par la guerre, après deux éditions seulement (1937-38), il n'a repris qu'en 1951, cette fois, sous le nom de la Reine.
On compte beaucoup de concours pour instrumentistes de par le monde : le Reine Elisabeth (Bruxelles), le Tchaïkovski (Moscou), le Chopin et le Wieniawski (Varsovie), le Long Thibaud (Paris) et quantité d'autres, plus ou moins importants. Le Leventritt (New York) qui a couronné tant d'artistes reconnus (Van Cliburn (1954), John Browning (1955), Itzhak Perlman (1964), Pinchas Zukerman (1967), …), est apparemment interrompu et je n'ai pas réussi à trouver le site officiel reprenant ses archives.
Tous les concours ne sont pas d'égale importance : la difficulté de l'épreuve et la renommée du jury finissent par tisser une toile qui attire les jeunes solistes de qualité, ce qui, en retour, augmente le prestige de l'épreuve. En échange, ces musiciens espèrent démarrer une carrière internationale, toujours aléatoire sans un coup de pouce. Dans un monde musical qui ne connaît plus de frontières, la concurrence est rude, même au plus haut niveau et l'époque est révolue où les candidats venaient exclusivement d'Europe ou l'Amérique du Nord : les Japonais, les Chinois et les Coréens s'investissent à présent à fond dans une musique qu'on leur croyait étrangère et s'y comportent excellemment.
Cette semaine, la chaîne ARTE retransmet, en direct, les épreuves finales du Concours Reine Elisabeth. L'édition 2009 est consacrée au violon. Au-delà de l'événement médiatique (?), on s'interroge régulièrement sur l'utilité de ces joutes terriblement éprouvantes pour de jeunes musiciens qui y jouent une part non négligeable de leur avenir.
La réponse est on ne peut plus claire : ces concours sont indifféremment utiles ou nuisibles à la "carrière" de ceux qui s'y comportent bien. Réciproquement, on trouve autant de solistes renommés qui s'y sont mal classés ou qui n'y ont jamais participé. Bref, il n'y a pas de rapport direct entre le succès aux concours et ceux à l'estrade de concert : seul compte le talent qui mûrit et au fond, c'est très bien comme cela.
Le concept du concours était largement inexistant avant 1935. La carrière des grands interprètes du passé se décidait en direct - en "live" comme on dit maintenant - souvent à l'occasion du remplacement impromptu d'un soliste empêché. Yehudi Menuhin, Arthur Rubinstein, Wilhelm Kempff, Wilhelm Backhaus, et tant d'autres, se sont imposés naturellement sur scène. Plus près de nous, Arthur Grumiaux a encore pu se revendiquer de l'Ecole Belge du violon et le talent aidant, cela lui a suffi pour s'imposer comme un des violonistes les plus distingués de son temps. Ses sonates de Beethoven en compagnie de Clara Haskil n'ont, de fait, jamais été égalées.
Aujourd'hui encore, on trouve des artistes qui se frayent une voie royale sans solliciter l'approbation d'un jury : Anne-Sophie Mutter, Hilary Hahn, Piotr Anderszewski, Leif Ove Andsnes sont dans ce cas.
Cela dit, on connaît des exemples inverses : quelques très grands noms se sont effectivement illustrés dans un concours important :
Certains artistes, peut-être mécontents d'un classement précédent (ou conscients d'avoir progressé), ont retenté leur chance, généralement dans un autre concours, avec le ferme espoir d'un classement meilleur :
Si vous consultez les archives des palmarès des grands concours (telles que renseignées au premier paragraphe), vous noterez quelques observations qui s'imposent avec régularité. Je les illustre sur l'exemple du concours de Bruxelles :
Certains artistes, très bien classés, n'ont pas fait la carrière qu'on pouvait imaginer. Dans les années 1960, plusieurs artistes russes, profitèrent de leur périple en Occident pour se faire la belle mais ils semblent y avoir perdu leur envie de jouer. Qui se souvient encore d'Ekaterina Novitzkaya, fabuleuse pianiste de 16 ans qui s'imposa à Bruxelles en 1968 ? J'ai gardé en mémoire - 40 ans ont pourtant passé ! - une superbe interprétation de la sonate de Prokofiev qu'elle avait choisie en finale. Il semble qu'elle se produise encore - confidentiellement - en Belgique, son pays d'adoption, mais ses admirateurs espéraient davantage.
D'autres artistes classés, disons en retrait, ont, au contraire, parfaitement mûri, réussissant là où d'autres, a priori avantagés par un classement plus flatteur, ne parvenaient pas à percer : Arturo Benedetti-Michelangeli (7ème en 1938), Philippe Entremont (7ème en 1952), Elisabeth Leonskaya (9ème en 1968), François René Duchâble (11ème en 1968) et Cyprien Katsaris (9ème en 1992).
Le pouvoir organisateur du Concours de Bruxelles a inauguré une session de chant en 1988 mais celle-ci n'a jamais véritablement pris son envol. On y entend pourtant de très belles voix mais à la seule exception de la contralto canadienne Marie-Nicole Lemieux, première lauréate en 2000, aucune n'a percé sur les grandes scènes internationales. La voix est un instrument fragile et il y a un réel danger à la pousser trop jeune dans ses retranchements.
Enfin, il en va des concours comme des vins : certaines années sont fastes; d'autres nettement moins bonnes.
Au Reine Elisabeth, c'est très clair : en ignorant les palmarès récents qui réclament que le temps fasse son œuvre de décantation, on note deux très grands crus classés, 1952 et 1956:
La question posée en titre concerne également les concertos que la formule du concours de Bruxelles impose aux générations successives de candidats : une oeuvre inédite à déchiffrer en huit jours. D'où ces oeuvres proviennent-elles ? Toutes les formules ont été essayées :
L'histoire se répète à cet égard : les jurys successifs du Grand Prix de Rome ne faisaient pas mieux il y a 100 ans. Consultez les archives et vous y trouverez une majorité de musiciens bien oubliés.