Si ce titre détourne celui d'un roman célèbre d'Erich Maria Remarque, relatif à l'absurdité de la guerre 14-18, son objet se réfère aux conséquences, pour la musique allemande, du conflit 39-45 et plus précisément du partage de l'Allemagne. Rappelons que le rideau de fer, long de 1393 km rien qu'en Allemagne, avait pour but essentiel d'endiguer le flux migratoire dans le sens Est-Ouest (1000 000 de transfuges en 5 ans, pas du tout compensés par quelques idéalistes - distraits ou inconscients - faisant le chemin en sens inverse). Ce flux ne fut cependant réellement stoppé que lors de la construction du mur de Berlin, en 1961.
L'Allemagne fut une et indivisible musicalement bien avant de l'être politiquement et même linguistiquement. Encore vers 1750, Frédéric II se lamentait que la langue allemande, dispersée entre quantité de dialectes, tardait à trouver une identité littéraire alors qu'en musique c'était chose faite depuis l'âge baroque.
Cette unité artistique séculaire s'est trouvée rompue pendant les 37 années (1952-1989) qu'a duré la scission de l'Allemagne. Ce laps de temps peut paraître relativement court mais il couvre une période critique de l'histoire (de la musique). Les traumatismes consécutifs au deuxième conflit mondial ont provoqué toutes sortes de réactions épidermiques parmi les intellectuels et les artistes occidentaux, pressés de chercher la rédemption d'une Europe déboussolée du côté de l'ascèse. En musique, cela signifiait clairement pour quelques chefs de file, Pierre Boulez, en France, et Karl-Heinz Stockhausen, en Allemagne occidentale, un refus désormais catégorique d'hédonisme. Avec leurs élèves, ils se sont tournés vers l'héritage d'Anton Webern (1883-1945), dont l'univers sonore ne pouvait passer pour suspect de facilité tant il était pavé des contraintes techniques d'une écriture savante (Si vous êtes attentif, vous aurez noté que Webern est mort en 1945 : il a de fait été malencontreusement tué, sur la terrasse de sa maison d'accueil, par une sentinelle ... américaine, appliquant avec zèle la règle du couvre-feu, tout un symbole).
En se retrouvant bien involontairement dans le giron de l'URSS stalinienne, l'Allemagne de l'Est a échappé aux rigueurs de ces contraintes esthétiques. L'URSS avait décidé depuis longtemps que les artistes du peuple devaient écrire une musique optimiste et compréhensible par le plus grand nombre. On sait que ces directives ont produit l'effet inverse chez quelques artistes de génie (Schostakovitch, Schnittke, ...) qui sont entrés en résistance artistique et on connaît le résultat de cette fronde : l'ex-URSS a dominé le monde musical le temps de cette dictature.
Comment s'est portée la création artistique en RDA pendant cette période sachant que le pays ne disposait pas, de fait, de tels génies incontournables ? Aujourd'hui encore, il est difficile de répondre à cette question tant le manque de transparence inhérent au système communiste nous a longtemps privé de témoignages probants. Même les besoins de la propagande se sont souvent heurtés à une "industrie de la distribution musicale" incapable de diffuser ses propres enregistrements. Des témoignages sonores existent cependant, pas toujours de qualité optimale, qui méritent une écoute attentive. Les musicologues occidentaux ont souvent snobé la création artistique de la RDA au motif qu'elle obtempérait trop volontiers aux directives émanant de Moscou. Il existe cependant quelques raisons de penser autrement :
Les musiciens qui suivent appartiennent à deux générations ayant vécu le partage de l'Allemagne à des périodes distinctes de leur vie d'artiste. Si vous êtes pressé et traditionnaliste ne manquez surtout pas l'oeuvre de Wilhelm Neef et si vous êtes plus moderniste, arrêtez-vous à celle de Siegfried Köhler :
Les enregistrements qui servent d'illustration ont paru, éventuellement en format LP, sous des labels plus ou moins difficiles d'accès, Eterna ou Nova, autant dire que si vous en trouvez certains au marché aux puces, n'hésitez pas, l'occasion risque de ne pas se reproduire de sitôt.
Seuls les esprits curieux voudront consulter la liste suivante, moins essentielle certes mais qui recèle quelques belles surprises :
Max Butting (1888-1976) (Symphonie n°10), Fidelius Finke (1891-1968) (Capriccio) pour piano & orchestre, Rudolf Wagner-Régeny (1903-1969) (Drei Orchestersätze), Ernst Hermann Meyer (1905-1988) (Divertimento concertant, Quatuor n°6), Johannes Paul Thilman (1906-1973) (Symphonie n°4), Kurt Schwaen (1909-2007) (Concertino Apollineo), Hermann Werner Finke (1911-1988) (Fantaise pour piano), Johann Cilenšek (1913-1998) (Symphonie n°4 pour cordes, à écouter), Joachim Werzlau (1913-2001) (Sanssouci, Air pour orchestre), Karl-Rudi Griesbach (1916-2000) (Symphonie n°3), Gerhard Wohlgemuth (1920-2001) (Concerto pour violon), Jürgen Wilbrandt (1922- ) (Octuor pour cordes) Hans-Joachim Geisthardt (1925-2007) (Sonatine, Quintette à vents), Ruth Zechlin (1926-2007) (Bach Epitaph), Siefried Köhler (1927-1984) (Quatuor à cordes n°1), Reiner Bredemeyer (1929-1995) (Quatuor pour 4 violoncelles (!)), Paul-Heinz Dittrich (1930- ) (Concerto pour violoncelle & Quatuor à cordes), Gerhard Rosenfeld (1931-2003) (Concerto pour piano), Günter Hauk (1932-1979) (Deux Mouvements pour Quatuor à cordes), Erhard Ragwitz (1933- ) (Symphonie n°1, à écouter), Manfred Weiss (1935- ) (4 Pièces pour Quatuor à cordes), Rainer Kunad (1936-1995) (Antiphonie pour deux orchestres, Sinfonietta), Friedrich Goldmann (1941- ) (Concerto pour violon), Lothar Voigtländer (1943- ) (Le Temps, à écouter), Gerd Domhardt (1945-1997) (Symphonie n°2).