Grand admirateur de Richard Wagner, Felix Draeseke (1835-1913) fut un des disciples les plus actifs du courant lisztien, notoirement plus progressiste que celui de l'école classique emmené par Mendelssohn. Liszt en personne tenait d'ailleurs Draeseke en haute estime. Jusqu'à la charnière des 19ème et 20ème siècles, sa musique était fréquemment jouée par les chefs les plus en vue, Arthur Nikisch, Hans von Bülow, Fritz Reiner, Karl Böhm, etc. Elle tombera cependant dans un oubli de plus en plus profond. Peut-être cette chute dans l'audimat doit-elle indirectement quelque chose aux critiques inamicales que Draeseke a émises, dans un article intitulé Die Konfusion in der Muzik, à l'adresse de la Salome de son jeune confrère, Richard Strauss (1864-1949). Le fait est que c'était plutôt maladroit et certainement mal venu.
Draeseke commença tôt ses études musicales, avec l'assentiment paternel. On raconte qu'il devait son prénom à l'admiration que celui-ci portait à Felix Mendelssohn. A 17 ans, il entra au Conservatoire de Leipzig. La même année il eut la chance d'entendre Lohengrin de Richard Wagner dirigé par Franz Liszt : ses choix artistiques étaient désormais fixés.
Draeseke a écrit pour toutes les formations et dans tous les genres. Sauf dans le domaine de l'opéra, des CD commencent à paraître. Le label confidentiel AK/Coburg lui a consacré quelques enregistrements (Draeseke est né à Coburg) que vous pouvez écouter à l'adresse mentionnée. Vous les trouverez également en vente sur le site jpc ainsi que d'autres enregistrements parus chez CPO. Peut-être aurez-vous envie de vous attarder sur ses 4 symphonies (n°1, n°3) et davantage encore sur son beau Concerto en mi bémol majeur, pour piano.
Christus est le chef-d'œuvre de Draeseke, "sa" Tétralogie. Ce titre évoque invariablement, chez les mélomanes, l'ensemble opératique en un prologue et trois journées, Der Ring des Nibelunbgen, composé par Richard Wagner entre 1848 et 1876 (avec cependant une interruption d'une douzaine d'années entre 1857 et 1869).
On sait beaucoup moins qu'il pourrait également s'appliquer à Christus. L'œuvre, dénommée Mystère au sens antique et religieux du terme, se compose d'un prologue (Die Geburt des Herrn) et de trois oratorios (Christi Weihe, Christus der Prophet & Tod und Sieg des Herrn) qui narrent les épisodes de la vie du Christ, de la naissance à la crucifixion.
Comme Wagner, qu'il admirait tant, Draeseke a écrit le livret de son œuvre, avec la collaboration de son beau-frère, le révérend Adolf Schollmeyer. La gestation proprement musicale de l'œuvre fut beaucoup plus longue et la mise au net n'intervint que 25 ans plus tard, entre 1895 et 1899. Les progrès que le musicien devait accomplir pour maîtriser un contrepoint omniprésent ne furent pas étrangers à ce retard.
Bien qu'adhérant musicalement au courant imposé par Franz Liszt et Richard Wagner, Draeseke a tenté d'écrire une œuvre universelle qui dépasse tous les clivages stylistiques, tentant une difficile synthèse des styles, de Haendel à Bruckner. Voici le début du beau Prologue.
De confession protestante, le compositeur n'a utilisé les chorals luthériens qu'avec parcimonie, les réservant essentiellement aux accompagnements instrumentaux, comme dans l'introduction du 2ème oratorio.
Il a laissé des indications précises qu'il espérait voir respecter au cas où il aurait le bonheur d'entendre son œuvre jouée intégralement. Il tenait, en particulier, beaucoup à une version de concert - donc dépourvue de mise en scène - dans le cadre de l'église et ce malgré une scène prêtant à réprobation, où Satan intervient face à Jésus.
En dépit de cette liberté, le Ciel lui devait d'exaucer son voeu et ce fut fait un an avant sa disparition lorsque Bruno Kittel créa l'œuvre intégrale à Berlin, en 1912. Il la rejoua une seconde fois à Dresde puis ce fut tout jusqu'à ce jour. Convenez que passer autant de temps à écrire une partition que plus personne ne joue est plutôt frustrant. Cette disparition du répertoire n'est pas totalement surprenante. La musique n'est certes pas avare de beautés mais elle est éprouvante tant pour les musiciens que pour les auditeurs, peu habitués à rester concentrés pendant 5 heures. L'auteur était, par ailleurs, d'avis que 400 choristes n'étaient pas superflus pour donner l'ampleur requise à certains passages tel celui, magnifique , qui succède à la résurrection de Lazare mais il faut comprendre que cette surenchère sonore peut, à la longue, fatiguer l'oreille.
On n'attend pas d'une œuvre aussi colossale qu'elle maintienne l'intérêt de façon permanente. Des longueurs sont bel et bien présentes que seule l'écoute en studio permet d'abréger. De toutes façons, si Christus vous intéresse, vous n'avez pas le choix : la probabilité que vous l'entendiez au concert étant proche de zéro, il ne vous reste que le seul enregistrement disponible, paru chez Bayer : Odo Follert y dirige la Philharmonie de Breslau et des chœurs provenant du Palatinat dans un enregistrement tout à fait convenable. Seuls les solistes paraissent en retrait, dans des rôles un peu ingrats tant il est vrai que c'est aux choeurs que le compositeur a réservé le meilleur de son inspiration.
Comme Beethoven et Smetana, Draeseke a été frappé de surdité progressive. Les troubles déjà présents au début de ses études n'ont cependant débouché sur une surdité totale que peu avant sa mort.