Komponistinnen, en allemand, ce n'est déjà pas très gracieux et Female composers, en anglais, c'est franchement horrible. Compositrices, en français, c'est mieux mais au fond, prévoir une appellation spécifique n'est-ce déjà faire preuve de sexisme ? Sans réelle surprise, le "libérateur" 20ème siècle a permis aux musiciennes de participer pleinement au développement de la musique moderne, bien loin des romances fleurs bleues qu'une sotte rumeur leur prêtait encore trop souvent. Les musiciennes qui suivent ont créé du neuf en suivant leur fameuse intuition, un peu, beaucoup ou passionnément. Je ne pense pas avoir oublié de grands noms même si l'inventaire est à coup sûr incomplet.
La première génération est largement originaire des pays de l'Est (tirez-en les conclusions socio-politiques que vous voulez), à deux exceptions remarquables près, l'une américaine et l'autre anglaise:
Ruth Crawford (1901-1953) est davantage connue comme musicologue que comme compositrice. Ses débuts furent d'emblée prometteurs : elle fut la première musicienne à bénéficier d'une bourse de la Fondation Guggenheim. Sa rencontre avec le professeur et ethnomusicologue, Charles Seeger, le père du Contrepoint dissonant mais aussi bientôt de ses quatre enfants, fut déterminante :
Elève de Charles Wood et Ralph Vaughan Williams, au Royal Music College of London, Elisabeth Maconchy (1907-1994) a parfait sa formation au cours d'un voyage prolongé en Europe centrale, où elle a découvert les musiques de Béla Bartók, Alban Berg et Leoš Janáček. Bien que proposant un large catalogue d'oeuvres très diverses (Nocturne, Proud Thames Overture, Symphonie pour double orchestre à cordes), elle est surtout connue pour un cycle de 13 Quatuors à cordes dont la composition s'est étalée sur un demi-siècle (1933-1984). Ce corpus compte parmi les plus importants écrits au 20ème siècle et avec un peu de persévérance vous devriez pouvoir les trouver un jour sur la toile (n°3, n°11). Elle fut la première femme à présider l'Association des auteurs-compositeurs de Grande-Bretagne et elle fut anoblie en 1987. Elle a donné naissance à deux filles dont Nicola LeFanu (1947- ), devenue également compositrice (2ème Prélude pour orchestre).
Grażyna Bacewicz (1909-1969), déjà évoquée lors d'une chronique relative à la musique polonaise, est assurément la compositrice la plus essentielle de toutes et chaque nouvel enregistrement en apporte de nouvelles preuves. Violoniste de formation, elle a beaucoup écrit pour son instrument, en particulier Sept Concertos dont 6 ont été magistralement enregistrés par Joanna Kurkowic pour le label Chandos (pourquoi le n°6 manque-t-il à l'appel ? Mystère agaçant !) (n°1 (Part 1, Part 2, Part 3), n°4, n°5, n°7). A écouter également : un Concerto pour cordes, 2 Concertos pour violoncelle, un pour deux pianos (Part 1, Part 2, Part 3), un pour alto et 4 Symphonies (n°3). Sa musique de chambre est tout aussi intéressante, culminant avec 7 Quatuors à cordes (n°4 et n°7), un étrange Quatuor pour 4 violons, un beau Quintette à clavier et 2 Sonates pour piano (Ne manquez surtout pas la sublime n°2, superbement jouée par Krystian Zimerman, Part 1, Part 2, Part 3).
Ljubica Marić (1909-2003) fut une artiste serbe polyvalente : compositrice, violoniste (élève de Josef Suk) et chef de l'Orchestre symphonique de la Radio tchèque mais encore écrivain, peintre et sculpteur ! Sa musique d'abord imprégnée d'atonalité s'est heurtée au climat répressif qui régnait à cette époque en Europe de l'Est. Elle a dès lors cherché une voie nouvelle, explorant le patrimoine des musiques serbe, balkanique et byzantine : en cela elle a anticipé le mouvement postmoderne qu'illustreront plus tard Arvo Pärt et John Tavener. La cantate Songs of Space est le plus bel exemple disponible à l'écoute. Le degré d'exigence de son oeuvre a attiré l'attention de musiciens aussi divers que considérables : Dimitri Schostakovich, Bela Bartok, Witold Lutoslawski, Aloïs Haba et Herman Scherchen. Sa musique encore largement ignorée à l'Ouest (moins en Hollande, un pays avec lequel elle a gardé de fortes attaches) devrait y être diffusée plus largement (Concerto Byzantin, Passacaille). Ljubica Marić a quasiment cessé de composer entre 1964 et 1984 pour reprendre ensuite la plume dans un style plus consensuel (Trio à clavier). Le seul CD facilement accessible est paru chez Chandos et il s'avère essentiel. L'UNESCO a patronné la publication d'un quadruple CD, en collaboration avec Jugokoncert à l'occasion du centenaire de l'artiste, quant à le trouver facilement, c'est une toute autre histoire.
Galina Ustwolskaja (1919-2006) fut l'élève la mieux appréciée de Dimitri Schostakovitch, qui n'hésita pas à prendre sa défense auprès de la redoutable Union des compositeurs soviétiques toutes les fois qu'elle fut accusée d'incommunicabilité. A partir des années 1950, l'artiste s'est réfugiée dans un splendide isolement, n'écrivant plus qu'avec parcimonie des oeuvres parfois difficiles ne cherchant ni à plaire ni à susciter des analyses qu'elle jugeait superflues voire nuisibles. Son catalogue ne propose que 21 oeuvres assumées, en-dehors des commandes de circonstances, souvent courtes mais où tout déchet est volontairement absent - une attitude clairement héritée du credo artistique d'Anton Webern - : vous ne passerez jamais assez de temps à l'écoute de cette musique forte et dense. Ses 5 Symphonies comportent toutes une partie vocale d'inspiration spirituelle, au sens non religieux du terme : n°1 (Début, Fin), n°2 (Début, Fin), n°3 (Début, Fin), n°4, n°5 (Début, Fin). Si vous avez éprouvé quelques difficultés d'écoute, ne vous découragez pas et reprenez avec le plus abordable Concerto pour piano, cordes & percussions (Début, Fin) ou le superbe Grand Duo pour violoncelle & piano (Peut-être préférerez-vous, comme moi, la version parue chez Koch (Début, Fin) ?). Galina Ustwolskaja a également écrit 6 Sonates pour piano solo dont la modernité n'est pas près de s'épuiser (n°2, n°5, n°6).
La génération suivante s'est frottée au modernisme d'après-guerre sans verser dans l'intransigeance qui a piégé nombre de collègues masculins : serait-ce dû à l'exercice d'une sensibilité féminine prétendant conserver davantage ses droits à l'émotion ? Notez que ces dames n'en furent pas moins de brillantes techniciennes aussi habiles dans l'art de la charpente que dans celui de la décoration.
Ruth (Oschatz-)Zechlin (1926-2007) fut l'une des compositrices allemandes les plus en vue dans son pays. Bien qu'ayant divorcé du pianiste Dieter Zechlin, elle a souhaité continuer à porter le nom sous lequel elle s'était fait connaître, non seulement comme compositrice mais aussi comme claveciniste et organiste. Elle a travaillé avec Rudolf Wagner-Regeny et Hanns Eisler, qui lui ont fait visiter le dodécaphonisme, cependant elle est actuellement mieux connue pour des oeuvres au style nettement personnel (Bach Epithaph (Début, Fin), Polyphony). Le label Wergo lui a consacré un CD entier mais il est plutôt ardu. A son décès, Markus Zahnhausen lui a dédié ce beau Tombeau (Canto sfumato, 2007) comme on n'en fait plus guère, ressuscitant une tradition vieille de près de trois siècles.
Thea Musgrave (1928- ) est une musicienne écossaise à connaître impérativement : vous auriez d'autant moins d'excuses de l'ignorer que son oeuvre est très présente au catalogue des labels NMC, Bridge et Lyrita. Elle a fréquenté, en son temps, l'enseignement de Nadia Boulanger et elle vit aux Etats-Unis depuis 1972. Elle a reçu le Prix de la Fondation Koussevitzky, en 1974, et collectionne depuis lors les postes académiques. Elle est l'auteur de quelques concertos de belle facture : Concerto pour orchestre, pour cor (Début, Fin), pour clarinette, pour hautbois. L'artiste déclare nourrir une part de son inspiration de la contemplation d'oeuvres picturales (The Seasons ou Turbulent Landscapes). Thea Musgrave a écrit plus d'une douzaine d'operas centrés sur quelques personnages au destin historique, Mary Queen of Scots, Harriet, the Woman called Moses, Simón Bolívar et Pontalba, mais il sont difficiles voire impossibles d'accès.
Sofia Gubaidulina (1931- ) compte parmi les figures les plus marquantes de la musique russe d'après-guerre. Son oeuvre longtemps contestée par le régime en place a heureusement trouvé le soutien précoce de Dimitri Schostakovitch et d'ardents solistes, Gidon Kremer (Concerto n°1 pour violon, Offertorium), Mtsislav Rostropovitch (The Canticle of the Sun (Part 1, Part 2, Part 3, Part 4)) et plus récemment, Yuri Bashmet (Concerto pour alto). D'autres Concertos ont suivi, pour piano (Introitus), pour basson, pour violoncelle, pour deux orchestres (symphonique et jazzband !) et enfin, en 2007, pour violon (n°2, In Tempus Praesens), créé par Anne-Sophie Mutter. En 2000, l'Internationale Bach Akademie de Stuttgart a commandé à Gubaidulina (mais aussi à Tan Dun, Osvaldo Golijov et Wolfgang Rihm) une pièce destinée à commémorer les 250 ans de la mort de Bach (Johannes-Passion), une oeuvre qu'elle a complétée, en 2002, par une Cantate de Pâques). Gubaidulina propose un art abstraitement mystique et religieux mais ses vrais dieux sont Bach et Webern dont elle partage le goût pour les structures numériques sous-jacentes. Ses oeuvres récentes sont de plus en plus belles : outre The Canticle of the Sun déjà évoqué, The Light of the End (Part 1, Part 2) et surtout Pro and Contra sont autant de chefs-d'oeuvre accomplis. Beatrice Rauchs a consacré un beau CD à la musique pour piano de Gubaidulina, ne le manquez pas, il reprend les oeuvres suivantes : Chaconne (1962), Sonate (1965), Musical Toys (1968), Toccata-Troncata (1971), Invention (1974). Rayon musique de chambre, le sombre Quatuor à cordes n°3 est une oeuvre expérimentale, à laquelle vous pourriez préférer la superbe Meditation sur le Choral BWV 668 de Bach, pour clavecin & quintette à cordes.
L'oeuvre de l'américaine Joan Tower (1938- ) est d'autant mieux appréciée dans son pays d'origine qu'elle demeure constamment accessible. Elle a d'ailleurs été récompensée par plusieurs Grammy Awards, une information qui a peu filtré en Europe. Elle fut la première femme à recevoir, en 1990, le toujours convoité Grawemeyer Award pour "Silver Ladders" que je n'ai hélas pu trouver. Si Fanfare for the Uncommon Woman n'est qu'un clin d'oeil à Aaron Copland (Fanfare for the Common Man) et Petroushskates une pochade plutôt bien écrite (souvent programmée aux Etats-Unis), beaucoup d'autres oeuvres témoignent d'un métier sérieux : Island Prelude, 2 Quatuors à cordes (n°1), un Quintette avec flûte, Amazon, Sequoia, un Concerto pour piano & orchestre (Part 1, Part 2, Part 3) et un Concerto pour orchestre (Début, Fin). Certaines oeuvres citées datent de la période passée en résidence de l'Orchestre de St. Louis (1988-1991).
Gloria Coates (1938- ), autre américaine, a étudié la musique aux Etats-Unis puis en Europe, au Mozarteum de Salzbourg et en leçons privées avec Alexandre Tcherepnine. Depuis 1969, elle réside principalement à Munich. Elle s'est révélée très éclectique dans ses choix artistiques et cela lui a plutôt bien réussi, son catalogue étant largement édité et enregistré, en particulier chez Naxos. Sa musique est autant influencée par le minimalisme américain que par le Krzysztof Penderecki de la première période, György Ligeti ou Iannis Xenakis. Son oeuvre considérable propose, à ce jour, 15 Symphonies (1, 4, 8, 15), 9 Quatuors à cordes (3, 8) tous enregistrés chez Naxos. D'autres oeuvres disponibles sont Lunar Loops, Cantata da Requiem, Poems for Peace. Ecoutez encore l'habile Lunar Loops, pour 2 guitares.
On peut parler d'Ellen Taaffe Zwilich (1939- ) en des termes relativement similaires. Elle fut la première femme diplômée de la Julliard School (1975) et à remporter le fameux Prix Pulitzer (Symphonie n°1, 1983). Bien que ses débuts aient été imprégnés d'atonalité, elle s'est comme beaucoup d'autres redirigées vers le postmodernisme ambiant dans sa tendance néo-baroco-classico-romantique, une conséquence possible du décès prématuré de son violoniste de mari, Joseph Zwilich (Concerto Grosso, une oeuvre particulièrement plaisante). Quelques oeuvres importantes, Symbolon, Symphonies 2 & 3 résultèrent de commandes du New York Philharmonic, auxquelles on ajoutera une série de concertos pour instruments divers : Concertos pour violon, pour trombone (basse), flute, hautbois, clarinette, basson, cor et trompette. Une musicienne on ne peut plus américaine mais si attachante !
La russe Elena Firsova (1950- ), inquiétée comme tant d'autres, a du se résoudre à fuir son pays d'origine en compagnie de son mari, Dmitri Smirnov, également compositeur (Blake Sonata (Part 1, Part 2) ) et de ses deux enfants dont Alissa Firsova pianiste, chef d'orchestre et compositrice à ses moments perdus. La famille vit actuellement au Royaume Uni. Elena Firsova a reçu des commandes d'institutions aussi diverses que le Concertgebouw Orchestra, le Quatuor Brodsky, les BBC Proms ou Expo 2000 (Hanovre). Voici quelques oeuvres significatives : Before the Thunderstorm, Concerto de chambre, Concerto n°1 pour violoncelle (Part 1, Part 2), Concerto n°4 pour violoncelle. Sa musique est reconnue internationalement et est publiée chez Boosey & Hawkes (Londres), Hans Sikorski (Hambourg) et G. Schirmer (New York).
Kajia Saarihao (1952-2023) apparaît comme la plus française des artistes finlandaises. Elle a étudié simultanément les beaux-arts et la musique avant d'opter pour celle-ci. Elève de Paavo Heininen, à l’Académie Sibelius d’Helsinki, elle a poursuivi ses études à Darmstadt et à Fribourg, fréquentant les enseignements pointus de Brian Ferneyhough et Klaus Huber, enfin à Paris où elle réside principalement. C'est précisément à l'IRCAM parisien qu'elle s'est initiée aux techniques informatiques, les incorporant subtilement dans une écriture constamment à la recherche de timbres nouveaux mais sachant heureusement rester poétique. Les premières oeuvres parisiennes s'inscrivent dans le courant spectral, initié par Giacinto Scelsi (1905-1988) et popularisé (si l'on peut dire !), en France, par Tristan Murail (Les sept Paroles, une oeuvre récente (2010) à découvrir en priorité plutôt que d'autres, antérieures et plus difficiles d'accès). Rappelons que ce mouvement esthétique est né en réaction au sérialisme généralisé des années 1960 et qu'il a prôné un retour à la flèche du temps en musique (comme les musiques répétitives aux États-Unis mais avec des moyens très différents). L'oeuvre de Kajia Saarihao connaît de beaux développements depuis les années 1990 où le lyrisme retrouve pleinement ses droits même si les tendances spectrales demeurent présentes (L'Aile du Songe, Orion (Part 1, Part 2, Part 3)). Son opéra, L'Amour de loin (2000) a connu un réel succès, digne de celui rencontré par le St François d'Assise de Messiaen, sur la même scène parisienne, 25 ans auparavant. L'English National Opera en a proposé une création londonienne époustouflante, avec la participation des artistes du Cirque du Soleil, et le Met a fait aussi bien avec la mise en scène de Robert Lepage, Magique !
Dr. Dorothee Eberhardt-Lutz (1952- ) est une artiste allemande particulièrement attachante dont la musique, parfaitement actuelle, demeure constamment accessible. Au plan littéraire, elle possède un bagage considérable, reposant sur des études universitaires en philologies grecque et orientale, philosophie et musicologie. Elle a parfait sa formation musicale au Trinity College et au Goldsmiths College (London) avant de revenir s'installer dans son pays d'origine, en 1992. Outre qu'elle enseigne et compose, elle joue d'un nombre impressionnant d'instruments (piano, clarinette, saxophone et violon) et cela se sent à l'écoute des pièces de musique de chambre qu'elle écrit pour des formations restreintes. Ecoutez les sonorités magiques de flageolet qui ouvrent Táxis (2011), pour flûte & piano .
Elle réussit à intégrer son vaste bagage culturel avec beaucoup de bonheur dans une musique jamais mièvre n'appartenant à aucune chapelle particulière : Time Changes I-III, Trios à clavier, n°1 & 2, 3, 4, Steps I-V, pour violon & violoncelle (plages 1 à 5). Son catalogue comprend une cinquantaine d'opus où domine la musique de chambre. On rêve d'entendre les quelques pièces écrites pour grand orchestre, Flux, Magpaco ou Gamma.
La lithuanienne Onute Narbutaite (1956- ) défend la musique balte avec un brio incontestable. Bien qu'elle récuse toute appartenance à une école particulière, ce qui en musique est souvent regardé (à tort) avec un brin de suspicion, elle s'est imposée sur beaucoup de scènes internationales, Stockholm, Helsinki, Munich, Bern, Amsterdam, Seattle, au Canada ainsi qu'au Japon. Elle écrit des oeuvres tour à tour contemplatives voire planantes (Open the Gate of Oblivion, Symphonie n°1) ou plus énergiques voire telluriques (Symphonie n°2 ou l'opéra, Kornetas). L'avenir dira si cette musique un brin passe-partout franchira le seuil de la postérité mais le fait est qu'elle se laisse écouter avec plaisir sinon intérêt.
Unsuk Chin (1961- ) est une musicienne coréenne établie à Berlin. Son art sans concession - comprenez : comportant une bonne dose d'expérimentation - a été approuvé par beaucoup d'interprètes fameux (Christian Tetzlaff, Quatuor Kronos, Kent Nagano, Simon Rattle, Gustavo Dudamel, Esa-Pekka Salonen, Neeme Järvi, Peter Eötvös, David Robertson, George Benjamin, ...) mais moins par le public, difficulté oblige (Double Concerto, Concerto pour violoncelle (Part 1, Part 2, Part 3, Part 4)). Elle a reçu le Grawemeyer Award, en 2004, pour son superbe Concerto pour violon. Elle intègre régulièrement à son écriture des instruments orientaux (Concerto pour sheng & orchestre), des composants électroniques (Xi), des gamelans balinais, voire des techniques médiévales (palindromes et canons à l'écrevisse). Chin a également composé un opéra féérique, Alice in Wonderland, basé sur le grand classique de Lewis Carroll, une oeuvre très accessible et à découvrir !
Jennifer Higdon (1962- ) est une compositrice américaine fréquemment jouée Outre-Atlantique par des chefs aussi connus que, Christoph Eschenbach, Marin Alsop, Leonard Slatkin et Giancarlo Guerrero. En Europe, nous ne pouvons connaître son oeuvre qu'au travers d'enregistrements trop rares et d'accès malaisé. Venue tardivement à la musique, elle a peu subi le poids des traditions : son approche du modernisme s'en est trouvée décomplexée, avec une forte assise tonale. Sa musique possède surtout l'influx nerveux qui caractérise nombre de productions américaines (Trio à clavier, Concerto pour percussion & orchestre, Concerto pour orchestre). Tous les grands orchestres américains, Philadelphie, Cleveland, Chicago, Atlanta, Minnesota, Pittsburgh, Indianapolis, Dallas, ..., lui ont commandé des oeuvres, qui peut dire mieux ? Blue Cathedral (Début, Fin), une élégie à la mémoire de son défunt frère, compte parmi les oeuvres les plus souvent jouées aux Etats-Unis (plus de 400 fois depuis sa création en 2000 !). Elle n'est pourtant pas essentielle : préférez plutôt le Concerto pour violon, qui lui a valu le Prix Pulitzer 2010.
La russe Lera Auerbach (1963- ) - de son vrai nom, Валерия Львовна Ауэрбах -, est la petite dernière dans une énumération qui ne devrait pas se terminer de si tôt. Lera Auerbach perpétue la tradition des compositeurs et pianistes virtuoses russes, comme en témoigne "sa suite" de 24 Préludes, opus 41 (n°2, n°12, n°16, n°24). Elle est la plus jeune compositeur présente au catalogue de la prestigieuse maison d’édition Hans Sikorski, célèbre pour avoir édité, en son temps, Prokofiev, Schostakovitch, Schnittke, Goubaïdoulina et Kantcheli. Sa musique juxtapose tous les styles avec beaucoup d'à-propos : Serenade for a melancholic sea, superbe Poème symphonique Icarus, Symphonie n°1 "Chimera", Sogno di Stabat Mater, d'après le Stabat Mater de Pergolèse, superbement jouée, ici, par la Kremerata Baltica, Quatuor à cordes n°3 (Part 1, Part 2, Part 3).
Beaucoup d'autres musiciennes auraient pu figurer en bonne place dans cet inventaire qui n'a toutefois pas la vocation encyclopédique : avec des talents variés et j'en conviens, inégaux, la tchèque Vítězslava Kaprálová (1915-1940), trop tôt disparue (Concerto pour piano), l'anglaise Doreen Carwithen (1922-2003) (Remarquables Concerto pour piano et Quatuor n°1), la néo-zélandaise Jenny Mc Leod (1941- ) (Little Symphony, Rock Concerto), la française Michèle Reverdy (1943- ) (Dix musiques minutes), l'uzbekisto-australienne Elena Kats Chernin (1957- ) (Concerto n°2 pour piano, Trio à clavier), l'ukrainienne Victoria Poleva (1962- ) (Psaume 50, Quintette à clavier), l'allemande Isabel Mundry (1963- ) (Dufay - Bearbeitungen, Sandschleifen), l'américiane Elena Ruehr (1963- ) (Quatuor n°3, une oeuvre qui se souvient du cycle, Salome Dances For Peace de Terry Riley), l'autrichienne Olga Neuwirth (1968- ) (Torsion), la canadienne Vivian Fung (1975- ) (Concerto pour violon, Quatuor n°2), auraient peut-être pu revendiquer davantage qu'une simple mention.
Note. Si l'on s'écarte du domaine de la musique dite savante, on est assuré de faire d'autres rencontres tout aussi passionnantes. La place, le temps et surtout ma connaissance du sujet manquent pour les évoquer "toutes" dans les termes appropriés. Pourtant, je souhaite faire une exception concernant Meredith Monk (1942- ), une musicienne-chanteuse qui a exploré nombre des possibilités offertes par la voix humaine. Certes l'idée n'était pas nouvelle - pensez au Pierrot lunaire de Schönberg ou aux Stimmungen de Stockhausen - mais la différence est qu'elle a maintenu, en permanence, le lien bienfaisant entre la voix et le chant (Do you be). Chanteuse avant toute chose, dotée d'une voix étonnante, elle ne compose pas à proprement parler, jugeant ses oeuvres impossibles à noter dans tous les détails. Elle a pallié le problème en se proclamant interprète privilégiée de ses oeuvres. Atlas est sans doute son opus le plus ambitieux et une de ses plus belles réussites. Plusieurs albums sont disponibles chez ECM dont le légendaire Book of Days. On a souvent évoqué son art comme une composante du mouvement minimaliste, c'est ce qu'atteste Gotham Lullaby, extrait de cet autre album ECM, Dolmen Music, qui évoque on ne peut plus clairement l'univers sonore de Wim Mertens. Elle a d'ailleurs collaboré un temps avec le jeune Philip Glass.
Au terme de ce périple, une conclusion s'impose : à moins de connaître précisément les oeuvres mentionnées, il est impossible de déceler à l'écoute si un homme ou une femme les a écrites, CQFD. Comme chez les messieurs, l'excellent y côtoie l'anecdotique. Grażyna Bacewicz, Galina Ustwolskaja, Sofia Gubaidulina, Thea Musgrave, Kajia Saarihao, Unsuk Chin et Lera Auerbach sont à coup sûr essentielles mais n'oubliez pas Onute Narbutaite, Dorothée Eberhardt-Lutz et toutes les autres dans l'ordre qui vous aura plu.