Bon d'accord, "négligé" est un peu forcé, cela dit, citez-moi trois oeuvres de Chausson, autres que le Poème !
Vous cherchez une idée de cadeau raffiné pour un parent ou un ami mélomane, francophile peut-être mais ce n'est pas indispensable, j'ai peut-être ce qu'il vous faut : l'oeuvre d'Ernest Chausson (1855-1899) renferme des trésors d'un lyrisme passionné prêts à satisfaire tout amateur distingué. Chausson a un temps fait partie de ces musiciens qu'on réduisait au chef-d'oeuvre unique (tels L'Apprenti Sorcier de Paul Dukas, les Planètes de Gustav Holst, Carmina Burana de Carl Orff, ..., amusez-vous à trouver d'autres exemples, il n'en manque pas), en l'occurrence le célèbre Poème pour violon & orchestre. Pour tout dire et puisque le temps des résolutions approche pour l'année nouvelle, j'ai juré de ne plus écouter ledit poème avant d'avoir épuisé le catalogue des autres oeuvres de Chausson. Par bonheur ou par malheur, c'est selon, il n'est pas très étendu, 39 numéros d'opus non tous enregistrés, auxquels il convient d'ajouter des pièces éparses non numérotées. L'artiste, exigeant, n'écrivait qu'avec peine et, de plus, il est mort relativement jeune, d'un stupide accident de bicyclette.
Chausson est né dans un milieu privilégié. Son père, assistant du Baron Haussmann dans le redéveloppement urbanistique de Paris, ne manqua de rien et il en fit profiter le jeune Ernest, seul enfant à survivre d'une fratrie de 5 : un précepteur privé l'initia aux Arts, lui inculquant le goût des belles choses et du travail bien fait. Chausson fit des études de droit pour plaire à son père mais c'était la musique qui l'intéressait. Il l'étudia tardivement (il avait déjà 25 ans) dans les classes de Jules Massenet et de César Franck, ne commençant à composer que vers 1878. Il se présenta au Grand Prix de Rome et il fut recalé, un beau scandale. Comme il en avait les moyens, il voyagea pas mal, se payant le pèlerinage à Bayreuth, en compagnie de Vincent d'Indy, afin d'assister à la création de Parsifal, en 1882. En 1886, il devint secrétaire de la Société nationale de musique et se lia d'amitié avec Paul Dukas et Claude Debussy. Tiraillé entre sa passion pour la musique de Wagner et le souci d'adhérer au mouvement national français, il ne trouva réellement son style qu'avec le fameux poème de 1896. Hélas il ne lui restait plus que trois ans à vivre.
Rendez-vous rue de Courcelles, lors de votre prochaine escapade à Paris : vous découvrirez ce qui est écrit sur la plaque commémorative que l'on devine sur la façade de cet immeuble cossu.
De toute évidence, les Chausson ne vivaient pas sur la paille. C'est dans cet hôtel particulier, tapissé de toiles impressionnistes, qu'ils tinrent salon, recevant la fine fleur de l'intelligentsia parisienne (Mallarmé, Fauré, Monet, ...). Cette demeure abrite actuellement (et provisoirement ?) l'Ambassade de Lituanie, un geste de la France qui ne parvient pas à restituer aux Pays Baltes leurs bâtiments, abusivement occupés par l'agence russe, Ria-Novosty. Un procès à caractère diplomatique est en cours depuis 20 ans, autant dire qu'il n'est pas près d'être réglé.
L'oeuvre de Chausson fait le lien entre le romantisme de ses maîtres Massenet et Franck et l'impressionnisme. Elle est peu abondante, 39 numéros d'opus, mais exempte de déchet. Le catalogue des oeuvres enregistrées est presque complet, aucune oeuvre importante ne manquant à l'appel, sauf deux oeuvres de jeunesse, Les Caprices de Marianne et Hélène.
Chausson a peu écrit pour le piano solo, sauf de petits tableaux dont les 5 Fantaisies pour piano, opus 1 (1879-80). L'ensemble des mélodies est nettement plus consistant, dans la veine de ce qu'a écrit son collègue Henri Duparc (1848-1933). Vous privilégierez naturellement les interprétations incomparables de Gérard Souzay, l'une des voix françaises les plus irremplaçables (Nanny, opus 2 n°1, Cantique à l'Epouse, opus 36 n°1 et l'extraordinaire Le temps des Lilas (Hors catalogue : comparez avec la version du contre-ténor Philippe Jaroussky)). Les voix féminines sont également bien présentes dans ce répertoire, Marie-Nicole Lemieux dans L'Albatros, Janet Baker dans La Chanson perpétuelle, opus 37, ou Jessye Norman dans Le Colibri, opus 2 n°2.
Le moment est venu de proposer les idées de cadeaux qui vous distingueront des négociants en cravates ou eaux de toilette. Le seul problème est que les enregistrements planant au-dessus de toutes critiques ne sont pas légions, l'inertie des interprètes français étant une fois de plus à déplorer. Comment se fait-il que pour disposer d'une intégrale des mélodies, il faille fouiller le catalogue Hyperion ?