Genres musicaux

Les Cantigas de Santa Maria

Alfonso El Sabio
Alfonso El Sabio

Alphonse X le Sage - ou le Savant - (1221-1284) fut roi de Castille et de Leon. Accessoirement, il fut, de 1257 à 1273, roi des Romains lors du grand interrègne du Saint Empire Romain Germanique, déclaré ouvert à la disparition de Frédéric II, le dernier des Hohenstaufen. Ce titre intérimaire lui fut cependant contesté par Richard d'Angleterre, Comte de Cornouailles et favori du pape.

Ce monarque érudit fut davantage préoccupé par les sciences et les arts que par la Reconquista, ce qui eut sans doute quelque rapport avec le fait qu'il ne fut jamais proclamé Empereur du Saint Empire. Pour votre information, cette distinction échut finalement - après 17 années de palabres - à Rodolphe 1er, le premier représentant en fonction de la maison des Habsbourg.

Son oeuvre culturelle est immense et remarquablement diversifiée : il préconisa de remplacer le latin par le castillan dans les textes savants, il publia les tables (alphonsines) répertoriant les étoiles visibles et enfin, il supervisa l'édition de travaux de synthèses dont une Histoire du monde et d'Espagne, trois tomes sur les Jeux de société (dont une étude des stratégies à un jeu d'échecs apparenté au jeu actuel) et des Recueils de poésies en musique.

En musique précisément, son œuvre majeure est un somptueux recueil de quelques 427 pièces monodiques (sans compter le prologue et l'épilogue), en fait des hymnes religieux à la gloire de miracles attribués à la Vierge Marie, d'où son titre générique "Cantigas de Santa Maria". C'est un des premiers corpus musicaux importants à nous être intégralement parvenus. Quatre copies existent qui se recoupent largement : trois sont conservées à Madrid et la quatrième à Florence. Les manuscrits, richement illustrés, présentent un instrumentarium médiéval d'une belle diversité. Si vous voulez entendre sonner ces instruments, consultez cette référence.

Doubles trompes
Doubles trompes
Chalemie & darbouka
Chalemie & darbouka
Cornemuse
Cornemuse
Chalumeaux à coloquintes
Chalumeaux à coloquintes

La part réellement prise par le souverain dans cette oeuvre majeure n'est pas absolument connue. Il est probablement l'auteur de certains textes, en particulier ceux qui tiennent lieu d'introduction et de conclusion. La plupart des musiques sont certainement empruntées à des mélodies existantes, rassemblées aux quatre coins du Royaume et du Saint Empire Germanique. C'est ainsi qu'à côté de cantigas de Valencia, Toledo ou Sevilla, on trouve des cantigas celtas, de Bizancio, de Italia ou de Francia.

Le manuscrit - déjà une oeuvre d'art en soi - a, on s'en doute, fait l'objet d'études approfondies. L'Université d'Oxford a compilé une base de données permettant de trier les cantigas par numéros ou par incipit. Les textes des poèmes sont disponibles ici et une compilation encyclopédique des enregistrements existants - mais non nécessairement disponibles - existe à cette adresse. On découvre que certaines pièces connaissent un succès particulièrement grand, tel le Cantiga 100, enregistré près de 40 fois !

Cette chronique serait de peu d'intérêt si je ne proposais pas de plonger dans le temps, à l'écoute de cette musique différente mais si nostalgiquement belle. Les cantigas sont largement disponibles à l'écoute sur la toile, seul le nombre et la versatilité des interprétations risquent d'égarer l'auditeur mal préparé.

Voici pour débuter un petit florilège de pièces attrayantes. Si vous n'en goûtez pas le charme, autant abandonner tout de suite, cette chronique n'est probablement pas pour vous : Cantigas Oraçon con piadade (CSM 205), A Santa Maria dadas sejan loores onrradas (CSM 140), De muitas maneiras De muitas maneiras Santa Maria (CSM 299), En todo tempo faz ben (CSM 111), A Santa Madre daquele que a pe sobelo mar andou (CSM 236), Pois que Deus quis da Virgen fillo (CSM 38), Pois aos seus que ama (CSM 264) , Com' en si naturalmente (CSM 335) .

Les titres mentionnés correspondent, en principe, aux premières paroles effectivement chantées mais sachez qu'il arrive qu'un éditeur mentionne un titre différent. Dans le doute, le numéro CSM devrait vous renseigner. Ainsi le Cantiga 371 a été enregistré par Eduardo Paniagua sous l'intitulé "La Mujer Naufraga" dans son album Rosa de las Rosas mais le catalogue d'Oxford l'identifie plus sûrement par son incipit, Tantos vai Santa Maria.

Eduardo Paniagua
Eduardo Paniagua

Le nombre des interprètes qui se sont - au moins sporadiquement - penchés sur ces Cantigas est étonnamment grand. Parmi eux, il en est un qui leur a consacré une large part de son activité : Eduardo Paniagua, architecte de formation mais dont le plus grand monument édifié à ce jour est d'ordre musical.

Eduardo Paniagua s'est spécialisé dans le répertoire de l'Espagne médiévale. Il a commencé sa carrière au sein du groupe familial, Atrium Musicae, puis a fondé les groupes de musique arabo-andalouse, Cálamus et Hoquetus et, en 1994, les groupes Musica Antigua (consacré à l'intégrale des Cantigas) et Ibn Baya (codirigé avec Omar Metioui). Il a aussi fondé son propre label, Pneuma, qui réédite en particulier d'anciens enregistrements, disparus des catalogues. Ne vous étonnez pas, dès lors, de rencontrer, sous sa direction, plusieurs versions différentes d'un même cantiga.

Enregistrer l'intégrale des cantigas n'est pas une mince affaire. Une bonne vingtaine d'albums sont déjà édités et on en attend encore autant si l'on veut que le compte y soit. J'épingle, en priorité : Cantigas de Santa Maria del Puerto (CSM 151, 328, 358, 356, 364, 377, 378, 382, 385), particulièrement varié aux plans rythmique et instrumental, Cantigas De Catalunya (168, 113, 194, 146, 48, 311, 57, 154, 312) pour la couleur locale, Cantigas de Bizancio (CSM 9, 34, 29, 264, 46, 28, 145, 265, 131, 25, 342, 138), apportant l'indispensable touche arabisante et Cantigas Celtas (CSM 386, 108, 23, 101, 36, 85, 86, 226, 285, 207), démontrant que la mode celtique ne date pas d'hier.

Si cela vous a plu, poursuivez par d'autres albums, Cantigas De Madrid, Cantigas De Castilla - La Mancha, Cantigas De Castilla Y Leon, Virgen de Atocha, Remedios Curativos, La vida de Maria, Caballeros, Camino de Santiago, Cantigas des Mediterraneo, Cantigas de Francia, Cantigas de Italia, Cantigas de Sevilla, Cantigas de Toledo, Cantigas de Valencia, Cantigas de Jerez, Cantigas de Extremadura, Bestiario et Cantigas de Judio y Moros.

Voici, à présent, quelques pièces, en version intégrale, Cantiga Santa Maria amar (CSM 7), Mui gran poder á a Madre de Deus (CSM 22), Como Deus fez vynno d'agua (CSM 23), A Virgen Madre de Nostro Sennor (CSM 41), Mui gran dereit' é d' as bestias obedecer (CSM 52), Quen mui ben quiser o que ama guardar (CSM 64), A Santa Maria mui bon servir faz (CSM 82), Ben pod'a sennor sen par fazer oyr e falar (CSM 101), Quena Virgen ben servirá a Parayso irá (CSM 103), Tantas nos mostra a Virgen (CSM 152), Caballero Preso (CSM 158), Tantas en Santa Maria son mercees e bondades (CSM 173), Ben sab' a que pod' e val (CSM 179), Cantand' e en muitas guisas (CSM 291), Com'á Gran Pesar A Virgen (CSM 341), Tantos vai Santa Maria (CSM 371).

Esther Lamandier (CSM 384, 159, 60, 340, 150, 322, 391, 27, 20)
Esther Lamandier (CSM 384, 159, 60, 340, 150, 322, 391, 27, 20)

Parmi les interprètes qui se sont intéressés à ce répertoire, la soprano Esther Lamandier occupe une place privilégiée. Sa voix très typée, conduite avec une technique impeccable, est inégalable dans A que por gran fremosura (CSM 384), extrait du CD ci-contre. Aujourd'hui, cette artiste d'exception est engagée dans l'enseignement du chant biblique.

Un répertoire aussi lointain entraîne inévitablement des problèmes (donc des querelles) d'interprétation, jamais résolus. Dans ces conditions, autant vous en remettre à vos goûts personnels.

Des groupes instrumentaux ont également joué ce répertoire, court-circuitant purement et simplement les parties chantées.

Les ensembles qui suivent - mais il y en existe beaucoup d'autres - ont apporté chacun leur contribution à l'édifice des Cantigas :

Nous avons conservé, grâce à Youtube, le souvenir d'un concert donné à Timisoara (Roumanie) le 23-09-2007, par des interprètes inconnus chez nous (Csilla Peter, Caius Hera, Sasha Liviu Stoianovici, Spyros Koliavasilis, Lucian Naste et Grigore Teodorescu). La précarité d'un son pris à la sauvette (surtout dans le deuxième extrait qui suit) ne réussit pas à briser le charme d'une interprétation, remarquable d'équilibre dans Por que nos ajamos (CSM 9), Non é gran cousa se sabe (CSM 26), A Madre do que livrou (CSM 4) et enfin dans un cantiga que la mauvaise prise de son ne m'a pas permis d'identifier par son incipit. Moins idiomatique que toutes celles évoquées précédemment mais très soucieuse du beau son, elle m'a particulièrement séduit par le balancement idéal qu'elle réserve à chaque mélodie.

Enfin, l'Ensemble Nour revisite complètement ce répertoire comme dans cette version longue de Miragres fremosos (Cantiga 37), sensationnel !

Il est remarquable qu'une musique aussi ancienne ait survécu à l'usure du temps sans perdre de sa vitalité. On trouve même actuellement des artistes issus de sphères lointaines qui revisitent ces Cantigas en leur conférant un look résolument moderne. Ecoutez l'adaptation du groupe électro-médiéval (!), Qntal, à faire hurler les puristes mais sûrement pas les loups. Après tout, n'est-ce pas le signe d'une belle santé qu'une musique produise encore un écho, même déformé, 800 ans après avoir été écrite ?