Sans Bach, la théologie serait dépourvue d'objet, la création fictive, et le néant péremptoire; s'il y a quelqu'un qui doit tout à Bach, c'est bien Dieu. (Emil Cioran, Syllogismes de l'amertume)
Bach sollte nicht Bach, sondern Meer heißen. (Ludwig van Beethoven. Jeu de mots sur : Bach = ruisseau et Meer = océan)
Imaginez que vous soyez condamné(e) à l'exil sur une île perdue et que vous n'ayez le choix que d'une seule sorte de nourriture, que choisiriez-vous : du pain ou des gâteaux à la crème ?
Les Cantates sacrées de Bach, c'est comme le pain : on ne s'en lasse pas. Plus de 200 partitions complètes nous sont parvenues, isolées ou plus souvent distribuées parmi cinq cycles répartis sur tous les dimanches et jours de fêtes du calendrier liturgique. Certaines, peu nombreuses, étant d'attribution incertaine, le nombre exact d'oeuvres incontestablement de la main du Maître fait encore débat. Dans le catalogue établi par Wolfgang Schmieder, les Cantates d'église portent les premiers numéros BWV (Bach-Werke-Verzeichnis). A noter que ce catalogue est thématique : il regroupe les œuvres par thème calendaire, sans se préoccuper de leur date de composition.
Il existe un corpus distinct de cantates profanes qui ne font pas parties de cette revue. Certaines de ces oeuvres (BWV 213, 214 & 215, par exemple) ont fourni le matériau de base pour l'Oratorio de Noël, BWV 248, selon le procédé de la parodie, répandu à l'époque baroque.
La structure des cantates est relativement invariable : elles peuvent comporter une sinfonia instrumentale en guise d'ouverture et des récitatifs courts sur des textes de l'évangile s'intercalent entre les airs pour soliste(s) accompagnés (flûte, hautbois, violon, violoncelle, cordes réunies, etc.) et des chœurs. L'un ou l'autre choral luthérien ponctue chaque partition et souvent la termine.
La qualité musicale de cet ensemble majeur pose au discophile peu fortuné le problème cruel de choisir donc de renoncer. A côté d'intégrales diversement coûteuses - elles exigent tout de même de l'ordre de 60 CD ! - il existe des sélections plus ou moins judicieuses qui font courir le risque de doublons tant elles ont tendance à se concentrer sur quelques cantates célèbres :
Que l'on opte pour une sélection ou pour une intégrale, le problème de la qualité de l'interprétation se pose avec acuité. L'interprétation des œuvres de Bach a beaucoup évolué en 70 ans, bénéficiant des acquis du mouvement baroqueux initié dans les années 1960. Ce mouvement se caractérise par un recours à de petits ensembles d'instruments anciens, originaux ou copie d'originaux, et surtout par une technique de jeu complètement déromantisé qui privilégie la netteté des attaques et des articulations. La conduite du chant a également été revisitée, l'idée étant de retrouver une sonorité "authentique", autant que faire se peut.
Cependant, vous n'êtes nullement obligé d'adhérer à certaines positions extrêmes préconisant de jouer sur des trompettes ou des cors naturels qui sonnent tous faux : cela peut être défendable au plan historique mais pas vraiment au plan esthétique. Il n'est nullement interdit de penser que Bach en personne aurait accueilli avec enthousiasme tout progrès dans la facture instrumentale et ce n'est pas le trahir que de jouer ses œuvres avec un minimum de confort moderne pour l'oreille. On sait d'ailleurs que Bach se plaignait de la qualité des exécutions de ses œuvres.
De même, vous n'êtes pas davantage tenu de subir des arias de soprano confiés à de jeunes garçons n'ayant pas encore mué. A de rares exceptions, ils chantent également faux et fatalement sans amplitude. Cette option a pourtant été retenue par Nikolaus Harnoncourt, un des papes baroqueux, dans son intégrale historique parue chez Teldec. Par contre, il existe un consensus, quoique non universel, pour confier les parties d'alto à des contre-ténors. L'exemple suivant infirme pourtant cette tendance et je ne peux résister à vanter la voix et le chant sublimes de la mezzo Magdalena Kožená dans l'air Freue dich, erlöste Schar, extrait de la Cantate BWV 30. Retrouverez-là dans le même extrait, mise en scène dans une vidéo onirique délicieuse de justesse (Adorable !).
Certains chefs se sont contentés d'enregistrer quelques œuvres choisies. On peut faire de très belles rencontres en fouillant dans les archives. Voici quelques références parmi d'autres :
La firme Decca a gravé, il y a longtemps, un très beau CD comportant les Cantates BWV 80 & 140. Tout est parfait dans cet enregistrement pourtant à l'ancienne : la direction de Karl Munchinger, l'entrain des musiciens du Stuttgarter Kammerorchester et, ce qui ne gâte rien, une prise de son exemplaire. Je ne résiste pas au plaisir de vous proposer le tube qui ouvre la Cantate 140, Wachet auf, ruft uns die Stimme .
Pour la petite histoire, je mentionne ce CD enregistré chez Das Alte Werk, reprenant les Cantates 206 & 208, dirigées par … André Rieu ! Ce n'est pas une farce, le papa d'André s'appelait aussi André; c'était un chef renommé qui n'a pas eu le bonheur de faire fortune.
Hermann Scherchen (chez Westminster) et Helmut Winschermann (chez Philips Records) ont enregistré quelques dizaines de Cantates dans les années 1950-60. De même, à la fin de la guerre 40-45, quelques lointains successeurs du Cantor à l'église St Thomas de Leipzig, Günther Ramin, Kurt Thomas, Erhard Mauersberger et Hans-Joachim Rotzsch ont enregistré des cantates chez Berlin Classics, en mémoire du séjour que Bach y a effectué entre 1723 et 1750. Très éloignées des standards actuels, ces interprétations ne sont plus guère écoutées que par les archéologues ou les nostalgiques.
Sans militer dans quelque recherche authentique que ce soit, Karl Richter a enchanté ses auditeurs entre 1958 et 1975. Il a enregistré 75 cantates avec des solistes de premier plan, Théo Adam, Ursula Buckel, Keith Engen, Ernst Haefliger, Julia Hamari, Edith Mathis, Anna Reynolds, Peter Schreier. Remarquez les prénoms féminins : il n'y a pas de place pour les voix de garçons ou de contre-ténors ! Cette intégrale semble avoir disparu des circuits de distribution : j'ai trouvé les 75 cantates chez Amazon pour la somme extravagante de ... 4500 $ !
Philippe Herreweghe, toujours excellent dans Bach, a enregistré une vingtaine de cantates chez Harmonia Mundi depuis 1987 et il complète l'ensemble à son rythme.
Enregistrer une intégrale des cantates n'est, on s'en doute, pas une mince affaire. C'est un travail de longue haleine, difficile à mener à terme en maintenant une qualité constante. Soyons clairs, l'intégrale parfaite n'existe pas : toutes ont, au moins un point faible au niveau de tel ou tel intervenant : orchestre, chef, solistes instrumentaux, solistes vocaux ou choeur. Passons rapidement en revue les intégrales disponibles :
L'histoire de cette collaboration improbable entre une firme suédoise et des interprètes japonais a de quoi surprendre. Les membres de l'ensemble Collegium Bach Japan cherchaient désespérément un éditeur prêt à immortaliser leurs interprétations hebdomadaires des cantates de Bach au Japon. Le directeur de la firme BIS, contacté à cet effet, s'est rendu sur place, sans grande conviction, selon ses propres dires. Cependant, ce qu'il a entendu mais aussi ce qu'il a ressenti au contact d'interprètes complètement investis, l'a convaincu d'entreprendre ce qui ressemble, de prime abord, à une folie commerciale. Aujourd'hui le résultat apparaît, confondant de justesse, montrant l'exemple aux musiciens européens peinant à entretenir, sur la durée, un enthousiasme de ce calibre.
Les mots manquent pour décrire les trésors que ces Cantates recèlent et je m'en tiendrai, d'emblée, à quelques exemples choisis au hasard, essayez de les retrouver à l'adresse mentionnée ci-avant :
Masaaki Suzuki a également enregistré l'ensemble des cantates profanes en 10 CD (CD n°1, BWV 210 & 211; CD n°5, BWV 213 & 214). Voici l'ensemble complet dans la version dirigée par Ton Koopman.