Voici un court devoir de vacances, du genre de ceux qu'on ne peut manquer car il concerne de jeunes musiciens qui s'investissent totalement pour la juste cause de la musique contemporaine. Ils sont beaux à voir et à entendre.
Armida, retenez ce nom, c'est celui d'un quatuor à cordes sans doute appelé à une grande et belle destinée. Son nom est emprunté au titre d'un opéra de Joseph Haydn, le père du quatuor à cordes (vous suivez ?), d'après le texte de la Jérusalem délivrée du Tasse. Pour mémoire, l'épisode de la magicienne Armida tombant amoureuse du chevalier croisé Renaud (Rinaldo) qu'elle devait neutraliser a également inspiré Lully, Haendel, Vivaldi, Jommelli et même bien plus tard, Rossini et, encore plus surprenant, Dvořák !
Comme les 800 pensionnaires de 12h30 à la Salle Pasteur du Corum à Montpellier, j'ai eu la chance d'entendre ces quatre jeunes gens en concert mémorable. Martin Funda (1985- ), Teresa Schwamm (1988- ), Johanna Staemmler (1987- ) et Peter-Philipp Staemmler (1986- ) ont entre 25 et 30 ans et un talent évident mû par un professionnalisme déjà sans faille. Fondé en 2006, leur ascension publique a réellement commencé lors des concours de Genève, en 2011, puis de Munich, en 2012, où ils ont tout raflé.
Ils sont entrés sur scène, sérieux mais décontractés, ont salué de concert et se sont assis sans manières face à des lutrins bien réglés. Sans accord préalable (quel confort !) ils se sont lancés dans le Quatuor, opus 1, de György Kurtág (1926- ) , une oeuvre pas facile, datée de 1959. Ecrite dans la mouvance sérielle d'Anton Webern, elle paraîtrait incompréhensible à une majorité d'auditeurs peu habitués à ce déluge d'information sonore mais sous les gestuels archets du Quatuor Armida, elle est apparue d'une lumineuse évidence. Constamment à l'écoute mutuelle, ces quatre jeunes gens ont servi l'oeuvre avec une science qui laissa le public interdit, en particulier de tousser. Les applaudissements plurent même si je dois admettre que pour ce qui est de l'ovation, il fallut attendre l'interprétation qui suivit du Quatuor D 887 de Schubert .
Cette programmation inhabituelle - surtout pour un concert de midi ! - n'est nullement le fruit du hasard : le Quatuor Armida milite afin que la musique contemporaine s'insère naturellement dans le concert actuel. Il est conscient de l'effort que cette démarche exige du public mais il montre l'exemple par sa rigueur et son enthousiasme communicatif. Un CD Bartok-Kurtag-Ligeti est paru chez Cavi, qui alimente cette profession de foi et un autre paru chez Naxos où ils jouent le Quatuor n°1 d'une musicienne américaine d'origine allemande peu connue chez nous, Ursula Mamlok (1923- ). Les plus frileux seront heureux de les retrouver dans le répertoire classico-romantique : Mozart, Beethoven, Smetana. Un CD devrait paraître incessamment, consacré aux quintettes à clavier d'Anton Dvorak et de Philipp Scharwenka.
On souhaite longue vie commune aux Armida, à l'abri des changements qui ont frappé l'un de leurs très illustres modèles, les Artemis, une formation qui a dû lutter contre de trop nombreux changements de pupitres, une demi-douzaine en 26 ans, ce qui est beaucoup trop pour maintenir la cohésion qu'on a admirée à leurs débuts.