Faits divers

La Musique parmi les arts (III) :
Musique et Art culinaire (Gastronomie et Diététique)

Chef coq et Chef d'orchestre

La métaphore culinaire

Deux chroniques antérieures ont examiné les rapports, proches ou lointains, que la Musique entretient depuis des siècles avec la Peinture et la Danse. Mais tout bien pesé et aussi étrange que cela puisse paraître, c'est avec les Arts de la Table que la Musique partage le plus grand nombre de points communs. Certes ceux-ci ne font pas (encore) partie des Beaux-Arts, en tous cas aucune muse antique ne veille sur eux, et pourtant beaucoup rapproche ces deux univers surtout si l'on englobe l'indispensable versant diététique. Bien que cette chronique parle avant tout de musique, elle relève l'analogie culinaire toutes les fois qu'elle s'invite.

Comme les musiques, les cuisines peuvent être savantes ou populaires, traditionnelles ou exotiques, pensées ou improvisées. Les recettes tiennent lieu de partitions et les plats sont des interprétations plus ou moins réussies et jamais identiques d'une fois à l'autre, c'est la magie du direct. Elles sont sujettes à accords, variations, improvisations, fantaisies, transpositions, etc, tous termes que les musiciens connaissent bien. Le cuisinier dose les arômes et les assaisonnements quand le compositeur manie les mélodies, les rythmes et ... les dissonances.

Nous vivons à une époque qui se préoccupe, de plus en plus, de ce que nous ingurgitons, c'est le règne du bio cultivé à proximité. Par contre, ce que nous écoutons n'interroge guère autant, comme si cela était indifférent à notre bien-être. Certes, les médecins ORL alertent régulièrement contre l'abus des décibels qui rendent encore plus sourds ceux qui l'étaient déjà passablement; par contre, la justesse acoustique ne semble pas préoccuper grand monde. L'amplification électrique a envahi l'univers sonore, trafiquant les sons et laissant croire à quantité de musiciens en herbes qu'on peut faire de la bonne musique sans même l'avoir sérieusement étudiée; le grand public suit, peu concerné par le problème.

Il ne viendrait à l'idée de personne de fréquenter un restaurant où les nappes, couverts et vaisselles seraient sales, où l'on servirait des plats surgelés, des conserves, ou des préparations industrielles surchargées de sucres inutiles, de sel et de graisses. C'est pourtant ce que nombre de nos (jeunes ?) contemporains font assidûment lorsqu'ils écoutent de la musique dite de variété : ils accordent aussi peu d'attention à la qualité de ce qu'ils écoutent que de ce qu'ils dévorent et la propreté du son est une notion qui semble échapper à leur entendement.

Les goûts, les couleurs et les sons ne se discutent pas mais ce n'est pas pour autant qu'ils se valent. Cette chronique tente une réflexion délicate voire périlleuse, distinguant les musiques qui flattent les sens et celles qui les éduquent. Volontairement engagée, elle plaide pour une hygiène de l'audition, aussi nécessaire aux oreilles contemporaines que peut l'être, pour l'organisme, une alimentation saine et équilibrée. Car la malbouffe est partout et pas seulement dans les assiettes, c'est le sens de cette métaphore culinaire.

les mondes de la musique

Sauf à remonter à l'époque des cavernes - et encore, qui sait ? -, la musique a existé à toutes les époques et sous toutes les latitudes. Essentiellement vocale à ses débuts, pour des raisons techniques évidentes, elle a accompagné les rites funéraires ou festifs, renforçant la cohésion des groupes. C'était un art populaire, par définition, dont nous ne savons rien sauf qu'il cherchait à exprimer les émotions lorsque les mots venaient à manquer.

L'Antiquité classique n'a rien ajouté d'essentiel à cet état primitif, maintenant la musique dans une position nettement subalterne par rapport aux arts de la représentation, l'architecture et la sculpture, et sans doute également la peinture et le théâtre. En musique, le seul legs incontestable en provenance de la Grèce ancienne repose sur les travaux de l'école de Pythagore proposant l'ébauche d'une théorie musicale exploitable (Cf, par exemple, Gammes et Tempéraments ou Modalité musicale et arithmétique modulaire).

Emergence d'une tradition savante en Occident

Il a fallu attendre le Bas Moyen-Age pour qu'un élément nouveau intervienne en Europe occidentale, lié à la propagation de la foi chrétienne. Parmi les trois grandes religions monothéistes, toutes originaires du Proche Orient, seule le Christianisme a encouragé l'invention musicale sans lui imposer de limites strictes. C'est en effet dans les monastères et les églises primitives de la chrétienté qu'une musique est née, rudimentaire à ses débuts mais riche de promesses tenues.

Il conviendrait, à ce stade, de distinguer les cultes chrétiens d'Occident et d'Orient. Je ne peux que renvoyer le lecteur à la section Occident & Orient d'une chronique antérieure consacrée à l'histoire de la Messe en musique et dont j'ai extrait le résumé adapté suivant :

- La tradition orientale (byzantine) a déployé des charmes immédiats, qui nous sont parvenus intacts. Il suffit d'assister à un office orthodoxe pour ressentir la ferveur qui émane de son chant luxuriant, surtout lorsqu'il est servi par des voix profondes. Toutefois, l’ornementation qui a fait son attrait immédiat s'est retournée contre elle lorsqu’il s’est agi de prévoir les évolutions possibles vers des compositions plus élaborées. Cette musique est largement restée en l'état d'origine, se contentant de déployer des lignes mélodiques horizontales et ne voyant pas l'intérêt d'encourager les progrès d'une facture instrumentale.

- La tradition occidentale a évolué lentement, passant du vieux chant romain encore mélismatique au chant grégorien, dont le dépouillement convenait à sa fonction ecclésiastique. Le chant grégorien n’est cependant pauvre qu’en apparence car en réalité, il est potentiellement très riche.  C’est la simplicité et la robustesse de son matériau de base qui a permis l’élaboration de la verticalité en musique, le déploiement simultané de plusieurs voies autonomes, bref de la polyphonie puis beaucoup plus tard, de la symphonie. C'est à ce point qu'il ne faut pas chercher ailleurs les raisons de l'émergence d'une tradition savante en Occident, vers l'an 1100.

C'est en effet vers cette date qu'une musique savante est née dans le Nord de la France, avec pour ambition d'élever la prière à la hauteur des cathédrales gothiques alors en pleine érection (Pérotin le Grand : Sederunt principes). Et c'est à partir de la Renaissance, 200 ans plus tard, qu'elle a pris un envol irrésistible. Elle est l'exception occidentale d'un art hiérarchisé à l'extrême : tout y est pensé et noté avec minutie afin que la postérité puisse s'en emparer sans la dénaturer. Il y a quelque chose de vaguement mystique dans cette propagation d'une musique révélée par une Trinité fondatrice, Bach - Beethoven - Mozart, et propagée par une cohorte de disciples affranchis depuis lors de toute symbolique religieuse.

Musiques traditionnelles, folkloriques et ethniques

La Musique savante occidentale est un art particulier, noyé dans un océan de musiques vernaculaires ancrées dans des traditions diverses. Il est commode de distinguer les variantes traditionnelles, folkloriques et ethniques, des appellations qui couvrent des réalités fort différentes :

  • Les musiques folkloriques sont populaires par essence, rien que leur appellation le rappelle. Elles sont spécifiques à chaque région et rien qu'en France, simple exemple, elles diffèrent selon qu'elles sont provençales, bretonnes, auvergnates ou alsaciennes. Essentiellement vocales et fonctionnelles, elles n'entretiennent aucune prétention particulière, étant généralement défendues par des musiciens amateurs, ce qui en soi n'a rien de péjoratif.

  • Les musiques traditionnelles sont plus exigeantes, réclamant le concours de musiciens aguerris voire semi-professionnels. C'est la conséquence du recours à un instrumentarium en perfectionnement constant et requérant une véritable expertise. Le fiddler, le bratch, l'orgue portatif, la cornemuse, l'accordéon, le biniou, la flûte de Pan, etc. sont autant d'instruments déjà sophistiqués qui ont inspiré les facteurs professionnels de l'époque baroque. Rien que sur le continent européen, les traditions évoluées sont nombreuses et certaines sont particulièrement remarquables :
    - On trouve en Europe centrale d'authentiques virtuoses au service des traditions roumaines et transylvaniennes (Gheorghe Zamfir, à la flûte de Pan) ou tziganes (Roby Lakatos et Jeno Lisztes, au violon et cymbalum).
    - Aux Iles britanniques, les traditions gaéliques, irlandaises (The High Road to Kilkenny, par Les Musiciens de Saint-Julien) et écossaises (Scottish Music in the 18th Century, idem) n'ont rien perdu de leur vitalité.
    - D'autres traditions vivaces sont localisées dans des régions plus spécifiques (Polyphonies sarde et corse, Musiques siciliennes médiévales, Voix bulgares, Choeurs baltes, ...).

  • Les musiques ethniques concernent des régions lointaines voire isolées où il leur a été facile de préserver leur identité. Certaines, très sophistiquées, existent en Asie (Musique classique indienne ou d'Extrême Orient), en Amérique du Sud (Musique andine) et en Afrique (Tradition Griot, au Mali). Le cas de l'Afrique Centrale est particulièrement digne d'intérêt où la communauté des Pygmées Aka danse sur des chants polyphoniques complexes, sans équivalent sur ce continent. Note. Cet Art brut est potentiellement susceptible d'une hybridation avec la tradition savante occidentale comme l'a démontré une initiative des rencontres insolites de Mondeville, où les cordes de l'Orchestre de Normandie ont prêté leur concours à un projet imaginé par l'ethnomusicologue, Camel Zekri. Celui-ci a conçu un accompagnement volontairement minimaliste servant d'écrin à un chant complexe et libéré (Commencez en 7:12 et poursuivez en 9:24). Ce croisement entre deux univers a priori étrangers fonctionne parfaitement et il pourrait s'avérer fécond pour une musique classique en demande sinon en attente de renouvellements rythmiques.
Le monde des Variétés

Les musiques évoquées ci-avant ne constituent qu'une faible proportion de ce que nos contemporains écoutent effectivement à longueur de journée et que l'on regroupe commodément sous l'appellation générique de "Variété(s)" (chanson française ou étrangère, musique pop, électro-ambiante, fonctionnelle (de films, de jeux vidéo, etc), blues, rock, rap, disco, électro, etc). C'est un monde sonore qui mélange sans nuance les perles et les verroteries, une conséquence des dérives de la société de consommation.

Il est instructif d'épingler quelques traits de caractère communs aux musiques de Variété :

  • Les musiciens actifs dans ce domaine ont suivi des parcours divers. Certains ont fréquenté les écoles de musique sans nécessairement y trouver ce qu'ils attendaient. D'autres, doués pour le bricolage, se sont contentés du statut d'autodidacte, le plus souvent sur synthétiseur. Peu professionnels au plan artistique, ils peuvent l'être au plan matériel, les plus chanceux (ou les mieux promus) parvenant à vivre, parfois très confortablement, de leur art(isanat).
  • Les Variétés célèbrent le culte du chanteur : lorsqu'un "fan" veut partager un morceau qui lui tient à coeur, c'est quasiment toujours l'interprète qu'il désigne et celui-ci est le plus souvent vocal. La voix est en effet un instrument démocratique : un grand nombre d'artistes de variétés possèdent une voix juste, agréable, expressive et/ou au timbre particulier. Manquant de puissance, elle n'est en général pas en mesure de remplir une salle sans le secours d'une amplification envahissante. Par contre, elle peut se révéler agile et à l'aise dans une tessiture plus ou moins étendue; on a même connu des interprètes qui se débrouillaient plutôt bien sur à peine une octave (Françoise Hardy : Pourquoi Vous ?).
  • La composante instrumentale est le talon d'Achille des Variétés, souffrant la plupart du temps du traitement indigent d'instruments trafiqués électroniquement.
  • Les Variétés ignorent le principe de la variation au sens classique du terme. Elles sont dès lors souvent condamnées à ne pas dépasser la durée de quelques minutes, au-delà desquelles elles imploseraient, minées par les redites de l'alternance couplet-refrain.
  • Elles sont éminemment sujettes au phénomène de mode, favorisé par le besoin compulsif d'une (fausse) nouveauté, business oblige. L'amateur associe la voix d'un interprète particulier à la chanson qu'il aime et, sauf exception, il ne se satisfait pas de l'entendre reprise par quelqu'un d'autre. C'est très étrange car même si les auteurs ont pensé à un interprète particulier quand ils l'ont écrite, on ne voit pas du tout par quel miracle ils auraient trouvé d'emblée l'interprète idéal. Dans l'univers classique, l'oeuvre prime l'interprète et la diversité des interprétations assure la pérennisation du répertoire. En variétés, c'est l'interprète qui compte et la conséquence est un engouement passager qui favorise l'objectif financier de la rentabilité immédiate.
Le cas particulier du Jazz

Le Jazz est un univers en soi qui concerne une élite encore plus minoritaire que celle des amateurs du Classique. Né aux USA d'un acte de résistance noire, il s'est développé à ses débuts en prenant le contrepied de l'univers classique, en cassant les codes assimilés aux oppresseurs, et, sauf le piano, en recourant à un instrumentarium décalé par rapport à celui de l'orchestre symphonique traditionnel trop connoté blanc. Les musiciens de jazz sont de vrais professionnels experts dans l'improvisation libre, en particulier dans le déhanchement du rythme.

Le jazz (comme l'opéra) est cependant un univers à part que l'on ne peut apprécier que si l'on se sent à l'aise avec ses conventions, en particulier ces moments qui régalent les amateurs et horripilent les autres où la musique part en vrille dans des "jam sessions" hors de contrôle. Ces moments de liberté s'apparentent à des "trips" où l'interprète se fait plaisir présumant que le public suivra.

Il fut un temps où l'on considérait que, quasiment par définition, les univers du classique et du jazz étaient étrangers l'un à l'autre. Les points de vue ont évolué à ce sujet depuis que l'on a montré qu'une hybridation est possible entre le jazz et la musique baroque et qu'elle fonctionne très bien. Certes, les possibilités liées au retour à Bach sont connues depuis longtemps (Modern Jazz Quartet, Swingle Singers et les excellents pianistes, Jacques Loussier, Keith Jarrett et Brad Mehldau) mais, plus récemment, des musiciens situés aux confins des deux univers ont tenté des expériences concluantes, telle celle vécue lors du festival des Nuits de Septembre (Liège, 2021), où le pianiste et claveciniste Jean-Philippe Collard-Neven (accompagné par le contrebassiste Jean-Louis Rassenfosse) ont élargi la perspective à Monteverdi, Purcell, Lully et Scarlatti.

Les ingrédients musicaux

La mélodie accompagnée

La mélodie est à la musique ce que le dessin est à la peinture et le sucre au goût. En flattant l'oreille, elle crée une assuétude dont il n'est pas si facile de se défaire. La mélodie est très présente en musique vocale, classique ou de variété. Pour être belle, elle a intérêt à être longue, sinueuse, sans redite évidente afin de maintenir l'intérêt sans s'égarer dans la banalité. L'accompagnement lui sert d'écrin et il doit être digne d'elle. Ce sont les canons esthétiques de l'époque baroque qui ont imposé la qualité de l'écrin instrumental : celui-ci est immédiatement perceptible dans, simples exemples, la Passacaglia della Vita de Stefano Landi et la Tarantella Napoletana d'Athanasius Kircher (1602-1680). L'époque romantique a cultivé la mélodie grâce à quelques compositeurs doués pour cet exercice : Charles Gounod, Camille Saint-Saëns, Reynaldo Hahn, Giaccomo Puccini, etc. Le sommet du genre a été atteint par Richard Strauss dans ses lieder orchestraux (Im Abendrot), dont les lignes mélodiques dessinent des courbes voluptueuse rehaussées par un orchestre luxuriant.

L'univers classique abonde en mélodies purement instrumentales, ce qui est sans équivalent en Variétés. L'une des plus fameuses est sans doute Nimrod, une des Variations Enigma d'Edward Elgar; quant à la Symphonie n°7 d'Allan Pettersson, en en propose un exemple , certes plus dificille à chanter sous la douche, mais c'est aussi pour cela qu'on ne s'en lasse pas dès qu'on en a goûté la subtilité .

La mélodie vocale est également très présente dans le domaine des Variétés, moins ambitieuse certes mais souvent bien balancée (Russians par Sting, Un jour un enfant par Frida Boccara, Komm Zurück Zu Mir ou Typisch Mann par Milva, vous compléterez la liste à votre guise). Son souci principal se situe au niveau d'un accompagnement instrumental trop souvent rudimentaire voire négligent, fait de cordes grattées ou lénifiantes à l'unisson (Avec parfois des exceptions notables, telle cette chanson Vesoul où un accordéon aussi efficace qu'inattendu accompagne la voix de Jacques Brel).

Boîtes à rythmes, rythmes en boîtes

Les artistes de Variétés sont particulièrement satisfaits de leur gestion du rythme; c'est pourtant leur point faible, particulièrement lorsque se répand le martèlement d'un rythme binaire débilitant et/ou assourdissant. Réécoutez Milva dans Komm Zurück Zu Mir et expliquez-moi ce que vient y faire cette ponctuation, même discrète (Si vous ne remarquez rien, c'est que vous êtes déjà gravement atteints !).

Faites-en l'expérience autour de vous, la plupart de nos contemporains ne remarquent pas l'omniprésence d'un rythme martelé par des boîtes électro qui offensent les lois les plus fondamentales de l'acoustique musicale (Adèle : Set Fire to the Rain, Pink Floyd : The Wall et Françoise Hardy remixée au (mauvais) goût du jour : Le Temps de l'Amour). Pour en revenir à la métaphore culinaire, même quand on aime le ketchup, on n'est pas obligé d'en barbouiller son assiette !

Que l'on comprenne bien, la basse obstinée a été présente dès que la musique s'est partagée entre les registres vocaux et instrumentaux mais elle l'a fait avec délicatesse et raffinement, comme dans cette entrée progressive des instruments dans ce Passamezzo antico de Diego Ortiz (1510-1570). Ecoutez encore cet Air de Cour d'Antoine Boesset (A la fin cette Bergère), sans grande prétention mais particulièrement soigné du début à la fin.

Le beau son fait la bonne musique

Tous les cuisiniers vous le confirmeront, il est impossible de rater un plat lorsqu'on travaille de bons produits; certes un accident est toujours possible dans la réalisation mais le résultat demeurera valable. A contrario, cuisiner savamment des produits médiocres n'aboutira à rien de probant. Il n'en va pas autrement en musique où le son est l'ingrédient principal. De ce point de vue c'est l'époque baroque qui a montré l'exemple du double point de vue de la qualité sonore des instruments et de la manière de les accorder dans une pratique idéale.

Le beau son est indissociable du respect des règles de l'acoustique musicale. Ce sont incontestablement les 200 ans (1550-1750) qui ont assuré la transition entre la (fin de la) Renaissance et le Baroque qui ont fixé les normes de qualité du son, tant du point de vue de l'écriture (Principe du tempérament inégal) que de sa traduction sonore (Facture des instruments anciens) :

  • La théorie des tempéraments, héritée des travaux de Gioseffo Zarlino, a été évoquée dans une chronique antérieure (Gammes et Tempéraments). Rappelons qu'il s'agissait en substance de concilier autant que faire se pouvait la pureté des intervalles de quintes et de tierces (majeures), chose qui est impossible rigoureusement mais possible approximativement. Le prix payé a été une théorie musicale, en particulier une notation alambiquée à l'extrême. L'adoption ultérieure (vers 1800) du tempérament égal a simplifié la donne au prix d'une perte de pureté des intervalles que nous payons chaque jour sans même nous en rendre compte tellement nos oreilles se sont accoutumées à des sons formattés (Note. Les vins c'est pareil : les notions de terroirs ont été gommées par un traitement rationalisé mais uniformisé des procédés de vinification : ce qu'on l'on gagne en reproductibilité d'un goût moyen, on le perd en spécificités !).
  • La facture des instruments de musique a connu sa période dorée à la même époque, en particulier les cordes frottées et celles pincées. Trois (familles d')instruments ont marqué cette époque : luth, viole et clavecin. Elles atteignent un degré de perfection inégalé sauf par de grands artisans contemporains qui parviennent à les approcher de très près. Et pourtant ces trois familles ont disparu aux époques ultérieures, jugées trop élitistes, trop intimistes pas assez virtuoses. Cependant aucun des instruments qui les ont supplantés ne les égalent en perfection acoustique et on les redécouvre aujourd'hui. Les cordes frottées (famille des violes et des violons) ont été décrites dans la chronique consacrée aux Acoustiques musicales, les cordes frappées ont également été abordées dans cette chronique mais elle ne concernent guère que le piano moderne qui échappe aux raffinements acoustiques et les cordes pincées font l'objet de la section suivante .
L'exemple des cordes pincées

A l'exception notable des vents pas encore parvenus à maturité, l'instrumentarium baroque propose un idéal acoustique insurpassé à ce jour. Les instruments à cordes en apportent une belle démonstration et pas seulement les fameux violons crémonais. De fait, l'examen des cordes pincées suffit à la démonstration, d'autant mieux venu qu'il est moins connu.

De la lyre dont jouait Orphée, nous savons peu de choses car l'instrument a disparu depuis longtemps de la pratique courante. Les représentations parvenues jusqu'à nous montrent un instrument rudimentaire : 5 à 8 cordes, de longueurs quasiment égales, accrochées à une caisse de résonance trop étroite ne permettaient guère de produire un son ample et varié. L'instrument n'a de ce fait servi qu'à l'accompagnement vocal. Vers la fin du Moyen-Age la harpe (médiévale) en a repris quelques caractéristiques en les améliorant. La Renaissance et le Baroque précoce ont vu l'Age d'Or des luthiers dont l'activité s'est essentiellement répartie entre les instruments à cordes frottées (famille du violon) et ceux à cordes pincées (famille du luth). Ce sont ces derniers qui offrent la plus belle démonstration de l'extraordinaire expertise acoustique acquise par les facteurs de cette époque, que tentent de retrouver les facteurs actuels, capables de réaliser des copies d'une qualité inespérée.

  • Harpe baroque
    Les instruments regroupés sous l'appellation générique de harpe épousent une forme triangulaire adaptée à l'inégalité des longueurs des cordes (contrairement à ce qui se passait avec l'antique lyre). Il en existe de plusieurs sortes mais celles qui délivrent les sonorités les plus subtiles datent de la Renaissance et du Baroque. Deux enregistrements du Harp Consort d'Andrew Lawrence-King, un spécialiste des harpes anciennes, en administrent la preuve : Caroland's Harp (harpe irlandaise) et Spanish Dances (Zarambeques, pour Harpe espagnole et archiluth). Les amateurs de musique gaélique doivent également connaître les beaux enregistrements réalisés par les Musiciens de Saint Julien, parus chez Alphe (The High Road to Kilkenny, harpe gaélique).
  • Luth à 8 Choeurs
    Le luth, dérivé de l'oud arabe, a été l'instrument phare de la Renaissance jusqu'à la mort de Bach. Il a été perfectionné au cours des décennies, évoluant en particulier de 6 à 13 choeurs (8 ci-contre assemblages de 2 cordes généralement accordées à l'unisson parfois à l'octave). De nature intimiste, cet instrument s'est éteint à la fin de l'époque baroque, victime de sa réputation élitiste et sans doute d'un son jugé trop peu puissant. Les compositeurs de l'époque élisabéthaine ont beaucoup écrit pour cet instrument (John Dowland, Anthony Holborne, Thomas Morley, ...) mais c'est sur le continent que la production s'est diversifiée, de quantité de musiciens peu connus, Ennemond Gaultier (1575-1651) (Suite en ré mineur par Hopkinson Smith), Nicolas Vallet (1583-1642) (Le Secret des Muses par Paul O'Dette), Johannes Hieronymus Kapsberger (1580-1651) (Toccata L'Arpeggiata par Paul O'Dette), Silvius Leopold Weiss (1687-1750) (Suite n°1 en fa majeur par Michel Cardin), David Kellner (1670-1748) (Chaconne en la majeur par Jose Miguel Moreno), jusqu'à l'incontournable J-S Bach (Sonates & Partitas par Jakob Lindberg).
  • Théorbe
    Dans la famille du luth, on trouve une classe d'instruments que l'on rassemble habituellement sous l'appellation générique "archiluth". Ils sont immédiatement reconnaissables par leur grande taille due à la présence d'un second chevillier relié à de longues cordes additionnelles. Le théorbe romain (ou chitarrone, on confond souvent les deux même si certains spécialistes ne sont pas d'accord, cf cette étude de Robert Spencer) est l'exemple-type. Il est composé de deux jeux de cordes aux fonctions très différentes : 1) le petit jeu (à droite sur la figure ci-contre) comporte habituellement 6 cordes enjambant la touche ce qui permet de choisir les notes par simple pression du doigt de la main gauche (notez l'accord dit rentrant des cordes situées à l'extrémité qui permet de jouer des notes conjointes sur plusieurs cordes) et 2) le grand jeu (à gauche) apporte huit cordes supplémentaires (simples ou doubles) ne pouvant vibrer qu'à vide du fait qu'elles ignorent la touche. Il n'est pas nécessaire d'entrer dans ces subtilités pour apprécier le son profond et chaud que cet instrument délivre, enrichi, en particulier, par la vibration sympathique des cordes du grand jeu). C'est Robert de Visée (165-1733) qui a composé les plus belles pages pour cet instrument. Il a même écrit quelques tubes d'époque maintes fois enregistrés : Chaconnes en sol majeur (Comparez les interprétations de Xavier Díaz-Latorre et Francisco López-Tiorba) et en la mineur (Faites de même avec Fran López et Klaudyna Żołnierek). Les suggestions de comparaisons sont là pour vous rappeler que dans ce genre de musique l'instrument compte autant que l'habileté de celui qui en joue (Cf cet interview du luthiste Thomas Dunford). Rolf Lieslevand ???
  • Angélique
    Il existe beaucoup d'autres variantes de théorbes (Tiorbino, Théorbe padouan, ...) mais elles sont d'un usage rare. L'une d'elles, l'Angélique à 16 (ou 17) cordes, n'a jamais vraiment connu les honneurs qu'elle aurait mérité. Les poètes voudraient que son nom dérive de sa sonorité mais les historiens pensent qu'il est emprunté à son inventrice supposée, Angélique Paulet, active sous le règne de Louis XIII. C'est en fait un théorbe arrangé (Petit jeu à 10 cordes et grand jeu à 6 ou 7 cordes) pour servir l'accompagnement vocal : l'angélique tire sa sonorité incomparable de la grande résonance des cordes additionnelles. Revers de la médaille, l'instrument ne convient que pour les musiques graves et lentes : Michel de Béthune fut l'un des rares compositeurs à s'être penché sur les possibilités autonomes de ce merveilleux instrument (Suite en ut majeur par José Miguel Moreno). Le torban ukhrainien est un descendant de l'angélique.
  • Psaltérion
    Le Psaltérion et le proche Tympanon sont des instruments médiévaux tous deux dérivés de l'ancienne cithare. Ils sont constitués d'un cadre horizontal supportant la tension des cordes tendues (initialement en boyaux ensuite plus judicieusement en métal). Ils ont été perfectionnés à la Renaissance atteignant un raffinement extrême, ils se jouent avec les doigts, un plectre voire un petit marteau, ce qui en fait les ancêtres du clavecin. (Automate de Marie-Antoinette) Ils sont de fait tombés en désuétude lorsque ce dernier a pris la relève. C'est un instrument d'un raffinement rare mais que la discrétion du son émis cantonne dans l'accompagnement qu'il relève comme aucun autre (Margit Übellacker,Le voici à découvert Sonate tardive de Pietro Beretti (1705-1751)) En comparaison la guitare baroque ne rivalise pas avec le psaltérion dans cette Tarantella Napoletana d'Athanasius Kircher (1602-1680). Voici tout le groupe réuni en accompagnement de cette Passaglia della Vita de Stefano Landi (1587-1639). Les musiques populaires d'Europe centrale utilisent le Cybalum, ici dans la tradition tzigane.
  • Clavecin
    Le Clavecin est un héritier des instruments précédents, obtenu par adjonction d'un clavier relié à des plectres. C'est l'instrument-roi de toute la période baroque. Héritier du psaltérion par edjonction d'un clavier, il a déjà fait l'objet de deux chroniques et le lecteur est invité à s'y reporter (L'école française de clavecin et Les 27 Ordres de François Couperin) afin de se remémorer qu'au plan acoustique, les meilleurs compositeurs pour cet instrument furent français et les meilleurs facteurs furent flamands. Ensemble ils ont contribué à un art d'un raffinement extrême qui n'a guère été surpassé : Blandine Verlet, Ursula Duetscheler, Brigitte Tramier, Michael Borgstede

Ces instruments, comptant pourtant parmi les plus précieux de l'instrumentarium occidental, n'ont pour la plupart pas survécu aux ravages de la Révolution de 1789, allergique aux fastes de l'Ancien Régime. On ne peut manquer d'y voir l'une des premières manifestations de l'appauvrissement insensible mais progressif de la perception acoustique au sein d'une société de plus en plus frivole.

Signe des temps, la guitare (baroque, romantique, moderne, électrique) a évolué en perdant le charme des sonorités subtiles, ne conservant, dans le meilleur des cas, que l'attrait pour la virtuosité hispanisante (Guitare acoustique) et dans le plus mauvais, celui nettement douteux pour l'amplification (Guitare électique).

On retrouve le principe des cordes pincées dans certaines traditions instrumentales exotiques servies par des instruments d'excellente facture :

- En Europe centrale, le Cymbalum tzigane, et en Irlande, la harpe celtique.

- En Afrique, le Kora malien est omniprésent dans la tradition Griot, parfaitement défendue par la famille Diabaté (Le père Djeli Mory, son fils Mamadou Diabaté et son neveu Toumani Diabaté) mais aussi par Ballaké Sissoko.

- Au Japon, c'est le Koto à 25 cordes qui tient la vedette (Kugo Ka d'Akira Ifukube), mais il ne faudrait pas négliger les guzheng et gukin chinois (p), ehru (f), pipa

- Le cas de l'Inde est particulier : il y existe une tradition savante basée sur une déclinaison du Râga (modes et rythmes) confiée au sitar, un instrument complexe apparenté au luth. Bien que l'instrument soit en principe acoustiquement autonome, muni d'une caisse de résonance naturelle en calebasse, la pratique de concert utilise une amplification indirecte (à distance) qui maquille donc fatalement dénature le son par pose de micros à distances (les performances du Maître Ravi Shankar et de sa fille Anoushka recourent à des instruments amplifiés).

Sitar, Koto et Kora
Sitar indien, Koto japonais et Kora malien
Vitrine sonore

Boutiki Sissokho Yakhouba & Lansine Kouyate

Voici quelques enregistrements fameux qui ont en tous cas le mérite de mettre le son en évidence :

  • Violoncelle : Caprices de Joseph-Marie-Clément Dall'Abaco par Kristin von der Goltz
  • Violon : , David Plantier, Hélène Schmitt dans la merveilleuse Chaconne en la majeur de Johann Heinrich Schmelzer
  • Madrigal : Barbara Strozzi (Capella Mediterranea)
  • Chanson : Poème harmonique (Claire Lefiliâtre & Le Poème harmonique)
  • Cantigas de Santa Maria : Esther Lamandier
  • Pluhar, Vincent Dumestre Quand je menai les chevaux boire où émerge la voix si juste de Claire Lefilliâtre, Savall (Hume, Musical Humors), Celine Frisch, Rameau Clavecin, luth, théorbe, psaltérion

Bienfaits et méfaits de l'électronique

Depuis l'âge d'or baroque, la musique a subi deux révolutions qui ont bouleversé l'équilibre sonore : l'adoption du tempérament égal, définitif vers 1820, et l'avènement de l'électronique, un siècle plus tard. Une chronique antérieure (Gammes et Tempéraments) a rappelé les dommages qualifiés de "nécessaires" causés par la restriction des intervalles aux seuls demi-tons et nous n'y revenons pas. Ce paragraphe examine les conséquences de l'immixtion de l'électronique dans l'univers sonore.

Les bienfaits ...

Au rang des bienfaits incontestables, il convient de citer l'invention du phonographe, appareil capable d'enregistrer les sons et de les restituer avec un degré de fidélité qui n'a cessé de progresser. L'histoire a commencé avec l'imprimeur français, Édouard-Léon Scott de Martinville (1817-1879), qui a inventé le phonautographe, appareil mimant la configuration de l'oreille externe et capable d'enregistrer la trace d'une pointe vibrante sur un papier déroulant enduit de noir de fumée. Tel quel l'appareil était incapable de reproduire les sons "enregistrés" et ce n'est que récemment, en 2008, que des ingénieurs sont parvenus à décoder quelques enregistrements encore exploitables et en extraire une information sonore reconnaissable (Au Clair de la Lune, daté de 1860 !). L'invention du premier phonographe remonte aux travaux de Charles Cros et de Thomas Edison (Brevets déposés en 1877, à quelques mois d'intervalle seulement). Aux débuts, l'enregistrement se faisait sur un cylindre de cire non réplicable et il a fallu attendre l'avènement du disque plat pour qu'une commercialisation devienne possible. Un des premiers enregistrements encore audible est celui de la voix du dernier castrat, Alessandro Moreschi, enregistrée en 1902 (J'aurais pu opter pour la captation, la même année, de la voix de l'illustre Enrico Caruso mais j'ai préféré attendre 1916 et faire entendre les progrès réalisés en peu de temps (O Sole Mio). Vu les plages fréquentielles couvertes, la voix était plus facile à reproduire.

Le support d'enregistrement a lui aussi évolué : sans remonter jusqu'aux entiques cylindres puis aux disques 78 tours d'ailleurs repiqués dpuis lors s'ils en valaient la peine, la fidélité a été au rendez-vous avec le disque vinyl (Long Playing 33 tours) et elle s'est poursuivie avec l'adoption du CD.

Aux familles traditionnelles (idiophones, membranophones, cordophones, aérophones), on a ajouté celle des électrophones (comprenez constitué de circuits oscillants alimentant des haut-parleurs).

... et les méfaits

Même toute médaille a son revers et la fée Electricité n'a pas fait que du bien autour d'elle. En conservant la musique en boîte elle a contribué la boîte à conserves, voilà le défi posé. Pourquoi certaines personnes écoutent-elles les grands classiques et les autres pas du tout ? Qui va au concert et qui se contente de musique en boîte ? Pourquoi les musiques modernes et pire bien encore contemporaines rebutent-elles les uns comme les autres ?

Au rayon des bémols, force est de regretter la prolifération des instruments électr(on)iques dont le filtrage par des haut-parleurs est à la musique ce que la conserve est à la gastronomie. L'amplification de la voix est également regrettable lorsqu'elle ne répond à aucun autre dessein que celui de pallier l'insuffisance vocale des interprètes. Le sommet du mauvais goût est définitivement atteint lorsque la musique est constamment polluée par une basse obstinée à mille lieues de celle dont l'époque baroque détenait le secret acoustique. Comment ne pas regretter cette improvisation quand on la compare aux boum-boum.

La haute fidélité est l'art de mettre la musique en boîte ce qui semble se justifier si l'on se réfère aux avantages énumérés ci-avant. Cependant que dirait-on d'un restaurant qui servirait de la nourriture en boîte ? Il faut donc aller au concert (acoustique !) tout en restant conscient qu'on ne peut y passer sa vie même si un conert classique coûte bien moins cher qu'un concert pop. Au moins la musique y circule directement du producteur au consommateur, une belle illustration du principe du circuit court que célèbrent les nouveaux chantres de l'alimentation responsable.

L'amplification de la voix est également regrettable lorsqu'elle ne répond à aucun autre dessein que celui de pallier les insuffisances vocales des interprètes. Le sommet du mauvais goût est atteint lorsque la musique est constamment polluée par une basse rythmique binaire à mille lieues de celle que cultivait l'époque baroque.

Le paradoxe électroacoustique

Il est paradoxal de plaider pour une culture du son acoustique qui n'est accessible qu'en concert et de se réjouir des possibilités de l'enregistrement électrique qui demeure notre source principale d'approvisionnement musical (domestique). On aura compris que l'enregistrement fonctionne comme une archive consultable à la manière d'un livre d'art emprunté en bibliothèque mais que rien en remplace le contact avec l'oeuvre authentique. Simplement c'est l'aspect chronophage de la musique qui met une limite à cette pratique idéale. Au bilan, concert et enregistrement se complètent, à aucun moment ils ne se font concurrence : le second n'a pas davantage tué le premier que la photographie n'a tué la peinture ou le cinéma le théâtre.

Hygiène de l'audition et diététique musicale

Tout le monde ne vibre pas aux sons des mêmes musiques. Une musique nous paraît bonne lorsqu'elle nous parle alors que les mots ont épuisé leurs effets. Tout se goûte tout s'écoute, est-ce pour autant que tout se vaut ?

Une musique n'a pas besoin d'être savante, un champ de coquelicots (s'il en existe encore !) procure autant d'émotion qu'une exposition florale apprêtée, mais il n'empêche qu'elle a intérêt à l'être si elle veut durer. Si sa seule ambition est de paraître et de faire un maximum d'argent, alors ce n'est effectivement pas nécessaire.

Par contre sa qualité acoustique n'est guère négociable.

La qualité du son est aussi essentielle à la musique que celle des ingrédients à une recette culinaire. C'est une des vertus de l'étude et de la pratique des musiques anciennes que d'avoir rappelé ce fait fondamental.Le son fait l'objet de toutes les attentions de quelques interprètes particulièrement sourcilleux à son sujet

Aujourd'hui, les jeunes gens consomment la musique comme ils consomment la nourriture, sans grand discernement. Ils dévorent des hamburgers, des nuggets et des pizzas, parce qu'ils aiment cela et c'est bien leur droit. Un problème surgit cependant dès l'instant où cela devient une habitude de vie. En musique la mode est à l'électro y compris chez les artistes car ce mode d'expression leur donne l'illusion que tout le monde un peu bricoleur peut s'improviser musicien. L'art de rue est certes sympathique mais il est surtout le fait de bricoleurs qui ne veulent pas se donner la peine d'entreprendre ou de poursuivre l'étude des techniques musicales. Ils pensent qu'en déléguant leur technique aux logiciels ils peuvent faire l'économie d'études pointues. Ils sont d'ailleurs confortés dans ce raisonnement dans le fait qu'ils y gagnent effectivement beaucoup d'argent à peu de frais, pourquoi se casseraient-ils la tête ?

Mais ce n'est pas comme cela que l'Art fonctionne. Très peu d'artistes de génie ont vécu confortablement de leur oeuvre. c'est certainement malheureux pour ne pas dire scandaleux mais cela a souvent été le prix à payer pour trouver l'inspiration dans la précarité car l'artiste véritable crée par nécessité intérieure d'exorciser un mal-être

Epilogue

Cette chronique s'attache à montrer que tout rapproche la Musique des arts de la table, la gastronomie sans doute mais aussi et plus sûrement la diététique; c'est un plaidoyer pour une véritable hygiène de l'audition.

Elle repose sur deux critères essentiels relatifs 1) à la complexité dosée de la structure musicale et 2) à son expression acoustique irréprochable. Il n'en demeure pas moins qu'on ne peut considérer avec la même attention une chanson écrite sur un bout de table et une vaste composition qui a demandé des mois de gestation.

D'emblée se révèle une contradiction : je ne vous propose, par la force des choses, que des musiques enregistrées. L'enregistrement n'est qu'un instrument de travail permettant d'accélérer l'inventaire des musiques existantes ou de délassement pour ceux plus nombreux qui n'y cherchent que la satisfaction de leurs aspirations. Le lieu de prédilection de la musique ne peut être que la salle de concert, le seul endroit où l'acoustique reprend ses droits.

La Variété ne s'encombre pas de ces détails préférant emprunter le raccourci commode mais trompeur selon lequel tout paradoxe disparaît si l'on convient de verser les instruments dans la catégorie des électrophones. Cela n'est vrai que si l'on abdique toute ambition acoustique.

Cependant il n'existe aucun rapport entre la valeur d'une oeuvre d'art en général et le montant qu'elle a pu rapporter à son auteur et s'il en existe un ce serait plutôt une proportionnalité inversée.

Les Variétés constituent un business lucratif dont les bénéficiaires ne sont pas toujours clairement identifiés. Bien "promotionnées", elles peuvent rapporter gros quelle que soit la qualité de la musique produite. Note. Il est loin le temps où les plus grands chefs-d'oeuvre musicaux, L'Art de la Fugue de Bach et le Quatuor n°14 de Beethoven, rapportaient des clopinettes à leur auteur (Quasiment rien à Bach sauf le logis et le couvert, et 50 ducats or à Beethoven le montant de son loyer pour 6 mois). Il n'a de fait jamais existé de rapport entre le confort de vie des (meilleurs) artistes et l'importance de leur contribution à l'Art, c'était vrai du temps de J-S Bach et c'est encore pire aujourd'hui. Bien qu'il soit hasardeux de comparer les trains de vie à des époques différentes, on peut tenter d'estimer les trains de vie de quelques musiciens historiquement célèbres Une première approche consiste à estimer le confort de vie atteint dans la couverture des besoins élémentaires voire davantage. Une conclusion s'impose rapidement lorsqu'on remonte dans le temps : les musiciens étant à charge de protecteurs issus de la noblesse ou du clergé, les Maîtres de Chapelle sont appointés au même titre que les cuisiniers en chef. Pour prendre un exemple illustre, Monteverdi fut musicien à la cour des Gonzague à Mantoue, puis, durant trente ans, Maître de Chapelle à la basilique Saint-Marc de Venise. Dans quelques lettres adressées à son librettiste Striggio introduit à la Cour, en 1620, il s'est plaint que la Cour de Mantoue lui devait un reliquat de pension et osait solliciter son retour. Il fut mieux traité à Venise d'autant qu'il y a joui de la liberté de composer pour d'autres paroisses. On sait que San Marcos lui versait un salaire annuel de 400 ducats (ce qui n'est pas négligeable pour un bourgeois mais encore bien insuffisant pour acquérir un titre de noblesse même bradé, 100000 ducats, après la guerre de Crète contre l'Empire ottoman). Il importe peu de connaître avec précision Cependant on peut rassembler pour l'édification de l'église Santa Maria della Salute, élevée en action de grâces pour la délivrance de l'épidémie, l'énorme somme de 420 136 ducats, la construction se prolongeant jusque 1686 Les pauvres se consoleront en apprenant que des statistiques récentes permettent d'estimer Une autre approche plus contemporaine (mais pas focément plus judicieuse) consiste à estimer les droits d'auteurs selon Spotify : https://www.rtbf.be/article/spotify-une-etude-calcule-ce-que-les-compositeurs-classiques-auraient-gagne-si-la-plateforme-avait-existe-a-leur-epoque-10928153 Il suffit de comparer avec les gains enregistrés par les artistes les mieux recensés par la Recording Industry Association of America (Dans l'ordre, The Beatles, Elvis Presley et Garth Brooks) pour commencer à réaliser que quelque chose ne tourne pas rond dans le monde du showbizz. Elvis Presley, Neil Young, Harry Bellafonte, Elton John, etc. C'est à dessein que je n'ai cité que quelques exemples arbitrairement sélectionnés, au risque de mécontenter une armée de lecteurs furieux que ne soit pas citée leur idole du moment. A sa décharge, il faut bien reconnaître que l'industrie de la variété renfloue les caisses du classique qui sans elle serait incapable de survivre en proposant le répertoire que l'on sait, une variante musicale du "Téléthon" ! Ce qu'ils gagnaient : https://www.adzuna.co.uk/blog/do-you-make-more-money-than-mozart/

Aux États-Unis, certains compositeurs de musique de films peuvent gagner jusqu'à deux millions de dollars par oeuvre cinématographique.

Comme le disait Antoine de Saint-Exupéry, “La perfection (en Art) est atteinte, non pas lorsqu'il n'y a plus rien à ajouter, mais lorsqu'il n'y a plus rien à retrancher” et précisément, cette ponctuation est superflue.

(c’est "la fille d’un premier mariage de la deuxième épouse du coiffeur dont la première épouse a été la masseuse du frère de Maurice Ravel " qui touchait les droits du Boléro de Ravel)